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18/01/2013

(FR) L'Invention de Morel : aux frontières de l'illusion et de la réalité

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Au printemps dernier, j'avais initié dans ces colonnes ce que j'avais appelé un "cycle ORTF". Cela avait été l'occasion de se pencher sur le petit écran français d'il y a plusieurs décennies, et surtout d'y découvrir quelques perles rares récompensant la curiosité du sériephile qui s'aventure dans ce patrimoine télévisuel extrêmement riche. On avait alors croisé tous les genres : de l'historique aventurier avec Ardéchois coeur fidèle au fantastique policier dans La Brigade des Maléfices, en passant par des paradoxes temporels savoureux avec Le Voyageur des siècles. Je ne comptais pas en rester là.

Après quelques mois de pause - et quelques achats de DVD supplémentaires - me voilà repartie explorer le petit écran français d'avant. Etant donné les belles trouvailles déjà faites dans Les Inédits Fantastiques, édités par Ina Editions, qui m'ont rappelé que notre télévision avait su s'approprier le genre du fantastique avec brio par le passé, j'ai logiquement poursuivi dans cette collection. La fiction du jour est L'Invention de Morel : c'est un téléfilm d'une durée d'1h35, réalisé par Claude-Jean Bonnardot. Il s'agit de l'adaptation d'un roman d'Adolfo Bioy Casares. Diffusé le 8 décembre 1967 sur la deuxième chaîne de l'ORTF, il est notable de signaler qu'il a été tourné en couleur. Une fois encore, il s'agit d'une oeuvre valant le détour qui s'est révélée vraiment fascinante à visionner.

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Le protagoniste principal de L'Invention de Morel se nomme Luis. Evadé de prison, il se réfugie sur une île perdue conseillée par l'Italien de Calcutta. Il a été prévenu : les voyageurs évitent avec soin ces lieux, car, dit-on, plusieurs personnes ont été retrouvées mortes sur ces côtes, atteintes d'un mal mystérieux. Voulant fuir la justice, Luis espère y disparaître. Il découvre sur place une immense villa, autrefois luxueuse, et aujourd'hui abandonnée. Puis il prend peu à peu ses marques et entreprend de tenir un journal détaillé de son séjour sur l'île.

Mais un jour, surgit de nulle part un groupe d'individus, bourgeois festifs venus passer du bon temps. Ils s'approprient les lieux, obligeant Luis à s'éloigner. De loin, l'ancien prisonnier les observe profiter d'un quotidien d'insouciance. Parmi ces intrus, une jeune femme retient tout particulièrement son attention : la troublante Faustine. Puis, après plusieurs jours, Luis retrouve soudain un matin la villa abandonnée telle qu'elle était lorsqu'il est arrivé : décrépie et en mauvais état, loin du luxe et du confort avec lequel elle a accueilli le groupe d'amis.

Par amour pour Faustine, Luis va chercher à percer le mystère de sa présence et comprendre ainsi les secrets que cache l'île.

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L'Invention de Morel commence semblable à une sorte de Robinson Crusoé : elle met d'abord en scène un individu, en bout de course, qui souhaite écrire et préciser ses réflexions sur le monde et la société contre laquelle il s'insurge. Puisqu'il ne peut dialoguer avec quiconque, c'est par une opportune voix off, posée et rationnelle, que Luis partage avec le téléspectateur ses états d'âme et consigne méthodiquement les évènements qui ont lieu dans un journal. A l'arrivée des intrus, la fiction change de registre, glissant peu à peu dans un étrange inclassable. Les questions se bousculent, d'abord naturelles pour Luis : ces gens sont-ils à sa poursuite pour le ramener en prison ? Mais les découvertes qu'il fait sont de plus en plus déroutantes et déconcertantes. Lorsqu'ils le croisent, pourquoi ces individus l'ignorent-ils, semblant vivre leur quotidien en marge de son existence ? Pourquoi la villa délabrée et insalubre s'anime-t-elle luxueusement lorsqu'ils y festoient et s'éteint-elle à leur départ ? Et d'ailleurs, comment viennent-ils et où repartent-ils, puisqu'aucune embarcation n'est jamais visible à proximité de l'île ?

Intrigué, Luis est aussi vite fasciné par une figure inaccessible, celle de la si belle Faustine. Qui est-elle ? se tourmente-t-il. Et, plus généralement, qui sont ces gens paraissant revivre, de façon imperturbable et immuable, une même semaine passée sur l'île ? Un doute germe dans son esprit, comme dans celui du téléspectateur : s'ils ne peuvent pas le voir, existent-ils seulement ? Ne sont-ils que des illusions créées par son cerveau saturé par l'isolement et le défaut de nourriture ? Ou bien est-ce que Luis, déjà mort, n'est en fait que le témoin privilégié d'une vie à laquelle il n'appartiendrait plus ? A mesure que le mystère s'épaissit, L'Invention de Morel nous entraîne aux limites des perceptions et d'une réalité qui semblent se diluer, défiant les sens et la raison. Ses sentiments poussent pourtant Luis à résoudre l'énigme. Une fois découverte l'invention géniale et glaçante de Morel, puis son plan compris, le spectacle auquel il assiste prend alors tout son sens. Entre l'éternité illusoire de ces invités confinés dans la vacuité de leur existence futile et la réalité vivante, oppressante et sans futur, Luis fera un choix. Au rythme de marées, rejoindra-t-il Faustine ?

