02/11/2014
(ITA) Gomorra, saison 1 : luttes de pouvoir dans l'empire de la Camorra
Pour qui s'intéresse aux fictions de gangsters, la télévision italienne est un petit écran à surveiller. Depuis La Piovra dans les années 80 jusqu'à des biopics historiques récents comme Il Capo dei Capi (Corleone en VF) retraçant, à travers le parcours de Salvatore Rinaa, un demi-siècle de mafia sicilienne, les séries, mini-séries ou téléfilms ne manquent pas, qu'il s'agisse de porter à l'écran des faits réels ou des versions romancées de ces organisations criminelles. Et dans ce genre, c'est tout particulièrement le bouquet payant Sky Italia qui s'est fait remarquer ces dernières années avec l'adaptation du livre de Giancarlo De Cataldo, Romanzo Criminale : comptant deux saisons, et diffusée de 2008 à 2010, elle est certainement l'une des meilleures séries italiennes de ces dernières années.
Sky Atlantic a récidivé cette année avec Gomorra. Le livre de Roberto Saviano, publié en 2006, avait déjà connu une adaptation cinématographique (comme Romanzo Criminale), saluée à Cannes en 2008. C'est cette fois à destination du petit écran qu'est esquissé le portrait du système de criminalité organisée de la Camorra prospérant à Naples. Le parallèle avec Romanzo Criminale ne s'arrête pas là puisque, derrière la caméra, à côté de Francesca Comencini et de Claudio Cupellini, on retrouve Stefano Sollima, qui avait déjà œuvré sur la première. Comprenant 12 épisodes, Gomorra a été diffusée en Italie du 6 mai au 10 juin 2014. Une seconde saison a d'ores et déjà été commandée. En France, après une avant-première au Festival Séries Mania en avril dernier, elle sera proposée par Canal +, puis par Arte. Et pour les plus impatients, notez que la série vient de se terminer en Angleterre, où elle est désormais disponible en DVD (avec sous-titres anglais).
L’œuvre de Roberto Saviano se voulait une immersion complète et rigoureuse dans l'empire de la Camorra. En plongeant le téléspectateur dans un quotidien marqué par les rivalités de clans et des tensions permanentes, la série reprend à son compte l'ambition de dresser un portrait sonnant le plus authentique possible de ce système criminel. Pour ce faire, Gomorra met à profit son format long (12 épisodes) afin de prendre le temps d'explorer diverses facettes de l'organisation qu'elle dépeint. Par-delà le fil rouge central que constituent les turbulences traversées par le clan Savastano, la saison va être l'occasion de proposer des épisodes centrés sur différents thèmes, en s'intéressant également à des acteurs se situant à la périphérie du système. Elle évoquera ainsi le blanchiment d'argent organisé par certains financiers, le contrôle mafieux sur la démocratie locale pour faire main basse sur les projets immobiliers, ou encore le rayonnement international de la Camorra, de ses liens avec l'Amérique du Sud jusqu'aux implantations espagnoles de certains clans. C'est donc une présentation de ce système criminel sous toutes ses facettes qui est recherchée.
Ce parti pris explique que l'histoire reste toujours relatée du point de vue mafieux. La série ne s'attarde pas sur les réactions des autorités, ni sur l'impact sur la population napolitaine des actes commis. Seul un passage en prison et quelques extraits de journaux télévisés laissent entrevoir un angle extérieur. En optant pour une immersion sans prise de distance, Gomorra fonctionne comme une fiction coup de poing, qui cherche à interpeller par le réalisme - parfois suffocant - avec lequel elle décrit l'univers de cette criminalité organisée. La série s'attache tout particulièrement à souligner la volatilité des rapports entre les membres de l'organisation. Elle éclaire la violence constante et mal contenue qui y règne, exacerbée par un sentiment d'impunité et une désensibilisation aux tueries glorifiée et même érigée en rite initiatique. Seule la quête d'une maximisation des profits semble capable de contrebalancer ces tendances et limiter les explosions, la guerre interne n'étant jamais une période propice aux affaires. Mais c'est un équilibre fragile, impossible... Car c'est bel et bien dans un engrenage sanglant que nous entraîne cette première saison.
Tout en expliquant le fonctionnement du système criminel napolitain, Gomorra se réapproprie également des partitions narratives traditionnelles pour une fiction mafieuse. En effet, la série met en scène l'évolution des rapports de force au sein d'un des clans les plus puissants de Naples, le clan Savastano. C'est une lutte létale pour le pouvoir, en plusieurs actes, qui se joue. Ses protagonistes apparaîtront familiers à tout amateur de ce genre d'histoires : un patriarche sous pression policière dont le parcours touche à sa fin, une épouse au sens des affaires trop acéré, un fils héritier présomptif qui a encore tout à prouver, un lieutenant ambitieux qui n'entend pas être laissé de côté lors de la redistribution des responsabilités, ou encore un chef de clan rival avec qui les relations sont extrêmement tendues... Partant de là, Gomorra signe une histoire au classicisme assumé, parfaitement huilée et efficace. C'est un récit implacable de déchéances et d'ascensions au sein d'une organisation en quête d'un chef. Tout conduit à une confrontation finale, inévitable, dont le cadre -une école- témoigne combien la situation aura fini par échapper à tout contrôle et à toute retenue.
