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26/05/2012

(FR) Ardéchois coeur fidèle : vengeance, amitié et condition ouvrière sous la Restauration

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Essayer tant bien que mal de se tenir à jour des dernières nouveautés dans le monde des séries est un défi insurmontable. Le plus tôt le sériephile l'admet, le mieux il se porte. Trop de choses intéressantes et autres curiosités pour suivre le rythme. Il faut se faire une raison : impossible de tout voir. Mais on tâchera tant bien que mal de sélectionner l'essentiel d'une saison en fonction de nos affinités. Sauf que le petit écran a beau se renouveler constamment, cela n'est pas non plus une raison pour oublier les oeuvres passées. Et puis, ce n'est pas ma faute si je suis née plusieurs décennies après la naissance du petit écran et des séries ! Ces six derniers mois, j'ai fait de belles découvertes en m'aventurant dans les 60s' aux Etats-Unis avec Rawhide et dans les 70s' en Angleterre avec The Sandbaggers. Mais je n'étais encore jamais remontée dans l'histoire télévisuelle française.

Et puis, l'autre jour, j'ai eu envie d'expérimenter (parce que ce blog n'est qu'un vaste compte-rendu d'expériences téléphagiques plus ou moins téméraires). Armée de mon dictionnaire sur les séries (enrichi depuis par des contacts twitter) et d'une carte bleue, j'ai donc fait quelques emplettes DVD. Et c'est comme cela que je vous propose aujourd'hui de débuter ce qu'on appellera un "cycle ORTF" (à voir si on ira au-delà ou pas). J'évoquerai aussi d'autres genres, mais il me semblait logique de commencer par de l'historique. Pas seulement parce que je suis une grande amatrice, mais aussi parce que j'ai toujours entendu parler en grandissant d'un supposé "âge d'or de la fiction française historique" ; et jusqu'à présent, hormis les Rois maudits, je n'avais vraiment eu l'occasion de tester...

Mon choix s'est porté sur Ardéchois coeur fidèle (non cela n'a rien à voir avec mes racines ardéchoises). Cette série compte 6 épisodes, de 55 minutes environ (notez que, sur le DVD, les épisodes ne sont pas découpés). Au scénario, on retrouve Jean Cosmos et Jean Chatenay. Elle a été diffusée sur la deuxième chaîne de l'ORTF du 21 novembre au 19 décembre 1974, où elle a rencontré un franc succès d'audience (favorisé par les grèves qui touchaient alors l'ORTF). En ce qui me concerne, j'ai apprécié cette immersion dans la première moitié du XIXe siècle : elle est non seulement une série d'aventure humaine et historique, mêlant de grands thèmes de vengeance et d'amitié, elle s'impose aussi un portrait social d'une grande richesse.

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Ardéchois coeur fidèle se déroule dans les années 1820 sous la Restauration. Toussaint Rouveyre rentre chez lui, en Ardèche, après presque une décennie passée au loin, qui l'a entraîné jusqu'au Canada. Ancien capitaine des armées de Napoléon, il était en effet à Waterloo lors de l'ultime défaite de l'Empereur. Il retrouve une famille aux penchants républicains notoires qui a souffert sous la Terreur blanche, la réaction royaliste qui a accompagné l'instauration du nouveau régime. Toussaint ne sait comment reprendre le fil de sa vie. Il songe à repartir de l'autre côté de l'Atlantique. Son oncle l'encourage cependant sur une autre voie : celle du métier de menuisier, exercé dans le cadre d'une association particulière, celle des compagnons.

Toussaint le soldat ne s'imagine pas ouvrier, mais se trouvant rapidement en porte-à-faux avec les autorités policières, il reprend la route pour retrouver son frère qui est en train d'effectuer le tour de France des compagnons. Sans nouvelle de lui depuis trop longtemps, son enquête le conduit à Tournon, sur les lieux d'une rixe entre Compagnons du Devoir et Compagnons du Devoir de Liberté qui a dégénéré. Son frère, qui appartenait à la première, est mort dans la mêlée alors qu'il n'avait même pas 20 ans. Toussaint n'obtient qu'un nom : Tourangeau sans Quartier. Il décide alors d'entrer dans cette société des compagnons du Devoir de Liberté avec pour objectif de découvrir ce qu'il s'est vraiment passé et de tuer le meurtrier de son frère.

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Animée d'un sacré souffle narratif, Ardéchois coeur fidèle débute comme un récit de vengeance classique. Pourtant, la série va rapidement prendre un tournant plus subtil et nuancé pour s'imposer dans un autre registre. C'est avant tout une fiction empreinte d'une profonde humanité qui, détachée de tout manichéisme, va mettre en scène des personnages complexes, riches en paradoxes et en ambivalences. La quête de Toussaint le conduit en effet dans un milieu qui parle à l'ancien soldat : il y retrouve la solidarité et la solidité caractérisant ces liens humains qui ne peuvent naître qu'au sein de communautés unies par des conditions de vie difficiles. Avec leurs principes, mais aussi leurs contradictions et leurs fortes personnalités, tous les personnages se révèlent très attachants. L'écriture laisse pleinement s'exprimer l'intensité des émotions mal apprivoisées de ces ouvriers qui apprennent la vie en même temps qu'un métier. Cela permet de susciter une réelle empathie auprès du téléspectateur. Récit d'amitiés solides se créant sur les routes du tour de France, Ardéchois coeur fidèle traite aussi des rapports de l'individu au collectif, en essayant de tracer les limites d'un certain corporatisme. Marquée par le drame de cette rixe qui a mal tourné, elle éclaire avec beaucoup de justesse les dynamiques chargées d'ambiguïtés inhérentes à ce milieu. 

