Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/05/2013

(J-Drama / Pilote) Haitatsu Saretai Watashitachi : les lettres d'un espoir

haitatsusaretaiwatashitachi0_zps6117b33a.jpg

En ce mercredi asiatique, restons au Japon. Certes, la saison printanière n'y est pas très enthousiasmante, mais heureusement, on peut toujours compter sur la chaîne câblée WOWOW pour venir rompre la morosité ambiante. A condition que ces dramas parviennent jusqu'à nous, car hélas, pour l'instant, pas de trace de sous-titres pour Sodom no Ringo ou Lady Joker - ce dernier drama m'intéresse d'autant plus qu'il se situe dans le même univers que Marks no Yama, série datant de 2010 : il s'agit de l'adaptation d'un autre roman de Takamura Kaoru, et Kamikawa Takaya y reprend son rôle de détective. Tout en continuant d'espérer pour ces fictions, l'absence de sous-titres ne se rencontrera heureusement pas pour le dernier WOWOW sorti ce mois-ci.

Diffusé depuis le 12 mai 2013, Haitatsu Saretai Watashitachi comptera 5 épisodes d'une cinquantaine de minutes chacun environ. Il a la particularité d'être (librement) basé sur une histoire vraie, celle de Isshiki Nobuyuki, à qui a été confié l'écriture du scénario. Si l'histoire traite de thèmes sombres, puisqu'elle évoque dépression et projet de suicide, comme l'affiche colorée le suggérait, il ne s'agit pas de verser dans un registre trop larmoyant. L'idée directrice est de tenter de repartir de l'avant, et les premiers épisodes sont prometteurs. Habituellement, j'attends d'avoir tout vu avant de rédiger un billet sur les dramas de WOWOW du fait de leur durée courte, mais comme je préfère passer du temps à écrire sur des séries que j'ai appréciées plutôt que l'inverse, aujourd'hui sera une exception ! Rien ne m'interdit d'y revenir ultérieurement dessus ensuite.

[La review qui suit a été rédigée après le visionnage des deux premiers épisodes.]

haitatsusaretaiwatashitachim_zps183990c8.jpg

Haitatsu Saretai Watashitachi est l'histoire de Sawano. Marié, père d'un petit garçon de 6 ans, ce trentenaire semble a priori tout avoir pour être épanoui. Mais, depuis 2 ans, il s'est comme éteint. Il a perdu goût à la vie, se détachant de toute émotion et d'un quotidien qui semble se poursuivre en l'oubliant sur le bas-côté. Sans travail, sous traitement médical, il ne fait rien de ses journées, sinon traîner son mal-être. Cette situation étant devenue pour lui intenable, il décide un jour d'en finir, choisissant de se suicider dans un cinéma abandonné. Il échoue dans son projet, mais découvre dans la salle une vieille sacoche de courriers qui contient encore 7 lettres intactes.

Sawano se fixe alors pour mission de délivrer à leurs destinataires ces enveloppes : 7 courriers à apporter qui vont constituer pour lui un nouveau décompte avant de mettre, cette fois-ci sans contre-temps, fin à ses jours. La première personne qu'il rencontre par cet intermédiaire est une coiffeuse, Yu, qui vient de perdre son père. La jeune femme trouve dans cette lettre qui a mis tant d'années à lui parvenir un réconfort inattendu. Reconnaissante et intriguée par cet étrange facteur, elle décide de tenter de lui redonner goût à la vie, tout en l'aidant à délivrer les lettres restantes.

haitatsusaretaiwatashitachic_zpsd0d9db41.jpg

Haitatsu Saretai Watashitachi s'ouvre sur une première scène marquante : une jeune coiffeuse, isolée dans son salon, contemple un rasoir qu'elle a posé contre sa jugulaire. Plus tard dans l'épisode, nous sera également relatée l'échec de la tentative de suicide par pendaison de Sawano qui l'a conduit à la découverte des lettres égarées. Le ton est donc donné : ce drama aborde un sujet difficile. Pour autant, il va éviter sans difficulté l'écueil du pathos excessif. Certes, il met en scène un personnage désabusé et cynique qui n'aimerait rien tant que s'enfermer dans sa détresse personnelle et mener de manière détachée son nouveau compte-à-rebours pour en finir. Mais la remise de ces vieilles lettres qu'il a entreprise vient perturber de façon inattendue ses projets. Pour Yu, à qui il remet le premier courrier alors qu'elle tenait un rasoir contre sa gorge, l'écrit reçu est un électrochoc. Il lui apporte ce dont elle avait besoin dans ces circonstances de deuil qu'elle traverse. Se sentant redevable, la jeune femme se montre entreprenante : Sawano a peut-être baissé les bras, mais Yu se donne pour mission de changer cela, afin de lui rendre la pareille.

Par son étrange office de facteur retardataire, Sawano enclenche ce qui va être le véritable fil rouge du drama : une quête pour reprendre goût à la vie. En remettant leurs lettres à ces sept personnes laissées pour compte des services postaux, c'est sur lui-même que Sawano va agir, sans l'avoir anticipé. En effet, ces courriers apportent quelque chose de précieux à leurs destinataires : une information qui jette un nouvel éclairage sur certains évènements, un souvenir cher, ou bien encore une raison de repartir de l'avant après un temps d'égarement. L'écrit conserve de plus une force particulière à l'ère de la dématérialisation d'internet. Il est chargé d'émotions, et ce sont ces dernières qui, par ricochet, vont tenter d'atteindre ce messager récalcitrant qu'est Sawano. Ces lettres ne sont donc pas là pour réduire la série à une succession d'histoires individuelles poignantes : tout en conférant une dimension humaine au récit, ce qui importe est la manière dont elles peuvent toucher celui qui les remet... Sans le savoir, malgré lui, il s'est ouvert une possible voie vers un retour à la vie. Pour le moment, il y reste insensible. Rien ne dit qu'il saisira cette opportunité. Mais l'ouverture est là, et cela suffit pour impliquer le téléspectateur.

