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18/05/2014

(UK) Line of Duty, saison 2 : no one is above the law

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Aujourd’hui, retour sur une série récente dont je n’avais encore pas eu l’occasion de vous parler. Line of Duty fait en effet partie de celles diffusées ces derniers mois qui méritent toute votre attention. Les plus anglophiles parmi vous se souviennent peut-être de la première saison, diffusée durant l'été 2012 (pour rafraîchir votre mémoire, vous pouvez aller jeter un œil à la critique que j'avais rédigé à l'époque). Une suite a donc été proposée cet hiver, du 12 février au 19 mars 2014, sur BBC2.

Un tel délai de plus d'un an et demi entre les deux l'a certes rendue un peu lointaine, y compris pour le public anglais. Mais l'audience, outre-Manche, s'est laissée entraîner dans cette nouvelle affaire - elle n'a cessé d'augmenter au fil des épisodes. Il faut dire que Jed Mercurio, le créateur et scénariste, a su admirablement reposer les enjeux de son sujet de départ, pour délivrer six épisodes portés par une rare tension. Tant et si bien qu'une troisième et une quatrième saisons ont d'ores et déjà été commandées. En espérant qu'elles nous parviennent avant 2016... intéressons-nous d'abord à cette saison 2.

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Line of Duty est un cop show qui plonge le téléspectateur dans les coulisses guère reluisantes de l'institution policière. Plus précisément, elle entreprend de dépeindre un envers du décor très sombre, où solidarité de corps et ambitions personnelles finissent par noyer bien des professionnels. Les enquêtes conduites pour sanctionner les éventuelles dérives des policiers sont confiées à une unité anti-corruption particulière, AC-12, au sein de laquelle le téléspectateur va retrouver plusieurs des protagonistes de la première saison, comme Steve Arnott et Kate Fleming. L’affaire qui va les occuper concerne la mort de trois policiers dans un guet-apens, lors du déplacement précipité et non sécurisé d'un témoin qu’ils étaient supposés protéger. Seule survivante de cette attaque, Lindsay Denton était au volant de la voiture qui menait le convoi. Ses actes, durant cette nuit tragique, vont rapidement nourrir les soupçons de l’unité.

La saison 2 est construite autour de cette interrogation centrale : Denton est-elle coupable ? Et si oui, de quoi exactement ? A-t-elle sciemment conduit le convoi vers ce piège ? Malveillance, incompétence, malchance… que s’est-il réellement passé ce soir-là ? Face à ces questions, Line of Duty fait le choix de cultiver les doutes du téléspectateur tout au long des six épisodes. La série prend un malin plaisir à entremêler les pistes et les indications contradictoires sur les événements, mais aussi sur la personnalité de Lindsay Denton. La situation semble ne jamais devoir cesser de se complexifier ; et si tout démarre sur la promesse d'un affrontement entre Denton et l'équipe de AC-12, les frontières se brouillent rapidement. Les certitudes des uns se fragilisent, les allégeances des autres se font et se défont au rythme des découvertes... et des intérêts personnels. Le téléspectateur est placé quasiment au même niveau que les enquêteurs : à partir d'indices équivoques, de versions divergentes où chacun omet une partie de la vérité, il doit se forger peu à peu ses propres convictions, lesquelles sont régulièrement remises en cause par les nouvelles orientations prises.

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Si l’incertitude subsiste jusqu’au bout, cela s'explique grâce à la complexité du scénario, mais aussi grâce au personnage de Lindsay Denton, fascinante d'ambivalence et portée par l’interprétation magistrale d’intensité de Keeley Hawes (Spooks, Ashes to Ashes). Elle est une figure aux facettes multiples, dont les forces, mais aussi les ambiguïtés, ne sont mises que progressivement en pleine lumière par le récit. Line of Duty implique émotionnellement le téléspectateur à ses côtés, presque malgré lui. Car s'il s'interroge sur la responsabilité de Denton, il est difficile de rester insensible à ce qui lui arrive : la fusillade dont elle réchappe déclenche une véritable descente aux enfers. Ostracisée dans son commissariat, soupçonnée par AC-12 de bien plus qu'une simple négligence, elle va subir de douloureuses épreuves aussi bien professionnelles que personnelles, des souffrances physiques et psychologiques... lesquelles touchent le téléspectateur, en dépit de cette question lancinante : est-elle coupable ? Et si oui... qu'a-t-elle réellement fait ?

De manière générale, la noirceur est le maître-mot de Line of Duty. Tout n'y est que faux-semblants, manœuvres et manipulations, au sein d'une institution policière gangrénée, où chacun paraît faillible et où les lignes jaunes se franchissent trop souvent avec impunité. Si AC-12 est censé poser les limites, être le gardien du temple de la loi et traquer ceux qui trahissent leurs engagements, on y retrouve pourtant reproduits les mêmes schémas que dans le reste des forces de l'ordre. Steve Arnott (Martin Compston), Kate Fleming (Vicky McClure) ou encore leur supérieur, Ted Hastings (Adrian Dunbar), sont exposés aux mêmes pressions, tentations et limites qui pèsent sur leurs collègues. L’univers dépeint par la série n’a d'ailleurs rien de manichéen : nul n’est jamais complètement irréprochable, et la vérité ne ressortira pas toujours de ces investigations. Outre une approche pessimiste, la série interpelle également par la tension constante, éprouvante même, qui la traverse. Plusieurs passages marquent durablement, qu’il s’agisse du choc produit par certaines scènes (qui réveillent le fantôme de Spooks) ou d’affrontements verbaux lors d’interrogatoires. Cela donne des moments extrêmement forts, qui secouent personnages et téléspectateur.

