Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/12/2012

(Mini-série UK) Secret State : conspiration dans les coulisses du pouvoir

"You get to the top, and you realise, it's really only the middle."
(Tom Dawkins, Premier Ministre)


secretstatea.jpg

Je vous parlais il y a quelques semaines de la très intéressante mini-série A Very British Coup, thriller politique pessimiste particulièrement happant des années 80, inspiré du roman éponyme d'un député britannique de l'époque, Chris Mullin. Channel 4 s'est proposée durant le mois de novembre de moderniser ce récit, en se réappropriant librement ces interrogations sur le pouvoir réel derrière le pouvoir politique. Cette nouvelle mini-série, Secret State, compte 4 épisodes.

Fiction ambitieuse, aux thèmes multiples, elle n'aura pas su mener sa démonstration jusqu'au bout, cédant trop souvent à une surenchère et à une escalade dans la complexification des intrigues au fil de laquelle le propos même de l'oeuvre s'est un peu dilué. Cependant elle n'en reste pas moins un honnête thriller, globalement prenant.

secretstatem.jpg

Secret State débute à la suite d'une tragédie. Un accident industriel dévaste un petit bourg et fait plusieurs dizaines de victimes. Ce sont les installations d'une entreprise de pétrochimie, PetroFex, qui ont provoqué cette catastrophe. Après le choc et le temps du deuil, le Premier Ministre britannique s'envole pour les Etats-Unis pour négocier avec le géant pétrolier une compensation pour les citoyens britanniques touchés. Mais, sur le chemin du retour, son avion disparaît des écrans radars. L'épave est ensuite retrouvée, sans survivants.

Alors que le pays est en pleine période électorale, le vice-Premier Ministre, Tom Dawkins, est contraint de prendre les choses en main pour assurer à la fois l'assise de son parti et la conduite du pays. Cependant l'affaire PetroFex ne fait que commencer, et ses ramifications vont bien au-delà de ce qui pouvait être imaginable. En plus de devoir rechercher les causes de l'accident industriel, les services de sécurité doivent enquêter sur la mort du Premier Ministre. Les réponses offertes ne satisfont pas Tom Dawkins. Dans sa quête pour la vérité, il va se trouver confronter à des forces d'un système dont il n'est que le leader apparent.

secretstatee.jpg

Secret State bénéfici tout d'abord d'un sujet particulièrement intéressant, ayant beaucoup à dire sur la réalité de nos démocraties modernes et sur ses illusions. Là où A Very British Coup s'inscrivait dans un contexte particulier de prise de pouvoir d'un parti travailliste socialisant à une époque où l'URSS n'était pas encore tombée, Secret State modernise ses problématiques en évoquant pêle-mêle les enjeux énergétiques et pétroliers, le pouvoir de la finance et des banques, mais aussi le spectre du terrorisme et des guerres énergétiques du Moyen-Orient. Entre le thriller politique, la fiction conspirationniste, le tout saupoudré de journalisme d'investigation et d'espionnage, la mini-série jongle avec ces différentes thématiques. Le fil rouge de l'ensemble est le nouveau Premier Ministre britannique, Tom Dawkins, qui manoeuvre comme il peut au milieu de ces intérêts contradictoires. Il est un homme de principes, mais surtout une figure isolée dans un monde où le politique s'efface devant la puissance d'autres pouvoirs de l'ombre, et où une oligarchie qui n'a jamais de comptes à rendre au peuple s'active et sert ses propres intérêts.

Avec son récit dense et une histoire complexe, Secret State retient l'attention du téléspectateur, et s'avère dans l'ensemble globalement efficace. Pourtant, elle laisse malgré tout un arrière-goût d'inachevé. L'ambition du scénario est manifeste, voulant englober toutes les problématiques actuelles des enjeux géostratégiques à la finance internationale. Mais la mini-série tend à verser dans la surenchère. Complexifiant à outrance certains développements de l'histoire, multipliant les interventions de protagonistes qui ne trouvent pas toujours leur place, Secret State donne parfois l'impression de tout survoler sans être capable d'aller vraiment au fond des choses. Ainsi, si son propos, passionnant, trouve indéniablement un écho particulier à l'heure actuelle, la démonstration aurait vraiment gagné en force à faire plus simple et percutant. Vous m'objecterez qu'il vaut sans doute mieux une fiction qui pèche par excès de richesses qu'une oeuvre creuse et vide, cependant il est frustrant de voir laisser inexploité ce vaste potentiel juste effleuré dans la précipitation avec laquelle tout est traité.

secretstateh.jpg

Sur la forme, Secret State est une mini-série parfaitement maîtrisée. Sa réalisation est soignée, et le format choisi, le même que Top Boy l'an passé sur Channel 4 également, étire l'image dans sa longueur dans un style cinématographique inhabituel pour le petit écran, mais qui apporte un cachet supplémentaire à l'ensemble. La série sait aussi jouer sur l'ambiance qui se dégage de certaines images symboliques, n'ayant pas son pareil pour présenter un temps grisâtre, où les nuages menaçants s'amoncellent dans le ciel, signe des drames passés et des difficultés à venir.