Tout en utilisant assez habilement son concept de départ, Haitatsu Saretai Watashitachi a aussi pour lui une justesse d'écriture très engageante. Les dialogues sonnent sincères et authentiques, avec une tonalité changeante bien dosée. Plus d'une fois, les scènes prennent à rebours les attentes dramatiques : qu'il s'agisse d'insuffler de brefs passages plus légers, voire décalés, ou bien de mettre en scène des confrontations explosives pour essayer de sortir Sawano de la léthargie dans laquelle il se laisse enfermé. L'ensemble apparaît donc solide. Par ailleurs, l'autre atout du drama est la manière dont il va mettre en mots la dépression dont souffre son héros, choisissant une approche directe appréciable : Sawano partage sans artifice, avec le téléspectateur, ses ressentis et essaie de retranscrire ce vide pesant qui s'est abattu sur lui. Cela donne des passages très poignants et forts - le vécu du scénariste joue sans doute ici un rôle important : c'est par exemple le cas du monologue de fin du premier épisode, où Yu découvre le mail de suicide inachevé de Sawano. Ces propos touchent en plein coeur, faisant preuve d'une sensibilité rare. Ils font office de déclic final pour parachever un pilote convaincant.

haitatsusaretaiwatashitachil_zpse3567df9.jpg

Sur la forme, Haitatsu Saretai Watashitachi bénéficie d'une réalisation correcte. C'est par son ambiance musicale que le drama se démarque particulièrement. Je l'aurais probablement qualifiée d'envahissante si j'avais croisé cette bande-son dans toute autre série. Mais dans celle-ci, il y a une adéquation entre la tonalité du propos et les choix musicaux qui permet à l'ensemble de fonctionner, voire même d'insuffler une vitalité ou une dimension supplémentaire à certaines scènes, qu'il s'agisse des instrumentaux déchirants ou des morceaux plus légers et dynamiques. Le drama marche sur une fine ligne, mais semble ici tenir un cap intéressant. De plus, c'est une chanson très sympathique qui clôture les épisodes (Niji wo tsukamu hito, par Sano Motoharu), de façon à laisser le téléspectateur éteindre sa télévision sur une bonne note.

Côté casting, c'est à Tsukamoto Takashi (Manhattan Love Story, Tempest) qu'est confié le rôle de Sawano : interpréter une figure déprimée et sans émotion n'est pas un rôle qui sollicite beaucoup l'expressivité d'un acteur, il se glisse dans ce personnage sans difficulté. Ma satisfaction de ces deux premiers épisodes vient surtout de mes retrouvailles avec celle qui va jouer les trouble-fêtes dans le compte-à-rebours de Sawano, apportant une énergie qui vaut pour deux, à savoir Kuriyama Chiaki : c'est une actrice pour qui j'ai beaucoup d'affection depuis Hagetaka et Atami no Sousakan. Hasegawa Kyoko (M no Higeki, Yae no Sakura) joue quant à elle l'épouse de Sawano. Au cours du périple de ce dernier, il va être amené à croiser toute une galerie de personnages, interprétés par des acteurs pour beaucoup familiers du petit écran japonais, parmi lesquels on retrouve notamment Ishiguro Ken, Sato Jiro, Horibe Keisuke, Emoto Tasuku, Nishioka Tokuma, Kurotani Tomoka, Kaito Ken, Nakao Akiyoshi, Tabata Tomoko ou encore Kondo Yoshimasa.

haitatsusaretaiwatashitachij_zps295e6471.jpg
haitatsusaretaiwatashitachin_zps6435ec2c.jpg

Bilan : Haitatsu Saretai Watashitachi signe des débuts réussis, en parvenant à exploiter avec habileté cette thématique lourde et difficile qu'est celle de la dépression et du suicide. Mettant en avant une dimension humaine appréciable et pouvant s'appuyer sur une écriture qui démontre beaucoup de justesse et de sobriété, ce drama apparaît comme une quête pour retrouver goût à la vie. Si Sawano ne veut pas être sauvé, ses remises de lettres égarées vont influer sur le destin de leurs destinataires, lui ouvrant indirectement de nouvelles perspectives. On retrouve ainsi dans Haitatsu Saretai Watashitachi une vitalité inattendue, en dépit de la détresse manifeste de son personnage principal. Du fait de l'arc narratif suivi, c'est une série dont la pleine portée s'appréciera au terme de ses cinq épisodes, mais ses débuts sont indéniablement riches et prometteurs. A suivre !


NOTE : 7,75/10

11/07/2012

(J-Drama / SP) Kyogu : des destinées croisées sur fond de kidnapping

Kyogu.jpg

Depuis le succès rencontré par le film Kokuhaku (Confessions) en 2010, qui transposait sur grand écran un de ses romans, on peut dire que l'écrivaine Minato Kanae connaît une période faste : ses livres sont considérés comme un matériau de choix pour servir de base à des adaptations télévisées et cinématographiques. Ma première rencontre avec son univers a eu lieu, souvenez-vous, avec le marquant Shokuzai, drama diffusé en début d'année sur WOWOW. Un autre projet, à destination du cinéma cette fois, est également programmé pour la fin de l'année, Kita no Canaria-tachi (A Chorus of Angel). Mais aujourd'hui, c'est sur un tanpatsu datant de fin 2011 que nous allons nous arrêter.