De plus, la série peut s'appuyer sur une solide reconstitution historique. En toile de fond, elle expose les tensions politiques, et surtout sociales, de la société française de l'époque. Survolant aussi bien les agitations bonapartistes que l'appareil répressif de l'Etat avec sa défiance à l'égard de toutes associations ouvrières, elle fait preuve de beaucoup d'acuité dans le portrait dressé ; le passé de Toussaint et les liens qu'il conserve avec d'anciens fidèles de l'Empereur permettent ici d'enrichir le tableau. Reste que c'est logiquement par sa dimension sociale, par l'immersion dans le milieu du compagnonnage qu'elle retient tout particulièrement l'attention. La série prend une allure très pédagogique quand il s'agit de nous permettre d'apprécier les rites et raisonnements singuliers des membres de la société dans laquelle Toussaint s'introduit. Globalement, ce soin des détails apporte un parfum d'authenticité appréciable. En filigranne, c'est la condition d'une certaine catégorie d'ouvriers dans une France qui n'en est encore qu'aux premiers frémissements de la révolution industrielle qu'Ardéchois coeur fidèle éclaire. 

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Sur la forme, en terme d'images, il faut sans doute ici surtout s'arrêter pour parler de la qualité vidéo du DVD : cette dernière oscille de moyen à médiocre, suivant les scènes et l'éclairage. Cependant, cela n'affecte pas le visionnage, car l'histoire se suit sans problème et n'en est pas moins agréable. Le thème musical récurrent, entraînant, donne assez bien le ton de ce qui reste une aventure historique rythmée.

Enfin, Ardéchois coeur fidèle bénéfice d'un casting très convaincant, porté par un duo magistral sans lequel la série n'aurait sans doute pas eu la même force. Sylvain Joubert a la présence et l'intensité adéquates pour incarner cet ancien officier marqué par la mort de son frère, mais dont l'expérience passée et le recul joueront beaucoup dans son appréciation des évènements. Face à lui, Claude Brosset sait également retranscrire les ambivalences de son personnage : la brute sanguinaire initialement présentée se révèlera bien plus complexe que sa réputation ne pouvait le  laisser entrevoir. A leurs côtés, on retrouve notamment Pierre Guéant, Henri Marteau, Claude Furlan, Julien Verdier, Michel Robin, Alice Reichen, Max Doria, Jean Champion, Alain Doutey ou encore Michel Pilorgé.

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Bilan : Fresque historique riche et rythmée, Ardéchois coeur fidèle est une série qui marque par son éclairage social, mais aussi par son humanité. Bénéficiant de personnages tout en contradictions et en paradoxes qui s'imposent comme autant de de personnalités fortes et ambiguës, cette quête de vengeance dépasse rapidement les limites du genre pour devenir plutôt une histoire d'apprentissage et d'amitiés, dans ce milieu ouvrier particulier où une conscience de classe semble encore seulement en gestation.

C'est donc une série très intéressante à plus d'un titre. Pour les amateurs de fictions historiques et ceux qui apprécient ces vieux feuilletons français.


NOTE : 7,25/10


Le générique :


09/03/2012

(FR) Reporters, saisons 1 & 2 : le journalisme sous toutes ses facettes

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Comme annoncé en début d'année, j'ai donc enfin entamé un grand cycle de découvertes et rattrapages de séries françaises. Je reconnais ne pas avoir le réflexe de m'installer spontanément devant mon petit écran national, mais pour corriger mes préconceptions, il faut sans doute commencer par visionner ce qu'il a pu proposer de convaincant ces dernières années. C'est ainsi qu'aujourd'hui, c'est un petit évènement sur My Télé is Rich!, car c'est la première fois qu'est évoquée une série française contemporaine (comprendre : "non historique").

Reporters fait partie des productions originales de Canal + (sur lesquelles il est grand temps que je me penche). Diffusée de 2007 à 2009, elle comporte deux saisons, une première de 8 épisodes, une seconde de 10. Créée par Olivier Kohn, sa première saison avait remporté le Fipa d'or du meilleur scénario, "séries et feuilletons", en 2007. Je me suis vraiment investie dans cette série qui se sera révélée très intéressante. Et je reconnais d'ailleurs avec le recul que ce fut une mauvaise idée de l'avoir débutée la semaine où commençait la diffusion des Hommes de l'ombre, car la deuxième a quelque peu peiné devant la comparaison. Mais l'important, c'est que voici une série française que je conseille ! 

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Reporters nous plonge dans le quotidien de plusieurs journalistes, nous proposant d'accompagner une galerie de personnages représentatifs de toutes les facettes de ce métier. Du grand reporter d'investigation au présentateur de JT, du journaliste politique habitué des arcanes du pouvoir au chroniqueur de faits divers, du rédacteur en chef d'un grand journal au président d'une chaîne de télévision, la série dresse un portrait complet et riche de cette profession. Toutes ces individualités mises en scène, certaines consensuelles, d'autres beaucoup plus clivantes, vont contribuer à forger autant d'instantanés et de portraits d'une profession très hétéroclyte.