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Sur la forme, L'Invention de Morel bénéficie d'une réalisation qui parvient à capturer l'atmosphère particulière qui caractérise l'histoire mise en scène. Elle a de plus le grand avantage de bénéficier de la couleur. Cela permet d'apprécier pleinement le cadre offert par l'île, qui peut être aussi bien paradisiaque qu'hostile, escapade dorée ou prison sans issue. Par ailleurs, la couleur n'en souligne que plus, de manière paradoxale et troublante, la vitalité qui émane de ces intrus insouciants et la beauté de Faustine, comme autant d'instantanés parfaitement capturés mais à jamais glacés et figés.

Enfin, côté casting, c'est Alain Saury qui interprète Luis. Il retranscrit très bien les troubles de son personnage, incertain et égaré, face à ce spectacle dont il ne saisit pas encore le sens. Offrant le contraste parfait par rapport à l'ambiance de plus en plus déroutante qui s'installe, sa voix calme et monocorde fait office de narrateur, rythmant le récit à sa manière : le ton relativement calme dont elle ne se départit jamais, en dépit de tous les questionnements qui peuvent se bousculer, en fait un repère solide. Juliette Mills joue l'ensorcellante Faustine, tandis que Didier Conti incarne l'inquiétant Morel. On croise également Ursula Vian-Kubler, Dominique Vincent, Eric Sinclair, Max Vialle, Robert Rimbaud, Florence Musset, Anne Talbo, Jean Martin, Paule Dehelly, Guy d'Arcanques, Maurice Cieutat et Tony Sandro.

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Bilan : Oeuvre envoûtante, presque hantée à sa manière, L'Invention de Morel fascine et captive, se réappropriant plusieurs thématiques du fantastique. Tour à tour fable existentielle, métaphysique, elle égare les certitudes et les repères de son personnage principal, et par ricochet du téléspectateur, troublant les frontières entre réalité et illusion, vie et mort, fin actée et éternité hors du temps... Bénéficiant d'un récit très bien construit, qu'il s'agisse de poser le mystère ou d'aboutir à sa résolution et à la conclusion choisie par Luis, le téléfilm se révèle prenant de bout en bout, à la fois intriguant et déroutant. En résumé, c'est une belle expérience télévisuelle, qui ne demande pas trop d'investissement en temps (1h30), et mérite assurément le détour. A conseiller au-delà même des seuls amateurs de fantastique.


NOTE : 7,75/10


Lien vers une bande-annonce : Bande-annonce DVD Ina Editions (Dailymotion).

28/10/2012

(FR) Un Village français, saison 4 : une chronique ordinaire dense et marquante de la France de 1942

 
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Un de mes plus intéressants rattrapages de séries françaises effectué cette année aura sans conteste été la découverte de Un Village français. Une oeuvre au sujet fort, ambitieux, qui gagne en maîtrise, en intensité et en qualité tout au long des trois premières saisons sur lesquelles j'avais eu l'occasion de revenir dans un bilan rédigé en début d'année. Depuis, la quatrième saison 4 a été diffusée au printemps 2012. J'ai investi dans le coffret DVD les yeux fermés. Avec raison.

Elle confirme en effet la place de la série parmi ces fictions qui démontrent que, oui, la France est capable de faire de bonnes, voire très bonnes, séries, exploitant pleinement le format télé et sachant les faire mûrir au fil des épisodes. En attendant la cinquième saison, annoncée pour février 2013 sur France 3 (au tournage de laquelle un nouveau magazine français sur les séries, sorti cette semaine, Preview, consacre d'ailleurs un reportage), j'ai achevé mon visionnage de la quatrième. Il est donc temps de vous expliquer pourquoi Un Village français mérite, cette année encore plus particulièrement, votre attention.

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La saison 4 d'Un Village français continue de nous faire progresser dans la chronologie de la Seconde Guerre Mondiale, durant la période de l'Occupation, abordant cette fois l'année 1942. Se voulant représentative de tous les enjeux d'alors, la saison se découpe en deux parties, séparées par plusieurs mois, mais se déroulant sur des courtes périodes de quelques jours seulement.

La première permet d'évoquer le sort des juifs : Villeneuve accueillant en transit un convoi de juifs étrangers déplacés par les Allemands, elle devient le théâtre d'arrestations pour satisfaire aux demandes de l'occupant, tandis que l'école doit faire face à l'hébergement provisoire de ces détenus dans des conditions difficiles. A la mi-saison, ils partent finalement pour le camp de Drancy, sans savoir ce qui les attend. Ensuite, la série se recentre sur la question des réseaux de résistance à l'intérieur du pays, mais aussi en coordination avec la France libre dont le parachutage d'un radio venu de Londres rappelle l'existence. L'enjeu devient alors celui d'un rapprochement entre les différents mouvements issus de toutes les tendances politiques, des communistes aux gaullistes, tandis que la police française et les autorités allemandes redoublent d'effort pour les exposer. 