Kyogu a été diffusé sur TV Asahi le 3 décembre 2011, un samedi soir en prime-time. Cet unitaire d'une durée totale de 1 heure 45 a fait de bons scores d'audience. C'est Yajima Masao qui s'est chargé de l'adaptation du roman à la télévision. C'est lorsque j'avais fait des recherches suite au visionnage de Shokuzai que je l'avais noté sur ma liste à découvrir, puis la critique faite par Katzina m'avait confortée dans mon idée. Au final, c'est un intéressant récit, très humain, de deux destinées croisées.

kyogup.jpg

Kyogu met en scène deux amies d'enfance, ayant grandi ensemble dans un orphelinat, sans connaître leurs origines. Entrées dans l'âge adulte, elles ont suivi des chemins différents. Takakura Yoko mène jusqu'alors une vie heureuse : elle a épousé un homme de bonne famille, politicien élu au Parlement, avec lequel elle a un fils de 5 ans, Yuta. En plus de cette vie personnelle épanouie, elle vient de remporter une récompense pour son premier livre illustré à destination des plus jeunes. L'histoire y est semi-autobiographique au sens où il parle de leur enfance et de ce que représentait l'image d'un ruban bleu pour elle et son amie, Aida Harumi - dont c'est en quelque sorte l'histoire. Harumi, très entreprenante, exerce elle le métier de journaliste.

Mais alors que tout semble aller pour le mieux dans sa vie, Yoko va voir plusieurs évènements venir la troubler. Dans un premier temps, il lui faut faire face à des accusations faites contre son mari, interrogé par la police sur de possibles financements illégaux. Puis, c'est son fils qui disparaît de son club de natation, alors que son époux est à l'étranger. L'hypothèse du kidnapping se confirme lorsqu'un mystérieux fax est reçu à la permanence lui intimant de révéler au public "la vérité" pour espérer revoir Yuta. Pressée de ne pas prévenir la police et de tout faire pour sauver son enfant, Yoko appelle alors à l'aide Harumi...

kyogui.jpg

Il est difficile de rédiger une review sur Kyogu sans en dire trop, alors qu'il s'agit d'un récit qui mérite d'être découvert avec un regard neuf sans connaître préalablement ses aboutissants. En premier lieu, il faut cependant préciser que, contrairement à ce que le synopsis aurait pu laisser croire, ce tanpatsu n'est pas un thriller au sens propre du terme. Il ne mise par vraiment sur le suspense. Le kidnapping de Yuta est certes un évènement déclencheur, mais très vite, ce n'est pas tant le sort de l'enfant, ni même l'identité du kidnappeur qui retiennent l'attention du téléspectateur : ce qui interpellent, le vrai mystère, ce sont les motivations derrière l'acte commis. Qu'est-ce qui a pu pousser quelqu'un à recourir à une telle extrémité ? Qui est vraiment visé, Yoko ou son mari ? Et qui peut vouloir ainsi forcer à exposer publiquement cette "vérité" réclamée dans le premier fax ? 

Après une première partie où Kyogu met surtout en scène les premières réactions et esquisse une enquête, semi-artisanale, loin de la police, le récit prend sa réelle dimension lorsque Yoko en appelle à Harumi et que les deux jeunes femmes unissent leurs forces. A un suspense qui ne prenait pas, succède une tension psychologique autrement plus intéressante. L'histoire prend un tournant plus personnel et introspectif. Tout en exhumant des drames oubliés faits de déchirements qui ont toujours des conséquences actuelles sur les vies, le tanpatsu met aussi en lumière, de façon troublante, la complexité tellement humaine des liens d'amitié forgés dans des circonstances difficiles. A ce titre, la manière dont est exploitée l'image du ruban bleu accentue la dimension poignante d'un récit à la fois simple et touchant : cet objet, qui est aussi le fil rouge du livre de Yoko, reste un symbole maternel pour des orphelines chez qui il représente aussi bien le lien vers leurs origines qu'un espoir pour le futur. La jolie - mais un peu facile - conclusion prouve d'ailleurs combien cet aspect prime sur le reste du récit. 

kyoguq.jpg

Sur la forme, Kyogu bénéficie d'une réalisation assez soignée et très épurée, qui propose quelques beaux plans. La caméra semble faire preuve d'empathie et a une façon très pudique de capter la détresse de certains personnages. Je retiendrai aussi plus particulièrement la belle photographie d'ensemble, notamment lorsque le réalisateur entreprend de jouer à l'écran sur les déclinaisons de bleu, couleur au coeur du récit. Quant à la bande-son, elle accompagne tout en retenue la narration, restant avec justesse assez minimaliste.

Enfin, pour asseoir son histoire, Kyogu a le mérite de pouvoir s'appuyer sur un solide casting dans l'ensemble convaincant. Parce que c'est avant tout un drama au coeur duquel se trouve un duo de femmes marquant, il faut tout d'abord saluer les interprétations de Matsuyuki Yasuko (Mother) et de Ryo (Code Blue, Bitter Sugar), qui incarnent Yoko et Harumi. Les scènes qu'elles partagent sont les plus réussies du tanpatsu, et elles offrent toutes les deux des performances intenses. A leurs côtés, on retrouve notamment Sawamura Ikki, Azuma Mikihisa, Tabata Tomoko, Ashina Sei, Nagura Jun, Kishibe Ittoku, Shirakawa Yumi, Nishimura Masahiko, Nogiwo Yoko et enfin Nishimoto Haruki.

kyogun.jpg

kyogur.jpg

Bilan : A partir d'une histoire de kidnapping qui aurait pu le rapprocher du thriller, Kyogu se révèle être un tanpatsu poignant qui privilégie habilement l'émotionnel au suspense. Avec simplicité et tact, il nous glisse dans une histoire d'amitiés, de destinées entrecroisées, s'intéressant aux empreintes laissées par le passé. En résumé, c'est une histoire avant tout humaine qui, après s'être un peu cherchée dans un premier temps, trouve son équilibre et une justesse de ton intéressante dans sa seconde partie.