Plus généralement, la série va nous faire vivre de longues enquêtes aux enjeux explosifs, des dilemmes éthiques constants ou encore tous ces arbitrages financiers déterminants normalement passés sous silence. Elle  décrit et met en lumière toutes les influences, potentiellement divergentes, qui sont à l'oeuvre à la source et dans le traitement de l'information. Dans un milieu où l'humain côtoie les faits, les sensibilités et les croisades personnelles jouent, tout autant que les égos et les enjeux de pouvoir... Et le tableau d'ensemble est très prenant.   

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Le premier aspect qui frappe dans Reporters, c'est sans doute l'ambition avec laquelle la série s'approprie son sujet. Elle entreprend de s'intéresser à toutes les facettes du métier de journaliste, et l'expose sous toutes ses coutures. La richesse des thématiques abordées impressionne d'ailleurs d'emblée le téléspectateur : à la différence d'une série comme Pressa qui optait pour une radiographie d'un seul type de journalisme (la presse tabloïd), Reporters évoque la profession dans toute sa diversité, et aussi dans toutes les problématiques qui peuvent s'y rattacher, aussi bien sur le terrain, que sur un plan économique ou encore moral. Si parfois la multiplicité des intrigues peut provoquer quelques flottements dans la cohésion globale de certains épisodes, la plupart du temps, la série parvient à un résultat homogène et consistant. 

Les thèmes évoqués offrent donc une large palette d'angles d'approche : la connivence des hautes sphères industrielles et du pouvoir, la loi de l'audimat, le danger du reportage de guerre, la protection des sources, le combat pour le sauvetage d'un journal et pour préserver l'indépendance de sa ligne éditoriale, les menaces et intimidations, tout semble y être... De manière générale, la série s'intéresse au traitement et à l'économie de l'information, mais aussi au facteur humain qui va irrémédiablement jouer. Elle met en lumière cette schizophrénie constante qui parcourt ce métier, engendrée par tous les conflits d'intérêts provoqués et au sein desquels les journalistes doivent arbitrer. Reporters dépeint ainsi avec détails un milieu qui oscille en permanence entre concurrences et solidarités, entre ambitions personnelles et nécessaires collaborations pragmatiques. Initialement présenté de relativement académique et presque binaire, il faut aussi noter que la vision proposée se nuancera considérablement au fil de la série.

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En complément de cette richesse, Reporters retient également l'attention par le parfum de réalisme que perçoit le téléspectateur dans ses scénarios. Les sources d'inspiration sont en effet proches et clairement identifiables, si bien que les parallèles se font naturellement. Dans la saison 1, on assiste ainsi à la mobilisation de toute une profession suite à la prise d'otages de deux journalistes en Tchétchénie. Certaines situations sont même sourcées : le marasme économique de la presse écrite et les coulisses de ce journal qui lutte pour sa survie en espérant un repreneur qui lui laisse sa liberté, c'est en filigrane Libération qui est évoqué. Mais Reporters va encore plus loin, anticipant et se faisant seulement après rejoindre par la réalité, avec son arc qui constitue le fil rouge de la saison 2 : un attentat commis sur fond d'arrêt de rétrocommissions occultes, sur lequel pèse désormais l'ombre de l'affaire Karachi. Tout cela renforce l'impression d'authenticité de la série, et lui confère une portée supplémentaire.

Pour donner corps à l'ensemble, Reporters mêle habilement le feuilletonnant comportant un grand arc s'étalant sur toute la saison, et des intrigues bouclées sur un seul épisode. La saison 1 contient plus de loners que la seconde, qui voit le feuilletonant se généraliser à toutes les intrigues. Si la série n'échappe pas à quelques inégalités dans la narration, l'ensemble se révèle convaincant. Initialement relativement convenue dans la distribution des rôles au sein des personnages, le récit gagne progressivement en nuance, en ambiguïté et en complexité. La seconde saison sera sur ce plan celle de la maturité, se dégageant de tout manichéisme pour proposer un envers des coulisses du pouvoir que je n'avais jamais vu aussi finement capturé dans une série française que durant le dernier épisode de Reporters. C'est bien simple : la conclusion de la série est un petit bijou, à mettre entre les mains de tout scénariste ambitionnant d'évoquer le pouvoir, et prouvant que, oui, une fiction française peut parvenir à ce niveau de subtilité rare. J'en aurais presque applaudi devant ma télévision, si je n'avais pas eu dans le même temps le coeur tellement serré en sachant que j'assistais à la fin de la série.

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Le dynamisme qui parcourt Reporters se retrouve également dans la mise en scène. Caméra à l'épaule, la réalisation est très nerveuse, parfois même un peu trop ; j'ai mis quelques épisodes à m'y habituer. Cependant, cette approche se justifie par une volonté de proximité qui semble avoir été une constante de l'écriture de cette série : on retrouve une proximité par rapport au terrain, aux situations dépeintes, et plus globalement à toute cette galerie de personnages qui tentent de se faire une place.

Dans cette optique, le dernier attrait de Reporters - et non des moindres - réside dans un casting efficacement dirigé, très homogène, où tous les rôles principaux sont très convaincants. Il faut préciser que, de la première à la seconde saison, le personnage principal autour duquel tourne le fil rouge change : à Jérôme Robart (qui a un rôle moins important dans la deuxième) succèdera Grégori Dérangère. Dans le registre du journaliste prêt à tout, n'hésitant pas à provoquer et à dépasser certaines lignes jaunes, le premier s'en tire admirablement bien (mais vous savez combien j'apprécie cet acteur). Quant à Grégori Dérangère, dans un registre plus classique d'enquêteur qui dépasse le monde policé dans lequel il s'était cantonné, il s'avère également très bon. 