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Cette saison 4 s'inscrit dans la droite ligne de l'équilibre trouvé au fil des précédentes saisons. Tout en n'occultant jamais un arrière-plan historique où les grands évènements nous parviennent par quelques mots échangés à la préfecture, mais aussi par l'intermédiaire de Radio Londres, Un Village français reste centrée sur le sort de ses figures locales devenues familières. Les stéréotypes des débuts ont depuis longtemps été dépassés, les psychologies se sont affinées, révelant des complexités, voire des ambivalences, qui ont humanisé des personnages ayant gagné en épaisseur. On sait chacun caractérisé par une ambition, une prudence, un engagement ou un humanisme particulier. Désormais, partant de cette base, la série nous relate leurs réactions face aux nouveaux développements et tournants pris par l'occupation : comment, en cohérence avec eux-mêmes, mais aussi avec les limites de leurs caractères ou de leurs convictions, vont-ils faire face aux évènements ? C'est sur ce plan que le parti pris de la série est très intéressant. Car c'est sans le moindre recul, ni toujours réelle compréhension des enjeux, que chacun est amené à se positionner.

Faire de Villeneuve un lieu de transit provisoire pour des détenus juifs est ainsi l'occasion de se replacer du point de vue de 1942. Au-delà de l'antisémitisme ambiant, à ce moment-là, ni les juifs, ni les habitants de la ville ne peuvent imaginer ou mesurer ce vers quoi ils se dirigent. Or l'ignorance des protagonistes contraste avec la connaissance du téléspectateur. La gorge se noue imperceptiblement en voyant Daniel Larcher s'agiter pour mettre à disposition un local communal afin de tenter de soigner le quotidien immédiat des juifs, devenant sans le comprendre un maillon parmi tant d'autres qui facilitent par-là même le bon déroulement de la déportation en cours. Pareillement, les échanges à l'intérieur de l'école et les efforts faits par chacun pour comprendre et rationaliser ce qu'il se passe n'en sont que plus marquants. Il faut ici saluer la qualité de l'écriture qui conserve toujours, dans ces moments-là, une sobriété bien dosée, même face à des scènes où le drame et le déchirement pointent.

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Si les personnages d'Un Village français sonnent souvent authentiques et réels, c'est justement grâce à leurs paradoxes et à leurs failles. Ils évoluent, pour la plupart, dans une zone grise, et seul l'avenir permettra de juger les décisions qu'ils ont prises, sur un plan aussi bien moral que légal ou politique. La saison offre à un certain nombre d'intéressants développements, fidèles à eux-mêmes, mais jamais figés non plus dans leurs positions. Parmi les différentes storylines, la seule sur laquelle je garde des réserves est celle de la relation entre Marchetti et Rita, une histoire d'amour impossible que je n'ai jamais réussie à trouver crédible. Toujours est-il que la série a conservé une dimension chorale qui fait sa force, avec une caractérisation cohérente des personnages particulièrement bien mise en valeur au cours des passages de crise les plus déterminants. Les conditions de la chute du réseau gaulliste, avec ce piège qui se referme sur la ferme de rendez-vous, illustrent cette qualité.

Par ailleurs, la saison 4 aura été celle de la confirmation pour ce qui est de la maîtrise du rythme narratif. Le passage à du vrai feuilletonnant en saison 3 avait constitué un déclic pour la série, soudain capable de susciter une attente chez un téléspectateur impatient de découvrir la suite. Le même savoir-faire se retrouve : le récit est dense, sans temps mort, avec une narration homogène. Les chutes de fin en forme de cliffhanger permettent un enchaînement naturel des épisodes. La maturité de la fiction se perçoit également dans sa gestion de ses grandes trames. Par exemple, on assiste au cours de la première partie relative aux juifs à un glissement inexorable, impeccablement géré, allant crescendo dans une tonalité de plus en plus glaçante. Tout d'abord, la déportation est assimilée à une simple tâche administrative et policière. Puis surgissent rapidement la réalité d'enjeux humanitaires pressants. Mais c'est l'ordre de séparation des enfants, et enfin l'arrivée des SS, qui achèvent le basculement dans l'horreur, confirmée par l'annonce finale de la destination du groupe : Drancy. Une escalade que la série sait bien construire.

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Enfin, outre sa solidité d'écriture et l'ambition de son sujet, Un Village français bénéficie également d'un casting dans l'ensemble très bon et convaincant, dont les interprétations permettent de donner une force supplémentaire aux intrigues portées à l'écran. Cette saison 4 rassemble des acteurs principaux fidèles à eux-mêmes et maîtrisant parfaitement leurs personnages, même si, les storylines variant, tous n'ont pas la même exposition que par le passé (Thierry Godard, par exemple, est plus en retrait). Quant à ceux qui arrivent au cours de cette saison, ou sont seulement de passage, ils trouvent aussi très vite le ton juste. En dépit d'une histoire un peu artificielle, Axelle Maricq apporte une belle fraîcheur à l'écran dans son rôle de Rita. Philippe Résimont rend instantanément détestable personnage de Chasagne, un des rares à être présenté sans la moindre ambivalence. Nathalie Bienaimé se sera affirmée en se rapprochant d'un Raymond Schwartz moins présent. Et puis, en radio parachuté de Londres, je ne dis jamais non à quelques épisodes comprenant Jérôme Robart

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Bilan : Avec un récit dense et un rythme de narration très bien maîtrisé, la saison 4 de Un Village français marque une nouvelle étape dans la maturation d'une série qui semble désormais prendre pleinement la mesure de la force et de l'ambition de son sujet. Capable de susciter une vraie implication émotionnelle grâce à l'humanité de ses personnages, la série conserve dans le même temps l'approche pleine de sobriété et de retenue qui fait sa force, lui permettant de traiter avec beaucoup de justesse de thèmes difficiles. Cette saison 4 aura été une saison pleine et solide, confirmant la progression constante d'une oeuvre parvenue à maturité.