Enfin, Secret State rassemble un casting extrêmement solide, dont on regrettera surtout qu'en seulement 4 épisodes, beaucoup ne soit que trop peu exploité au goût du téléspectateur (parmi lesquels Charles Dance (Bleak House, Game of thrones), Stephen Dillane (John Adams), Gina McKee (The Lost Prince) ou encore Rupert Graves (Garrow's Law, Sherlock)). Le rôle de Tom Dawkins revient à un Gabriel Byrne (In Treatment) qui, tout en subtilité et en nuance, construit un personnage complexe, plus fort et persévérant que l'on aurait pu lui donner crédit à première vue, homme providentiel -ou non- se retrouvant soudain placé devant des responsabilités énormes. Sa progression aboutit à un extrêmement discours final qui mérite le détour. A noter, sur le plan de l'anecdotique, que Chris Mullin lui-même - l'auteur de A Very British Coup - fait une brève apparition dans la mini-série.

secretstatei.jpg

Bilan : Thriller politique et conspirationniste ambitieux, Secret State suit le parcours d'un politicien propulsé à la tête du pays suite à une tragédie. Tenant son mandat du peuple, il se heurte pourtant rapidement aux limites du politique et à la réalité du pouvoir de l'ombre, entre enjeux financiers et énergétiques. Dressant un portrait pessimiste et sans complaisance de la réalité de nos démocraties modernes s'apparentant à de véritables oligarchies, la mini-série ne parvient cependant pas à exploiter complètement son potentiel. Voulant traiter trop de thématiques à la fois, elle n'en traite au final véritablement aucune en profondeur, se contentant de tout survoler. Cela reste certes une fiction très correcte dans son genre, mais qui laisse malgré le téléspectateur quelque peu frustré.


NOTE : 7/10


La bande-annonce de la mini-série :

14/08/2012

(UK) Line of Duty, saison 1 : affrontement au sein de la police sur fond de soupçons de corruption

lineofduty0.jpg

La semaine dernière, la journaliste Alison Graham écrivait dans RadioTimes un article expliquant comment à ses yeux BBC2 était devenue numéro 1. Plus précisément, elle faisait ce constat en opposant notamment les deux thriller proposés en Angleterre cet été : Blackout sur BBC1 et Line of Duty sur BBC2. Sur ce point, je suis assez d'accord avec elle : Blackout était une mini-série ambitieuse, avec un solide casting (mené par Christopher Eccleston) qui s'est noyée dans une prétention inutile et des effets de style creux. Je n'ai même pas réussi à finir les trois épisodes qui la composent et ai renoncé à vous en parler sur le coup de la déception.

A l'opposé, sans être parfaite, sans parvenir non plus à flirter avec une certaine excellence comme The Shadow Line (déjà sur BBC2) l'an dernier, Line of Duty aura été une série prenante et efficace qui aura répondu aux attentes que son scénario suscitait. Ecrite par Jed Mercurio, sa première saison est composée de 5 épisodes dont la diffusion a débuté le 26 juin dernier pour s'achever le 24 juillet. Au vu de sa réception, une seconde saison a d'ores et déjà été commandée, et c'est tant mieux.

lineofdutyd.jpg

Line of Duty débute par la faillite d'une opération anti-terroriste qui tourne mal : un homme innocent est tué dans un assaut contre un appartement qui s'avère ne pas être celui que les renseignements avaient désigné. Steve Arnott dirigeait l'assaut. Refusant de faire comme ses collègues qui peaufinent une version des faits permettant de les exonérer, il se retrouve vite en porte à faux par rapport à eux. Il est alors contacté par Ted Hasting pour rejoindre l'unité anti-corruption au sein de la police, AC-12, ce qu'il accepte.