Gomorra est donc une série ambitieuse qui mêle deux agendas différents : d'une part, rester fidèle à l’œuvre de Roberto Saviano en ce sens qu'il s'agit d'exposer l'empire de la Camorra et son fonctionnement, d'autre part, s'adapter au format sériel en construisant une trame dramatique correspondant à une fiction. Or ces deux ambitions ne se recoupent pas forcément. Si bien qu'elles ne coïncident pas toujours à l'écran, et cela va nuire parfois un peu à l'homogénéité de la narration. Cependant la rapidité d'exécution de l'ensemble lui permet de ne jamais perdre le fil des enjeux. La recherche d'authenticité explique aussi la froideur globale du récit : il adopte une sobriété un peu distante qui s'inscrit dans la continuité des fictions de gangsters dites "réalistes", ne souhaitant pas donner la moindre prise à une vision romancée des actes commis à l'écran. Tout cela renforce l'aspect "exposé d'un système criminel", lequel est particulièrement mis en avant dans le premier épisode d'exposition. Cela peut dérouter un téléspectateur qui attendrait une priorité plus importante accordée au versant fiction. Mais il faut laisser à Gomorra le temps de s'installer et de trouver un équilibre narratif. En effet, les épisodes s'enchaînent par la suite avec une redoutable efficacité.
Enfin, il faut noter que la forme joue également un rôle non négligeable dans la réussite de cette plongée au sein de l'empire de la Camorra. Outre une réalisation nerveuse à souhait, c'est surtout sa bande-son qui confère à la série un cachet particulier. Les chansons, notamment du rap napolitain, sont toujours choisies avec soin pour accompagner la tonalité d'une scène. Mieux encore, Gomorra bénéficie de toute une ambiance musicale instrumentale qui sait parfaitement souligner la montée des tensions, les confrontations et les explosions auxquelles le récit mène - le dernier tiers de la saison est particulièrement convaincant sur ce plan. Il y a un travail vraiment intéressant qui a été réalisé, donnant une dimension supplémentaire à l'histoire relatée, en faisant notamment ressortir un côté tragique.
Quant au casting, il est au diapason du ton donné par la fiction. Parmi les acteurs principaux, Marco D'Amore se signale notamment par une prestation assez intense et implacable dans le rôle de Ciro, lieutenant trop ambitieux pour le bien de son clan. Face à lui, Salvatore Esposito interprète Genny Savastano, l'héritier qui s'affirme progressivement au fil de la saison, suivant une trajectoire personnelle qui l'amène à s'émanciper de tous ceux qui souhaitent le contrôler. Fortunato Cerlino incarne le patriarche du clan Savastano, lequel suit un parcours inverse qui le conduit à être éclipsé de la scène. Maria Pia Calzone, à la fois épouse et mère, tire les ficelles du clan en s'impliquant dans un jeu de pouvoir bien dangereux. Enfin, Marco Palvetti incarne Salvatore Conte, chef d'un clan rival avec lequel les relations ne vont jamais vraiment s'apaiser.
Cherchant à dresser un portrait authentique et complet de la mafia napolitaine, Gomorra propose une immersion dans les luttes qui agitent l'empire de la Camorra, aussi bien entre les différents clans concurrents qu'au sein même de la famille Savastano que l'on suit. Partagée entre la volonté de décrire le fonctionnement du système criminel mis en scène et la dramatisation des jeux de pouvoir sur lesquels repose la fiction, la série ne manque pas d'ambitions. Si elle ne réussit pas toujours à remplir de front ces deux objectifs, le premier desservant parfois le second en terme d'homogénéité de la narration, elle n'en délivre pas moins un récit efficace, de plus en plus prenant au fil des épisodes, la tension allant crescendo vers une confrontation annoncée.
Avis donc aux amateurs de séries de gangsters, aussi bien que de fictions italiennes. Une confirmation aussi que Sky Italia est décidément à surveiller. A suivre !
NOTE : 7,5/10
La bande-annonce de la série :
20:01 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : italie, gomorra, gomorra - la serie, sky atlantic, sky cinema, salvatore esposito, fortunato cerlino, marco d'amore, fabio de caro, maria pia calzone, massimiliano rossi, gaetano di vaio, marco palvetti, ivan boragine, elena starace, antonio milo | Facebook |
23/08/2012
(ITA) Il Capo dei Capi (Corleone) : l'histoire d'un demi-siècle de Cosa Nostra
La fin de l'été approchant, il est temps de rédiger quelques bilans des découvertes et nouveautés estivales. C'est de ma DVDthèque qu'est venue une des fictions qui m'a le plus marquée : Il Capo dei Capi. Pour tout vous dire, c'est une mini-série dont j'avais vu le premier épisode l'an dernier. A l'époque, je lui avais trouvé des accents de biopic qui démarrait sur des bases un peu trop scolaires. Je l'avais mise de côté en attendant un regain d'intérêt de ma part. Puis cet été, parmi mes lectures, je me suis notamment plongée dans Cosa Nostra : La mafia sicilienne de 1860 à nos jours de John Dickie. Assez naturellement, j'ai ressorti mes DVD, et cette fois-ci pris le temps de programmer six soirées à consacrer à cette production. Quelle bonne idée ai-je eu là ! Elle est peut-être plus traditionnelle sur certains aspects que Romanzo Criminale, mais elle s'est révélée être bien plus qu'un simple biopic.
Il Capo dei Capi est une mini-série italienne, diffusée sur Canale 5, d'octobre à novembre 2007. Elle compte six épisodes relativement longs, d'une durée de 1h30 à 1h45 chacun. Elle est sortie en France en DVD, avec version originale sous-titrée disponible, sous le titre de Corleone. Relatant un demi-siècle de l'histoire de la Cosa Nostra, elle avait fait quelques remous en Italie lors de sa diffusion. En janvier 2008, Canale 5 avait ensuite diffusé une mini-série qui peut en quelque sorte être considérée comme sa suite : L'ultimo padrino, s'intéressant, après 1993 et l'arrestation de Salvatore Riina, au dernier chef de la Cosa Nostra, jusqu'à son arrestation en 2006.
