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09/09/2013

(Mini-série UK) Southcliffe : récit brut et intense autour d'un massacre

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Certaines fictions se démarquent par leur concept et la force de leur thème. C'était le cas, cet été, de Southcliffe. Cette mini-série explore une tragédie, mettant en scène une fusillade mortelle et ses conséquences sur une petite ville anglaise. Elle partage donc des ambitions assez proches avec la série estonienne Klass : Elu Pärast, qui traitait d'un massacre commis dans un lycée, évoquant l'après en abordant le choc, le deuil, mais aussi le travail de reconstruction à mener. Klass : Elu Pärast (qui faisait suite à un film abordant la fusillade en elle-même et ses origines) s'est imposée comme une oeuvre marquante par la sobriété, la retenue et la nuance de son récit, exigences qui sont inhérentes à un tel sujet. En ayant en tête cette précédente réussite, il était donc intéressant de se tourner vers Southcliffe.

Écrite par Tony Grisoni (qui s'est notamment illustré en adaptant Red Riding pour Channel 4 en 2009), Southcliffe s'appuie également, pour sa réalisation, sur l'américain Sean Durkin (Martha Marcy May Marlene). Si Channel 4 l'a diffusée, du 4 au 18 août 2013, suivant un format de mini-série comptant 4 épisodes de 45 minutes environ, il faut savoir qu'elle a aussi été projetée cet été au Festival International du Film de Toronto sous la forme d'un long métrage de 3h10. Ma critique est basée uniquement sur le découpage à destination de la télévision, telle que la mini-série a été proposée en Angleterre. Outre l'équipe rassemblée derrière la caméra et la force du sujet choisi, le casting n'était pas non plus étranger à mon impatience de la découvrir. Cette fiction a-t-elle tenue ses promesses ?

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Le 2 novembre 2011 est le jour où tout bascule pour les habitants de Southcliffe, une petite ville fictive perdue dans la campagne anglaise. Tôt dans la matinée, des coups de feu retentissent et troublent le calme ambiant. Le tireur est quelqu'un que tout le monde connaît, au moins de vue : Stephen Morton, un local, homme à tout faire. Il va abattre à bout portant sa mère, des connaissances, mais aussi tous ceux qui vont avoir le malheur de croiser sa route meurtrière ce matin-là. Bientôt encerclé par les autorités, il finit par se donner la mort, laissant la douleur et l'incompréhension s'abattre sur Southcliffe.

Tout en s'intéressant aux habitants touchés par les évènements, évoquant l'avant et l'après de la tragédie, la mini-série intègre aussi un point de vue semi-extérieur, par l'intermédiaire d'un journaliste ayant grandi dans cette ville. Correspondant pour la télévision, David Whitehead revient cependant avec réticence sur les lieux de son enfance, il est loin de garder un bon souvenir de cette ville.

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Southcliffe opte pour une construction particulière, entremêlant les timelines entre flashforward d'ouverture, flashbacks et une ligne temporelle principale dans le présent qui reste son fil rouge. Initialement, cela semble quelque peu brouillon, mais à mesure que l'on progresse dans le récit, cette narration acquiert un sens, dévoilant une structure où les scènes se font écho : passé et présent se confrontent et se complètent, offrant les différents versants d'une même histoire. Southcliffe n'est pas une fiction policière, il ne s'agit pas d'y résoudre un crime, ni même d'apporter des réponses pour les proches des victimes. C'est un drame humain morcelé. Capturant des tranches de vie, la mini-série s'intéresse avant tout aux réactions des personnages mis en scène, qu'il s'agisse du meurtrier ou des proches de ses victimes. Autour et à partir de l'évènement catalyseur qu'est la fusillade, elle construit un récit éclaté voulant explorer toutes les ramifications de la tragédie, aussi bien en amont qu'après le drame. 

Cette ambition explique la chronologie suivie par Southcliffe. Le premier épisode s'intéresse ainsi aux origines immédiates du drame. Le ton de la mini-série est donné : abrupte et abrasive, elle décline sans fard les nuances et les ombres des relations humaines dans ce vase-clos de campagne anglaise. La caméra se fait le témoin extérieur de l'enchaînement d'évènements qui conduit à l'excès de folie meurtrière de Stephen Morton. La mini-série adopte une approche neutre : elle se contente de plonger le téléspectateur dans une noirceur ambiante générale. Les deux épisodes suivants mettent, eux, l'accent sur le brusque bouleversement du quotidien représenté par la perte d'êtres chers. Ils soulignent le déchirement qui intervient lorsqu'une présence tenue pour acquise vient soudain à manquer. Le choc, la douleur, le traumatisme sont ainsi mis en exergue. Enfin, le dernier épisode revient sur les lieux un an après : les déchirures sont toujours là, mais le travail de deuil, d'acceptation des évènements pour chacun, se poursuit malgré tout, imperturbable.