En conclusion, si cela n'est pas déjà fait, un rattrapage s'impose avant février prochain.


NOTE : 8/10


La bande-annonce de la saison :

12/10/2012

(Pilote FR) Ainsi soient-ils : le paradoxe d'une approche sécularisée d'un sujet qui ne l'est pas

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Depuis des mois, les échos positifs que suscite Ainsi soient-ils chez ceux qui ont eu l'occasion de voir quelques épisodes de cette nouvelle série d'Arte avaient plus qu'éveillé ma curiosité. J'ai cessé de lire des articles sur la série il y a des semaines, voulant l'aborder sans préjugés, ni préconceptions. Trop d'attente est souvent synomyme de déception. Elle a enfin débuté hier soir, en prime-time, accompagnée d'une promotion importante et de critiques accueillantes. Et ce matin, je dois vous dire que j'étais sincèrement heureuse en découvrant ses audiences : elle a parfaitement réussi son démarrage, et c'est vraiment bien de voir la chaîne récompensée de ses ambitions en terme de fiction et capter ainsi l'attention du public. De mon côté, j'ai passé une soirée intéressante devant les deux premiers épisodes. Mais... Parce qu'il y a un "mais". Ainsi soient-ils n'est pas la série que j'espérais.

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Au cours de ces deux premiers épisodes, après un pilote qui tire parfois un peu trop sur la corde de l'exposition, mais qui dans l'ensemble remplit efficacement son office, le second vient confirmer les équilibres et initier les intrigues. Chaque personnage correspond de manière assumée à certains stéréotypes, cependant on devine dans leurs personnalités un potentiel narratif indéniable ne demandant qu'à s'affirmer et se développer au fil du récit et des épreuves à surmonter. Chacun représente une problématique particulière à exploiter à l'épreuve du séminaire, pour voir s'il peut - et dans quelles conditions - conserver sa résolution d'embrasser cette vocation particulière. C'est une histoire sur l'engagement et la persévérance qui nous est proposée.

La construction de l'histoire, tout en restant souvent prévisible - la création du bouc-émissaire dans le second épisode par exemple -, s'opère très correctement. On assiste au récit classique de cinq jeunes adultes qui choisissent une voie professionnelle qui, dans le monde moderne, ne se comprend pas toujours, ne suscitera pas d'unanimité. Cette idée a en soi un réel intérêt, et je me suis laissée sans difficulté prendre au jeu d'une narration où chacun cherche encore sa place. Le rythme est efficace, et on s'implique très facilement auprès de ses protagonistes que l'on a envie d'apprendre à mieux connaître. Seulement dans cette synthèse se situe aussi le coeur du problème d'Ainsi soient-ils : cette voie professionnelle qu'elle est censée nous raconter, c'est la prêtrise. Or voilà un aspect que l'écriture semble avoir presque écartée, toute entière tournée vers une structure dramaturgique paradoxalement... sécularisée.

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Se saisir de l'espace d'un séminaire n'est pas un choix neutre au départ. Il faut comprendre que cela ne peut pas se réduire uniquement à la mise en scène de rituels religieux, ni à l'évocation parsemée des problématiques actuelles traversant l'institution ecclésiastique (qu'il s'agisse d'évocation directe ou indirecte, des questions matérielles aux affaires de moeurs). Ces éléments ne représentent que la surface des enjeux, ils ne peuvent permettre de retranscrire les dynamiques propres à un domaine qui touche ici au spirituel. Apparaît dans la série une forme de décalage irréductible : le choix d'une approche sécularisée pour traiter d'enjeux qui n'en sont pas. Oui, l'idée même de la foi religieuse est un concept qu'il est très difficile de retranscrire à l'écran. Mais les dynamiques de doutes, de certitudes, le poids de l'éducation ou de son rejet, qui sont inhérents à un tel cheminement sont soit passées sous silence, soit caricaturés à l'extrême.

Tout au long de ces deux premiers épisodes, se manifeste le refus des scénaristes de concevoir et d'appréhender la vie au séminaire au-delà des ressorts narratifs humains les plus basiques. Ces derniers ont leur légitimité, mais ils font que la série aurait pu se dérouler dans n'importe quelle institution de formation professionnelle. La spécificité du cadre et des enjeux qu'il soulève ne se traduira que par quelques références d'anecdotes évènementielles attendues (prêtres réfractaires, Vatican II). Si la mise en scène de la campagne de réélection à la tête de la conférence des évêques pourra prêter à sourire par ses excès, elle démontre surtout, par la manière dont elle introduit l'opposition caricaturale entre l'archevêque et Fromenger, ancien prêtre-ouvrier, la limite de l'approche choisie : le risque de s'enfermer dans des poncifs peu habiles dès que la série ne se concentre plus sur l'initiation de ces cinq jeunes séminaristes.

