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30/08/2013

(Mini-série UK) The Mill : ces enfants-ouvriers du XIXe siècle

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Cet été, Channel 4 avait décidé de ne pas offrir à ses téléspectateurs l'évasion et la légèreté promises pour la période estivale. Au contraire, la chaîne anglaise a proposé une trilogie de mini-séries, aux thèmes très différents, mais qui partageaient toutes une même noirceur. La première de ces fictions, Run, a été la moins aboutie, une semi-anthologie s'essayant à la chronique sociale sans trouver l'équilibre et le ton juste recherchés. Les deux autres mini-séries se sont révélées autrement plus marquantes, et méritent l'attention chacune à leur manière. En attendant de revenir prochainement sur Southcliffe, évoquons aujourd'hui celle qui s'est démarquée avec un succès public assez inattendu : The Mill.

Programmée le dimanche soir, en plein été (du 28 juillet au 18 août 2013), dans une case horaire qui n'est pas des plus faciles à négocier pour Channel 4, ce period drama a admirablement tiré son épingle du jeu : après des débuts très solides - 2,8 millions de téléspectateurs, soit rien moins que le meilleur lancement de la chaîne depuis trois ans -, il s'est maintenu jusqu'au final frôlant les 2 millions. Écrite par John Fay (à qui l'on doit notamment quelques épisodes de la saison 3 de Torchwood - et un passage par le soap Coronation Street), cette mini-série en quatre parties avait en plus un sujet dur, puisqu'elle traite des conditions de travail des enfants dans le premier XIXe siècle. Vous connaissez tout mon intérêt pour cette période : j'étais aussi curieuse qu'intriguée de voir un tel sujet porté à l'écran. Une bonne chose puisque The Mill s'est révélée très intéressante à suivre !

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The Mill relate le quotidien d'une manufacture de textile, située dans la campagne anglaise, dans le Cheshire. Elle se déroule en 1833 : les revendications sociales s'expriment alors par l'intermédiaire du Ten Hour Movement qui vise à faire adopter une loi permettant l'amélioration des conditions des ouvriers par la réduction du nombre d'heures travaillées dans la journée. Signe de la recherche d'authenticité manifeste, la mini-série s'inspire directement des archives de la Quarry Bank Mill. [Pour une utile re-contextualisation, je vous conseille l'article qu'a consacré sur le sujet RadioTimes : The real story of the child slaves of the Industrial Revolution, qui nous apprend notamment que les vues du personnage d'Esther sont basées sur les propres impressions de la jeune femme retrouvées dans les archives.]

La manufacture est dirigée par la famille Greg, dont le fils aîné, Robert, a pris la direction. Il est un des plus ardents opposants au Ten Hour Movement, faisant un lobbying incessant auprès du législateur. Mais au sein même de son entreprise, la rigidité paternaliste avec laquelle il gère ses employés va être remise en cause par certains. C'est le cas notamment d'une apprentie, Esther Price : cette adolescente n'entend pas se laisser faire face à divers abus d'autorité dont ses camarades sont victimes. L'arrivée d'un nouvel employé, ayant déjà un historique dans les mouvements ouvriers, va aussi ouvrir la Quarry Bank aux revendications qui traversent le pays.

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Traitant d'un sujet fort, The Mill est un period drama à la reconstitution historique convaincante qui immerge sans difficulté le téléspectateur dans les problématiques de son époque. Il choisit d'aborder la condition des ouvriers anglais dans le cadre de la révolution industrielle, en s'arrêtant tout particulièrement sur la situation des enfants placés dans ces manufactures de textile, qu'ils soient orphelins ou issus de familles n'ayant pas de moyens de subsistance. Ils forment ainsi une main d’œuvre agile et bon marché placée derrière les machines. La mini-série décrit avec précision leur quotidien, fait de journées interminables, de la cloche matinale à la prière du soir, et souligne d'entrée de jeu les dangers qui guettent ces jeunes apprentis. Dressant un portrait sans fard, très brut, elle évoque les difficultés et épreuves qui parsèment leurs journées, et ce sans misérabilisme.

