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18/08/2012

(ISL) Réttur (The Court), saison 1 : un legal drama islandais

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En ce week-end annoncé comme caniculaire, vous vous doutiez bien que la tradition de ce blog risquait de voir poindre le billet de ce jour. Respectons l'usage : pour se rafraîchir, rien de tel que de mettre le cap sériephile vers des latitudes nordiques et de se rappeler, le temps de quelques épisodes, ce qu'est le froid. Il faut dire que la série dont je vais vous parler aujourd'hui est particulièrement appropriée pour une contre-programmation : elle se déroule sous le plafond grisâtre de nuages bas qui ne semblent jamais devoir se lever, dans une ville de Reykjavik qui reste plongée sous son manteau neigeux.

Réttur est la deuxième série islandaise que j'aborde en ce mois d'août, et déjà la quatrième de 2012 (et le sixième bilet consacré à une fiction de cette nationalité sur ce blog). Mes affinités avec le petit écran de cette île du Nord ne se démentent pas. En l'occurence, Réttur constitue rien moins que le premier legal drama de la télévision islandaise. Elle compte deux saisons, de six épisodes chacune. La première a été diffusée début 2009 sur Stöð 2. On retrouve à l'écriture quelqu'un dont le nom doit commencer à vous être familier, Sigurjón Kjartansson, scénariste extrêmement productif à qui l'on doit notamment la prenante Pressa dont je vous ai déjà tant parlé (ce qui explique sans doute l'air familier que j'y ai trouvé). Sur Réttur, il est entouré de Margrét Örnólfsdóttir et de Kristinn Thordarson.

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Réttur est une série judiciaire nous relatant le quotidien d'un trio d'avocats d'un cabinet de Reykjavik. Brynhildur et Hordur en sont les actuels associés, tandis que Logi y travaille pour l'instant à l'essai. Embauché avec pour objectif de relancer l'activité quelque peu en berne du cabinet, ce dernier est un des meilleurs avocats de la capitale. Ambitieux et plein d'aplomb, c'est un défenseur hors pair, mais dont la réputation est entachée par un crime passé : à 18 ans, il a commis un meurtre, puis a été condamné et emprisonné. Sorti quelques années plus tard, il a obtenu le pardon lui permettant de devenir... avocat. Cependant, cette histoire reste dans tous les esprits, notamment policiers, même si Logi prétend ne se souvenir de rien.

La série les suit à travers plusieurs affaires, touchant à des domaines très différents : des procès criminels, du meurtre au trafic d'être humain, en passant par des escroqueries financières ou bien des abus de faiblesse. Ils représentent, suivant les cas, l'accusé ou la victime. En arrière-plan, un fil rouge se dessine : pèse sur l'atmosphère de Reykjavik des faits divers qui sont devenus malheureusement un rituel craint du vendredi soir, une série de viols commis par un serial rapist, face auquel l'enquête de la police piétine. Avec ce tableau d'une ville où le ministère public cherche souvent à faire des exemples de ceux qui troublent la tranquillité, Réttur se concentre sur ses trois protagonistes, se proposant de nous faire vivre leurs succès et leurs échecs, professionnels comme personnels.

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De premier abord, Réttur est un legal drama aux consonnances très classiques. Il se réapproprie efficacement le genre, mais reste relativement quelconque en optant pour une présentation très sobre de la dynamique judiciaire. Plus qu'au métier lui-même, il est manifeste que la série s'intéresse avant tout à l'humain derrière le professionnel portant la robe. C'est sans doute pour cela que l'on a l'impression de la voir parfois emprunter des raccourcis un peu faciles, laissant certains développements inachevés, dans sa gestion des affaires. Cependant, elle dispose d'une narration qui ne traîne pas, va à l'essentiel, et permet donc d'évoquer - plus ou moins brièvement - toutes les facettes de la profession, avec son lot de dilemmes moraux et ces affaires que l'on ne sait comment aborder. De plus, par la diversité des cas traités, il faut reconnaître à cette première saison une indéniable richesse.

La construction de Réttur mêle un procédural travaillé et un fil rouge à la densité variable. On retrouve dans l'exploitation de ce dernier une façon de faire assez caractéristique du style du scénariste. Suivant une forme de continuité à éclipse, une intrigue peut ainsi être introduite, s'imposer sur le devant de la scène, puis être oubliée, pour ensuite ressurgir soudain au centre des enjeux. Même si cela peut renvoyer le sentiment d'un manque d'homogénéité, l'essentiel est que la série sait manifestement où elle nous conduit et qu'elle fait preuve pour cela d'un réel savoir-faire qui retient l'attention du téléspectateur de bout en bout. Ce sont des limites de construction que l'on trouve aussi dans Pressa, mais qui n'affectent pas la portée de la série. Autre procédé similaire avec Pressa : l'utilisation des médias comme observateurs/narrateurs extérieurs des évènements mis en scène. C'est une technique qui est tout aussi bien utilisée dans Réttur.

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A côté de ce quotidien judiciaire bien huilé, Réttur fidélise aussi son public grâce à ses personnages, chacun très différents, mais complémentaires à leur manière. En premier lieu, c'est évidemment Logi qui s'impose à l'écran : par son assurance où perce une pointe d'arrogance, sa conception très relativiste de son métier et sa capacité à prendre les choses en main quel que soit la situation. Marque aussi l'ambivalence inhérente au personnage. Derrière cette apparence d'avocat en représentation permanente qu'il cultive, en arrière-plan, figure toujours ce crime commis il y a 25 ans. S'il prétend ne plus s'en soucier - ne l'ayant pas en mémoire -, le souvenir revient toujours, imperturbable, aussi bien face à des interlocuteurs qui l'évoquent que face à la famille de la victime... Et à mesure que l'on apprend à le connaître, à identifier ces mécanismes de défense, on comprend mieux son fonctionnement, son problème avec l'alcool, et surtout on devine, derrière cette allure excessivement pragmatique, des blessures qui lui font plus d'une fois frôler l'autodestruction, comme le montre sa gestion calamiteuse de sa vie sentimentale.

Outre ce personnage tranchant qui s'impose d'emblée, l'atout de Réttur est aussi de trouver le juste équilibre avec les deux autres avocats du cabinet, Brynhildur et Hordur. Chacun voit ses histoires professionnelles, mais aussi sa vie personnelle, développées. Brynhildur, divorcée, instinctivement méfiante mais au caractère affirmé, connaîtra ainsi toutes les émotions au cours de la saison, des joies personnelles, mais aussi bien des challenges bien difficiles dans sa vie professionnelle. Elle en sort grandie, et sa figure affirmée ; le téléspectateur espérant secrètement que le futur entrevu pour elle à la fin de la saison puisse voir le jour. Quant à Hordur, c'est un avocat paradoxal : il n'aime rien tant que rester dans l'ombre des recherches et des procédures, laissant la lumière des prétoires à ses associés. Malgré les réticences qu'il avait initialement à accueillir Logi, il est intéressant de voir comment les deux avocats trouvent finalement assez facilement un terrain d'entente, grâce à leurs différences, au point de voir Logi héberger Hordur lorsque ce dernier rencontre des difficultés dans son couple.

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Sur la forme, Réttur est une série à la réalisation très sobre, avec une photographie qui semble s'imprégner de l'atmosphère glacée de Reykjavik. Les teintes y sont froides, une pellicule grisâtre paraissant recouvrir l'ensemble. Ce ressenti est renforcé par les multiples plans de la ville enneigée, où la couleur du sol se confond avec le ciel, tandis que l'océan en arrière-fond est un mince ligne peu plus grise. La musique épouse très bien l'ambiance finalement assez posée d'un legal drama. Du classique, mais qui correspond aux attentes, à l'image du thème du générique (cf. la vidéo ci-dessous).

Enfin, Réttur bénéficie d'un casting globalement solide. Plus précisément, elle dispose d'un trio principal qui endosse sans difficulté les caractéristiques de leurs rôles respectifs : ce qui permet ainsi à cette rapide complémentarité de s'installer immédiatement à l'écran. C'est sans doute Magnus Jonsson, interprétant Logi, le personnage le plus emblématique de la série, qui marque le plus. Mais j'ai également bien aimé la dynamique qui s'installe avec Vikingur Kristjansson (Hordur), ainsi que le caractère que fait sien Johanna Vigdis Arnardottir dans le rôle de Brynhildur.

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Bilan : Legal drama sobre et classique, Réttur trouve le juste équilibre entre ses explorations du système judiciaire à travers des affaires très diverses, le développement de personnages auxquels le téléspectateur s'attache et l'adjonction d'un fil rouge criminel qui permet de lier en un seul ensemble toute la saison. Portée par une figure centrale marquante à l'ambivalence morale intriguante, qui constitue sa principale particularité, la série bénéficie en plus d'une narration très efficace. Sans être toujours pleinement aboutie sur certains points de son volet judiciaire, la construction d'ensemble n'en demeure pas moins solide.

C'est donc un legal drama venu du Nord qui devrait satisfaire les amateurs du genre.

[A noter : Comme beaucoup de séries islandaises, Réttur est disponible en DVD avec une piste de sous-titres anglais.]


NOTE : 7/10


Le générique de la série :

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