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Bilan : Dotée d'une écriture sombre, souvent dense, la saison 2 de Line of Duty emprunte une voie policière ambivalente et implacable, où les notions de vérité et de justice n'ont jamais semblé plus floues et incertaines. Par-delà un portrait institutionnel très pessimiste, la série délivre un récit prenant, porté par une tension omniprésente et par les incertitudes qui pèsent jusqu'au bout sur l'issue de l'enquête servant de fil rouge. La série se laisse d'ailleurs quelque peu entraîner par sa complexité dans le dernier épisode où elle se retrouve prise par le temps, apportant dans la précipitation les réponses attendues. Cependant la chute finale est parfaitement cohérente avec la tonalité de la saison, avec une résolution justifiant la commande des saisons suivantes.

En résumé, une chose est sûre : avec cette saison 2, Line of Duty a acquis une dimension supplémentaire. Et ces six épisodes sont certainement une des belles réussites anglaises de ce début d'année 2014. Avis aux amateurs !

NOTE : 8/10


Une bande-annonce de la saison :

02/11/2013

(UK) Ambassadors : fiction à la tonalité duale dans les coulisses d'une ambassade

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Aujourd'hui, c'est une nouveauté britannique qui nous offre l'occasion de voyager : direction l'Asie centrale (même si, en fait, la série a été tournée en Turquie). Actuellement diffusée sur BBC2, du 23 octobre au 6 novembre 2013, Ambassadors retient d'abord l'attention parce qu'elle réunit devant la caméra un duo bien connu, Mitchell et Webb, du Peep Show [Pour ceux qui les apprécient, je vous conseille la lecture de leur double interview réalisée pour l'occasion sur Radiotimes]. Cependant, il faut se garder des raccourcis hâtifs : Ambassadors n'est pas une simple sitcom. Il s'agit plutôt d'un hybride, une comédie au parfum de drama.

Cette dualité s'explique en partie par le duo de scénaristes que l'on retrouve à l'écriture de la série : James Wood, le co-créateur de cette chouette dramédie douce-amère qu'est Rev, et Rupert Walters, qui a notamment écrit quelques épisodes de Spooks. Pour troubler un peu plus les lignes, Ambassadors emprunte un format propre au drama, avec des épisodes d'une durée d'1 heure là où, par exemple, The Wrong Mans, sur la même chaîne, se contentait de 30 minutes. La série avait donc un challenge important à relever pour trouver sa juste tonalité. Elle n'y parvient pas toujours, mais sait délivrer des épisodes plaisants.

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Ambassadors suit le quotidien de l'ambassade britannique au Tazbekistan, une ancienne république socialiste soviétique fictive, créée en entremêlant des références au Tajikistan et au Turkmenistan. Après l'irrésolue disparition de son prédécesseur, Keith Davis se voit confier le poste d'ambassadeur. Il découvre dès le pilote les responsabilités parfois éprouvantes qui y sont attachées, avec une sortie de chasse présidentielle mémorable. Pour comprendre rapidement le pays et la famille qui le dirige, afin de pouvoir promouvoir au mieux les intérêts des entreprises britanniques, il peut notamment compter sur les conseils de Neil Tilly, le dirigeant du staff diplomatique, qui connaît parfaitement les us et coutumes locales.

Entre dîners officiels, organisations de manifestations culturelles et négociations industrielles très concurrentielles face à d'autres puissances occidentales (notamment les États-Unis et la France), les services de l'ambassade doivent aussi composer avec certains invités guère commodes - pouvant aller jusqu'à la réception de membres de la famille royale - et également avec des imprévus diplomatiques qui nécessitent de se montrer pragmatiques pour ne pas fâcher le régime autoritaire en place. Un jeu d'équilibriste pas toujours aisé à mettre en pratique, le tout sous la surveillance de Londres et d'un supérieur surnommé POD, le "Prince of Darkness".

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Ambassadors oscille entre deux tonalités. La série emprunte à la comédie son sens de la rupture et quelques chutes, tour à tour absurdes ou inattendues. Elle ne cherche cependant pas à forcer les gags, préférant jouer sur un comique de situation et sur des échanges faussement sérieux pour faire sourire le téléspectateur. La fiction laisse dans le même temps entrevoir une ambition narrative qui la rapproche du drama, puisque son fil rouge repose sur l'arbitrage complexe à trouver entre promotion des droits de l'homme et des valeurs démocratiques, et préservation des intérêts économiques de la Grande-Bretagne. Pour réaliser cela, son portrait de l'ex-république soviétique et de son gouvernement dictatorial ne fait guère dans la nuance, s'appropriant tous les poncifs du genre, tout en rejouant la partition familière du choc des cultures. Cependant, si elle fait siens de nombreux clichés, elle a l'art de savoir le faire sans jamais les prendre au sérieux, en s'en amusant, voire en les détournant à l'occasion. C'est par exemple le cas pour le versant espionnage, à l'image de "l'enlèvement" orchestré dans le deuxième épisode, ou bien encore pour l'évolution du chantage subi par Neil de la part de la police secrète.

