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09/11/2012

(Mini-série UK) A very British coup : thriller de politique-fiction pessimiste à la fois glaçant et prenant

 
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Ce mercredi soir (7 novembre 2012) commençait sur Channel 4, en Angleterre, Secret State, une mini-série s'inscrivant dans le registre prisé du thriller politique - les chaînes anglaises surfant depuis une décennie dans la voie ouverte par State of Play. Même si la lecture du synopsis semble de prime abord assez différent, il faut préciser qu'elle s'inspire d'un roman écrit au début des années 80 par un politique anglais, Chris Mullin, A very British coup. Cet ouvrage, relatant les destinées troublées d'un gouvernement travailliste et publié dans l'Angleterre Thatcherienne d'alors, a déjà donné lieu à une première adaptation qui figure parmi les quelques oeuvres clés de politique-fiction typiquement britanniques incontournables (que j'avais déjà évoquée dans mon dossier sur les séries & la politique en avril dernier).

Diffusée en 1988, également sur Channel 4, A very British coup comporte trois épisodes et est scénarisée par Alan Plater. Oeuvre pessimiste sur la réalité de la démocratie, elle a marqué son époque, mais se visionne encore très bien aujourd'hui. L'aura dont elle jouit toujours (les BAFTA et Emmy qu'elle a remportés y contribuant également) n'est pas usurpée. Avant de jeter un oeil au nouvel essai qu'est Secret State, permettez-moi donc de profiter de l'occasion pour revenir sur cet essai glaçant de politique-fiction qu'est A very British coup.

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Les élections législatives du printemps 1989 sont remportées par le Parti Travailliste. Son leader, Harry Perkins, un homme issu d'un milieu populaire, représente les vues de l'aile gauche du parti. Parmi les mesures phares du programme qu'il entend mettre en oeuvre, figurent notamment la fin des monopoles dans les médias - et notamment la presse - de grands groupes capitalistes, l'organisation d'un désarmement nucléaire unilatéral ou encore la fermeture des bases militaires américaines existant sur le sol britannique. