09/09/2012
(ALL) Im Angesicht des Verbrechens (Face au crime) : immersion criminelle dans la communauté russophone berlinoise
Parmi mes défis sériephiles de l'année, il y a celui de poursuivre l'exploration du petit écran européen, notamment des pays dans lesquels My Télé is rich! ne s'est encore jamais arrêté. Certes, la destination du jour n'a rien d'une inconnue : les séries allemandes, ou du moins un certain type, ne manquent pas dans les programmes des chaînes françaises. En revanche, en trouver une 1) récente, 2) dont l'histoire soit susceptible de m'intéresser et 3) qui soit disponible avec des sous-titres relève d'un challenge un brin plus compliqué. C'est pour ça que lorsqu'on m'a parlé de Im Angesicht des Verbrechens, je me suis dit que je me devais de lui donner sa chance.
Datant de 2010 et comportant dix épisodes de 45 minutes environ, cette série a déjà été diffusée en France sur Arte, sous le titre Face au crime. Elle est sortie en DVD, outre-Rhin, avec deux pistes audio (originale et version française), mais paradoxalement aucun sous-titres français. Heureusement, l'édition comporte des sous-titres anglais (ainsi que portugais, espagnol, russe... de quoi rendre incompréhensible l'absence de sous-titres français). En tout cas, pour avoir testé quelques minutes la VF, je la déconseille. D'autant plus que Im Angesicht des Verbrechens est une série allemande qui nous immerge dans une communauté russophone. Je ne prétends pas que mon oreille soit assez exercée à ses langues pour toujours les distinguer (surtout quand l'allemand est parlé avec un fort accent russe), mais cette dimension linguistique est une partie trop intégrante du récit pour se tourner vers une VF.
Nous entraînant des bars russes de Berlin jusqu'aux campagnes d'Ukraine, Im Angesicht des Verbrechens navigue entre les trafics et autres règlements de compte au sein de la communauté russophone de la capitale allemande. On y suit plusieurs protagonistes, au premier rang desquels figurent Marek et Stella, deux frère et soeur d'origine juive lettone, soudés par un deuil qu'ils n'ont jamais surmonté : le meurtre, il y a 10 ans, de leur frère aîné, Grisha, abattu à bout portant dans une rue proche de chez eux. Stella a d'abord noyé son chagrin dans la drogue, avant d'épouser un homme d'affaires russe dont le restaurant dissimule mal les véritables activités illégales. Marek a lui préféré rompre avec ce milieu et choisi d'entrer dans la police, au risque de faire figure de traître.
Mais la tranquillité du système d'économie parallèle que cette organisation criminelle russe fait fructifier est troublée par les ambitions d'un de ses chefs : ce dernier attaque un des convois de contrebande de cigarettes du mari de Stella. La menace d'une possible guerre, qui aurait pour tous un coût trop élevé, se fait pressante. Tandis que chacun avance ses pions, la police berlinoise se rapproche dangereusement, instrumentalisée dans cette lutte de territoires. Au milieu des tensions, Marek poursuit inlassablement une quête plus personnelle : l'investigation sur le meurtre de son frère, au risque de toucher à une vérité qui pourrait être fatale.
Si Im Angesicht des Verbrechens exerce tant d'attrait sur le téléspectateur, cela est dû en premier lieu à sa dimension multiculturelle. La série nous plonge au sein d'une communauté immigrée, représentante de populations diverses issues de l'ancienne URSS (Lettonie pour Marek et Stella, Russie pour le mari de cette dernière...), unies par leur langue, par une philosophie de vie aussi, et fermées à l'extérieur par sa défiance vis-à-vis de toute autorité. La substitution de ses propres codes à la loi étatique apparaît ainsi légitime, expliquant pourquoi le crime prospère en son sein. Sans forcément toujours les traiter en profondeur, la série entreprend d'explorer les différentes facettes de cette confrontation des cultures, mais aussi de la volonté d'intégration dans la société allemande de certains.
Le personnage de Marek est ici le plus emblématique. Devenu policier en réaction à la violence meurtrière existante dans le milieu dont il est issu, il n'en conserve pas moins cet héritage slave chevillé au corps. Mais il est désormais traité comme un paria : un "mussar", jusque dans les réunions familiales. Ses conceptions et ses choix de vie sont d'autant plus significatifs qu'ils sont mis en parallèle avec ceux faits par l'être qui lui est le plus cher, sa soeur. Cette dernière suit une démarche opposée. Par son mariage, elle accepte de progressivement embrasser cette communauté, tentant d'en tirer les bénéfices qui pourraient compenser le prix qu'elle a payé avec la mort de Grisha. Ces deux jeunes gens constituent à la fois le fil rouge du récit, et la porte d'entrée du téléspectateur dans ce milieu.
Dans ses développements, Im Angesicht des Verbrechens est portée par une vitalité communicative. Les histoires suivent une progression rythmée, le scénario ne tergiversant jamais. Au point de ne pas hésiter à emprunter un certain nombre de raccourcis pour faire avancer les intrigues. La narration pèche alors par manque de direction : à trop vouloir multiplier les protagonistes, afin d'esquisser un tableau complet de ceux qui gravitent dans ce milieu du banditisme, le récit s'y perd parfois. Plusieurs défauts, notamment un côté trop brouillon et dispersé, deviennent très perceptibles dans la seconde partie de la saison. Si on croise de bonnes idées et des approches ayant du potentiel, l'exécution n'est pas toujours convaincante. Il est cependant intéressant d'observer combien l'écriture fait preuve d'initiatives et exploite une riche symbolique dans sa mise en scène.
En dépit de ces limites, l'intérêt pour la série ne se dément pas tout au long de son unique saison. Im Angesicht des Verbrechens est une de ces fictions qui se regarde d'une traite, car elle sait impliquer le téléspectateur dans la destinée de ses personnages qui, avec leurs certitudes et leurs failles, sonnent très humains. Sans éviter quelques caricatures dans les rôles plus secondaires, la série rassemble des protagonistes principaux attachants, mis en scène avec une part d'ambiguïté. S'il a ses excès (ne manquant ni de violence, ni de scènes de sexe), le scénario parvient dans le même temps à créer et à nous faire percevoir un véritable tourbillon d'émotions, d'envie de vivre, d'aspirations personnelles conflictuelles, au sein duquel il est aisé de se laisser entraîner.
L'énergie qui traverse Im Angesicht des Verbrechens se retrouve également sur la forme. La réalisation expérimente beaucoup : versant parfois dans un surprenant surréalisme presque fantastique comme lors de la rencontre sous l'eau qui fait office de prologue, elle use aussi de constructions où les flashback sont une composante à part entière du récit. Cela lui permet de nous faire revivre de manière entêtante certains moments - comme le meurtre de Grisha, fil rouge sanglant, dont la résolution obsède Marek. L'immersion dans l'atmosphère de la communauté russophone dépeinte passe aussi par la bande-son qui contribue grandement à cette marque identitaire : une musique traditionnelle, entraînante mais semblant aussi chargée de drames, rythme la narration.
Enfin, au sein du casting, plusieurs acteurs sortent du lot. La jeunesse teintée d'une froideur un peu distante de Max Riemelt correspond parfaitement à la figure de Marek, symbole de toutes les ambivalences de ces croisements culturels, cherchant à la fois une sortie de ce milieu et une vengeance qui l'y replongerait immédiatement. Marie Bäumer interprète avec tout autant d'aplomb sa soeur qui a fait, en conscience, d'autres choix de vie ; l'affirmation progressive de son personnage tout au long de la série lui permet de suivre une transformation très appréciable. Alina Levshin prête des traits d'une innocence rare à cette jeune ukrainienne se retrouvant soudain projetée dans le milieu de la prostitution, qui va tenter de survivre à Berlin. Dans l'ensemble, Im Angesicht des Verbrechens reste une série chorale : l'ensemble du casting tient globalement la route. On y croise notamment Ronald Zehrfeld, Mišel Matičević, Katja Nesytowa, Uwe Preuss, Ulrike C. Tscharre, Mark Ivanir, Marko Mandić, Karolina Lodyga, Arved Birnbaum, Ryszard Ronczewski ou encore Carmen Birk.
Bilan : Bénéficiant une écriture pas toujours subtile mais à la vitalité communicative, portée par des personnages principaux attachants, Im Angesicht des Verbrechens met en scène une communauté où l'économie et les codes parallèles ont fondé une criminalité prospère. Immersion dépaysante dans différents pans des cultures slaves, son récit rythmé sait retenir l'attention du téléspectateur, même si un manque de maîtrise dans la narration, quelques excès et des raccourcis un peu trop faciles amoindrissent la portée dramatique de l'histoire et laissent l'impression d'un potentiel non complètement exploité.
En résumé, cette série a ses limites, et je ne la qualifierais pas d'incontournable, mais j'ai passé un bon moment devant mon petit écran (vous savez combien je suis sensible aux approches multicurelles !). Une découverte qui me donne envie de poursuivre mes explorations allemandes. Si jamais vous avez des séries à me conseiller, c'est le moment.
NOTE : 6,75/10
Une bande-annonce de la série :
18:09 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : allemagne, im angesicht des verbrechens, face au crime, arte, max riemelt, marie bäumer, alina levshin, ronald zehrfeld, mišel matičević, katja nesytowa, uwe preuss, ulrike c. tscharre, mark ivanir, marko mandić, karolina lodyga, arved birnbaum, ryszard ronczewski | Facebook |