Steve est alors assigné à une affaire en cours particulièrement délicate : une enquête sur le DCI Tony Gates, qui vient juste d'être décoré pour avoir obtenu, pour la troisième année d'affilée, les meilleures statistiques de résolution d'affaires. Hasting est persuadé que cet extérieur est trop brillant pour être honnête. Une de ses agents, Kate Fleming, travaille d'ailleurs sur le terrain pour infiltrer l'équipe de Gates. Pourtant, tout semble en ordre et Gates ne se préoccupe guère de AC-12. Mais c'est à cause de sa maîtresse, Jackie Laverty, que le policier en apparence sans reproches va mettre le doigt dans un engrenage extrêmement dangereux.

lineofdutyc.jpg

Line of Duty propose une saison 1 qui monte en puissance tout au long de ses cinq épisodes. Elle accorde un soin tout particulier à son ambiance, dépeignant l'envers de l'institution policière dans laquelle nous sommes immergés : un milieu coincé entre statistiques, bureaucratie, solidarité de corps et ambitions personnelles, avec ses codes, mais aussi ses principes, plus ou moins fluctuants. C'est sans doute parce que la série opte pour une solide introduction qu'elle démarre lentement, prenant le temps de poser le background de chaque personnage avant d'introduire son enquête fil rouge. Elle ne va ensuite cesser de gagner en intensité et en maîtrise au fil des épisodes, délivrant une seconde moitié de saison extrêmement prenante et très bien huilée. Sans éviter certains excès (notamment lorsqu'elle propose quelques aperçus d'une organisation criminelle qui semble avoir le bras long), la série saura bien exploiter son concept de départ : dépassant la simple enquête de corruption, elle se transforme progressivement en face-à-face très personnel entre Arnott et Gates.

Dans le cadre de cette confrontation qui oscille entre défiance réciproque et mépris grandissant, sans que l'on sache jusqu'où les choses peuvent dégénérer, Line of Duty fait le choix judicieux de nous faire suivre les développements de l'histoire suivant les points de vue de chacun des deux hommes. En changeant ainsi constamment de perspectives, le récit s'enrichit de nuances et gagne en recul, se détachant de toute approche manichéenne. Le téléspectateur est un observateur extérieur des forces et des failles de chacun, témoin privilégié d'un affrontement marqué par d'importantes différences d'approche. Le personnage de Gates est sans doute celui qui se révèle être le plus intéressant. Difficile à cerner, imperturbable en façade seulement, il conserve ses nuances : s'il a fait des choix discutables, l'histoire qui le rattrape est un engrenage létal qu'il ne pouvait imaginer et qui le dépasse. Arnott gagne lui en intérêt vers la fin de la saison : tout à sa droiture et refusant toute compromission, il finit par se rendre compte que nul n'est irréprochable ; la bavure initiale qui l'a conduit dans cette unité pèse alors plus lourdement que tout.

lineofdutya.jpg

Sur la forme, Line of Duty propose une réalisation relativement classique. La nervosité des plans de la caméra correspond cependant très bien à l'atmosphère tendue recherchée. La photographie adopte une dominante de couleurs froides également adéquate. On est en somme loin des excès surchargés d'effets de Blackout qui a dû rappeler à tout téléspectateur l'ayant testée le bienfait que peut apporter aussi une relative sobriété.

Enfin, Line of Duty bénéficie d'un convaincant casting. C'est tout particulièrement Lennie James (Jericho, The State Within, Hung) qui sort du lot, dans un registre très ambigu d'officier de police en apparence sans histoires dont les erreurs de jugement précipitent la perte. Face à lui, Martin Compston (qui m'avait beaucoup marqué il y a plus d'une décennie dans le film Sweet Sixteen - à une époque où je fréquentais encore beaucoup les salles obscures) met un peu plus de temps à trouver ses marques mais s'en sort globalement bien. Vicky McClure (This is England) apporte une vitalité et une énergie à son personnage qui sont vraiment appréciables. Gina McKee (The Lost Prince, The Forsyte Saga, The Silence) s'impose elle comme un modèle d'ambivalence. Et on retrouve également à leurs côtés Neil Morrissey (Waterloo Road), Adrian Dunbar (Ashes to Ashes), Craig Parkinson (Whitechapel 2, Misfits), Kate Ashfield (Collision), Paul Higgins (Hope Springs), Owen Teale (Kidnap and Ransom), Darren Morfitt (55 Degrees North) ou encore Claire Keelan (No Heroics).

lineofdutyh.jpg

Bilan : Pointant les limites internes à l'institution policière, Line of Duty relate une histoire sombre d'un abord classique : une enquête sur un officier soupçonné de ne pas respecter les règles, qu'il s'agisse de faire gonfler ses statistiques ou de corruption. Après des début un peu hésitants, la saison trouve progressivement son équilibre et une tension qui ne la quittera plus en se changeant en confrontation entre les deux hommes. A l'investigation mise en scène, se greffe alors un récit d'affirmation et de déchéance où chaque protagoniste s'accroche comme il peut sur la voie qu'il a choisi. Cette saison 1 se bonnifie ainsi pour se conclure sur une fin chargée d'amertume. Je serai donc au rendez-vous pour la saison 2.