Au final, tout se déroule comme si, aussi bien chez les dignitaires que chez les aspirants, il semblait inconcevable aux scénaristes de dépasser les simples problématiques humaines les plus cyniques (ambition...) pour envisager l'existence d'une conscience religieuse (surtout chez des jeunes pour qui le "feu sacré" est encore théoriquement la source de leur vocation). La façon dont est gérée la crise que traverse un séminariste dans le deuxième épisode, mal retranscrite et mal expliquée, est symptomatique du problème. "Est-ce que le monde change ? Est-ce que nous ne pouvons plus le comprendre ?" s'interroge Fromenger : la problématique aurait été passionnante à traiter, elle reste pour le moment une question purement rhétorique.

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Bilan : Ainsi soient-ils n'est pas la série que son concept laissait imaginer. Elle part certes sur des bases intéressantes, avec des choses à dire sur l'importance des choix de ses personnages et la manière dont ils vont embrasser cette vocation professionnelle atypique dans la société française actuelle. Cependant c'est aussi une série qui n'a pas compris l'enjeu de son sujet. Nul ne lui demandait d'être un documentaire dans les coulisses d'un séminaire (surtout pas d'ailleurs !). Seulement vouloir parler de croyance religieuse impliquait malgré tout d'élargir l'approche narrative au-delà des ressorts classiques sur la formation professionnelle au sein d'une institution qui ploie sous le poids de ses traditions. Il s'agit certes d'un choix volontaire de la part des scénaristes. Sans doute aussi cela lui permet-il de toucher plus universellement le public français. Mais elle laisse une impression d'inachevé, car elle oublie de traiter une partie non négligeable de son thème. C'est dommage.

Reste que je pense poursuivre la suite de la série pour pouvoir la juger dans sa durée, et en tout cas j'espère voir Arte continuer sur cette voie des fictions originales ambitieuses.


NOTE : 6,5/10


La bande-annonce de la série :


17/06/2012

(FR) Le voyageur des siècles : une savoureuse plongée au coeur des paradoxes temporels

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Où je découvre que le petit écran français a lui aussi son voyageur partant à l'assaut du Temps avec son tournevis... magnétique.

C'est décidément la loi des séries : ce mois de juin aura été placé sous le signe des voyages temporels, après Jin, après Continuum, voilà une autre preuve que ce thème reste un classique par-delà les continents et les époques. En ce dimanche, My Télé is rich! vous propose donc de remonter le temps et d'embarquer dans ce qui aura été ma belle surprise de la semaine, tandis que je poursuis mon exploration du patrimoine télévisuel français. C'est que ce cycle consacré aux séries de l'ORTF est décidément riche en trésors dont je ne soupçonnais ni l'inventivité, ni la qualité ! Après La Brigade des Maléfices, c'est toujours dans la collection Les Inédits Fantastiques d'INA Editions, que j'ai trouvé mon bonheur, avec Le Voyageur des siècles.

Il s'agit d'une mini-série française qui a été diffusée dans le courant du moins d'août 1971 sur la première chaîne de l'ORTF. Elle compte en tout 4 épisodes, dont la durée oscille entre 1h15 et 1h25. Au départ, ce projet a été développé pendant des années par Noël-Noël et Jean Dréville à destination du cinéma. C'est finalement sur le petit écran que le scénario de Noël-Noël voit le jour, avec des moyens budgétaires forcément moindres, mais toujours Jean Dréville derrière la caméra. Sa diffusion égarée au coeur de l'été 1971 s'est malheureusement soldée par un échec. Heureusement, il y a eu depuis les rediffusions sur le câble et la sortie du coffret DVD (le mois dernier) pour éviter qu'elle ne tombe dans un injuste oubli. Car Le Voyageur des siècles est une réjouissante et originale oeuvre de science-fiction comme le petit écran français en a rarement proposé : un petit bijou à (re)découvrir !

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L'histoire débute par un prologue se situant dans le futur, en 1981. Souhaitant mettre un terme à l'indivision de leurs terres, la soeur de Philippe d'Audigné fait appel à des enquêteurs pour essayer de retrouver son frère disparu. Scientifique et inventeur passionné, ce dernier menait dans le plus grand secret des expériences à partir de travaux commencés un siècle auparavant par leur grand-oncle, le savant François d'Audigné. Mais les recherches tournent court, leurs conclusions se heurtant à la logique de leur raison.

En réalité, Philippe d'Audigné a réussi ses recherches : il a mis au point une machine capable de voyager dans le temps. Sa première incursion officielle dans le passé le conduit dans les années 1880, à la rencontre de son grand-oncle sans qui rien n'aurait été possible. Ce dernier est émerveillé par la mise en oeuvre de ses théories et l'arrivée de ce visiteur du futur, un petit-neveu débarqué d'un autre temps. Mais Philippe a d'autres projets que ces retrouvailles scientifiques : dans un des miroirs qu'il utilise pour capturer des images du passé, il est tombé amoureux d'une belle jeune femme qui vivait au château dans les années 1780.