A leurs côtés, il faut saluer Anne Coesens qui, avec sobriété et fermeté, incarne une femme qui sait trouver ses marques dans un milieu ultra-concurrentiel. Patrick Bouchitey est parfait pour jouer ce "vieux de la vieille", à la plume envoûtante, qui respire un cocktail alcoolisé de faits divers, figure directement issue de polars noirs. Aïssatou Diop saura également progressivement trouver le ton juste, à l'image de son personnage, dans les coulisses et sur le plateau de TV2F. Parmi le casting principal, il convient également de citer Christine Boisson, en directrice de l'information qui doit gérer d'une main ferme toute sa rédaction, Didier Bezace dont on suivra le parcours difficile dans une première saison où son personnage se dédiera entièrement à son journal, Michel Bompoil en ambitieux pendant à Florence dans la saison 2, et un autre ambitieux, à TV2F cette fois, Jérôme Bertin, le visage du JT de la chaîne. 

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Bilan : Portrait dense et très riche du journalisme, de ses acteurs mais aussi de ses enjeux, Reporters est une série ambitieuse et efficace qui se bonifie avec le temps. Initialement relativement académique dans l'approche de son sujet, elle gagne en nuance et en subtilité au fil de son écriture, à mesure qu'elle prend la pleine mesure de son potentiel. Si elle se disperse parfois au sein de son impressionante galerie de personnages (et de thèmes), la série reste une immersion prenante et fascinante dans l'envers du décor du journalisme. A découvrir !


NOTE : 8/10


Une bande-annonce de la série (saison 2) :

29/01/2012

(FR) Un village français, saisons 1 à 3 : chronique du quotidien ordinaire sous l'Occupation

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Après avoir tant voyagé à travers le globe, j'ai reposé mes valises en France en ce mois de janvier. Mercredi soir, je me suis installée devant Les Hommes de l'Ombre sur France 2. Une fiction pas inintéressante, mais dont l'inégalité chronique est symptomatique de bien des maux qui pèsent sur la télévision française. Pour un passage réussi, combien de flottements téléphonés ?

Je le reconnais, les séries françaises et moi, c'est une longue histoire de désamour. Il fut un temps où j'en testais, parfois avec réussite : j'ai encore le souvenir de Police District qui avait su considérablement me marquer. Mais trop d'insatisfactions ont fini par me lasser. Je suis donc partie en voyage. Ca m'a permis de découvrir qu'il existait des horizons sériephiles inexplorés au-delà des Etats-Unis ; que l'on pouvait trouver des perles dans les petits écrans de pays dont j'ignorais tout. Ce n'est pas une simple quête pour se dépayser. Ca a été (et c'est toujours) une voie d'apprentissage sériephile pour mieux comprendre ce que le petit écran a à offrir.

Avec le recul, je me rends compte que je fonctionne beaucoup par cycles. Tout en diversifiant les nationalités de mes programmes, il y a toujours eu des périodes consacrées à l'exploration plus avancée de tel ou tel pays. En France, hormis quelques exceptions, il faut avouer que j'ai très peu regardé la télévision ces 5 dernières années. Cependant quand, dans le même temps, je vois le dynamisme global que connaissent les productions à travers le monde, j'ai envie de revenir donner une chance à celles à venir ou que j'ai pu rater. J'ai donc pris des résolutions pour 2012 : jeter un oeil aux séries de Canal + (j'ai donc investi dans les DVD de Reporters et d'Engrenages). Et puis, prendre le temps de rattraper une série qui m'intriguait depuis ses débuts : Un Village français sur France 3. 

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Un Village français a été créée par Frédéric Krivine, Philippe Triboit et Emmanuel Daucé. Elle a débuté sur France 3 le 4 juin 2009. Si elle compte déjà trois saisons, une quatrième sera diffusée ce printemps 2012. Il faut préciser que j'ai visionné les deux premières saisons, de six épisodes chacune, l'année dernière. Puis, en ce mois de janvier, je me suis lancée dans la troisième, me surprenant à la regarder à un rythme beaucoup plus soutenu tant le récit était devenu vraiment prenant. On peut donc dire que cette série constitue ma première expérience concluante de ce cycle "séries françaises".

Un Village français entreprend de nous plonger dans la Seconde Guerre Mondiale, et plus précisément durant l'occupation allemande, en s'intéressant au quotidien d'une petite ville de province, sous-préfecture fictive du Jura, Villeneuve, qui se situe non loin de la ligne de démarcation. La série débute en juin 1940 et devrait donc nous raconter les cinq années qui vont suivre jusqu'à la libération et la fin de la guerre. C'est aux côtés de la population civile que nous allons vivre ces années difficiles. Que ses personnages soient entrepreneur, agriculteur, maire, policier ou institutrice, c'est à la survie de citoyens ordinaires dans des circonstances extraordinaires qu'est consacrée la série. Elle va nous relater leurs doutes, leurs choix, les prises de positions, mais aussi les sacrifices que les circonstances précipiteront.

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En premier lieu, il est impossible de rédiger une critique d'Un Village français sans souligner l'affirmation progressive que la série connaît. En effet, elle bénéficie d'une amélioration constante à chacune de ses saisons, comme si les scénaristes gagnaient en assurance et maîtrisaient de mieux en mieux leur thème, leurs objectifs, mais aussi le format télévisuel choisi. Initialement, pour s'imposer comme une chronique humaine et chorale s'intéressant au quotidien d'une galerie de personnages, la fiction fait le choix de s'intéresser à des journées-clés, souvent espacées, dont les évènements sont représentatifs de tout ce qui est en train de se passer dans le pays. Hormis quelques accélérations dramatiques opportunes, comme pour le 11 novembre 1940, chaque épisode apparaît comme une forme d'instantané semi-indépendant. Or, au cours de la saison 3, la perspective change : le feuilletonnant devient dominant, et les scénaristes prennent alors la pleine mesure du format.