Il ne faut pas aborder Ambassadors en espérant y trouver ce qu'elle n'est pas : un récit des coulisses diplomatiques où la comédie permettrait l'irrévérence. La série offre au final une vision assez proprette de la diplomatie britannique, ou du moins des représentants principaux qu'elle met en scène. Au cours des deux premiers épisodes, ni l'ambassadeur, ni le chef du staff diplomatique, ne se révèlent prêts à sacrifier certains principes sur l'autel financier des intérêts industriels du pays, arbitrant comme ils peuvent au grand désespoir de leur hiérarchie. Nous sommes loin du corrosif satirique de The Thick of it, que seules les interludes skypés de POD évoquent avec une pointe de noirceur cynique caractéristique particulièrement savoureuse. Les scénaristes se réclament d'une autre référence, celle de Yes Minister, dont le reboot initié l'an dernier a pu justement se voir reprocher de sonner trop lisse dans un pays où The Thick of it est désormais passé. Ambassadors fait le choix de ne jamais s'évader d'une certaine zone de confort, ce qui, dans la télévision britannique de 2013, peut lui être reproché. Pour autant, l'ensemble reste plaisant à suivre.

En effet, la série cultive une dynamique sympathique. Le tandem Keith/Neil a du potentiel, avec d'un côté un ambassadeur anxieux de réussir son intégration et de se faire bien voir de sa hiérarchie, et de l'autre, un bureaucrate pragmatique sachant prendre les évènements avec un flegme et un détachement tout britanniques, mais qui s'investit toujours à un niveau très personnel dans certains dossiers sensibles. Le duo fonctionne spontanément à l'écran. Pour l'accompagner, Ambassadors a le mérite de pouvoir s'appuyer sur une galerie de personnages secondaires hauts en couleurs qui viennent apporter un contraste et une touche comique plus prononcée. C'est par exemple le cas de la gouvernante et de ses affinités culinaires, de ces deux chargés d'écoute qui espionnent l'ambassade et commentent les discussions de chacun avec un premier degré souvent drôle, ou encore de la jeune employée en charge de la promotion de la culture britannique dont l'enthousiasme ne trouve guère d'écho auprès du reste de l'équipe. Les guest-stars apportent aussi un décalage plus marqué, le prince Mark faisant ainsi une visite remarquée dans le second épisode. Le mélange donne une écriture un peu inégale, mais qui sait jouer sur sa capacité à accélérer et à proposer quelques savoureuses fulgurances.

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Ambassadors est en revanche une franche réussite au plan formel. La réalisation a été confiée à Jeremy Webb. Elle maîtrise parfaitement les codes classiques d'un drama, avec une photographie soignée parfois sombre. Si beaucoup de scènes se déroulent en intérieur, la série s'assure d'entrée de jeu, dans son pilote, un passage dépaysant au sein d'une forêt enneigée qui pose efficacement le cadre. L'autre bonne idée est la bande-son utilisée, ou plus précisément, le recours récurrent à un thème instrumental parfaitement choisi : vite entêtant, un brin exotique, il est doté d'un dynamisme comique contagieux. On le retrouve aussi dans le générique d'ouverture : animé et travaillé, ce dernier embarque le téléspectateur dans un voyage jusqu'au Tazbekistan (voir la première vidéo ci-dessous).

Enfin, Ambassadors réunit un casting auquel il est aisé de s'attacher. Au sein du duo principal, c'est sans doute Robert Webb (Peep Show) qui tire en premier son épingle du jeu, dans un registre dual, à la fois bureaucrate détaché et pragmatique, mais aussi parfois très impliqué. David Mitchell (Peep Show) joue quant à lui l'ambassadeur britannique nouveau venu. Keeley Hawes (Spooks, Ashes to Ashes, Upstairs Downstairs) incarne son épouse, qui s'efforce également de s'acclimater au pays (et à leur gouvernante). Pour compléter la Spooks-connection, Matthew Macfadyen (Warriors, Perfect Strangers, Little Dorrit, Any Human Heart, Ripper Street) joue le supérieur londonien des diplomates, apparaissant au cours d'échanges en visioconférence mémorables. Au sein de l'ambassade, on retrouve parmi le staff Shivani Ghai (Five Days), Susan Lynch (Monroe) et Amara Karan (Kidnap and Ransom). Côté Tazbek, Yigal Naor (House of Saddam) interprète le président, tandis que Natalia Tena (Game of Thrones) joue la petite amie de Neil Tilly. En guest, on saluera dans le deuxième épisode la présence de Tom Hollander (Cambridge Spies, The Company, Desperate Romantics, Any Human Heart, Rev) qui s'en donne à coeur joie en tant que membre de la famille royale, pour une visite qui marquera durablement les esprits.

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Bilan : Ambassadors est une comédie qui s'entoure d'un parfum de drama, mêlant ainsi les deux ambiances au risque de ne pas toujours trouver les parfaits réglages. Dotée d'un style d'écriture à la sobriété bienvenue, elle assume pleinement les stéréotypes associés à la mise en scène d'un service diplomatique au sein d'une ex-république soviétique, ne cherchant pas à faire dans la nuance. Loin de vouloir être une immersion satirique dans les coulisses d'une ambassade, elle renvoie une image plutôt lisse et consensuelle, sans surprise, de son milieu. Si elle reste dans une zone narrative de confort, elle sait cependant décliner les codes du genre sans les prendre au sérieux, s'en amusant ou même les détournant. Cela donne une dynamique d'ensemble plaisante à suivre, avec, aux côtés du duo principal, quelques rôles secondaires hauts en couleurs. Formellement solide, s'appuyant sur un casting convaincant, cette série est donc sympathique, distillant ses pointes d'humour à petites doses.