Philippe et François d'Audigné mettent alors le cap vers 1788. Si la Révolution française menace celle qu'il considère comme sa dulcinée, poussé par l'amour, jusqu'où Philippe sera-t-il capable d'aller et quels bouleversements sera-t-il prêt à provoquer pour la sauver ?

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Présentée dès son introduction par un néologisme évocateur, celui de "julvernerie moderne", Le Voyageur des siècles est une véritable invitation à se lancer dans une histoire extraordinaire : celle d'une aventure à part à travers les époques. Il est intéressant de noter que le récit se vit du point de vue de François d'Audigné, savant du XIXe siècle au talent de conteur indéniable, lequel nous relate les évènements a posteriori avec une voix off qui apporte une saveur particulière à l'ensemble. Dotée d'une écriture réjouissante qui mise beaucoup sur l'émerveillement provoqué par cette ouverture sur le passé et/ou le futur, la mini-série se réapproprie toutes les facettes de ce thème classique de science-fiction qu'est le voyage dans le temps.  

L'amateur de SF est donc en terrain conquis : toutes les problématiques soulevées par ce sujet sont abordées, qu'il s'agisse de rencontrer, ému, des ancêtres, de nouer des relations hors du temps avec des figures du passé, et bien entendu, la plus importante, la question de l'influence que l'on peut avoir sur le bon déroulement de l'Histoire. La mini-série se révèle ici particulièrement bien construite. Elle démarre de la plus anecdotique et sobre des manières, au XIXe siècle, par une simple rencontre entre le grand-oncle inventeur et Philippe qui vient lui apprendre que ses théories sont justes et lui offrir un bref aperçu du futur. Puis, lors du deuxième saut temporel qui les conduit au XVIIIe siècle, d'observateurs extérieurs, nos héros deviennent des acteurs à part entière : leurs agissements font alors basculer le récit dans une véritable uchronie, bousculant les évènements et changeant la face du monde en communiquant à Louis XVI des informations qu'il n'aurait jamais dû avoir. Les limites du voyage temporel, et surtout leur impact sur les voyageurs, vont alors prendre tout leur sens.

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Adoptant initialement une tonalité enlevée et légère qu tend plutôt vers la comédie, Le Voyageur des siècles sait basculer dans un versant plus dramatique lorsque les enjeux se complexifient. A l'innocence première des explorateurs curieux de tout et fascinés par ce passé qui revit sous leurs yeux, succède le déchirement d'être rattrapé par les évènements, puis par la responsabilité qui pèse sur eux d'avoir décidé d'en changer le cours. L'efficacité de l'histoire doit beaucoup à l'empathie que suscitent les personnages confrontés à leurs dilemmes, mais aussi au soin apporté aux époques qu'ils découvrent. La série fait souvent preuve d'une richesse et d'une inventivité au charme un peu désuet, mais tellement stimulant. Initialement, le prologue débute d'ailleurs comme une série d'anticipation, offrant une vision futuriste de l'année 1981 (la série date de 1971), avec ses voitures magnétiques, ses télévisions sans écran et ses gratte-ciels à perte de vue jusqu'à Saint-Flour (!). Par la suite, Le Voyageur des siècles se rapproche du récit historique, à la découverte du XIXe (avec par exemple ce professeur fervent soutien du boulangisme), puis du XVIIIe siècle.

Les deux derniers épisodes sont sans doute les plus savoureux dans la reconstitution proposée. Tout d'abord parce que la France de 1788 vue à travers les yeux de François et de Philippe, émerveillés par ce qui les entoure, présente un portrait plein d'anecdotes au cours duquel le téléspectateur a presque l'impression d'être à leurs côtés. Et ensuite, parce que le basculement dans la néo-Histoire, en 1808, dans un royaume qui n'a pas connu la Révolution et donc l'Empire, nous entraîne dans une société du début du XIXe siècle difficilement reconnaissable du fait des avancées technologiques anarchiques permises par les indications de Philippe. Le scénariste montre alors l'étendue de son imagination fertile, avec ces chaises à porteur devenues à moteur, ces téléphones au combiné improbable... Et puis, la mini-série nous entraîne sur les pas d'un Empereur au destin inaccompli, mais dont l'aura incontestable écrase et laisse tout aussi admiratifs le républicain et le monarchiste qui forment pourtant notre duo d'explorateurs. L'uchronie, ici particulièrement savoureuse, mérite vraiment le détour !

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Si la série déborde d'idées qu'il est réjouissant de voir transposer à l'écran, c'est logiquement sur la forme que Le Voyageur des siècles montre ses limites et a sans doute le plus vieilli. Cependant, la réalisation n'a rien perdu de son efficacté narrative et le plaisir de visionner la mini-série est intact. Au fond, l'image en noir & blanc, les décors recréés avec les moyens du bord - notamment en arrière-plans - et les images qui font parfois assez datées ajoutent finalement un certain parfum de nostalgie qui n'est pas déplaisant.