NOTE : 7/10

09/05/2012

(J-Drama) Suzuki Sensei : un high school drama consistant et attachant

 suzuki_tv-1.jpg

Restons au Japon en ce mercredi asiatique ! Je voudrais revenir aujourd'hui sur un drama dont je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises depuis l'automne dernier : Suzuki Sensei. Les sous-titres anglais avaient été placés en hiatus pendant un temps, mais ils ont finalement été complétés et j'ai donc pu reprendre mon visionnage (je tenais à avoir tout vu avant d'en rédiger une critique). Il faut dire que ce drama aura été une belle surprise, dans laquelle je me suis lancée initialement pour une raison qui vous fera sans doute sourire : son affiche bigarrée et colorée m'interpellait. Je suis habituellement peu versée dans les high school dramas, mais voilà bien l'exception qui confirme la règle.

Suzuki Sensei a été diffusé sur TV Tokyo du 25 avril au 27 juin 2011. Il s'agit de l'adaptation d'un manga éponyme de Taketomi Kenzi. D'une durée de dix épisodes de 45 minutes environ, il sera complété par un film qui a été depuis annoncé - en dépit d'audiences pour le moins assez faibles. Outre le fait d'avoir réussi à me passionner pour une série ayant pour cadre un lycée, Suzuki Sensei aura aussi marqué ma première rencontre - juste avant Kaseifu no Mita - avec son acteur principal, Hasegawa Hiroki (que, sans y prendre garde, je ne quitte plus depuis - il a même un rôle secondaire dans mon actuel second coup de coeur japonais de 2012 qu'est Unmei no Hito).

suzukisenseif2.jpg

La lecture du synopsis de Suzuki Sensei ne laissait pas entrevoir la particularité de ce drama. En effet, il est présenté comme une série entendant s'intéresser tout particulièrement aux dynamiques parcourant une classe de lycéens, non seulement du point de vue des élèves, mais surtout en s'arrêtant sur leur professeur principal, Suzuki Akira. Ce dernier est un enseignant extrêmement dynamique, dont les méthodes atypiques et parfois provocantes ne font pas l'unanimité du corps professoral, mais lui permettent de jouir d'une solide popularité auprès de ses élèves.

En effet, il n'hésite pas à responsabiliser ces derniers, cherchant toujours à provoquer une réflexion chez ces adolescents en quête de repères. Loin de vouloir leur imposer une discipline rigide, il encourage au contraire les confrontations orales au sein de sa classe, orchestrant des échanges très animés permettant de crever les abcès de tension et de créer une dynamique de groupe agréable pour travailler. Essayant de développer leur sens critique, persuadé que c'est en faisant des erreurs que l'on apprend, il oblige ses élèves à se dévoiler et à se révéler, construisant peu à peu une vraie solidarité entre eux.

Les méthodes ne sont pas orthodoxes, mais le fil conducteur du drama dans lequel un professeur tente d'apporter des solutions aux problèmes d'adolescents reste familier. Outre la touche personnelle de l'enseignant, Suzuki Sensei aborde de front, sans tabou, des sujets qu'on a peu l'habitude de voir traiter aussi crûment et directement (notamment la question de l'éducation sexuelle), prenant parfois des positions loin de faire l'unanimité. Initiant le débat, c'est un drama qui retient l'attention.

suzukisenseib.jpg

La réussite de Suzuki Sensei, au-delà de sa qualité de l'écriture et du soin apporté à la mise en scène, tient en premier lieu à l'empathie que la série va être capable de susciter auprès du téléspectateur. En s'efforçant de prendre le pouls d'une classe, mais aussi du métier d'enseignant, elle développe un versant émotionnel fort qui ne laisse pas indifférent. Ayant tendance à surligner les états d'âme des élèves comme de leur professeur, le drama semble parfois excessif dans les réactions qu'il dépeint. Pourtant, il se montre toujours touchant et, surtout, vivant. Car son grand atout est le travail réalisé sur la personnalité de chaque personnage. Adolescents comme adultes, leur caractérisation est dense et aboutie. Aucun n'est unidimensionnel, ni ne sert de faire-valoir. Chacun gagne en complexité et en profondeur tout au long de la saison, avec quelques scènes - notamment de discussions collectives - qui sont de vrais bijoux en terme d'échanges spontanés.

Cette dimension humaine très affinée explique le fort attachement que j'ai pu éprouver devant ce drama : c'est une suite de portraits que Suzuki Sensei dresse et affine au fil de ses épisodes. Ses protagonistes, avec leurs contradictions, leurs doutes et leurs certitudes, apparaissent entiers et authentiques. Les lycéens, ayant encore tant à apprendre sur la vie, se brûlent souvent les ailes pour apprendre certaines réalités ; mais ils le font avec l'intransigeance et l'aplomb de l'adolescence. La force de la série est également de ne pas se contenter de s'intéresser à quelques individualités, mais de montrer un intérêt sincère pour la vie d'un collectif. J'ai rarement assisté à une telle mise en scène réussie d'une ambiance de groupe, amenée avec une construction narrative cohérente et un final habile qui conclut tous les arcs ouverts et tire les conclusions - parfois même les plus difficiles - du semestre écoulé.

suzukisenseia2.jpg

Si Suzuki Sensei est capable d'interpeller le téléspectateur, il le doit aussi à son personnage principal. Suzuki Akira a a priori tous les traits classiques du professeur atypique si cher aux high school drama. S'exprimant avec une assurance communicative, il est charismatique et n'hésite pas à sortir des sentiers battus. Cependant il n'en demeure pas moins humain, avec les limites inhérentes à cette nature. En choisissant de nous faire partager certaines de ses pensées ou assister à ses rêves, la série éclaire toutes les facettes les plus ambivalentes du personnage. Certes il est sincèrement passionné par son métier, veut le bien pour ses élèves, mais il reste faillible. Non seulement, en se laissant emporter par ses convictions, il commet des erreurs relationnelles - vis-à-vis de collègues, mais aussi d'élèves - qui peuvent avoir des conséquences dramatiques. Mais de plus, il reste un homme, ne contrôlant pas ses réactions : ses fantasmes sur une de ses étudiantes et le trouble qu'il mettra longtemps à contenir face à elle éclairent un versant plus sombre, bien éloigné du professeur idéalisé par ses élèves.