Ce sont, pour l'instant, trois épisodes d'une heure qui ont été commandés. Je serai devant mon petit écran pour le dernier diffusé mercredi prochain.


NOTE : 6,75/10


Le générique de la série :

La bande-annonce de la série :

05/11/2011

(UK) Spooks (MI-5), saison 10 : une dernière saison fidèle à la série

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Le 23 octobre 2011 s'est achevée sur BBC1 une des séries qui aura le plus marqué ma sériephilie britannique : Spooks (MI-5). Après dix saisons de loyaux services, de morts brutales et de paranoïa intense, il était assurément temps de conclure. Non seulement la série n'avait plus la flamboyance sobre des débuts, mais ses recettes désormais trop bien connues avaient même fini par la rendre prévisible, un paradoxe pour une fiction qui avait pu s'enorgueillir d'avoir tant de fois donner le vertige à ses téléspectateur.

Comme un symbole parfaitement adéquat pour boucler un cycle, c'est avec la Russie que Spooks aura renoué pour sa dernière saison. Et si tout au long de ces six épisodes, elle se sera efforcée de proposer une redistribution des cartes, où la Russie ne serait plus ennemie, mais bien l'alliée, c'est pourtant sous le signe de la Guerre Froide, et d'un passé parfois douloureux qu'il faut assumer, qu'elle aura été placée.

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Devant cette toile de fond russe, la saison a emprunté un schéma narratif assez proche de celui des précédentes : la construction d'un fil rouge prédominant qui conditionne l'ensemble, auquel se greffent quelques intrigues plus pressantes le temps d'un épisode. La série aura été globalement efficace dans ces deux domaines. Du côté de ces storylines indépendantes, elle aura proposé des intrigues toujours prenantes, globalement solides, dont le principal bémol fut un certain syndrome de déjà-vu. En effet, le parti pris dit "réaliste" ou du moins pessimiste qui fait la marque de fabrique de Spooks donne souvent au téléspectateur toutes les clés pour connaître la voie vers laquelle chacune de ces histoires s'oriente. Cependant, l'arrière goût teinté d'amertume que laissent certaines des conclusions les plus poignantes - le dénouement à Trafalgar Square par exemple - demeure une signature indélibile qui perpétue l'identité de la série.

Parallèlement, marquée par ce turn-over constant de son personnel, cette saison aura également diversement permis de mettre en valeur les personnages entourant le duo principal que forment Harry et Ruth. Comme une sorte d'hommage - volontaire ou non -, leurs histoires ne vont pas être sans réveiller des souvenirs du passé. La nouvelle chef de la section D, Erin Watts, n'aura pas démérité, sans que les scénaristes puissent explorer avec une réelle subtilité la question du carriérisme et du lien avec sa fille ; cette problématique n'étant pas sans rappeler la saison 3 et l'arrivée du couple Adam et Fiona. De son côté, Dimitri aura aussi eu droit à son épisode, avec un dilemme moral qui apparaît comme le faible écho des thèmes du mensonge et du relationnel centraux dans les premières saisons, notamment avec Tom. Pourtant, assez paradoxalement, ce sont ceux que les scénaristes n'auront pas véritablement cherché à faire briller qui s'en tireront le mieux. Présenté de manière excessivement antipathique, Callum aura été un des personnages qui se sera le plus efficacement détaché du carcan de "déjà vu" pour imposer son style au sein de la section D. Mais logiquement, c'est aussi par ses fins tragiques que cette saison 10 aura marqué. Dans une telle série, n'est-ce pas une sorte de consécration que de connaître cette mort brutale, "spooksienne" pourrait-on dire, qui laisse le téléspectateur sans voix ? Avant même le final, Spooks m'aura, une dernière fois, bluffé et fait frémir devant mon petit écran, avec la mort soudaine de Tariq.

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Cependant, c'est l'exploration d'un autre personnage qui aura été au coeur de la saison : celle de Harry. La résurgence de lourds secrets de la Guerre Froide offre un nouvel éclairage sur cette figure de l'espion aux facettes multiples, qui est devenue au fil de la série l'âme de Spooks. Cette fois-ci, ce n'est pas aux secrets ou à la raison d'Etat que touche l'histoire, mais bien à l'intime du personnage. Plus que les sacrifices et la culpabilité inhérente qui y est rattachée, je dois avouer que c'est la résolution offerte par le dernier épisode, riche en révélations, qui permet à cette storyline d'acquérir sa vraie dimension. Abandonnant ses accents faussement soap pour révéler un jeu de manipulation insoupçonné, la chute finale est, en dépit d'une mise en scène un peu artificielle, celle qui a posteriori apporte une nouvelle perspective autrement plus intrigante à l'ensemble de la saison. C'est dans un pur parfum Spooks-ien que la série se referme donc, avec un ultime retournement digne de ses grandes heures.

Ce ressenti est d'autant plus fort que tout en concluant le fil rouge, ce dernier épisode nous offre également son lot de drame qui prend au dépourvu, paraissant à la fois évitable et presque logique. Je l'ai dit pour Tariq, et je le redis pour Ruth, mais il est des sorties qui, dans Spooks, sont presque inhérentes à l'esprit de la série. Tout au long de la saison, les scénaristes auront éclairé ce lien, particulier, qui existe entre Ruth et Harry. Entre jeux d'espion et échanges tout en retenue, absorbés par leur job, ils seront restés là l'un pour l'autre jusqu'au bout. Si la fidélité de Ruth à Harry, en dépit de son nouveau travail loin de la section D, lui aura été fatale, elle correspond pleinement au personnage. Le rêve d'une vie ensemble, à la campagne, loin de ces préoccupations géopolitiques, était inaccessible. Si inconsciemment, le téléspectateur pouvait espérer que cette porte de sortie ne se referme pas, alors que chacun semblait désormais prêt à l'emprunter, la relation de Ruth et de Harry était trop intimement liée à ce qu'ils sont, à leur travail, pour envisager cette utopie.