Il Capo dei Capi débute dans la campagne sicilienne, à Corleone, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Les temps y sont durs pour la population pauvre, à majorité paysanne. Le père de Salvatore (dit Toto) Riina se tue en tentant d'ouvrir une bombe américaine qui n'avait pas explosé. Décidé à faire son chemin et à ne plus avoir faim, Riina entraîne ses amis d'enfance, Bernardo Provenzano, Calogero Bagarella et Biagio Schirò, pour se mettre au service de Luciano Liggio, qui travaille pour le chef mafieux local, Michele Navarra. Un choix de vie dont Schirò se désolidarise vite. Tandis que Riina se prend au jeu et gagne en ambition, brûlant les étapes et finissant en prison pour meurtre, Schirò étudie et fait finalement le choix de rentrer dans la police.
Des années 60 jusqu'aux années 90, Il Capo dei Capi nous relate ensuite l'ascension des hommes originaires de Corleone, et plus particulièrement de Riina, au sein de l'organisation de la Cosa Nostra. Cette dernière, avec à sa tête une commission, a jusqu'alors toujours été gouvernée par des familles de Palerme. Contrôlant tous les trafics de l'île, véritable Etat dans l'Etat, la mafia voit se dresser contre elle quelques figures isolées de la justice italienne. Toute sa vie, Schirò traque Riina, pour, le plus souvent, se heurter à l'inertie générale des pouvoirs publics, entre compromission et peur, et à la perte d'amis proches sur le champ d'une bataille qui n'est pas encore reconnue comme telle. La multiplication des assassinats et les premiers témoignages de repentis permettent cependant la mise en branle du système judiciaire... Riina est condamné par contumace au maxi-procès de Palerme en 1987, initié par les juges Falcone et Borsellino, et est finalement capturé en 1993.
Il Capo dei Capi est une mini-série aboutie, très riche, qui ne cesse de gagner en force tout au long de ses six épisodes. Sa réussite est de ne pas avoir voulu seulement raconter l'histoire de Salvatore 'Toto' Riina, mais d'avoir ambitionné de dresser un portrait d'un demi-siècle d'évolution de la Cosa Nostra. Pour cela, elle nous immerge dans la société sicilienne, partant des conditions de vie très dures de Corleone qui forgent les ambitions de Riina, et décrypte pour nous les rouages du système mafieux d'alors. L'ascension de Riina coïncide avec d'importants bouleversements au sein même de la Cosa Nostra, qui investit de nouvelles activités, comme la drogue, et étend son influence à de nouveaux territoires, notamment aux Etats-Unis. La mini-série ne nous épargne rien des explosions de violence, des assassinats sanglants et des trahisons préméditées qui jalonnent le chemin de celui qui parviendra à concentrer entre ses mains tous les pouvoirs au sein de l'organisation, devenant "il capo dei capi". Elle se fait sobre et abrasive, relatant sans les romancer ces exploits meurtriers, et ce que représente vraiment cette vie criminelle. Le portrait fait sonne ainsi très authentique, avec tous les excès liés aux égos et aux failles humaines de ses différents acteurs.
Série mafieuse travaillée, Il Capo dei Capi trouve aussi sa force dans le fait qu'elle adopte un double point de vue : en parallèle, elle s'arrête sur ceux qui vont tenter de lutter contre ce système et, pour beaucoup, y sacrifier leur vie. Pour suivre ce fil rouge, elle fait le choix judicieux d'introduire un personnage fictif, Schirò. Cet ami d'enfance de Riina, témoin privilégié des évènements depuis le début, est le pendant opposé du chef mafieux. Il Capo dei Capi est en quelque sorte le récit de leurs destins croisés, et d'un affrontement récurrent en filigranne. Par l'intermédiaire de Schirò, on assiste au développement de la lutte antimafieuse, de ses premiers balbutiements, fruits d'initiatives isolées (suicidaires) vouées à l'échec, jusqu'au maxi-procès de Palerme. La lutte semble pourtant toujours très inégale et la vie trop fragile, la violence ne les épargnant jamais. En s'installant dans les locaux du commissariat et du palais de justice, Schirò permet de montrer plusieurs décennies meurtrières qui appartiennent à l'Histoire. La mini-série fait preuve ici aussi de beaucoup de soin dans cette reconstitution, capturant l'atmosphère fiévreuse et pesante d'une époque.
Appliquée, Il Capo dei Capi acquiert progressivement un véritable souffle, historique et dramatique, de plus en plus prenant, et qui ne va pas cesser de gagner en ampleur jusqu'à sa conclusion. La fiction peut schématiquement se distinguer en deux grandes périodes. Dans ses trois premiers épisodes - et en pointillés jusqu'au quatrième -, elle est une pure fiction de gangsters. La narration y est assez linéaire. Partant de la base, issu d'une campagne pauvre, Riina, stratège avisé, manoeuvre pour atteindre le sommet, se brûlant parfois, mais finissant toujours par parvenir à ses fins. Après avoir pris le contrôle de Corleone, il met ensuite le cap vers Palerme. Accueilli prudemment, il applique consciencieusement l'adage "diviser pour mieux régner" et sait frapper quand il le faut les autres familles. Les exécutions et les guerres rythment ce parcours. Si cette ascension au sein de la Cosa Nostra est racontée de manière efficace, c'est cependant la suite, dans sa seconde partie, qui permet à Il Capo dei Capi d'atteindre une autre dimension, encore plus passionnante : lorsqu'elle se tourne vers une confrontation directe avec l'Etat italien.