C'est cette part d'ambiguïté qui est la caractéristique marquante et l'apport de Suzuki Sensei. Les méthodes d'enseignement particulières de Suzuki encouragent les confrontations de points de vue, et permettent d'esquisser des débats de fond. En laissant la parole aux élèves, elles aboutissent à de sacrées introspections. Ce parti pris d'une réflexion collective peut paraître utopique - et la matûrité dont font preuve certains élèves peut surprendre -, mais il confère au drama une légitimité pour parler sans détour de problèmes et de questionnements d'adolescence, avec une triple problématique centrale : l'amour, le sexe et la morale. Le drama n'hésite pas à investir des sujets sensibles et à donner des réponses controversées. On ne partage pas forcément les vues de l'enseignant, mais la dynamique tranche avec toute approche manichéenne et consensuelle (évitant justement certains jugements). Mon principal regret, ici, est de connaître insuffisamment le Japon et sa société pour pouvoir recontextualiser la série (la place de l'éducation sexuelle, les débats qui existent sur le sujet...). Cependant, avec ses moyens, Suzuki Sensei offre un instantané nourri de paradoxes et de prises de position sujettes à discussion. Il essaie d'initier des questionnements ; et même s'il n'ira pas au bout de sa réflexion, la démarche est intéressante.

suzukisenseiq.jpg

Intrigante sur le fond, Suzuki Sensei m'a également agréablement surprise sur la forme. La réalisation est maîtrisée, bénéficiant de plans aboutis appréciables. Et, surtout, elle use habilement de filtres qui influent sur l'atmosphère de la série : l'image est en effet très travaillée, avec des couleurs saturées aux teintes sombres. C'est une identité visuelle que l'on n'aurait pas forcément associé à un high school drama, mais qui se justifie pleinement. Elle fonctionne d'autant mieux que la série bénéfice d'une excellente bande-son : la chanson rock du générique de début (cf. la vidéo en fin de billet) et celle plus dramatique qui vient conclure les épisodes sont extrêmement bien choisies ; et les instrumentaux qui accompagnent ont souvent quelque chose de déchirant, simples bruitages par moment, qui contribuent à construire la tonalité ambivalente du drama.

Enfin, Suzuki Sensei bénéficie d'un convaincant casting. Comme je l'ai déjà évoqué, le personnage principal est interprété par Hiroki Hasegawa (Second Virgin, Kaseifu no Mita, Seinaru Kaibutsutachi). Cela reste sans doute le meilleur rôle dans lequel j'ai pu voir l'acteur : énergique et charismatique, il parvient bien à capturer les ambiguïtés d'un professeur passionné qui n'en a pas moins d'importantes failles, et auquel on s'attache justement pour ces limites. Du côté des adultes, Usuda Asami (Kurumi no Heya) incarne sa petite amie, tandis que Tomita Yasuko joue une enseignante avec qui la concurrence va s'exacerber. Cependant, la grande réussite de ce drama vient tout particulièrement des jeunes acteurs (Tsuchiya Tao, Fujiwara Kaoru, Miki Honoka, Nishii Yukito...) interprétant les élèves : avec une spontanéité rafraîchissante, ils délivrent des performances sincères qui sonnent juste. L'homogénéité et l'authenticité qui émanent de cette galerie de lycéens renforcent la crédibilité et l'attachement que l'on peut porter à ce drama. 

suzukisenseik.jpg

Bilan : Bénéficiant d'une écriture solide, abordant sans détour les sujets difficiles qui agitent l'adolescence en ayant l'habileté de présenter de manière consistante tant les points de vue du professeur que des élèves, Suzuki Sensei est un drama qui interpelle et ne laisse pas indifférent. Le téléspectateur s'attache à cette galerie de protagonistes dont les états d'âme, exacerbés, sonnent terriblement humains. C'est une oeuvre qui recherche et assume une intensité émotionnelle assez fascinante. Au-delà des prises de position à débattre, la mise en scène des dialogues et des questionnements rend ce high school drama particulièrement vivant et authentique. Une intéressante surprise.


NOTE : 8/10


Le générique :

19/10/2011

(J-Drama / Pilote) Last Money ~Ai no Nedan~ (Price of love) : une intéressante immersion dans le milieu des assurances


lastmoneypriceoflove.jpg

Retour au Japon en ce mercredi asiatique pour évoquer une des nouveautés de cet automne. Vous avez sans doute dû remarquer que la place occupée par le pays du Soleil Levant tend à s'accroître ces derniers temps sur My Télé is Rich!, équilibrant la répartition de ce rendez-vous hebdomadaire asiatique. Si la brièveté des dramas japonais par rapport aux sud-coréens joue sans doute en leur faveur, en raison du peu de temps libre dont je dispose actuellement, cela reflète aussi une vraie stabilisation de fond : c'est officiel, plus de cinq ans après le visionnage de mon premier j-drama, j'ai enfin trouvé mes marques devant ce petit écran japonais !