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Après quinze jours, il m'est toujours difficile d'apprécier cette dernière saison avec suffisamment de recul. Spooks aura vécu pleinement ses dix années au cours desquelles je ne regrette pas un seul instant de l'avoir accompagné. Elle a considérablement évolué et muté depuis ses débuts, en 2002, jusqu'à cette conclusion en 2011, suivant, en un sens, le cycle de ses protagonistes principaux. Il y a d'abord eu Tom, le mensonge et les rapports difficiles entre vie privée et vie professionnelle ; Adam, d'une arrivée à la James Bond jusqu'à l'abîme de la dépression ; Ros, son flegme, son humour froid, et cette volonté chevillée au corps ; enfin, Lucas et cette douloureuse réadaptation au quotidien après tant d'années dans les geôles russes. A posteriori, à mes yeux nostalgiques, Tom Quinn restera sans aucun doute celui qui personnifiera toujours cette série (son apparition cameo à la fin du dernier épisode étant à ce titre parfaite), et cela autant pour son interprète, que pour l'état d'esprit qui marqua ces premières saisons. Mais une des forces de Spooks aura été de savoir toujours nous impliquer au côté de personnages qu'elle n'aura jamais ménagés. 

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Bilan : C'est avec beaucoup de soulagement que je peux écrire que Spooks aura été fidèle à elle-même jusqu'au bout. C'est par un épisode de haute volée, concluant avec une justesse presque inattendue, la saison comme la série, qu'elle a tiré sa révérence. Il a offert tout ce que l'on pouvait légitimement attendre. Un ultime retournement de situation, avec une manipulation d'une ampleur insoupçonnée qui éclaire sous un nouveau jour tant de choses. Un drame dans la lignée de l'esprit de la série. Et, surtout des dernières minutes parfaites. Un au revoir d'une sobriété bienvenue qui représente parfaitement la série, tandis que s'égrène sous les yeux de Harry et du téléspectateur tous ces noms d'agents trop tôt disparus. Le quotidien de la section D se poursuit malgré tout, inébranlable...

Au terme de cette dernière review, j'ai juste envie de remercier Spooks, pour ce thriller prenant qu'elle nous aura proposé, pour toutes ces émotions si intenses qu'elle nous aura fait vivre. Chapeau donc pour l'ensemble de son oeuvre, elle restera pour moi, et pour longtemps je pense, l'incarnation de la série moderne d'espionnage !


NOTE : 7/10


La bande-annonce de la saison :

18/09/2011

(UK) Spooks (MI-5), saison 10 : this is the end

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C'est durant le mois d'août dernier que la nouvelle est tombée : Kudos, la société de production de Spooks, annonçait que cette saison 10 serait la dernière de la série. On le pressentait : la saison 9 avait paru ne plus savoir se réinventer, arrivant au bout de l'inspiration des scénaristes ; mais il faut cependant noter que ce n'est donc pas la chaîne de diffusion (BBC1) qui aura pris la décision finale.

Ce soir, en Angleterre, débute donc à 21 heures le dernier acte, en six épisodes, d'une oeuvre qui aura marqué le petit écran anglais au cours de la décennie qui s'est écoulée. Une programmation, un dimanche soir sur BBC1, inhabituelle, avec un dernier objectif qui a tous les attributs de la mission impossible : affronter le retour pour une saison 2 du grand succès critique et public d'ITV, Downton Abbey. Mais qu'importe au fond, le jeu des audiences pour une conclusion qui devrait s'intéresser plus particulièrement au seul protagoniste qui demeure du casting d'origine : Harry Pearce, celui qui s'est peu à peu affirmé comme la véritable âme de la série. Je n'ai pas de désirs particuliers sur la manière dont la série doit finir. Qu'il s'agisse des secrets du personnage, ou de sa relation avec Ruth, tout ce que je souhaite c'est, une dernière fois, faire confiance aux scénaristes pour offrir une conclusion à la hauteur de la série.

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Avec la fin de Spooks, c'est un chapitre de la télévision anglaise des années 2000 qui se referme : celui qui a bénéficié du dynamisme inité par Kudos (une boîte de production qui nous aura offert ensuite Hustle, Life on Mars & Ashes to Ashes, ou encore cet été The Hour). Mais si, à l'aube de cette saison 10, il ne reste, dans la série d'aujourd'hui, que des vestiges de la qualité passée et des recettes anciennes de Spooks, les scénaristes ayant exploité toutes les ficelles narratives envisageables du concept de départ, c'est pourtant le coeur très serré que je m'apprête à quitter cet univers. Car, c'est aussi à titre personnel qu'une page se tourne.

En Angleterre, elles sont trois fictions à avoir façonné les bases de ma sériephilie, mais Spooks est la seule avec laquelle j'ai pu développer un réel lien de fidélité à travers les ans (les deux autres sont des mini-séries, Warriors et State of Play). Elle restera la première série anglaise que j'ai suivi en direct de sa diffusion. Et si je ne l'ai pas débutée en 2002, mais seulement quelques années plus tard, elle s'est rapidement imposée comme le repère incontournable de mon automne sériephile. Pour preuve, elle est à ce jour la plus ancienne série en production que je regarde, toutes nationalités confondues : un point fixe dans mes programmes.