Si elle compte 12 épisodes, et non plus 6 comme les deux premières, la saison 3 est plus ramassée, se déroulant sur une période plus brève. Le récit est dense, porté par une tension dramatique croissante, et rythmé par d'efficaces cliffhangers. Un Village français devient alors véritablement captivant : désormais le téléspectateur est naturellement porté à enchaîner les épisodes, au vu de tout ce qui est laissé en suspens. On assiste clairement à la construction de grands arcs narratifs, la saison formant une sorte de boucle, les derniers épisodes concluant et tirant les conséquences des évènements tout en redistribuant les cartes et en laissant incertain le destin de plusieurs protagonistes pour la saison suivante. Si le nombre d'épisodes conduit à peut-être étirer un peu trop certaines storylines qui perdent alors une part de leur intensité (la préparation de l'attentat par les communistes notamment), dans l'ensemble, ce changement d'approche est maîtrisé et surtout vraiment perceptible pour le téléspectateur.

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Outre cette prise de conscience des possibilités offertes par le format, à laquelle il est vraiment intéressant d'assister, Un Village français mérite également le détour en raison de son sujet et de la manière dont il est traité. C'est ici dans le registre de la reconstitution historique que la série s'impose. En faisant le choix de traiter de cette zone grise que représente l'occupation, sa première réussite va justement être de ne jamais tomber dans une approche manichéenne qui aurait été par trop réductrice. Au contraire, elle dresse un tableau très nuancé de tous ces habitants, ordinaires, qui poursuivent comme ils le peuvent leur vie. Elle montre bien combien les positions de chacun peuvent fluctuer et dépendre des circonstances ou du statut social, mais aussi combien il est difficile d'analyser une situation comme celle de l'occupation dans l'immédiateté, sans avoir le moindre recul, alors que l'on est pris dans toutes ces difficultés - alimentation, couvre-feu, ligne de démarcation - qui entravent désormais le quotidien.

Qu'ils fassent avant tout preuve de pragmatisme, qu'ils suivent de réelles convictions politiques ou nationalistes, ou qu'ils soient simplement entraînés par les circonstances, les personnages sont amenés à faire des choix. Au fil des saisons, une radicalisation s'opère. Il est frappant de constater combien les motifs qui provoquent les glissements vers une résistance ou une collaboration actives sont très différents. Si initialement, chaque protagoniste apparaît comme un stéréotype représentatif d'une situation, à mesure que la série avance, les personnages gagnent en épaisseur. Les motivations et les failles de chacun apparaissent au grand jour. Ils s'affirment, se radicalisent, leur psychologie se développe et se précise. Le téléspectateur en a alors une meilleure compréhension. Cette progression contribue ainsi à les humaniser, transformant la chronique rigoureuse mais un peu distante des débuts, en un récit dans lequel on s'implique de plus en plus émotionnellement.

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Sur la forme, Un Village français est une série soignée. La réalisation est parfaitement maîtrisée, ni trop figée, ni trop nerveuse, mais restant toujours très posée et capable de s'adapter aux différentes scènes. La photographie permet une belle reconstitution historique. De plus, la série dispose d'un générique très bien pensé dont la teinte beige, semblable aux anciennes photos d'époque, donne l'impression d'inviter le téléspectateur à feuilleter les archives de cette petite ville provinciale.

Enfin, le casting se révèle homogène et solide, ce qui est déterminant dans le cadre d'une série chorale comme Un Village français. Si on peut ressentir plus ou moins d'affinités pour certains personnages, et si suivant les saisons, tous ne sont pas mis en valeur pareillement, les acteurs délivrent des interprétations globalement sans fautes. Parmi eux, on retrouve notamment Robin Renucci, Audrey Fleurot, Nicolas Gob, Thierry Godard, Nade Dieu, Emmanuelle Bach, Patrick Descamps, Fabrizio Rongione, Marie Kremer, Maxim Driesen, Max Renaudin, Lucie Bonzon, Nathalie Cerda, Constance Dollé, Samuel Theis ou encore Richard Sammel.

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Bilan : Reconstitution historique soignée, abordant avec toute la nuance nécessaire cette période complexe qu'a été l'occupation allemande durant la Seconde Guerre Mondiale, Un Village français est une série qui grandit au fil des saisons. Son écriture s'affirme progressivement. Non seulement, elle va prendre pleinement conscience des possibilités offertes par son format, en embrassant un rythme feuilletonnant particulièrement efficace au cours de la saison 3. Mais elle va aussi peu à peu humaniser ses personnages, retranscrivant les conflits qui les agitent et permettant de mieux comprendre les choix qu'ils font ou feront. Une série donc intéressante à découvrir à plus d'un titre !


NOTE : 7,25/10


Une bande-annonce (saison 2) :

Le générique :

14/01/2012

(FR) Nicolas Le Floch, saison 4, épisode 1 : Le Dîner de Gueux

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La soirée d'hier était exceptionnelle : j'ai allumé ma télévision pour regarder une chaîne française ! Ce vendredi 13 janvier, c'était en effet un peu le rituel annuel grâce auquel je renoue avec le petit écran de mon pays. Ce moment où je culpabilise aussi devant toutes mes belles résolutions non tenues le reste de l'année, me promettant une énième fois d'essayer de plus souvent donner leur chance aux séries françaises (tiens, pourquoi pas Les hommes de l'ombre à la fin du mois ?). Et ce, même si, en 2011, je suis satisfaite d'avoir rattrapé - et aimé - Un Village français, à défaut d'avoir trouvé mon bonheur parmi les autres fictions testées.