Après les premières escarmouches qui avaient été autant de coups d'épée dans l'eau pour Schirò, la mini-série rejoint le fil d'une Histoire plus familière au téléspectateur. Le récit de la lutte entre la Cosa Nostra et des agents de l'Etat voit les protagonistes défiler au rythme de leurs assassinats. La fiction ressort opportunément des images d'archives d'attentat ayant marqué la mémoire collective. Elle n'en souligne que trop l'isolement de ces personnalités qui, en conscience, endossent la responsabilité d'une lutte entremêlant trop d'intérêts contradictoires jusqu'au sommet de l'Etat pour que les camps puissent être clairement distingués. Si Schirò reste toujours présent, il repasse plus en arrière-plan dans les derniers épisodes, où face à Riina, se trouvent désormais Giovanni Falcone et Paolo Borsellino aux côtés desquels Il Capo dei Capi prend le temps de s'arrêter. Leurs succès (le maxi-procès de Palerme), les obstacles qu'ils se voient opposer au sein même de l'appareil judiciaire, et enfin les attentats qui leur coûteront la vie, en 1992, font partie des moments forts de la mini-série. Dans le même temps, le pouvoir et la vieillesse conduisent Riina sur une pente où sa paranoïa et sa démesure provoqueront sa perte.
Sur la forme, Il Capo dei Capi bénéficie d'une réalisation classique, solide, qui se révèle particulièrement apte à construire une atmosphère particulière. Qu'il s'agisse de recréer le Corleone des années 50, ou encore de dépeindre les explosions de violence dont le récit est parsemé, elle immerge véritablement le téléspectateur dans ses décors. La Sicile reste de plus une belle région, qui est bien mise en valeur. Fiction s'inspirant de faits réels, elle a pleinement conscience que la dimension historique qui l'entoure est également un atout. La mise en scène n'échappe pas toujours à certains excès de dramaturgie, mais l'ensemble reste globalement sobre. Et surtout elle fait le choix d'utiliser des images de la télévision d'alors qui sont restés dans les souvenirs (comme la route défoncée suite à l'attentat à la bombe contre le juge Falcone), mais aussi des flashs d'informations télévisées d'époque. Elle vieillit même volontairement certaines images pour reconstituer des scènes avec ses acteurs (notamment les enterrements). C'est une reconstitution soignée qui est donc proposée.
Enfin, Il Capo dei Capi dispose d'un casting convaincant. Claudio Gioè interprète Salvatore Riina avec une vraie densité. A mesure que l'homme acquiert des responsabilités, il se fait de plus en plus inquiétant : l'acteur lui confère une aura particulière qui prend vraiment la mesure de la figure interprétée et de ce que représente cette ascension pour devenir "il capo dei capi". Face à lui, Daniele Liotti incarne Biagio Schirò avec également beaucoup de présence dans ce rôle frustrant où l'on tente tout, mais on se heurte à tant d'obstacles. Gioia Spaziani et Simona Cavallarie interprètent leurs épouses respectives. Salvatore Lazzaro est celui qui suivra toujours dans l'ombre de Riina, Bernardo Provenzano. Andrea Tidona incarne Giovanni Falcone, et Gaetano Aronica, Paolo Borsellino. On retrouve également Francesco Scianna, Paolo Ricca, Alfredo Pea, Imma Piro, Giuseppe Montana, ou encore Bruno Torrisi.
Bilan : Loin de se réduire à juste un biopic sur Salvatore Riina, figure dirigeante de la mafia sicilienne, Il Capo dei Capi est le récit d'un demi-siècle de Cosa Nostra, à travers ses bouleversements internes et l'ascension irrésistible de Riina, mais aussi dans sa confrontation avec l'Etat italien et face au développement de la lutte antimafia. Fiction de gangsters, violente et sanguinolente, elle relate un pan d'histoire criminelle et judiciaire, mais aussi d'Histoire tout court, de la Sicile. Toujours efficace, elle gagne en intensité au fil des épisodes, tout en restant une reconstitution soignée d'une époque.
En résumé, une mini-série recommandée à tous ceux qui s'intéressent à ce sujet, aux sériephiles appréciant les fictions mettant en scène des criminels, et enfin à tous ceux qui souhaitent s'immerger pendant plus de 9 heures dans la Sicile de la seconde moitié du XXe siècle. Et puis à tout téléphage curieux.
NOTE : 8,25/10
La bande-annonce de la série :
21:49 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : italie, il capo dei capi, corleone, canale 5, claudio gioè, daniele liotti, gioia spaziani, simona cavallarie, salvatore lazzaro, andrea tidona, gaetano aronica, francesca scianna, paolo ricca, alfredo pea, imma piro, giuseppe montana, bruno torrisi | Facebook |
15/04/2012
(Pilote ITA) Il giovane Montalbano : les premiers pas d'une figure policière classique de la culture italienne
Ces derniers mois, j'ai beaucoup écrit sur la télévision européenne (hors Angleterre), mais surtout celle venue du froid (Suède, Danemark, Norvège, Estonie, voire Russie...). Aujourd'hui, pour changer, c'est vers le sud que je vous propose d'embarquer... direction l'Italie, et plus précisément la Sicile, afin d'évoquer une série dont la diffusion de la première saison s'est achevée il y a peu : Il giovane Montalbano. Si ce nom ne vous est pas inconnu, c'est normal : le commissaire Salvo Montalbano est en effet le personnage récurrent des romans policiers de Andrea Camilleri. Ses enquêtes ont déjà fait l'objet d'une adaptation télévisée par la Rai, sous le titre de Il commissario Montalbano (Le commissaire Montalbano en VF). Existant depuis 1999, cette série en est à sa huitième saison et a été diffusée en France sur diverses chaînes hertziennes et de la TNT.