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Si elle est si importante à mes yeux, c'est que Spooks a été une de mes clés d'entrée les plus prolifiques dans le petit écran britannique, un véritable fil d'Ariane grâce à laquelle j'ai exploré, au gré des filmographies, cette télévision d'outre-Manche à la fois si proche, mais pourtant si peu familière par rapport aux Etats-Unis. Spooks a sans doute contribué plus que toute autre fiction à ma connaissance des acteurs de la télévision anglaise, que ce soit grâce à son défilé de guest-stars ou par ses changements incessants de casting principal. C'est d'autant plus vrai que, assez paradoxalement pour une série qui n'a jamais été tendre avec ses personnages, elle est une de ces rares fictions vraiment capables de faire aimer du public ses acteurs.

C'est sans doute pour cela que Spooks reste dans ma mémoire rattachée à son casting. Initialement, il y a d'abord eu Matthew Macfadyen, le seul que je connaissais au préalable grâce à Warriors - et qui, soyons franc, avait été ma première raison de découvrir Spooks (outre mon amour démesuré pour les jeux d'espions) : le personnage de Tom Quinn aura définitivement scellé mon affection pour cet acteur, et il restera celui qui m'a le plus marqué. Mais j'ai aussi rencontré, les découvrant ou redécouvrant, toute une galerie d'acteurs dont je suis tombée sous le charme et dont je suis désormais d'un oeil attentif la filmographie : Keeley Hawes, une Zoey à la fraîcheur communicative, ou Rupert Penry-Jones dont le personnage d'Adam Carter aura connu tant d'évolutions, des premières missions à la James Bond jusqu'à la dépression... Et que dire du flegme de Peter Firth ou de la froide détermination de Hermione Norris... J'ai même apprécié Richard Armitage (si on omet la saison 9 dont il n'est pas responsable), en dépit de mes mauvais souvenirs de Robin Hood.

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Spooks demeurera également gravée dans mes souvenirs sériephiles pour toutes ses émotions fortes qu'elle m'aura fait vivre, pour ces ressentis intenses devant une fiction qui avait érigé en règle le fait qu'aucun de ses protagonistes, même les principaux, ne soient à l'abri. Rarement une oeuvre aura tant éprouvé ses personnages, refusant obstinément tout acquis. Rarement aussi aura-t-on démontré une faculté à se réinventer et à poursuivre de l'avant. Combien de séries peuvent se vanter d'avoir autant choqué, autant fait pleurer son public, face à des morts tellement marquantes. Le premier traumatisme, celui de la friteuse, hantera encore longtemps mon esprit, tandis que d'autres scènes auront véritablement déchiré mon coeur : comment oublier l'exécution de Danny, de Ben... ou encore ce dernier regard, tellement bouleversant, tellement parlant, échangé entre Jo et Ros ?

Reflet de son époque (2002 - 2011), Spooks est aussi une série d'espionnage qui, il faut le rappeler, est née après le 11 septembre. Elle a ainsi mêlé et vu se succéder toutes les dynamiques de ce genre : introduisant les problématiques les plus modernes, mais remontant aussi aux plus anciennes traditions héritées de la Guerre Froide, avec lesquelles elle va semble-t-il renouer cette saison. Elle a offert un cocktail efficace qui, sans conserver la sobriété des débuts, aura su satisfaire un public amateur de ce type de fiction. Comme dans toute relation téléphagique, il y aura eu des hauts et des bas : elle a eu de grands moments, elle a aussi fait subir d'importants ratés. Mais alors que nous sommes au début de la fin, espérons seulement qu'elle saura se conclure d'une manière réussie qu'elle mérite tant.

Un pan de l'histoire télévisuelle anglaise des années 2000 se referme ; un pan fondateur de mon histoire personnelle avec les séries britanniques également.

 

La bande-annonce de la saison 10 :

 

Le générique de la saison 9 (avec ce thème musical tellement Spooks) :

02/01/2011

(UK) Upstairs Downstairs : Maîtres et Valets dans l'agitation londonienne de 1936

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La dernière semaine de 2010 (du 26 au 28 décembre) aura permis à BBC1 de proposer son propre period drama se déroulant dans la première moitié du XXe siècle. Remake, ou plutôt suite, d'un classique des années 70, Maîtres et Valets, qui avait fait les beaux jours d'ITV, Upstairs Downstairs allait, en raison de sa programmation, fatalement subir les comparaisons de la grande réussite de l'automne de... ITV, Downton Abbey. On le pressentait d'emblée, le parallèle - pas forcément des plus justifiés tant l'époque et les enjeux diffèrent, mais qui s'impose malgré toute la bonne volonté du téléspectateur - n'a pas tourné en faveur de la BBC. Car oui, qui l'eut cru, mais nul doute que ITV l'a bien emporté sur la BBC en 2010 dans ce créneau très prisé des reconstitutions historiques...

Pour autant, Upstairs Downstairs mérite plus qu'être seulement balayée par le triomphe de celle qui l'a précédée. Proposée en trois épisodes d'une heure chacun, elle a tout d'abord semblé cumuler les handicaps, avec en plus une entrée en matière ratée, flirtant avec une étrange nostalgie de transition peu opportune. Mais, en dépit d'une introduction malaisée, la série va progressivement réussir à dépasser ses tergiversations initiales. Les deux derniers épisodes vont en effet gagner en intensité comme en intérêt. 