La série dont je vais vous parler aujourd'hui (et dont je vous ai de toute façon déjà parlé à plusieurs reprises par le passé) est un cas à part dans ma sériephilie : elle demeure une des rares fictions françaises à laquelle je suis profondément attachée et fidèle à travers les années - même si, en effet, au rythme de deux épisodes par saison, il y a peu de risque de voir la lassitude poindre ! C'est une série dont je guette chaque année le retour avec une impatience mêlée d'excitation. Car il émane de Nicolas Le Floch un parfum inimitable et savoureux, celui d'un plongeon aventurier et policier au XVIIIe siècle.

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Depuis la saison 3, Nicolas Le Floch s'est affranchi des romans de Jean-François Parot dont la série se contente de librement s'inspirer, Hugues Pagan écrivant désormais des aventures inédites du commissaire au Châtelet (avec une plume toujours aussi inspirée).

Le Dîner de Gueux débute de façon mouvementée. La jeune Clémence de Villerbois et son père échappent de justesse à des brigands grâce à l'intervention d'un noble étranger, le charmeur Giacomo Petracci, bien aidé par l'arrivée opportune de Nicolas Le Floch et de ses hommes, présents grâce aux renseignements fournis par la Paulet. Mais c'est l'ombre d'un célèbre bandit qui plane sur cette affaire : celle de La Griffe, brigand insaisissable dont la réputation n'est plus à faire dans tout le royaume. Dirigeait-il l'attaque que Nicolas a fait échouer comme un premier témoignage semble l'indiquer ? Mais pourquoi l'instinct rarement pris en défaut du commissaire lui dit-il de se méfier de ce seigneur si galant qu'est Petracci ?

Parallèlement à cette gestion quotidienne d'actes de brigandage, Nicolas Le Floch est également sollicité à Versailles pour des enjeux autrement plus importants qui touchent directement la couronne et ses finances alors dans un état épouvantable. En effet, si les jeux d'argent sont officiellement interdits par le roi, Louis XV s'adonne cependant, sans trop de restrictions, dans l'intimité de la cour, à des paris sur des duels opposant les plus fines lames d'Europe. Un combat est d'ailleurs prochainement programmé, or tant d'argent rassemblé à la cour ne peut qu'attiser toutes les convoitises... notamment d'un homme tel que La Griffe.

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Fidèle à l'atmosphère particulière qui règne dans la série, Le Dîner de Gueux est un pur divertissement historique de cape et d'épée, enthousiasmant et dynamique. Dans cet épisode, c'est dans une aventure foisonnante qu'il nous entraîne, avec une intrigue à plusieurs entrées où toutes les ramifications de l'histoire finissent par se rejoindre autour d'un enjeu principal : la confrontation avec La Griffe. Comme souvent, le téléspectateur se laisse facilement grisé par le soin apporté à l'ambiance, ne s'arrêtant pas sur les détails de l'enquête. Ce qui retient l'attention, ce sont ces savoureux échanges aux tournures de phrases délicieusement ampoulées qui maintiennent un savant équilibre dans les tonalités, entre effronterie, légèreté et sérieux. Ce sont aussi ces morceaux de panache et de bravoure, ce sens du théâtralisme assumé qui tend vers la grandiloquence, ces flirts jubilatoires avec un libertinage de folklore. Tous ces ingrédients sont ici réunis dans un épisode où l'on retrouve toute la saveur de Nicolas Le Floch.

Cependant, la réussite du Dîner de Gueux est double, car c'est grâce aux personnages mis en scène qu'il va se démarquer. Parce que Nicolas Le Floch n'est jamais autant attachant que lorsqu'est éclairée cette ambivalence qui le caractérise, à la fois esprit légal rigoriste et enquêteur hors pair, mais aussi impulsif charmeur et bon vivant aimant se faire plaisir. Or il se retrouve face à un adversaire à sa hauteur, qui n'est pas si dissemblable. Descendant direct d'un Mandrin, La Griffe respire le même sens du panache que Nicolas. La bonne idée de départ est de les avoir faits se rencontrer dans ces circonstances mouvementées au cours desquelles Nicolas sauve La Griffe dont il ignore alors la réelle identité. A partir de là, l'épisode peut construire leur confrontation sur des bases solides : la proximité des styles permet la naissance d'une certaine estime entre les deux hommes, même si chacun a bien conscience d'être dans des camps opposés. L'intervention finale de la chanoinesse permettra cependant à l'épisode de conserver la part d'insouciance que Nicolas, comme La Griffe, auront encouragé tout au long de l'aventure.

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Si Nicolas Le Floch s'offre donc un retour convaincant dans le registre assez léger du divertissement enthousiaste de cape et d'épée qui se savoure sans modération, un bémol vient pourtant ternir quelque peu ce tableau positif. Tout en prouvant que la série a désormais trouvé ses marques pour pleinement s'épanouir, en entamant (déjà) sa quatrième saison, avec son (seulement) septième épisode, Le Dîner de Gueux signe cependant l'abandon du feuilletonnant : il ne donne aucune nouvelle de la Satin, quittée enceinte il y a plus d'an lors de la fin de la saison 3 (Hugues Pagan ne voulant apparemment pas de bébé venant enrayer la dynamique de sa série). Or si Nicolas Le Floch s'est construit une identité propre dans le petit écran français, il est dommage d'oublier que l'avantage du format télévisé est justement de permettre de voir grandir et mûrir une oeuvre, mais aussi des personnages. C'est récompenser la fidélité et l'investissement du téléspectateur que de ne pas jeter aux oubliettes la continuité narrative.