Pointant les limites et, surtout, l'hypocrisie de la gestion paternaliste qui prévaut alors dans le patronat rural, The Mill entreprend de nous relater les premiers soubresauts émancipateurs de ces travailleurs. En filigrane, s'esquisse une démonstration lourde de symboles. Les Greg, propriétaires de manufactures en Angleterre, détiennent également, dans les colonies, une fabrique de coton. Ce n'est pas une main d’œuvre orpheline, mais esclave, qui y est exploitée. Alors que l'esclavage s'apprête à être aboli, The Mill insiste sur les différentes attitudes face aux deux situations mises en parallèles. Plus que le pragmatisme financier des Greg, décidés à instrumentaliser la loi pour servir leurs intérêts, ce sont les prises de position de la matriarche qui marquent. Elles témoignent de son incompréhension : militant en faveur de l'abolition, elle n'a pas conscience de la reproduction en Angleterre de schémas d'exploitation suivant la logique économique et juridique du capitalisme industriel d'alors.

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En raison de son sujet et de l'approche choisie, en voulant mettre en scène les difficiles conditions de vie et de travail passées, The Mill a pu être rapprochée, outre-Manche, des ambitions de The Village, dont la première saison a été diffusée au printemps sur BBC1 (elle se déroulait au début du XXe siècle). Cependant, The Mill se révèle moins pesante et éprouvante que cette dernière. Recherchant toujours le juste équilibre dans sa tonalité, la mini-série ne verse pas dans le mélodrame. Si elle peut être très dure, elle prend aussi soin de se ménager des passages plus légers, avec quelques instantanés chargés d'humanité, de solidarité. Si bien que, tout en conservant une certaine fatalité réaliste, le récit est traversé par une vraie vitalité.

Malgré les injustices et les tragédies qui frappent durement ces jeunes gens exposés à trop d'abus potentiels, l'espoir ne s'éteint jamais complètement. La fiction est ici efficacement menée : jamais figée, l'histoire progresse, et de nouvelles ouvertures finissent toujours par apparaître. The Mill met en scène des personnages souhaitant prendre leur vie en main. Certains veulent croire en un avenir meilleur ; leurs actions parviennent à réaliser des choses, qu'importe si ce n'est parfois qu'anecdotique et éphémère. Le téléspectateur s'attache à ces protagonistes : il prend fait et cause pour les révoltes d'Esther et pour tout ce qui permet de faire évoluer, peu à peu, le rapport de force entre les apprentis et les ouvriers et leur patron. Tout est gris et nuancé dans cette fiction, et la fin confirme cela : satisfaisante sur certains points, frustrante sur d'autres, et révoltante quant au sort d'un jeune en particulier. 

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Sur la forme, The Mill convainc dans son registre de period drama : il s'agit d'une reconstitution historique sérieuse. La réalisation est solide, plongeant le téléspectateur dans des images où la dominante grisâtre trouve tout son sens. En guise de générique, une petite mélodie introductive nous glisse dans la manufacture, avec une sobriété qui correspond au traitement brut et authentique voulu.

Enfin, la mini-série rassemble un casting solide au sein duquel Kerrie Hayes (Good Cop) se démarque particulièrement dans le rôle d'Esther, inébranlable jeune femme qui n'entend pas accepter sa situation et les abus dont elle et ses camarades peuvent être victimes. Autre ouvrier refusant la soumission attendue, Matthew McNulty (Five Days, Lark Rise to Candleford, The Syndicate, Misfits, The Paradise) incarne Daniel Bates qui ouvre notamment la manufacture aux écrits revendicatifs des mouvements dont il est proche. Parmi les employés, on retrouve également Holly Lucas ou encore Connor Dempsey. De l'autre côté des rapports de travail, Robert Greg est interprété par Jamie Draven (Ultimate Force), Donald Sumpter (Our Friends in the North, Being Human, Game of Thrones) jouant son père, et Barbara Marten (Harry, Public Enemies, Kidnap and Ransom), sa mère. Claire Rushbrook (The Fades, Collision, Whitechapel, My Mad Fat Diary) et Kevin McNally incarnent quant à eux le couple en charge des apprentis. Quant à Aidan McArdle (All about George, Jane Eyre, Garrow's Law), il est un des leaders ouvriers du Ten Hour Movement.