Si la vitalité de l'ensemble demeure, c'est aussi en partie grâce à un casting impeccable. Hervé Jolly apporte une belle fougue de jeunesse à son portrait de Philippe d'Audigné, homme brillant emporté par ses sentiments. Pour former avec lui un duo complémentaire, au sein duquel naît une vraie complicité, c'est Robert Vattier qui incarne avec une bonhomie savoureuse François d'Audigné. Les seconds rôles sont aussi solides : Raymond Baillet est l'assistant de François, celui qui lit le récit laissé par son maître aux grands professeurs de son temps. Et c'est la belle Myriam Colombi qui interprète celle qui a été la motivation de Philippe durant toutes ces années pour perfectionner sa machine à remonter le temps.

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La dernière Renault magnétique de 1981

Bilan : Se réappropriant avec inventivité et enthousiasme ce grand thème de la science-fiction qu'est le voyage dans le temps, Le Voyageur des siècles se découvre avec beaucoup de plaisir. Elle se démarque par son écriture au dynamisme communicatif et par la richesse avec laquelle son univers est recréé. En effet, un soin constant est apporté aux détails, qu'il s'agisse de reconstitution - et recontextualisation - historique, ou bien lorsque la série s'aventure dans l'uchronie. Elle reste aujourd'hui une perle très originale de la télévision française. C'est donc une aventure qui mérite le détour, pour les curieux, les amateurs de science-fiction et/ou de bonnes séries françaises.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la série :

03/06/2012

(FR) La Brigade des Maléfices : aux frontières du policier et du merveilleux

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My Télé is Rich! continue de remonter le temps, et tombe sur de vraies perles du petit écran. Après la fiction historique, dimanche dernier avec Ardéchois coeur fidèle, je vous propose aujourd'hui dans ce "cycle ORTF" une incursion dans le fantastique. En effet, c'est un genre dans lequel le petit écran français s'est essayé avec parfois beaucoup d'inventivité, même si cette tradition semble un peu oubliée de nos jours. Cependant l'excellente initiative d'INA Editions rend désormais accessible certaines de ces fictions expérimentales et originales de notre patrimoine télévisuel, dans une collection DVD qu'il faut avoir à l'oeil : Les Inédits Fantastiques. La première série sur laquelle je me suis arrêtée m'a été conseillée sur twitter par Thibault... que je remercie donc pour la découverte !

La Brigade des Maléfices a été diffusée durant l'été 1971 (d'août à septembre) sur la deuxième chaîne de l'ORTF, elle y rencontra un certain succès mais ne fut pas reconduite. Elle compte donc seulement une saison de 6 épisodes d'une durée de 55 minutes environ. Imaginée et scénarisée par Claude Guillemot et Claude Nahon (Claude Jean-Philippe, présentateur du Ciné-Club d'Antenne 2), cette série possède un charme certain, un peu désuet, qui apparaît comme une forme d'appel sincère à l'imaginaire du téléspectateur. Elle se redécouvre avec attachement et plaisir, même 40 ans après sa diffusion originale.

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Le monologue du générique d'ouverture fait figure d'introduction dans l'univers atypique de la série, entrouvrant pour le téléspectateur les portes du fantastique : "La brigade des maléfices ne figure sur aucun document officiel de la préfecture de police. Personne dans le public ne soupçonne son existence et pourtant chaque jour s’étend le champ de son activité. Bien des enquêtes menées par les plus fins limiers de la police judiciaire s’arrêtent soudain devant l’impossible, l’incroyable ou le surnaturel. C’est alors qu’intervient Guillaume-Martin Paumier, chef de la brigade des maléfices, Sherlock Holmes de la féérie, Maigret de la sorcellerie moderne, expert en sciences occultes, familier de l'invisible, l'inspecteur Paumier ne refuse aucune des voies ouvertes sur l'inconnu. Il a accepté d'ouvrir pour nous quelques dossiers, de nous faire participer à quelques-unes de ses étrangers enquêtes."

Exilée sous les combles du commissariat parisien du Quai des Orfèvres, la Brigade des Maléfices est donc une unité très particulière de la police française. Elle ne compte que deux membres, l'inspecteur Paumier, figure flegmatique et malicieuse à barbe blanche pour qui le surnaturel est un quotidien qui n'a pas de secret, et son assistant, Albert, agent à tout faire et chauffeur de son supérieur dans sa moto deux places lorsqu'ils doivent se déplacer. Quand des enquêtes se heurtent à l'inexplicable, semblant échapper à l'entendement, le commissaire principal prend son téléphone pour les contacter. Disparitions mystérieuses, crimes conjugaux en série, épidémie de suicide, braquage de banque du sang ou encore escroquerie à portée interstellaire, ce sont des affaires très différentes qui sont ainsi soumises à la brigade.

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Permettant l'alliance de deux genres importants du petit écran, le polar et le fantastique, la Brigade des Maléfices est une série, au style théâtral et au rythme relativement lent, qui flirte avec un savoureux surréalisme. Teintée d'humour mais aussi touchante à l'occasion, la tonalité est originale. De façon intrigante, la fiction propose une incursion dans un merveilleux parfaitement intégré au quotidien de cette société française du début des années 70, dont elle nous offre un aperçu complet, entre boom des appareils électro-ménagers et constructions de grands ensembles.