Pour terminer sur une note positive cette critique, il me faut m'arrêter un instant sur les performance d'un casting excellent. Il faut tout particulièrement saluer Jérôme Robart capable de parfaitement retranscrire toutes les nuances de ce personnage fascinant qu'est devenu Nicolas Le Floch. A ses côtés, tous les acteurs sont très solides et pleinement dans leur rôle. Les comparses de Nicolas sont des alliés précieux, du docteur Scemacgus (Vincent Winterhalter) à qui est donné l'occasion de démontrer de nouveaux talents, au toujours fidèle inspecteur Bourdeau (Mathias Mlekuz). Sartine (François Caron), ses perruques et son ordre des priorités, fournissent encore un élément comique très appréciable. Enfin, il faut également citer, pour cet épisode, un Grégori Dérangère en grande forme, qui campe un adversaire digne de Nicolas, les deux rivalisant de charisme pour le plus grand bonheur du téléspectateur.

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Bilan : Avec Le Dîner de Gueux, Nicolas Le Floch nous entraîne dans une aventure enthousiasmante et virevoltante, pleine de panache et de flamboyance, qui se suit avec beaucoup de plaisir. La saveur des dialogues admirablement ciselés n'a d'égal que le charme des personnages mis en scène. Toujours très attachante, s'inscrivant pour son retour dans un registre volontairement plus léger - même si elle perd pour l'occasion sa dimension feuilletonnante -, Nicolas Le Floch confirme qu'elle reste une série à part (que j'aime très fort).


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de l'épisode :


Le générique de la série :

15/10/2011

(Pilote FR) Borgia : faut-il avoir foi en Tom Fontana ?

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Cette année, j'ai l'impression de passer mon temps à assister à l'élection de papes. Prenez le dernier film que je suis allée voir au cinéma, Habemus Papam... A des lieues de la vision contemporaine de Nanni Moretti, il y a un autre versant, historique et autrement plus sombre, s'offre au sériephile : suivre les destinées d'une famille à la légende noire abondante, propre à nourrir tous les fantasmes des scénaristes, les Borgia. Ils auront été un peu la Guerre des boutons du sériephile en cette année 2011, avec une version proposée par Showtime au printemps, une autre qui a débuté en fanfare cette semaine en France, sur Canal +.

Il faut dire que la chaîne cryptée française avait mis les petits plats dans les grands et affichait une attrayante image internationale, allant jusqu'à enrôler la plume d'un grand du petit écran américain, Tom Fontana. J'ai suivi la saison 1 de The Borgias avec intérêt - même si la série n'est pas exempte de tout reproche (Pour rappel, ma critique de fin de saison). J'attendais avec autant d'impatience cette autre monture. Car l'intérêt de Borgia, c'est aussi de voir comment avec une autre approche, un autre savoir-faire, un même sujet peut être transposé à l'écran. The Borgias portait la marque de Showtime en poursuivant clairement le créneau ouvert par The Tudors, qu'allait-il en être de Borgia ?

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Rome, 1492. Dans la péninsule italienne fragmentée, les Etats pontificaux doivent faire face à des menaces aussi bien extérieures qu'intérieures qui les fragilisent. Coincés entre les ambitions des grandes puissances militaires temporelles de cette Europe de la fin du Moyen-Âge, le Saint-Siège est aussi déchiré de l'intérieur, marqué par les rivalités entre les grandes familles romaines aux relations empoisonnées par des querelles intestines et des égos surdimensionnés. Le pape Innocent VIII est vieux, malade, ce qui attise un peu plus les ambitions de chacun en ces temps d'instabilité.

Rodrigo Borgia, neveu du Pape Callixte III, occupe le poste de vice-chancellier auprès du pape actuel. Issu d'une famille originaire d'Espagne, ce cardinal ne manque pas d'ambition : il distingue, par-delà le siège de Saint Pierre, le trône d'Espagne qu'il rêve pour sa descendance. Fin stratège politique, il organise méticuleusement, dans cette optique, la vie de ses divers enfants, illégitimes. Il répartit ainsi les fonctions entre ses fils adultes, suivant les compétences et mérites qu'il leur attribue : à l'aîné, Juan, le titre temporel de duc et les honneurs militaires ; à Cesare, le titre d'évêque et une vie d'homme d'Eglise que le jeune homme ne veut pas. Quant à sa seule fille, Lucrezia, elle arrive en âge d'être mariée ; à Rodrigo de trouver le meilleur parti qui servira ses intérêts.

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Série historique ambitionnant de dépasser l'image figée qui peut être associée aux fictions en costumes, Borgia donne immédiatement le ton dès son introduction. Elle n'entend pas subir son cadre : ce sont des codes narratifs modernes qu'elle va utiliser pour s'approprier cet univers passé. Il en résulte un traitement des problématiques volontairement contemporain, avec une terminologie connotée (mafia, vendetta), destinée à mettre en lumière et à exacerber le caractère intemporel des jeux de pouvoirs relatés. Déchirant la toile spirituelle d'apparât, la série s'intéresse avant tout à la nature humaine. Laïcisant son sujet, elle met à jour les ressorts les plus intimes des protagonistes, s'intéressant aux passions et aux intérêts, tellement terrestres, qui meuvent leurs ambitions. Rome est présenté comme un lieu de pouvoir temporel ; le spirituel est un decorum remisé au second plan.