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Upstairs Downstairs s'ouvre en 1936 peu avant la mort du roi George V. Sir Hallam Holland, un diplomate, et son épouse, Lady Agnes, s'installent au 165 Eaton Place, la demeure qui fut le cadre de Maîtres et Valets. Le jeune couple, décidé à compter dans le quotidien de la haute société londonienne, a la surprise - pas forcément agréable - de voir arriver quelques jours plus tard, Lady Maud, la mère de Hallam, laquelle souhaite, après plusieurs décennies passées hors d'Angleterre, venir finir d'écrire ses mémoires sur place. La soeur d'Agnès, Persephone, les rejoint également. Venue de la campagne du Pays de Galles pour apprendre les bonnes convenances au sein de l'aristocratie londonienne, elle va en même temps découvrir un autre monde, celui de la politique et des idéologies.

La carrière de diplomate de Hallam dépendant également des connexions sociales sur lesquelles il doit pouvoir compter, Lady Agnes est bien consciente de la nécessité d'avoir à disposition un staff complet. Elle embauche pour cette tâche Rose Buck, qui fera le lien avec l'ancienne série, ayant servi les Bellamy jusqu'en 1930, année où s'était achevée l'histoire de Maîtres et Valets. C'est ainsi un personnel très divers, mais finalement aussi relativement restreint ce qui permet une certaine solidarité, qui va finalement être assemblé, même s'il connaîtra quelques aléas au fil des évènements de la série.

Pour nous plonger dans la vie londonienne de 1936, Upstairs Downstairs va mêler la grande Histoire aux histoires personnelles de ses protagonistes. Tandis qu'en toile de fond, l'Allemagne Hitlérienne inquiète des diplomates qui hésitent sur la position à adopter, sur le sol anglais, la série s'arrête sur la politique intérieure, avec la tentation fasciste que représente Oswald Mosley et la British Union of Fascists. Parallèlement, la famille royale entretient aussi toutes les conversations. Si Edouard VIII a succédé à son père, George V, sa liaison avec une américaine, Mrs Simpson, posent question : le choix entre le trône et une femme se profile à l'horizon.

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Après la démonstration proposée par Downton Abbey au cours de l'automne, Upstairs Downstairs était forcément attendu au tournant. Peu importe que le contexte, les lieux ou l'approche des scénaristes soient différents ; peu importe que les deux séries ne s'inscrivent pas dans la même optique et ne partagent pas les mêmes ambitions, notamment au niveau de l'esthétique... Car demeurent quelques fondements clés : le cadre de la haute aristocratie britannique, dans une maison où l'on suit la vie des maîtres des lieux comme des serviteurs. Les parallèles se font naturellement dans notre esprit, souvent même en dépit des efforts du téléspectateur pour essayer de découvrir avec un regard neutre Upstairs Downstairs. On est ici loin du château plein de vie de Downton Abbey. En découvrant le staff, on songe, malgré nous, qu'il est finalement bien peu fourni. Là où la série d'ITV créait une sorte de communauté, Upstairs Downstairs pose un environnement plus proche du téléspectateur et qui se rapproche parfois d'une sorte de huis clos à taille humaine.

Pourtant, ce n'est pas l'ombre de Downton Abbey qui va poser le premier problème que rencontre Upstairs Downstairs. Certes, durant le premier épisode, le téléspectateur se laisse aller à égréner dans son esprit, toutes ces différences que son esprit fait par pur réflexe - la plupart n'étant pas favorables a priori à la fiction de la BBC. Mais s'il prend le temps de réaliser cet exercice de comparaison, au-delà du calendrier de diffusion, la faute en revient en grande partie aux propres scénaristes de la série. Car Upstairs Downstairs débute de manière excessivement poussive, par une longue et lente installation qui fait office d'introduction, occupant les trois premiers quarts d'heure, et au cours de laquelle elle essaye de façon assez maladroite de toucher la fibre nostalgique du téléspectateur. Si j'admets sans difficulté que Maîtres et Valets constitue une institution télévisuelle, elle date quand même de trois décennies. Plus que capitaliser sur un nom mythique, l'objectif principal aurait clairement dû être de conquérir et de toucher un nouveau public, non familier avec cet univers. Or, ce nouveau public ne va pas s'émerveiller sur les longs plans montrant Rose Burke redécouvrant cette maison dans laquelle elle a servi. Cette lente mise en place des personnages et des enjeux donnent l'impression de sacrifier la première heure de narration, qui échoue donc dans le but inhérent à tout pilote : celui de captiver l'attention du téléspectateur. Les dernières minutes et la réception gâchée par l'invitation non intentionnelle du dignitaire nazie offriront les premières petites étincelles qui laissent entrevoir le potentiel dont dispose à l'évidence le récit de la vie de cette maisonnée. La suite va plutôt donner raison au téléspectateur qui aura été patient, sans pour autant pleinement satisfaire.

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Si Upstairs Downstairs ne se départit jamais totalement de cette impression que ces trois épisodes ne constituent qu'une forme de mise en bouche, une introduction qui cherche le bon équilibre tout en promettant une suite plus aboutie, les deux heures suivantes vont se révéler beaucoup plus denses et intenses dans les histoires qui s'esquissent. Certes, les rapports entre les différents protagonistes restent relativement prévisibles, les personnages mettent un peu de temps à s'affirmer individuellement et à acquérir une dimension humaine, cependant le côté très choral de la série va être celui qui va fonctionner le premier. Paradoxalement, avant même de s'attacher aux protagonistes, c'est ainsi le cadre et l'univers mis en scène qui retiennent notre attention. Upstairs Downstairs a la chance de se dérouler en 1936 et donc de disposer en toile de fond d'une situation géopolitique, mais aussi intérieure, très trouble, qui ne va pas épargner la maisonnée.