NOTE : 7/10


La bande-annonce de la série :

16/01/2011

(Mini-série UK) The Lost Prince : un portrait intimiste au coeur des tourbillons de l'Histoire

The story of the prince that history forgot.

thelostprince.jpg

L'actualité du petit écran a beau avoir été très riche ces derniers jours, c'est finalement vers des explorations téléphagiques plus anciennes que je me suis tournée. Non seulement parce qu'il faut bien que je me plonge de temps en temps dans ma (haute) pile de DVD à voir, mais aussi parce que les découvertes que j'y fais sont bien trop captivantes pour que je songe à leur préfèrer des pilotes de concept au parfum confusément anachronique, de remake inutile ou d'énième déclinaison d'ersatz Shonda Rhimes-iens exotiques, proposés en ce début de mois de janvier aux Etats-Unis. Pourtant j'ai bien tenté de jeter un oeil à tout cela ; mais que voulez-vous, la fiction qui a retenu mon attention cette semaine date de 2003. Elle s'intitule The Lost Prince ; et elle, elle a le mérite de me rappeler pourquoi je suis téléphage.

Saluée et récompensée jusqu'aux Etats-Unis où elle a remporté en 2005 l'Emmy Award de la meilleure mini-série, il s'agit d'une fiction d'une durée totale de 3 heures, composée de deux parties d'une heure et demie chacune. Son visionnage s'inscrit dans le cycle de découvertes des oeuvres de Stephen Poliakoff entamé depuis quelques mois, et au cours duquel j'ai déjà eu l'occasion de vous parler de Perfect Strangers, puis dernièrement de Shooting the Past. J'avoue que ma fascination grandissante pour le style qui marque ces fictions a encore pris une autre dimension en regardant The Lost Prince.

thelostprinced.jpg

The Lost Prince couvre une décennie de bouleversements politiques européens, s'ouvrant durant le Noël 1908 et se terminant en 1919 dans les ruines d'une Première Guerre Mondiale qui aura redessiné géopolitiquement et constitutionnellement une Europe où le temps n'est plus aux monarchies. Marquant la fin d'une époque, elle nous relate ces évènements de la perspective d'une famille royale britannique au sein de laquelle se joue un autre drame, plus personnel.

Car The Lost Prince s'appelle John. Il est le plus jeune fils du roi George V et de la reine Mary. Atteint d'épilepsie depuis son plus jeune âge et ayant eu une enfance marquée par des violentes crises soigneusement dissimulées par sa famille, sa santé précaire a également empêché le garçon de s'épanouir normalement, souffrant d'un léger retard dans ses capacités mentales. Devant l'inéluctabilité d'une situation de plus en plus difficile, souhaitant évacuer artificiellement cette douleur et le soustraire à tout regard extérieur, ses parents organiseront son éloignement, le tenant à l'écart de la cour et des mondanité où il ne pouvait être qu'une source d'embarras. D'abord reclus dans une maison attenante, il finira par être envoyé dans une ferme loin de tout à la campagne.

C'est cette courte vie aux accents tragiques que la mini-série nous relate, explorant les relations du prince avec son entourage. Au centre de son univers, il y a Lalla, sa fidèle nourrice, qui restera jusqu'au bout son plus précieux soutien. Mais sa famille demeurera également une constante. Si John n'entretiendra que des rapports excessivement distendus avec des parents peu enclins naturellement à exprimer des sentiments mais qui souffrent profondément de leur impuissance face à son état, il conservera toujours une relation pleine de complicité avec un de ses frères, George, à peine plus âgé que lui, égaré lui-aussi dans ce jeu des apparences où ce qui est socialement attendu de lui ne lui correspond absolument pas.

John mourut finalement à l'âge de 13 ans, en 1919, d'une crise d'épilepsie plus violente que les autres, concluant une mini-série assurément poignante à plus d'un titre.

thelostprinceg.jpg

Dense et théâtrale, bénéficiant d'une narration admirablement maîtrisée de bout en bout, The Lost Prince est une mini-série aboutie qui s'inscrit dans les thématiques chères à Poliakoff - la famille, l'Histoire - tout en y apportant un souffle supplémentaire par rapport aux autres mini-séries dont j'ai déjà pu vous parler (Perfect Strangers comme Shooting the Past) : ici, l'Histoire ne se re-découvre pas dans les images d'archives, elle s'écrit sous nos yeux, ajoutant une dimension émotionnelle encore plus intense.