S'inscrivant dans une tradition classique du fantastique qui lui permet d'explorer les grands mythes du genre, comme les fées, les vampires, les fantômes ou bien un démon au nom suggestif (Diablevert), voire une charmante extraterrestre Vénusienne, la série organise et banalise les rencontres avec l'extraordinaire d'individus normaux, soudain confrontés à des choses qui dépassent leur entendement. Il est intéressant de noter qu'il n'y a pas d'opposition ou de lutte systématique avec ces éléments issus du surnaturel : la plupart du temps, il s'agit d'assurer une cohabitation permettant que tout rentre dans l'ordre. Le seul véritable adversaire (récurrent) de Paumier est Diablevert : cette figure diabolique, filant toujours pour mieux réapparaître avec un nouveau plan qu'il faut exposer au grand jour pour y mettre un terme, occupe là une fonction incontournable dans ce type de fiction.

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Appel au rêve et à l'imaginaire, la série trouve un intéressant équilibre entre ses différents genres. Elle développe un versant policier, à la dynamique savoureuse, et où l'humour diffus, distillé à juste dose, est très présent. Paumier, dans sa robe de chambre défraîchie et son bureau bigarré comprenant mille merveilles et autres étrangetés, a l'apparence d'un vieil original hors du temps, mais révèle la malice et la sagacité d'un fin limier. Albert offre un parfait pendant, avec des remarques souvent comiques. A l'opposé de cette ouverture d'esprit, le commissaire Muselier et son arrogance cartésienne tourne en dérision son collègue, pour toujours devoir finir par s'incliner devant ses contributions. Au milieu, le commissaire principal, réticent mais prudent, conserve quant à lui une retenue pragmatique.

Outre cette dynamique propre au commissariat, La Brigade des Maléfices prend également le temps d'explorer le point de vue non policier. En effet, à chaque épisode, elle soigne tout particulièrement son cadre et l'histoire qui s'y rattache. Une place importante est ainsi laissée aux créatures fantastiques, la rapprochant par moment presque d'un format semi-anthologique. Chaque épisode a une tonalité qui lui est propre, et des atmosphères particulières. Parmi les plus marquantes, je citerais celle du 1er épisode où la mise en scène de cette mare aux fées trouve un écho poétique troublant à l'écran. Les histoires usent généralement de ressorts classiques mais efficaces, avec une inventivité appréciable, à l'image du 2e épisode sur la place de la télévision dans les familles et la mystérieuse septième chaîne. L'amour n'est pas non plus absent, sorte de trait d'union le plus universel qui soit entre ordinaire et surnaturel. On assiste ainsi à un mélange de simplicité et d'originalité qui se visionne avec plaisir.

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Sur la forme, un des défis qu'aura su relever La Brigade des Maléfices aura été de parvenir à évoquer le merveilleux sans réels moyens budgétaires : elle repose entièrement sur une ambiance et des montages suggestifs. Et le résultat ne manque pour autant pas d'intérêt. Un des passages du genre les plus réussis restera sans doute celui du premier épisode : pour révéler l'existence d'une créature envoûtante, on assiste à une longue scène tremblotante où apparaît et disparaît dans les images d'un film amateur la troublante fée de la mare du bois de Rambouillet. De plus, la musique joue aussi un rôle important, qu'il s'agisse de poser une atmosphère inquiétante, de souligner les passages de tension, ou plus généralement d'embrasser le versant un peu rêveur du fantastique dans laquelle la série se complaît.

Enfin La Brigade des Maléfices bénéficie d'un casting qui contribue à l'attachement que l'on éprouve pour cette fiction. Léo Campion incarne un inspecteur Paumier particulièrement savoureux, tandis que Marc Lamole joue avec spontanéité son assistant. Jean-Claude Balard, à l'arrogance un peu nonchalente, est le commissaire Muselier, ferraillant régulièrement avec Paumier, tandis que Jacques François incarne leur supérieur hiérarchique. Mais la série vaut également les guest-stars marquantes qu'elle accueille, au premier rang desquels Pierre Brasseur qui, par deux fois, revient incarner ce démon charismatique Diablevert que la brigade tentera d'empêcher de nuire. Dans le 4e épisode, il se retrouvera même face à son fils, Claude Brasseur, qui joue alors la victime potentielle de ses machinations. On croise également Sylvie Fennec en fée ensorcelante, Anny Duperey en Vénusienne de charme, Pierre Vernier en vampire mélancolique ou encore Jean-Pierre Andréani.

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Bilan : Se réappropriant, sans moyens mais avec une belle dose d'inventivité, les grands mythes du fantastique pour les introduire dans le quotidien de la société française du début des années 1970, La Brigade des Maléfices est une série attachante, à laquelle l'humour et le flegme de son personnage principal apportent un charme un peu désuet plaisant. Série d'ambiance, dotée d'un rythme plutôt lent auquel il faut prendre le temps de s'ajuster, elle ouvre les portes d'un merveilleux accessible qui interpelle l'imaginaire d'un téléspectateur, parfois rêveur, d'autre fois intrigué, mais à la curiosité toujours piquée.

Parce que X-Files, Torchwood et les autres n'ont pas le monopole des enquêtes sur le surnaturel... Voilà un digne représentant français de ce genre qui mérite d'être redécouvert !


NOTE : 7,75/10


Le générique :