C'est donc par les éléments qui détonnent au sein de ce milieu policé que la série s'affirme tout d'abord, que ce soit à travers le destin personnel de certains personnages, comme la servante juive allemande, ou l'implication politique d'autres membres de la maisonnée, telle la jeune Perséphone ou bien le chauffeur (dans une relation n'étant évidemment pas sans évoquer au téléspectateur celle de Sybil et de son chauffeur ; le fascisme ayant remplacé le socialisme). Si la narration manque trop souvent de subtilité dans sa façon de romancer l'Histoire afin de permettre la rencontre des petites et de la grande, la maîtrise du rythme de l'écriture étant aussi très perfectible, j'avoue avoir vraiment apprécié cet effort d'immersion dans le contexte particulier de l'Angleterre de la fin des années 30. Que ce soit la question du nazisme (la reconstitution de la Bataille de Cabble Street est assez impressionante) ou l'abdication d'Edouard VIII, Upstairs Downstairs s'efforce, avec plus ou moins d'habileté, de nous montrer les réactions diverses des Anglais de l'époque, à travers toute la diversité d'opinions et de milieux représentés dans cette demeure du 165 Eaton Place.

Au final, c'est donc par sa volonté de retransrire la société de son temps et de s'inscrire dans ses enjeux qu'Upstairs Downstairs capte en premier lieu l'intérêt du téléspectateur. Le temps aidant, les personnages s'humanisent progressivement, permettant, au cours du troisième épisode, de trouver peu à peu un semblant d'équilibre satisfaisant dans la maisonnée. L'atmosphère apparaît plus intimiste que dans Downton Abbey. Il y a une solidarité forte qui se crée finalement entre tous les habitants, qui confère une proximité absente de la série de ITV. Je pense donc qu'il y a bien la place pour Upstairs Downstairs dans les programmes britanniques de l'an prochain, à condition de poursuivre sur les bases auxquelles parvient enfin la fin du dernier épisode et en soignant l'homogénéité globale d'un récit trop éclaté.

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Sur la forme, Upstairs Downstairs fait preuve d'une grande sobriété. Le clinquant de certains décors reste étonnamment tempéré par une mise en scène toute en retenue, qui s'inscrit dans cette ambition un peu vaine de poursuivre l'oeuvre de Maîtres et Valets et d'en appeler donc à une forme de nostalgie. La réalisation, comme la musique en arrière-plan, marquent donc par leur relative neutralité d'ensemble. Le visuel n'a rien de l'esthétique aboutie et fascinante de Downton Abbey ; ce qui lui permet au moins de clairement s'en différencier sur ce plan.

Pour mettre en scène ce récit pas toujours très homogène, le casting se révèle solide, même si certains vont rester un peu en retrait. C'est une conséquence de la difficulté que connaît la série pour bien s'installer et donner vie et, surtout, une personnalité propre et définie à chacun de ses personnages. Le couple Holland est très bien interprété par Ed Stoppard (Any human heart) et Keeley Hawes (Spooks, Ashes to Ashes). A leurs côtés, Claire Foy (Little Dorrit, Going Postal) n'a pas un personnage facile, mais elle est, comme toujours, lumineuse dans certaines scènes. Signe de l'héritage qu'elle revendique, on retrouve également au casting les deux actrices qui eurent l'idée du concept à l'origine de Maîtres et Valets au début des années 70 : Eileen Atkins (La taupe, Psychoville) incarne Lady Maud, tandis que Jean Marsh (Doctor Who) retrouve (assez paradoxalement puisque 6 ans se sont "fictivement" écoulés, mais 30 ans dans la réalité) son personnage d'origine, Rose Buck. Parmi les autres membres du staff, on retrouve d'autres habitués du petit écran britannique, comme Anne Reid (Bleak House, Five Days), Nico Mirallegro (Hollyoaks), Neil Jackson (Flashforward, Make it or break it), Adrian Scarborough (Cranford, Psychoville, Gavin & Stacey) ou encore Art Malik (Holby City, The Nativity). Enfin, en ce qui concerne les acteurs plus secondaires, en dehors de la maison, je citerais la présence de Blake Ritson (Emma) que j'ai retrouvé avec beaucoup de plaisir, en frère inquiet du futur roi abdicateur et ami proche du maître de maison.

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Bilan : Ne se départissant jamais de cette impression qu'il s'agit seulement d'une introduction à une série à venir, les trois heures d'Upstairs Downstairs vont permettre à la série de progressivement s'affirmer, gagnant en densité narrative et en intensité émotionnelle. Mais si elle exploite à propos le contexte particulier de cette année 1936, elle peine à trouver ce liant nécessaire entre les différentes storylines qui aurait permis un récit homogène. Si Upstairs Downstairs propose donc des histoires trop éclatées et relativement prévisibles, elle laisse cependant entrevoir un réel potentiel qui peu à peu, trop lentement, semble se construire.

Sans occulter ces défauts, j'avoue avoir pris du plaisir à regarder les deux dernières heures, après m'être un peu ennuyée devant la première. J'ai donc envie d'espérer que la série puisse aller crescendo et nous proposer une suite plus aboutie.

 
NOTE : 7/10


La bande-annonce :