Introduction rapide, les débuts de Borgia manquent parfois de fluidité mais ne souffrent d'aucun temps mort. La série nous précipite dans un tourbillon de turbulences géopolitiques, au risque de donner l'impression d'être parfois trop riche : elle ne parvient en effet pas toujours à maîtriser la cohérence et la cohésion de sa narration. Parallèlement, sont posées de manière claire les bases des dynamiques au sein de la famille Borgia : un patriarche ambitieux, mais surtout très calculateur, des enfants logiquement instrumentalisés pour atteindre ses desseins. Le tableau présenté est globalement sombre : la série ne cherche pas à générer une empathie particulière, cultivant là son pessimisme ambiant. Comme dans The Borgias, c'est le personnage de Cesare qui démontre le plus intéressant potentiel, figure multidimensionnelle entièrement construite sur ses déchirures et ses paradoxes, il est sans doute aussi le plus travaillé.

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Pour comprendre les ambitions affichées par Borgia, la comparaison avec The Borgias de Showtime est très instructive. Leurs différences manifestes de parti pris expliquent d'ailleurs que les séries ne s'adressent pas forcément au même public. Moins glamour que sa consoeur américaine, loin de son théâtralisme si soigné et huilé, Borgia fait le choix d'une forme d'authenticité plus abrasive. Optant pour une approche moins édulcorée, elle est plus brute, se laissant volontiers emporter par des excès de violence et par une mise en scène qui n'hésite pas à indisposer à l'occasion le téléspectateur. Alors que The Borgias propose un divertissement historique, lissant ses personnages et ses sujets de façon à nourrir et à encourager la vision romancée et folklorique que préconçoit le téléspectateur, Canal + veut au contraire rompre avec cet imaginaire.

Non sans maladresses, Borgia semble en effet rechercher une forme de légitimité, historique, qui explique aussi l'impression d'académisme émanant de ces premiers épisodes. Cela donne une vision beaucoup plus sombre, moins consensuelle probablement, voire plus dérangeante, avec un rapport logiquement plus ambigu avec la série. Sans objectivement tendre vers une plus grande rigueur historique d'ensemble, Borgia joue en fait sur le ressenti du téléspectateur : elle veut que ce dernier ait l'impression de dépasser ses préconceptions pour s'immerger dans cette retranscription supposément expurgée de toute romance, mais aussi de son cadre théologique. C'est notamment ce qui explique le soin apporté à certains points de détails, dans le but de marquer et de conférer une impression d'authenticité : par exemple, dans ces deux premiers épisodes, plus que les explosions intermittentes de violence, ce sont les remèdes de la médecine qui servent cet objectif. Tout cela explique pourquoi Borgia apparaît bel et bien comme une fiction intemporelle sur le pouvoir, mais on y trouve aussi sans doute la limite du potentiel séducteur du concept.

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Sur la forme, Borgia semble cultiver la même ambivalence qui la traverse sur le fond. C'est une série à la réalisation soignée et solide. La caméra a le sens des détails, et la photographie, à dominante plutôt sombre, reflète parfaitement la tonalité ambiante. Par rapport à The Borgias, la différence est ici aussi très parlante : s'attachant à une certaine forme de réalisme, Borgia ne donne pas l'impression de véritablement recréer sous nos yeux des toiles de peinture de la Renaissance. La bande-son s'inscrit dans la même approche ; avec, à noter, la présence d'un générique, ce qui fait toujours très plaisir.

Enfin, Borgia bénéficie d'un casting international sur lequel je vais avoir du mal à me prononcer, car j'ai vu les deux premiers épisodes en version française ; or je n'ai plus vraiment l'habitude de regarder des fictions doublées. Rodrigo Borgia est interprété avec sobriété et une évidente roublardise par John Doman. Les trois enfants, devenus adultes et dont il préside aux destinées, sont incarnés par Stanley Weber (Juan), Mark Ryder (Cesare) et Isolda Dychauk (Lucrezia). A leurs côtés, on retrouve notamment Art Malik, Diarmuid Noyes, Marta Gastini, Assumpta Serna, Andrea Sawatzki, Victor Schefé, Nicolas Belmonte, Dejan Cukic, Christian McKay, Miroslav Taborsky, John Bradley ou encore Karel Dobry

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Bilan : Entièrement consacrée à ces jeux de pouvoirs qui, parce qu'ils sont avant tout temporels, demeurent donc intemporels, Borgia est une série historique et politique à l'approche narrative résolument moderne, dépouillée de tout folklore. Le revers de la médaille est un certain excès d'abrasivité : il est assez paradoxal pour une fiction qui met à jour l'obscurité de la nature humaine de manquer à ce point d'humanité. La narration saccadée doit également mûrir pour gagner en cohésion et en homogénéité. Mais malgré ces reproches, les bases posées par ces deux premiers épisodes sont suffisamment solides et intéressantes pour mériter de laisser une chance à la série de se développer sur ces fondations.

Une chose est en revanche certaine, Borgia investit un registre qui lui est propre et ne marche certainement pas sur les plate-bandes de The Borgias


NOTE : 6,5/10


La bande-annonce de la série :

Le générique :