Avec Il giovane Montalbano, la Rai s'inscrit dans la mode porteuse du prequel, comme a pu le faire, début 2012, ITV en Angleterre, en lançant Endeavour qui invitait le téléspectateur à découvrir les débuts d'une autre figure policière familière du petit écran, l'inspecteur Morse. Il giovane Montalbano a démarré le 23 février 2012 sur la Rai1. Scénarisée par Andrea Camilleri et Francesco Bruni, elle s'inspire de trois romans : Un mese con Montalbano, Gli arancini di Montalbano et La prima indagine di Montalbano. La première saison compte 6 épisodes (d'1 heure 50 environ chacun). Elle a rencontré le succès auprès du public italien, rassemblant autour de 6,5 millions de téléspectateurs, si bien qu'une seconde saison est en préparation.
J'ai quelque peu hésité avant de rédiger ce billet, car le visionnage du (long) pilote de cette série constitue ma première incursion dans l'univers du commissaire Montalbano - dont je n'ai jamais lu les livres, ni gardé le souvenir d'un épisode de la série d'origine (que j'ai peut-être pu voir à l'occasion, mais une série italienne en VF, c'est juste impensable pour mes oreilles). Cependant j'ai trop rarement l'occasion de vous parler de télévision italienne (de vraies fictions italiennes, pas des incursions de la BBC comme Zen l'an dernier) - j'y manque d'ailleurs de références convaincantes en dehors de l'excellente Romanzo Criminale. Et Il giovane Montalbano, tout en étant très calibrée, dispose d'atouts pour séduire les amateurs de fictions policières.
Il giovane Montalbano se déroule au début des années 90, en Sicile. Salvo Montalbano est à l'époque un jeune commissaire adjoint trentenaire, qui se languit de la mer et d'un climat tempéré, alors qu'il est actuellement en poste dans une petite bourgade de montagne. Grâce à sa fiancée - et à un parent de cette dernière -, fort du soutien de son supérieur hiérarchique, il obtient une promotion au grade de commissaire et, surtout, une mutation pour Vigata, une petite ville balnéaire (fictive) au sein de laquelle Montalbano a grandi et qu'il a laissée derrière lui après la mort de sa mère.
Revenir sur les traces de son enfance, ce n'est pas seulement retrouver le soleil, ainsi qu'un père qu'il n'a plus revu depuis longtemps et avec lequel il entretient des rapports difficiles, c'est aussi s'accomoder de nouvelles responsabilités. La série va ainsi nous raconter les premières enquêtes de Salvo Montalbano en tant que nouveau commissaire de Vigata. Non seulement le jeune homme devra savoir se concilier des subordonnés souvent plus âgés et expérimentés qui ne lui font pas tous bon accueil, mais il va devoir également apprendre à faire preuve de diplomatie et se montrer à l'occasion fin stratège, notamment pour gérer certaines influentes personnalités de la région.
Il giovane Montalbano est une fiction policière procédurale relativement classique, mais qui va savoir rapidement se créer un charme bien à elle. Si les enquêtes de ce premier épisode - un meurtre à élucider, puis un incident qui se révèle bien plus complexe qu'une initiale simple altercation - s'avèrent plutôt solides, son principal atout réside incontestablement dans l'ambiance que la série entreprend de se construire. Tout d'abord, il y a l'exploitation de son cadre, la Sicile : avec un certain sens du détail, l'épisode nous immerge dans ses décors, montagnards comme balnéaires, mais aussi dans ses échanges culinaires, ou encore dans ses moeurs et ses non-dits à la mention de certaines familles qu'il n'est pas possible d'affronter même pour un représentant de la loi. C'est en somme une carte postale sicilienne - certes, avec une bonne part d'images d'Epinal - et italienne qui se dessine sous nos yeux. Sur le moment, le dépaysement s'opère. De plus, la série bénéficie d'une tonalité versatile et dynamique qui ne laisse pas insensible. L'épisode oscille ainsi entre des pointes de légèreté à la simplicité proche de la comédie (et qui déclencheront facilement plus d'un sourire), et des scènes autrement plus poignantes, le tout toujours porté par une énergie narrative communicative.
Au-delà des enquêtes et de l'atmosphère de la série, ce sont les personnages, souvent démonstratifs, qui vont permettre d'humaniser l'ensemble de manière appréciable. Outre une galerie de figures secondaires hautes en couleurs, ce premier épisode réussit à installer efficacement le personnage de Salvo Montalbano, caractérisant rapidement les traits essentiels de sa personnalité. Tout en cultivant un penchant solitaire, ce dernier sait aussi faire preuve de beaucoup sollicitude : il ne se désintéresse jamais de ce qui l'entoure, s'impliquant auprès des victimes ou des témoins qu'il croise, et suivant invariablement son instinct pour juger ses interlocuteurs et évaluer les situations. Il est difficile de ne pas s'attacher à ce jeune trentenaire que l'on découvre, dans les premières scènes du pilote, souffrant du mal du pays et n'en pouvant plus de ces montagnes au sein desquelles il a été envoyé, rêvant de sa chère mer et d'un climat plus tempéré (voire d'une topographie plus clémente). Le téléspectateur s'investit ainsi très facilement à ses côtés, dans des investigations qu'il conduit de manière toujours très vivante. Presque plus que les intrigues, c'est donc sur cette dimension humaine, plus diffuse, que compte la série pour fidéliser un public qui, au terme de ces deux premières heures, a su trouver ses marques.
Sur la forme, Il giovane Montalbano est une série relativement bien maîtrisée, dont la mise en scène reste cependant trop calibrée pour marquer. La photographie y est plutôt soignée. La caméra sait exploiter à l'occasion le cadre sicilien - les montagnes tout d'abord, puis la mer - en soulignant bien le contraste dans l'ambiance de ces deux lieux entre lesquels se divise l'action du pilote. Par ailleurs, pour accompagner l'enquête, la série bénéficie d'une bande-son opportune, au sein de laquelle dominent des mélodies rythmées ; ces dernières renforcent la tonalité plutôt légère d'un ensemble qui entremêle voontairement les tons. S'ajoutent par-dessus quelques chansons italiennes qui achèvent de poser l'atmosphère sicilienne.