C'est pour cela que, cet automne, Last Money, diffusé depuis le 13 septembre 2011 sur NHK, ne pouvait que retenir mon attention, certitude confirmée par la première critique de LadyTeruki. Les dramas de NHK n'ont sans doute pas les synopsis les plus glamours à première vue, mais c'est dans l'éclairage qu'ils apportent de la société japonaise que réside tout leur attrait (souvenez-vous, Hagetaka). On se situe ici dans le même registre qu'un certain nombre de fictions de WOWOW, à l'image par exemple de Soratobu Taiya. Comprenant sept épisodes au total, Last Money s'achèvera mardi prochain au Japon ; cette critique portera sur les deux premiers épisodes de la série, visionné vendredi soir avec beaucoup d'enthousiasme. 

lastmoneyd.jpg

Last Money se concentre sur le personnage de Mukojima Sakutaro. Ce dernier travaille pour une compagnie d'assurance, pour laquelle il enquête sur les demandes en paiement des clients, vérifiant si les conditions du contrat d'assurance souscrit sont bien remplies dans chaque cas et donc autorisant ou non le versement. Des hypothèses de fraude à l'assurance pour de faux soins médicaux jusqu'au versement d'assurance-vie suite à des décès dont il faut déterminer les circonstances exactes (suicide, ordre des décès dans un accident), il traite des affaires les plus diverses avec le même pointilleux sens de l'éthique qui le pousse toujours au bout de ses investigations, peu importe le résultat et les conséquences qui en découleront...

Ce professionnalisme n'est d'ailleurs pas toujours du goût de son entreprise, dont la politique commerciale se concentre plus sur son équilibre financier et la rapidité avec laquelle elle opère ses versements par rapport à la concurrence. Cela ne va donc pas sans provoquer parfois certaines tensions au sein d'une société où son obstination peut se heurter aux impératifs de chiffres fixés. Ses collègues se sont habitués à ce tempérament, et le dernier employé placé en formation à ses côtés comprend ainsi peu à peu les impératifs et les dilemmes moraux de ce métier. Mukojima Sakutaro a cependant peu de véritables amis, si ce n'est Yokomura Kazuki, avec qui il est inséparable depuis l'université. Or ce dernier a entamé une liaison extra-conjugale dans laquelle il s'investit plus que de raison ; mais sa maîtresse, mère célibataire apparemment sans histoire, semble nourrir des arrière-pensées financières qui devraient peut-être susciter la méfiance.

lastmoneyi.jpg

Gagnant en épaisseur et en envergure au fil de son pilote, Last Money se révèle être un drama habile qui a parfaitement compris tout le potentiel de son sujet de départ. En effet, la série va décliner ce thème du milieu des assurances en s'attachant à en exploiter toutes les facettes. Se présentant sous une forme semi-procédurale, avec des enquêtes conduites à chaque épisode, elle introduit également divers fils rouges qui complètent et densifient le récit. Non seulement un enjeu dramatique est posé dès le flashforward d'ouverture, mais le drama esquisse aussi une promesse d'exploration du personnage principal à travers une affaire passée qui semble le hanter.

Doté d'une construction narrative maîtrisée, Last Money a de plus le mérite de savoir trouver le ton juste pour aborder ce sujet finalement très sensible. Il émane de cette série une impression d'authenticité et de réalisme qui renforce l'impact des histoires racontées. S'intéresser au milieu des assurances apparaît comme l'angle parfait pour tendre un miroir, parfois peu flatteur, souvent désabusé, vers la société japonaise et les rapports que ses membres entretiennent avec les sommes rondelettes que Sakutaro peut débloquer. De son entreprise jusqu'aux particuliers qu'il croise, le drama multiplie opportunément les points de vues pour offrir une vision d'ensemble guère optimiste. C'est un portrait nuancé qui est dressé, où les intérêts de chacun s'entremêlent souvent de façon conflictuelle.

lastmoneyc.jpg

Outre cet éclairage social, c'est aussi dans un registre plus intime que Last Money retient l'attention. Faire jouer le mécanisme de l'assurance signifie généralement accident ou drame de la vie. Or la série démontre une faculté rare pour relater avec sobriété et une forme de pudeur parfaitement contenue ces tranches d'existence évoquées au cours de chaque enquête. Le choix de la première affaire traitée dans le pilote est judicieux : c'est celle d'une famille, tuée dans un accident de voiture, dont il faut retracer l'ordre des décès pour déterminer à quel héritier revient l'important montant de l'assurance-vie contractée. Tout en éclairant le rapport très différent des parents survivants face à cette somme, le drama verse logiquement dans un drame plus poignant qui ne saurait laisser le téléspectateur indifférent.

En filigrane, transparaît du propos tout en retenue de Last Money un certain pessimisme. Si quantifier la vie d'un être cher est chose impossible, le mécanisme de l'assurance semble réveiller les instincts les plus bas de notre nature humaine et vicier les relations. Non seulement la douleur s'efface parfois au profit de la préoccupation monétaire, mais c'est aussi la seule existence de ce système qui aiguise les appétits : au-delà des cas de fraude, que penser de la demande d'une maîtresse qui présente le fait d'être bénéficiaire du contrat d'assurance-vie de son amant comme une preuve d'amour véritable ? Derrière ces questions d'argent, c'est bien l'être humain qui est le coeur du sujet de cette série.

lastmoneye.jpg

Sur la forme, Last Money bénéficie de la sobriété caractéristique de ce type de drama, parfaitement adéquate à la tonalité d'ensemble. La réalisation opte pour une simplicité, sans le moindre effet de style, qui renforce l'impression d'authenticité du récit. Les couleurs sont globalement plutôt froides, avec quelques filtres teintés pour marquer certains changements de décor, notamment en extérieur. Pareillement, la bande-son reste minimaliste, se confondant complètement à l'histoire proposée.