The Lost Prince, c'est tout d'abord une histoire familiale. C'est un drame humain pudique qui ne verse jamais dans le larmoyant facile. C'est un portrait plein de vie d'un garçon, puis d'un adolescent dynamique, dont la mini-série va s'attacher à suivre le quotidien. Si son handicap est traité avec beaucoup justesse, mais aussi de pudeur, c'est également parce qu'il confère à John l'insouciance de ceux dont l'état leur permet de ne pas être astreint à l'étiquette sociale rigide de leur statut, pouvant ainsi énoncer sans sourciller des vérités crues que personne n'oserait formuler à voix haute dans ce monde d'apparences. Une liberté mise en exergue tout au long du récit que lui envie son frère George, insupporté par la pensée de la carrière militaire déjà régentée qui l'attend. Les destinées parallèles, toutes aussi peu enviables, des deux frères, constituent un fil rouge narratif des plus opportuns. L'intensité des rapports fraternels que les deux garçons partagent, par contraste à la distance que maintient le reste de la famille, est aussi très émouvante, apportant à John une chaleur humaine dont il a besoin même s'il n'en a pas toujours conscience. C'est dans cette optique qu'il faut aussi saluer le rôle que joua Lalla, nourrice tellement attentionnée et obstinée qu'elle se substitua en bien des points à une mère dont le statut empêchait qu'elle remplisse cette fonction.

The Lost Prince apparaît donc à la fois comme un portrait intime, mais aussi comme une immersion dans un certain microcosme monarchique, qui va lui permettre de relier naturellement ces histoires personnelles à des évènements d'une toute autre dimension, tout aussi déstabilisant pour la famille royale.

thelostprinceh.jpg

The Lost Prince, c'est aussi en arrière-plan des pages d'Histoire troublée qui se tournent sans complaisance. C'est le récit d'une décennie de redistribution des cartes en Europe que la monarchie britannique va s'efforcer de traverser en dépit d'une hostilité grandissante à son égard. Comme toujours, la narration de Poliakoff fonctionne pleinement, avec une intensité fascinante, par le biais des symboles et des mises en scène. A travers les leçons du précepteur de John, matérialisées par ces présences de personnalités décorées et imposantes lors de l'enterrement d'Edouard VII, nous entrevoyons l'étendue de toute cette parenté royale, de degré plus ou moins proche, qui règne aux quatre coins de l'Europe. La Première Guerre Mondiale va venir bouleverser cet échiquier politique, faisant perdre leurs derniers repères à un couple royal qui subit même la méfiance de son propre peuple, allant jusqu'à devoir abandonner le nom aux consonances germanophones que la famille porte.

Les cousins, proches d'hier, se transforment en ennemis. Emportés par les chaos de l'Histoire, certains abdiquent, d'autres sont renversés. Parmi ces monarques déchus aux destinées incertaines, c'est sur le sort d'une famille particulière, celle à la fin la plus tragique, que la mini-série va s'arrêter : les Romanov, à travers deux moments clés. C'est tout d'abord en un temps d'insouciance que nous les rencontrons quand, en cousin de George V, Nicolas II rendit visite à ce dernier, accompagné de toute sa famille, notamment de ses quatre filles tout de blanc vêtues qui fascinèrent tant le jeune John. Une famille qui, à la différence de sa consoeur anglaise, vit encore dans une conception d'absolutisme, sans avoir l'habitude des compromis, comme le souligne l'attitude adoptée par la Tsarine, accentuée par les tergiversations sans fin de Nicolas II. Nous ne reverrons ensuite la famille du Tsar que dans l'imagination de John. Pour sauver sa position fragilisée, alors que partout en Europe les monarchies disparaissent, George V fera pression pour que l'Angleterre n'accueille pas ces souverains russes déchus si impopulaires auprès de son opinion publique. Dans un style propre à Poliakoff, celui d'un récit indirect distant, le téléspectateur assistera à leur exécution, qui entérinera définitivement la fin d'une époque.