Pour offrir un récit dense, Southcliffe multiplie volontairement les points de vue, nous introduisant dans le quotidien de plusieurs familles, au risque de parfois paraître manquer de direction. C'est lorsqu'elle bascule véritablement dans le registre émotionnel qu'elle acquiert toute sa force. Quand la tragédie frappe, la caméra se glisse dans les moments les plus intimes de ses personnages. Elle n'a alors pas son pareil pour y capturer une douleur intense, à l'état le plus brut qui soit. Ce sont des effondrements, de l'incompréhension, de la colère, des questionnements qui se succèdent à l'écran. Dans sa deuxième partie, la mini-série délivre des scènes très marquantes. Il est d'ailleurs opportun d'avoir choisi de faire intervenir un observateur pas si extérieur pour compléter ce kaléidoscope de réactions. La vision de ce journaliste est affectée par son propre passif avec la ville et ses habitants. Il en résulte des explosions de colère, une prise à partie qui montre aussi combien il est difficile de rationaliser une telle tragédie.

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Sur la forme, Southcliffe est une oeuvre visuellement travaillée. La réalisation joue d'ailleurs un rôle important : la recherche d'authenticité, cette volonté de capturer de façon neutre une suite d'instantanés, est perceptible jusqu'aux passages où c'est caméra à l'épaule que l'on suit un protagoniste. L'alternance entre les larges plans d'ambiance qui posent la ville où se déroulent les évènements et des plans nerveux au plus près des personnages est très bien négociée. A saluer aussi une bande-son empruntant aux sources de musique (baladeur, concert) qui se révèle habilement gérée, d'autant que la mini-série démontre aussi sa capacité d'utiliser les silences. C'est donc formellement une fiction soignée.

Enfin, si Southcliffe s'offre de belles fulgurances et des passages extrêmement forts, la performance d'ensemble de son casting n'y est pas étrangère. Les acteurs sont au diapason de la tonalité particulière choisie par le récit. Plusieurs ont l'occasion de briller. Rory Kinnear (Black Mirror, The Hollow Crown, The Mystery of Edwin Drood) incarne le journaliste David Whitehead. Ses rancoeurs et son expérience passées à Southcliffe le placent en porte-à-faux des compte-rendus convenus attendus, troublant l'exercice médiatique collectif de compassion et provoquant plusieurs explosions chez son personnage - au cours d'un direct ou encore dans un bar - au cours desquelles l'acteur est magistral. De plus, qu'ils soient parents ou proches des victimes, ces survivants que sont Eddie Marsan (Criminal Justice, Ray Donovan), Anatol Yusef (Boardwalk Empire) ou encore Shirley Henderson (The Crimson Petal and the White) laissent également sans voix dans certaines de leurs scènes où ils exposent leur douleur à l'état le plus brut. Quant au tueur, il est interprété par un Sean Harris (The Borgias) sobre et tout en retenue qui trouve le ton juste. On croise aussi devant la caméra Joe Dempsie (Skins, Game of Thrones), Al Weaver (Secret State), Amanda Drew (Life of Crime), Geoff Bell (Top Boy) ou encore Kaya Scodelario (Skins).

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Bilan : Drame psychologique adoptant une construction éclatée, Southcliffe est une oeuvre intense entièrement dédiée aux personnages sur lesquels elle prend le temps de s'arrêter pour explorer toutes les ramifications de la fusillade. Parfois trop dispersée dans sa narration, cette fiction prend cependant tout son sens par l'émotion qu'elle est capable de capturer dans ses passages les plus forts. La caméra y joue le rôle de témoin neutre, proposant des images brutes. Si son approche peut dérouter au début (notamment dans le premier épisode), il faut admettre que Southcliffe n'est pas en quête de réponse sur la tragédie mise en scène : elle est simplement le récit de destinées fauchées ou ébranlées. La fin est à l'image de ce parti pris, sans véritable conclusion, chacun continuant le fil de sa vie.

En résumé, sans être exempte de reproches, Southcliffe est un essai intéressant sur un thème difficile et fort. Tous les publics ne s'y retrouveront pas, mais l'expérience mérite d'être tentée.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la mini-série :