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Bilan : Traitant d'un sujet fort - ces enfants apprentis que la révolution industrielle a installée derrière les machines -, The Mill est une fiction dure, mais pas dénuée d'espoir. Elle s'adresse au futur, annonçant et appelant les changements à venir, plus qu'elle ne les réalise (le Factory Act de 1833 comprendra finalement certes des avancées, mais il sera loin d'acter toutes les revendications ouvrières). Dressant un portrait précis et sans fard des relations de travail d'alors, où prédomine un paternalisme patronal amené à être remis en cause, la mini-série sait nous faire partager les aspirations de ses personnages. Doté d'un récit à la progression efficace, c'est donc une œuvre solide.

En résumé, tout en reconnaissant avoir une affinité toute particulière pour les thèmes de cette fiction - tous les publics n'y seront peut-être pas sensibles -, voilà une série que j'ai beaucoup aimée, et que je recommande sans hésitation.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la mini-série :

16/09/2012

(Pilote UK) Good Cop : le basculement d'un policier

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BBC1 avait échappé à mes foudres cet été lorsque j'avais tout simplement renoncé à rédiger un billet sur ce gâchis qu'était Blackout, elle ne va cependant pas éviter deux fois d'affilée mes reproches. Depuis fin août, la chaîne publique anglaise diffuse en effet une nouvelle série policière, Good Cop, que l'on peut rapprocher, dans ses influences, de Luther. Cette série a sur le papier un potentiel indéniable, avec un sujet fort et ambivalent à souhait, modernisant et dépassant le simple procedural cop show.

Le pilote m'avait laissé sur une impression très mitigée. J'avais donc décidé d'attendre la fin (seulement 4 épisodes) avant d'écrire quoique ce soit sur Good Cop, préférant avoir une vue d'ensemble. Au terme du calvaire qu'a été le second épisode, où les défauts entraperçus dans le premier n'ont été que confirmés, voire exacerbés, la série est passée sur ma pile des fictions "en pause/abandon potentiel". Comme il est fort peu probable que je me remotive pour m'installer devant la suite prochainement, c'est donc une critique rédigée après les deux premiers épisodes que je vous propose aujourd'hui.

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Good Cop se déroule à Liverpool. Elle met en scène un officier de police, John Paul Rocksavage ('Sav'), jusqu'alors sans histoires. Mais un jour, alors qu'il répond avec son partenaire et meilleur ami à un appel pour tapage nocturne, les deux policiers tombent dans une véritable embuscade. Sav assiste alors impuissant au déferlement de violence gratuite qui s'abat sur son coéquipier, laissant ce dernier entre la vie et la mort. La situation est d'autant plus difficile pour lui qu'il connaît de vue les hommes responsables de ce traquenard, des délinquants arrogants qui avaient formulé des menaces quelques heures auparavant. Alors que personne n'a encore été arrêté, c'est toujours sous le choc que, quelques heures après, Sav retourne sur les lieux du crime. Il y croise le principal responsable de ce qu'il s'est produit. La décision qu'il va prendre alors va bouleverser toutes ses certitudes, le laissant à s'interroger sur la portée de ses décisions et sur la fragilité de cette ligne qui sépare le bien et le mal.