thelostprinceq.jpg

Fascinante par le traitement qu'elle propose de cette multiplicité des thématiques abordées, The Lost Prince est également une mini-série pleinement aboutie sur la forme. Elle porte ici la marque caractéristique de son auteur. Sa réalisation, soignée, trouve en effet une inspiration théâtrale dans laquelle elle s'épanouit. Certains mises en scène versent dans une symbolique soigneusement étudiée, où le poids et la force des images se veulent bien plus parlant que des dialogues qui sont parfois absents de ces passages. A ce titre, je pense que la scène qui m'a le plus marqué se situe au début de la deuxième partie. Alors que l'Europe est en ébulition, suspendue à la réaction russe et allemande suite à l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, on y voit le Tsar Nicolas II s'adonner insouciant à sa passion pour la natation sous les yeux de sa famille rassemblée. Sur le côté, les militaires attendent son ordre de mobilisation, tandis que la devanture dans laquelle la famille tsariste est confortablement installée, d'une couleur rouge sombre, se reflète dans l'eau jusqu'à la forme allongée de Nicolas II, lequel porte également un costume de la même couleur. Cette ombre rouge qui s'étend, c'est celle du sang. C'est le destin de cette famille qui bascule par la décision alors prise et l'engrenage qui s'enclenche. Ce passage est un vrai modèle du genre.

De plus, The Lost Prince porte également la marque musicale de Poliakoff, avec une utilisation fréquente, résolument intégrés au récit, de morceaux de musique classique qui retranscrivent à merveille la tonalité des scènes qu'ils accompagnent. Elle sublime certains passages, et son apogée se trouve sans doute dans le récital final délivré par John, poignant d'une intensité émotionnelle où percent tant de regrets qu'elle en bouleverse la famille royale comme le téléspectateur.

thelostprincem.jpg

Enfin, The Lost Prince ne serait sans doute pas cette oeuvre magistrale sans la performance d'ensemble que délivre son superbe casting. Il faut tout d'abord saluer les plus jeunes qui remplissent admirablement leur rôle, Daniel Williams (Frankenstein), puis Matthew James Thomas (Britannia High) incarnant tour à tour un prince John touchant, à la fois fragile et plein de vie. Brock Everitt-Elwick (Bonkers), puis Rollo Weeks leur offriront un pendant parfait, dans le rôle de son frère George.

Du côté des adultes, on retrouve des acteurs confirmés qui trouvent ici l'occasion de nous rappeller tout le bien que l'on pense d'eux : Gina McKee (The Forsyte Saga, The Silence) est une Lalla dévouée, Tom Hollander (Cambridge Spies, The Company, Desperate Romantics, Rev, Any Human Heart) un roi George V navigant à vue en ces temps si troublés, Miranda Richardson (Rubicon) une reine Mary tout en retenue et en dignité dont la sensibilité perce à l'occasion l'apparence froide qu'elle s'est construite. Enfin Bill Nighy (State of Play) est, comme toujours, excellent. Parmi les autres acteurs, signalons la présence de Michael Gambon en Edward VII vieillissant, la reine Alexandra étant interprétée par une émouvante Bibi Anderson.

thelostprinceu.jpg

Bilan : Bénéficiant d'une écriture aboutie, maniant avec habileté l'art de la mise en scène et des symboles, The Lost Prince est une mini-série touchante, profondément humaine, qui propose un portrait attachant et sensible de ce prince oublié. A travers sa brève vie, elle nous immerge dans le milieu codifié et rigide d'une monarchie à la légitimité vacillante, au centre duquel on trouve une famille royale britannique luttant pour sa survie face à l'Histoire qui est en marche, perdant ses repères et isolée dans la guerre comme face aux révolutions qui ont lieu sur le continent européen.

Rejoignant certaines thématiques chères à Poliakoff comme la famille et l'Histoire, The Lost Prince mérite sa place au sein de ces incontournables oeuvres qui ont donné ses lettres de noblesse au petit écran. Indispensable.


NOTE : 9,25/10


Un extrait - la scène (qui me fait fondre en larmes) du récital à la fin :

 

Le thème musical :

20/07/2010

(Mini-série UK) The Silence : à la frontière du thriller et du drame familial, la figure fragile d'une héroïne poignante

 

thesilence0.jpg
Il n'y a pas que des fictions légères, chaudes et ensoleillées, à la télévision, durant l'été. Ainsi, la semaine passée, BBC1 consacrait quatre de ses soirées (du 12 au 15 juillet 2010) à la diffusion d'une mini-série intitulée The Silence. Construite autour de thématiques classiques, cette fiction nous a proposé un mélange des genres assez atypique, mêlant à son format efficacement calibré de thriller policier à suspense, un drame familial plus subtile et intimiste.