Côté casting, il faut reconnaître que Il giovane Montalbano doit beaucoup à l'énergie de son interprète principal sur la présence duquel repose une bonne partie de la dynamique de la fiction. Michele Riondino (La freccia nera) s'investit pleinement dans son personnage, cernant très bien ce dernier, pour mêler obstination inébranlable et une faculté certaine à transiger afin de s'adapter aux situations auxquelles le commissaire doit faire face. Parvenant vite à le rendre attachant, il fait en sorte que le téléspectateur veuille l'accompagner dans ses enquêtes. On retrouve également, dans la série, Alessio Vassalo, Andrea Tidona, Fabrizio Pizzuto, Benjamino Marcone, Sarah Felberbaum, Adriano Chiaramida, Giuseppe Santostefano, Carmelo Galati, Massimo De Rossi ou encore Maurilio Leto.
Bilan : Fiction policière reposant sur des bases solides et classiques, Il giovane Montalbano est une série consciente de ses forces, et du fait qu'elle porte à l'écran la jeunesse d'un personnage bien ancré dans la culture littéraire et télévisuelle italienne. Tout en restant dans un registre convenu et confortable, sans prise de risque notable, elle ne manque pourtant pas de dynamisme, notamment grâce à un plaisant mélange des tonalités entre légèreté et drame qui rend le visionnage agréable. Sachant se créer une ambiance qui lui est propre, une grande partie de son charme tient à l'immersion sicilienne (et, pour moi, au plaisir d'entendre la langue italienne), ainsi qu'à un personnage principal sympathique.
Ceux qui apprécient le commissaire Montalbano - des livres comme de la série - devraient y trouver leur compte - tous les articles que j'ai pu lire reconnaissent la fidélité à l'original de Il giovane Montalbano -, de même que les amateurs de fictions policières souhaitant un peu de dépaysement ensoleillé.
NOTE : 6,5/10
Une bande-annonce de la série :
10:00 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : italie, rai, andrea camilleri, il giovane montalbano, commissaire montalbano, michele riondino, alessio vassallo, andrea tidona, fabrizio pizzuto, beniamino marcone, sarah felberbaum, adriano chiaramida, alessio pizza, maurilio leto, giuseppe santostefano, carmelo galati, massimo de rossi | Facebook |
27/03/2010
(ITA) Romanzo criminale, saison 1 : un polar romain au coeur des années de plomb italiennes
Aujourd'hui, une critique qui marque la poursuite de "l'internationalisation" de ce blog, avec une fiction d'une nouvelle nationalité (et l'apparition d'une catégorie généraliste par la même occasion).
Je ne vous cache pas mon excitation lorsque j'ai mis la main, il y a une dizaine de jours, à un prix raisonnable, sur le coffret DVD de la première saison d'une série que je souhaitais découvrir depuis plus d'un an, et dans laquelle j'étais prête à investir "à l'aveugle" sans hésitation : il s'agit de Romanzo Criminale. Cette fiction a la particularité de provenir de l'autre côté des Alpes. La saison 1, comportant 12 épisodes, y fut diffusée au cours de l'hiver 2008-2009 sur la chaîne câblée italienne Sky Cinéma 1. Ayant rencontré un succès tant auprès du public que des critiques, une deuxième saison a été commandée et est annoncée pour la fin de l'année en Italie (novembre 2010).
En France, nous (enfin, du moins, les chanceux abonnés) avons eu l'opportunité de pouvoir la découvrir l'été dernier grâce à Canal +, qui confirmait une nouvelle fois que les (bonnes) séries européennes ont une place dans sa grille. De mon côté, ne recevant pas cette chaîne, j'ai donc dû patienter encore un peu en surveillant la sortie du DVD (décembre 2009) ainsi que l'évolution des prix. Mais le retard est désormais rattrapé ; et cette découverte s'est révélée être largement à la hauteur de mes attentes, voire les a même dépassées.
Parler d'un "investissement à l'aveugle" lorsque j'évoque cette série est sans doute un peu excessif. Car si j'étais si curieuse de découvrir cette adaptation télévisée de Romanzo Criminale, dont il existe aussi un film éponyme sorti en 2005 (plus condensé, mais qui mérite également le détour), c'était tout d'abord parce que j'avais lu et beaucoup aimé le roman d'origine, d'où sont tirées toutes ces versions à destination du petit et grand écran. Récit dont l'auteur, Giancarlo de Cataldo, a exercé les fonctions de magistrat, il s'agit certes d'une histoire de gangsters, mais pas seulement, tant elle s'attache avec beaucoup de soin à dresser un portrait riche, vivant et détaillé sans complaisance de l'Italie des années de plomb.
Romanzo Criminale se révèle d'autant plus prenante et intrigante qu'elle s'inspire de faits réels. Ce qu'elle se propose en effet de nous relater, c'est une version romancée de l'histoire de la bande de la Magliana, qui tint le milieu romain dans les années 70-80. Régnant sur les activités criminelles de la capitale italienne, elle joua également un rôle dans les tensions secouant l'Italie de cette période, entretenant des rapports ambiguës avec les milieux d'extrême-droite, ainsi qu'avec la Mafia. Ces liens troubles permettent à la série de dépasser le cloisonnement des genres, offrant ainsi un véritable polar noir au contenu particulièrement dense et intéressant.