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Good Cop est une série qui choisit d'aborder un thème de départ aussi difficile qu'ambitieux : elle décrit le basculement d'un policier qui franchit la barrière de la légalité, pour se faire lui-même justice. La force de cette idée tient au fait qu'au départ Sav a tout de l'officier on ne peut plus ordinaire. Mais il se retrouve projeté dans une situation exceptionnellement dure où il perd finalement le contrôle des choix qui s'offrent à lui. Il commet un acte qu'il n'aurait jamais envisagé dans des circonstances normales, et qui va l'obliger à repenser son métier et à redéfinir jusqu'où il peut envisager d'aller. La fiction nous plonge dans une crise existentielle trouble, où tous les efforts du personnage central pour retrouver des repères semblent ne pas pouvoir inverser sa progression sur la pente dangereuse qu'il a embrassée, comme un engrenage irréversible. En arrière-plan, s'esquisse une réflexion morale et éthique qui serait sans doute très intéressante, si la maladresse d'exécution ne réduisait pas ces efforts à néant.

Good Cop avait du potentiel, mais ces deux premiers épisodes refroidissent considérablement les attentes que la série suscitait. Si on excepte quelques fulgurances, l'écriture est plate et médiocre : elle ne réussit pas à donner une consistance et une homogénéité à un récit qui renvoie plutôt l'impression d'un empilement artificiel de scènes et d'évènements professionnels et personnels gravitant autour du thème central. La tension résiduelle qui se perçoit et les quelques scènes supposément "choc" apparaissent vite comme un simple cache-misère illusoire qui ne permet pas de donner le change. La construction de l'histoire elle-même est fragile, reposant sur des raccourcis, des coïncidences et des clichés (ses méchants notamment). Conséquence directe, l'ensemble manque de crédibilité, peinant à impliquer le téléspectateur. Sur ces faiblesses s'ajoute un manque de subtilité chronique dans la narration : Good Cop essaie manifestement de marquer, mais elle en fait trop, si bien que cela produit l'effet inverse, glissant vers la caricature. Tout sonne très (trop?) forcé.

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Sur la forme, Good Cop bénéficie d'une réalisation correcte, avec une photographie sombre appropriée quand il convient de correspondre à la tonalité des scènes les plus noires. Elle cède à un certain nombre de clichés du genre qui semblent devenus inévitables, à commencer par les scènes pluvieuses et nocturnes pour souligner le basculement qui s'opère dans la vie du personnage principal. Mais l'ensemble, tout en étant prévisible et calibré, reste de solide facture, avec une mention toute particulière pour le générique réussi bien dans le ton de la série.

Enfin, Good Cop rassemble un casting très sympathique. J'aime bien Warren Brown (à la filmographie duquel on retrouve justement Luther, mais aussi le thriller le mieux réussi par BBC1 en 2012, Inside Men). Il est solide et efficace, et a ici un rôle dans lequel il trouve pleinement à s'exprimer. Mais il ne peut pas compenser toutes les faiblesses de l'écriture... A ses côtés, on retrouve Michael Angelis, qui interprète son père, Don Gayle (Prisoners Wives), Kevin Harley, Kerry Hayes (Lilies), Philip Hill-Pearson (Shameless), Aisling Loftus (Public Enemies), Johann Myers (State of Play), Mark Womack (The Runaway). A noter dans le premier épisode, les présences de Stephen Graham (actuellement dans Parade's End) et de Tom Hopper (Merlin).

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Bilan : Partant d'un concept au potentiel intéressant, Good Cop est une série mal dégrossie, dont la volonté de marquer se heurte à ses maladresses d'exécution. Peinant à convaincre et à conférer une crédibilité à ses enjeux, elle donne l'impression de transposer sans recul, ni réelle réappropriation, le cahier des charges posé au préalable. Le manque de subtilité de l'écriture lui fait alterner l'artificiel et le caricatural, noyant les quelques scènes réussies. Finalement, c'est un visionnage très frustrant qui est proposé. 

Si vous avez aimé Luther et que vous n'avez rien d'autre dans vos programmes, vous ne perdez rien à la tester. Mais voici une fiction qui malheureusement ne semble pas en mesure d'exploiter ses (intéressantes) idées.


NOTE : 5,5/10


La bande-annonce de la série :