Sans se démarquer des productions britanniques du genre de ces dernières années, The Silence a gagné progressivement en intensité et en maîtrise des éléments de son scénario, allant crescendo, pour se conclure de façon très abrupte sur un choix narratif, peut-être discutable, en tout cas un brin frustrant, de ses scénaristes.

thesilenceh.jpg

Au-delà de son histoire de départ, c'est à travers le choix de son personnage principal que The Silence impose d'emblée sa part d'originalité. Amelia a jusqu'alors mené une vie sur-protégée par des parents omni-présents ; car cette jeune fille de 18 ans est sourde, une vulnérabilité particulière qui explique la façon dont son entourage s'occupe d'elle. Cependant sa vie dans le silence s'est terminée récemment, à la suite d'une intervention chirurgicale où elle s'est vue aposée un implant qui lui permet d'entendre, pour la première fois, des sons. L'adaptation à la cacophonie ambiante, ainsi que l'attention dont elle doit soudain faire preuve à son environnement, est aussi difficile qu'épuisant. Pour ce faire, elle suit une thérapie afin d'apprendre à maîtriser ce nouveau sens qui s'ouvre à elle.

Les séances chez sa spécialiste étant fréquentes, elle passe une partie de la semaine auprès de ses cousins, chez son oncle Jim, un policier dont le domicile est plus proche du cabinet médical que celui de ses parents. Mais un soir, le quotidien d'Amelia va être complètement boueversé. Alors qu'elle est sortie promener le chien dans le parc en bas de la rue, elle assiste, tétanisée, à la scène d'un meurtre dans les allées. Une joggeuse est renversée, volontairement, par une voiture, occupée par deux individus. Tapie dans la pénombre, Amelia distingue les traits d'un d'entre eux.

Profondément choquée, elle commence par se taire, effrayée. Puis, alors que son oncle est chargé de l'affaire, la victime étant une policière, elle finit par se confier à lui. Craignant pour sa nièce qu'il considère particulièrement vulnérable en raison de son état, Jim va devoir arbitrer ses priorités entre impératifs familiaux et vie professionnelle. Malheureusement, l'aide d'Amelia expose peu à peu une situation dont la complexité, mais aussi la dangerosité, entraîne toute la famille dans le tourbillon des moeurs peu recommandables de l'unité anti-drogue de la police de la ville.

thesilencej.jpg

Par la richesse et la diversité des thèmes abordés, The Silence surprend. Si sa structure narrative s'apparente à celle d'un thriller, dont la tension se construit, montant au fil des épisodes, tandis que les pièces du puzzle se découvrent progressivement, la mini-série n'hésite pas à s'appesantir et développer des aspects plus personnels aux personnages, nous intéressant aux dynamiques internes à la famille d'Amelia, ainsi qu'à la situation particulière de cette dernière. Ce dernier aspect, plus psychologique, confère une très forte dimension humaine à une fiction dont il s'agit sans doute du principal élément d'originalité.

The Silence fait donc preuve de réelles ambitions, allant au-delà du simple thriller, en visant une double exploitation parallèle de ces deux volets. La difficulté inhérente à ce choix n'est pas pleinement surmontée : jouer sur les deux tableaux entraîne en effet quelques ruptures du rythme narratif soulignant la maîtrise parfois approximative de la structure d'ensemble. Plus que dans le récit lui-même, c'est le contraste entre les tonalités qui place certains passages en porte-à-faux, dichotomie déséquilibrée reflétant l'hésitation de scénaristes qui peinent, durant la première partie de la mini-série, à trouver un liant d'ensemble. Dans la seconde partie, le suspense aidant, les deux derniers épisodes sont plus homogènes, permettant une alternance beaucoup plus naturelle entre le thriller et le drame familial, qui en deviennent même complémentaires.

thesilenceg.jpg

Si ce fragile équilibre des tonalités met un peu de temps à s'établir, c'est sans doute aussi en partie parce que le volet thriller peine à s'affirmer immédiatement, restant quelque peu en retrait. L'univers policier de Jim est d'abord cantonné en arrière-plan. Puis, à mesure que l'enquête prend de l'importance et gagne en complexité, le téléspectateur finit par se prendre au jeu de la tension ambiante. Cependant, le fait que l'affaire progresse par saccades irrégulières n'aide pas, dans un premier temps, à renvoyer une apparence de maîtrise du scénario. Cependant, à mesure que les enjeux prennent corps, l'intrigue se révèle de plus en plus convaincante. La rafraîchissante sobriété dont la mini-série use lui confère au final une légitimité supplémentaire.