Enfin, Last Money bénéficie d'un casting globalement homogène qui assure des prestations crédibles. Il est conduit par Ito Hideaki (Bengoshi no Kuzu, First Kiss), qui incarne cet agent-enquêteur d'assurances recherchant obstinément la vérité dans tous les cas qui lui sont soumis. A ses côtés, on retrouve Takashima Reiko (Bengoshi no Kuzu), Nakamaru Yuichi (membre du groupe KAT-TUN, Sushi Oji!), le toujours excellent Matsushige Yutaka (Fumo Chimai), Tabata Tomoko, Ibu Masatoas, Natsuyagi Isao ou encore Tanaka Tetsushi.

lastmoneyb.jpg

Bilan : Le pilote de Last Money pose efficacement les bases d'un human drama consistant, dont la force réside autant dans une sobriété d'ensemble que dans les passages plus poignants inhérents aux drames de la vie croisés dans les affaires. Bénéficiant d'une solide construction narrative dans laquelle s'esquisse plusieurs fils rouges, son scénario, à tiroirs multiples, utilise habilement le prisme du monde des assurances pour éclairer toutes les problématiques de société, mais aussi plus personnelles, que ces questions d'argent peuvent soulever. En somme, Last Money apparaît comme le portrait authentique d'une société japonaise moderne. A suivre ! 


NOTE : 8/10


Quelques images de la série :

14/09/2011

(J-Drama) Shinya Shokudou : poussez la porte du restaurant de minuit à Tokyo

shinyashokudoum.jpg

En Asie, la télévision japonaise reste sans doute le petit écran qui propose les fictions les plus diversifiées qui soient. Je suis toujours étonnée par sa faculté de parvenir encore à me surprendre après toutes ces années. En ce mercredi asiatique, j'avais initialement prévu de m'en tenir à un planning de septembre minutieusement établi, entre nouveautés sud-coréennes et bilans japonais... Et puis, vendredi dernier, une série est venue bouleverser mon rigoureux ordonnancement. Je me suis installée devant Shinya Shokudou, et soudain, tous mes autres projets ont disparu en arrière-plan, tandis que je savourais chaque épisode. Un grand merci donc à Ladyteruki et à son prosélytisme si bien inspiré (ainsi qu'à Calcifer qui m'en avait parlé l'été dernier) pour cette belle découverte.

Adaptation du manga du même nom d'Abe Yaro, Shinya Shokudou est une série programmée sur TBS dans sa case horaire après minuit, le vendredi soir. Sa première saison, comportant 10 épisodes d'environ 25 minutes chacun, a été diffusée du 14 octobre au 16 décembre 2009. Fait notable, une seconde saison a été commandée et est prévue cet automne au Japon. Ce drama atypique en bien des points, délicieusement gourmand, touchant et intimiste, a été pour moi le grand coup de coeur très particulier de cette semaine sériephile.

shinyashokudouj.jpg

Quelque part dans Tokyo, au coin d'une ruelle, existe un petit restaurant confidentiel. De jour, vous y trouverez porte close et devanture fermée. Il n'est ouvert que de minuit à sept heures du matin. Si le menu ne propose officiellement qu'un seul plat, le propriétaire accepte de cuisiner pour ses clients tout ce que ces derniers souhaitent, dans la mesure où il dispose des ingrédients nécessaires. Du maître des lieux, que chacun appelle Master, nous ne saurons rien ou presque. Mais il est le narrateur qui va nous introduire dans le quotidien nocturne de ce restaurant de minuit.

Dans cet endroit que l'on ne peut connaître que par le plus grand des hasards ou par le bouche à oreille, se rencontre une population bigarrée de tokyoïtes, noctambules aux vies décalées ou souhaitant retarder au maximum l'heure où il faut rentrer chez soi. Se croisent ainsi un yakuza, des employées de bureau toujours célibataires à leur plus grand désarroi, un photographe, une strip-teaseuse, un gérant de bar gay, et d'autres clients plus ou moins représentatifs de cette société japonaise. A travers les plats, associés à une mémoire particulière, que chacun commande, ce sont des tranches de vie de clients, habitués ou occasionnels, que va nous présenter Master.

shinyashokudoun.jpg

Shinya Shokudou est un drama à part qui va toucher une fibre particulière dans le coeur du téléspectateur. Dès l'introduction du premier épisode, quelque chose se passe. Par contraste avec un Tokyo de nuit, jungle urbaine illuminée par ses multiples façades éclairées, lorsqu'on pousse pour la première fois la porte de ce petit restaurant, on est immédiatement frappé par le contraste offert par l'ambiance qui y règne : un petit lieu comme suspendu dans le temps, renvoyant une impression diffuse de confort et d'intimité. Se déroulant à une heure où la plupart des gens dorment, le téléspectateur est invité dans ce petit coin de socialisation, où se retrouvent des clients aux vies et aux milieux tellement différents qu'en temps normal, de jour, ils ne devraient jamais être amenés à se croiser, ou encore moins à s'adresser la parole. 