Romanzo Criminale est tout d'abord une fiction nous plongeant dans la destinée mouvementée d'une bande de malfrats qui va faire main basse sur les activités criminelles de Rome à la fin des années 70. Auparavant, jamais aucun groupe n'avait pu imposer son autorité sur une ville qui avait fini par sembler imprenable, chaque tentative se soldant par une implosion fatale en vol. Lieu de compromis où s'exerce l'influence des différentes Mafias du sud du pays, la ville va pourtant céder sous les coups d'éclats de la bande de la Magliana, réussissant là où tous les autres avaient échoué. La série nous entraîne aux origines de cette association criminelle. Cette union, de ce qui correspondait initialement à deux bandes distinctes, se forge dans le sang et l'argent de l'enlèvement et du meurtre d'un riche homme d'affaires, le baron Rosselini. Dans l'euphorie de ce coup de maître et portés par l'ambition et la vision de celui que l'on surnomme le Libanais, ses différents membres vont poursuivre leur collaboration commune en réinvestissant les sommes gagnées grâce à la rançon dans le trafic de drogue.
Dirigée par un trio d'individualités très dissemblables, où le Libanais s'impose comme le leader naturel, aux côtés de Froid et de Dandy, cette bande va peu à peu gravir tous les échelons dans sa course folle aux sommets des hautes sphères du crime, jusqu'à parvenir à exercer un contrôle sans partage sur Rome. Dans cette entreprise, les heurts avec les pontes déjà en place ne sont que règlements de comptes de bas étage, en comparaison des forces tentaculaires avec lesquelles alliance et compromis se révèlent rapidement nécessaires. Cette navigation à vue dans ces eaux dangereuses les conduira ainsi à se rapprocher de la Mafia calabraise ou encore sicilienne, à côtoyer des mouvances politiques extrémistes, à un moment où elles sont à leur apogée, et dont sont également proches d'autres personnes directement liées au pouvoir étatique, à qui le gang devra rendre certains services pour survivre, notamment par une collaboration avec les services secrets italiens.
Pour mettre en scène ces évènements très denses, il faut souligner l'ambitieuse construction narrative de la série. En effet, Romanzo Criminale nous fait certes vivre le développement de la bande, avec une ascension irrésistible portée par leur arrogance et leur ambition. Mais la série prend également le temps de marquer chaque étape, de décrire les obstacles imprévus placés sur leurs routes. Au-delà d'une continuité toujours présente, le côté feuilletonnant ne prend jamais le pas sur l'indépendance que conserve chaque épisode. Parvenant à trouver le juste équilibre entre les développements sur le long terme et des intrigues quotidiennes toutes aussi solides même si leur intérêt peut varier, bouclées en une heure, la première saison constitue un vaste arc, où la morale finale pourrait être une réflexion sur le caractère dévorant, et au final auto-destructeur, de l'ambition. La fin est à la fois une conclusion convaincante, dont le caractère inévitable est perceptible très tôt, mais aussi une redistribution des cartes qui promet une saison 2 toute aussi passionnante.
Autre bonne idée qui ajoute à la richesse de l'univers proposé par Romanzo Criminale, et qui permet de contribuer à l'ambiance de polar sur laquelle la série capitalise pleinement : c'est l'introduction, en opposant récurrent, d'un commissaire têtu, Nicola Scialoja, qui sera en charge de la première affaire fondatrice du gang, l'enlèvement du baron Rossellini. Frustré par son échec, par la suite, son entêtement à les voir tomber n'aura de cesse de grandir à mesure que la bande prendra du pouvoir. Le personnage de Scialoja offre le pendant policier parfait au groupe. S'imposant progressivement comme l'adversaire solitaire de tout un système qui s'auto-régule de lui-même, il n'est pas non plus dénué d'ambiguïtés. En un mot, il symbolise un autre versant de cette société italienne de la fin des années 70, avec ses propres paradoxes et contradictions.
Au-delà de la solidité de l'histoire, au coeur de cette épopée criminelle, les protagonistes constituent l'âme de la série, volatils et explosifs à son image. Disposant de personnalités très différentes, ils sont tous des personnages hauts en couleur, dont un trio principal va rapidement émerger. L'ambition insatiable de certains, cette absence de satisfaction qui les pousse toujours plus loin dans ce règne sans partage sur Rome, les amène sur des voies de plus en plus dangereuses. A la simplicité des objectifs des débuts succèdent une gestion des affaires où priment l'immédiateté et le court terme. Ils brûlent leur empire avec la même ferveur qu'ils ont savouré les premiers succès. Au-delà de ces excès, la série présente, avec beaucoup d'authenticité, le fragile équilibre qui a fait naître la bande de la Magliana : les intérêts personnels de chacun, mêlés à un égo toujours prompt à se manifester, sont une menace constante pour la cohésion d'un groupe que l'on devine, dès le départ, précaire. Le compromis atteint se résume à un fonctionnement hybride, entre démocratie participative, où chacun est un associé ayant voix au chapitre des prises de décision, et des orientations globales impulsées par des leaders naturels, dont le Libanais est le coeur.
Cette dynamique de groupe, atypique, est un constant rappel de l'instabilité explosive qui fait le quotidien de la série. Soulignant les rapports de force permanents, et la versatilité première de chacun des personnages, la fiction choisit l'angle du réalisme pour traiter de la vie du gang. Pas de codes de l'honneur désuets, pas d'amitiés placées au-dessus de tout, simplement un ensemble d'individus pragmatiques, pesant toujours avec soin leurs propres intérêts dans cette alliance collective. Ils agissent ou réagissent avec plus ou moins de passivité, selon leurs personnalités, mais, plus que tout, ils restent toujours profondément indépendants. Le rapport hiérarchique entre eux est fondé sur des non-dits, une capacité instinctive de la part de certains à s'imposer, cependant ils gardent ancrés en eux leurs réflexes de délinquants issus de la Rome éclatée et jamais vraiment domptée.