Reste que, plus que dans cet aspect thriller, c'est dans un créneau, plus personnel et psychologique, que The Silence se démarque et impose son style. Le volet familial, s'il n'échappe pas à certains poncifs du genre, est plus abouti, bénéficiant d'une écriture assez subtile, où l'émotionnel transparaît à fleur de peau, permettant à la mini-série de s'inscrire dans une tradition de drame où la dimension humaine, centrale, surprend agréablement le téléspectateur. Dans ce registre, la retenue avec laquelle est présenté le traumatisme d'Amelia est particulièrement appréciable. Le meurtre dont elle est témoin s'ajoute à toutes les difficultés personnelles qui la troublent depuis la pose de son implant auditif. Tous ces ajustements nécessaires se cumulent, expliquant et justifiant des états d'âme poignants, sur lesquels la mini-série choisit opportunément de se concentrer.

thesilencef.jpg
The Silence est-il un thriller flirtant avec le drama familial ? Ou bien l'inverse ? La question n'a sans doute pas vraiment lieu d'être, dans la mesure où la réponse relève du domaine du ressenti propre à chaque téléspectateur. Cette capacité à mêler les deux genres est, il faut le préciser, une voie relativement classique à la télévision britannique. Cependant, la particularité de The Silence réside peut-être dans le fait que le drame familial est l'élément qui s'en détache le plus.

Pour illustrer cette affirmation, le premier élément qui me vient à l'esprit est sans doute la conclusion de The Silence qu'il me semble difficile de ne pas évoquer. En effet, la mini-série se termine de la plus abrupte des manières, un choix narratif assumé, mais qui peut décontenancer. En se concentrant sur Amelia, et sur le chemin que la jeune fille a parcouru depuis le début de cette aventure, pour parvenir à faire la paix avec elle-même et accepter les bouleversements (auditifs) récents de sa vie, The Silence délaisse ses accents de thriller, relégant cet aspect au second plan. La fin consacre - presque a posteriori - le choix du drame familial.

C'est comme si cette plongée mouvementée dans les arcanes corrompues de la police locale n'avait constitué qu'un prétexte, un parcours initiatique pour Amelia, lui permettant de s'ajuster à son nouveau rapport à ce qui l'entoure, à ses parents, mais aussi au monde des entendants dans sa globalité. Si bien que derrière cette symbolique de l'épreuve, unissant dans l'adversité les membres d'une même famille, le thriller va finalement se résoudre en simple toile de fond quasiment anecdotique. The Silence laissera ainsi le soin au téléspectateur d'extrapoler, à partir des dernières indications qui lui sont données, sur la conclusion de l'affaire, préférant se désintéresser de toutes ses ramifications qu'elle a pourtant savamment construit, pour consacrer le rôle de pivôt central du personnage d'Amelia.

thesilenced.jpg
Sur la forme, The Silence est une mini-série soignée, dont la réalisation classique n'hésite pas à jouer sur les teintes et les cadres. Sans se démarquer, elle s'avère en tout cas efficace.

Enfin, le casting, très solide, permet d'asseoir le scénario. Genevieve Barr y tient, avec une certaine naïveté et beaucoup d'assurance non dépourvue d'une touche de nuance, un premier rôle-titre très convaincant ; et il convient de saluer sa performance. Douglas Henshall (Primeval, Collision) en fait parfois un peu trop dans l'émotionnel, mais il impose une présence forte à l'écran, qui contre-balance celle d'Amelia. A leurs côtés, on retrouve également Gina McKee, Hugh Bonneville (Lost in Austen), Dervla Kirwan (55 Degrees North, Material Girl), Harry Ferrier, Tom Kane, Rebecca Oldfield ou encore Richie Campbell (The Bill).

thesilencea.jpg

Bilan : A si bien vouloir mêler les genres, The Silence se révèle au final plus difficile à catégoriser que son synopsis ne le laissait penser. Derrière son apparence de thriller savamment orchestré, le téléspectateur garde surtout l'impression qu'il assiste à la quête de soi d'une héroïne qui voit son rapport à l'extérieur bouleverser par son implant auditif. Si le suspense de l'affaire principale rythme les péripéties de la mini-série, c'est le drame familial qui se joue sous nos yeux qui finit par l'emporter, la conclusion paraissant symboliser le choix des scénaristes de privilégier cette dimension humaine, plus personnelle et intimiste.

S'inscrivant dans la lignée de divers thrillers proposés en mini-séries à la télévision britannique ces dernières années, The Silence ne révolutionne pas ce genre. Cependant, il contient quelques éléments qui lui sont propres, à commencer par son héroïne, admirable, qui mérite qu'on prenne le temps de s'intéresser à cette fiction.


NOTE : 6,75/10