Plus qu'un écho de vie de quartier, le restaurant de minuit offre une échappatoire à la solitude nocturne, apportant une chaleur humaine et gustative à ses clients. Car la spécificité de Shinya Shokudou est d'éclairer nos rapports particuliers avec la nourriture, et plus précisément cette façon qu'a notre mémoire de lier irrémédiablement le goût de certains mets à des périodes de notre vie qui ont compté. En filigrane, c'est donc un drama gourmand entièrement consacré à ces saveurs éveillant en nous souvenirs et émotions enfouis. Chaque épisode s'intéresse à un client particulier, qui va être associé à une spécialité culinaire. La série fait ici preuve d'une empathie rare, d'une justesse troublante, pour relater avec sobriété ces moments de communion où chacun se délecte d'une saveur qui signifie tant de choses pour lui. Capable de faire passer beaucoup d'émotions, sans avoir besoin d'en dire beaucoup, ce drama est une série de peu de mots, mais dont l'approche très personnelle, souvent touchante, se drape d'une douce mélancolie qui ne peut laisser indifférent le téléspectateur.

shinyashokudoup.jpg

Construit comme un huis clos où l'action se déroule principalement entre les quatre murs de ce restaurant figé dans le temps, Shinya Shokudou est une série chorale qui nous raconte des tranches de vie de tokyoïtes, dont le seul point commun est le besoin de trouver du réconfort durant ces quelques heures où la ville fait mine de s'assoupir. Chaque épisode est un instantané se focalisant sur un personnage (la série exploite pleinement son format court de seulement 25 minutes), relaté du point de vue de Master. Parfois, est proposée l'histoire d'un nouveau venu, ou d'un ancien client qui ne vient plus, d'autres fois, le projecteur s'arrête sur un habitué qui fréquente anonymement le restaurant depuis plusieurs épisodes. C'est sans doute redondant d'écrire cela, mais il flotte sur ce drama un vrai parfum de Japon : à l'opposé de certaines séries, presque indifférentes à leur environnement, ici, on a l'impression que c'est l'âme du pays qui se dévoile, le coeur d'une société qui bat en arrière-plan. 

Ce ressenti, d'une rare intensité, s'explique en partie en raison de l'ambiance globale de Shinya Shokudou, mais aussi grâce aux thèmes abordés, qui sont très divers, dépendant des personnages mis en scène : un yakuza, une chanteuse de enka, des employés et autres salary men, une Idol, un marginal... Il faut préciser que la série est diffusée après minuit sur TBS, elle bénéficie par conséquent d'une plus grande liberté, introduisant des sujets plus osés dans ces tableaux classiques : une strip-teaseuse, un acteur porno... Les portraits de ces clients, réchauffés par les plats de Master, sont toujours remplis d'une humanité qui fait chaud au coeur. Ils sont souvent chargés d'une nostalgie particulière, parfois teintés d'une amertume douce amère comme peut l'être la réalité de la vie. Plus d'une fois, alors que l'émotion submerge un personnage lorsqu'il goûte ce plat auquel tant de choses sont attachées, le coeur du téléspectateur se serre. Assez paradoxalement, mais c'est son charme, Shinya Shakoudu est un drama qui sait faire sourire et pleurer en même temps. C'est une petite fable aussi versatile dans sa tonalité que peut l'être la vie, légère et drôle par moment, poignante à d'autres passages. Reflet de Japon, elle devrait séduire tout téléspectateur s'intéressant à ce pays.

shinyashokudouc.jpg

L'atmosphère particulière de la série se retrouve également dans sa mise en scène. Shinya Shokudou est en effet sur un plan purement formel une vraie réussite. Alors même qu'il s'agit d'un huis clos où peu de scènes se déroulent en extérieur, tout est superbement filmé. La réalisation cinématographique est vraiment agréable à l'oeil esthétiquement, mettant en valeur et en relief ce décor minimalistes, les intéractions au sein du restaurant, mais aussi la nourriture, cet élément central qui relie tous les protagonistes. De plus, le drama bénéficie d'une bande-son également magnifique composée de plusieurs chansons de Suzuki Tsunekichi. Ces ballades au rythme posé et à la tonalité quelque peu mélancolique correspondent parfaitement au ressenti que l'on éprouve devant cette série. L'introduction de chaque épisode est d'ailleurs parfaitement représentative de cette ambiance : dans Tokyo illuminée de nuit, la chanson-titre nous amène au restaurant pour nous le présenter (cf. la vidéo à la fin du billet). Par contraste, la conclusion plus rythmée est interprétée par MAGIC PARTY.

Enfin, Shinya Shokudou dispose d'un casting au diapason. Celui qui nous guide, le seul à être présent dans tous les épisodes, est Kobayashi Koaru (Naniwa Kinyudo) : il incarne avec beaucoup de sobriété ce maître des lieux, attentif à ses clients et cusinier appliqué. Autour de lui, les clients vont et viennent, même s'il existe toute une galerie d'habitués que l'on va régulièrement croiser. Parmi ces occasionnels ou fidèles qui resteront jusqu'au bout, on retrouve notamment Sudo Risa, Kobayashi Asako, Yoshimoto Nahoko, Kaneko Kiyobumi, Yamanaka Takashi, Ando Tamae, Ayata Tohiki, Tabata Tomoko, Fuwa Mansaku ou encore Uno Shohei. J'y ai reconnu deux têtes qui m'étaient familières : Matsushige Yutaka et Odagiri Joe (qui a environ 4 lignes de dialogue en tout et pour tout, mais dont le décalage du personnage et la coiffure expérimentale ont suffi à mon bonheur).

shinyashokudouf.jpg

Bilan : Drama attachant et intimiste, à la fois drôle et poignant, Shinya Shokudou est une petite tranche de Japon qui se déguste comme peu de séries. Explorant nos rapports à la nourriture, et la façon dont des saveurs particulières peuvent façonner et marquer notre mémoire, cette série offre une compilation de portraits humains et touchants, se révèlant par les souvenirs que font jaillir les plats que chaque personnage commande. Drama culinaire (il se termine à chaque fois par la recette du plat de l'épisode), c'est un moment de chaleur et de réconfort qu'il offre à ses personnages et qu'il étend à des téléspectateurs sous le charme.

Le mot de la fin sera donc : Bon appétit devant Shinya Shokudou !


NOTE : 8,75/10


L'introduction (qui met musicalement et par ses images immédiatement dans l'ambiance) :