Romanzo Criminale parvient ainsi à créer une atmosphère semblable à une poudrière, violente et souvent létale, mais maintenant toujours une cohésion d'une volatilité addictive pour le téléspectateur. Cette tension constante est une vraie réussite à saluer, soutenant des intrigues bien construites et permettant à la série de se créer une identité propre.
Cependant, Romanzo Criminale n'est pas seulement une simple série de gangsters : ce polar trouve en effet une résonance historique particulière, d'autant plus forte qu'elle évoque des faits encore très récents. Elle dresse un portrait vif et complexe d'une décennie tragique de l'histoire italienne, celle des années de plomb. Période intense de déchirements politiques et sociaux passionnels, la série nous en propose une reconstitution minutieuse où elle parvient à retranscrire, avec beaucoup de justesse, l'atmosphère qui régnait dans le pays. Elle nous fait vivre au plus près les violents soubresauts que connut une Italie déchirée par ses extrêmes. En suivant les actions et les contacts de la bande de la Magliana et du milieu romain en général, Romanzo Criminale nous conduit à croiser tous les acteurs de l'ombre des évènements sanglants qui vont marquer cette époque : des Brigades Rouges aux groupuscules d'extrême-droite, des troubles services secrets italiens aux différentes Mafias. Les responsabilités de chacun dans cette escalade qui sera qualifiée de "stratégie de la tension" ne sont pas toujours clairement appréhendées, mais cet instantané photographique est très révélateur.
La première saison se déroulant de 1978 à 1980, elle va évoquer plusieurs des grandes tragédies de ces années de plomb, au coeur des heures les plus sombres de cette période, emportées dans une spirale tragique de montées des violences. Au printemps 1978, c'est le traumatisme de l'enlèvement et de l'exécution du politicien Aldo Moro, le dirigeant de la démocratie-chrétienne, par les Brigades Rouges. Radicalisant les positions, s'ensuivent escalades des tensions et répressions policières. Puis, dans le dernier quart de la saison, au cours de l'été 1980, le pays sera secoué par un attentat à la bombe particulièrement meurtrier, celui de la gare de Bologne qui 85 morts, perpétré par l'extrême-droite italienne.
C'est donc avec pour toile de fond ces références constantes et incontournables que Romanzo Criminale va nous faire vivre l'épopée criminelle, hors de contrôle, de la bande de la Magliana. Un contexte historique particulier qui aura également son incidence.
Enfin, sur la forme, Romanzo Criminale m'a agréablement surprise. Ne connaissant pas vraiment la production télévisée italienne, je ne savais trop à quoi m'attendre. Mais finalement, tout en étant très classique, la série fait preuve d'une maturité très intéressante. La réalisation est de bonne facture. Le réalisateur trouve progressivement ses marques, proposant certains plans très convaincants. L'image paraît initialement un peu sombre ou brouillonne par moment, mais elle n'hésite pas non plus à recourir à des teintes plus chatoyantes sur certaines scènes extérieures, l'ensemble soulignant une réelle volonté de reconstitution de l'ambiance de ces années 70. Le style s'affirme donc au fil des épisodes, le téléspectateur s'habituant également aux choix faits et les adoptant.
Par ailleurs, la série prend beaucoup de plaisir à souligner l'intensité et les contrastes de certaines scènes clés, par le recours au fameux montage parallèle, dont la scène la plus symbolique est celle qui suivra, en alternance, les festivités d'un mariage et l'exécution d'un ennemi. C'est un procédé très classique, mais accompagné d'une musique appropriée, il fait toujours de l'effet. D'ailleurs, la bande-son, composée d'un thème récurrent adéquat et de chansons d'époque, après une importante utilisation dans le pilote, sera utilisée avec plus de parcimonie et une certaine justesse par la suite. Jamais envahissante, elle constituera une musique d'ambiance plutôt entraînante, très appréciable pour souligner certaines scènes ou faire office de transition.
Enfin, l'ensemble des acteurs (qui m'étaient tous inconnus : Francesco Montanari, Vinicio Marchioni, Alessandro Roja, Marco Bocci et Daniela Virgilio) délivrent une prestation assez solide. Je pense sincèrement que la série est à pleinement savourer en version originale. C'est peut-être une appréciation très personnelle, car elle a dégrippé en moi quelques bases rouillées (il semblerait que j'ai conservé plus de souvenirs que je ne le pensais de mes années d'études) et m'a rappelé à quel point j'aimais cette belle langue qu'est l'italien. Cependant, comme il s'agit aussi d'une série d'ambiance, l'immersion du téléspectateur ne peut, à mon sens, que passer par la version originale.
Bilan : Polar noir passionnant, sur fond de chronique sociale et de reconstitution historique d'une époque particulièrement agitée où l'Italie traversa une des périodes les plus sombres de sa démocratie, Romanzo Criminale acquiert progressivement au cours de la saison une dimension qui dépasse la simple série de gangsters. C'est par la durée que son scénario solide peut pleinement trouver ses marques. Son format lui permet d'exploiter pleinement tous les ressorts narratifs que le roman d'origine pouvait poser. En cela, sa construction se révèle au final bien maîtrisée et très agréable à suivre pour le téléspectateur, dont l'intérêt n'est jamais pris en défaut.
Romanzo Criminale est donc une réussite, avec une saison 1 admirablement bien mise en scène et qui dresse un portrait fascinant et complexe de l'Italie des années de plomb. Une série à découvrir sans hésitation.
NOTE : 8,25/10
La bande-annonce (en VO sous-titrée anglais) :
16:05 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : italie, romanzo criminale, sky cinema, francesco montanari, vinicio marchioni, alessandro roja, marco bocci, daniela virgilio | Facebook |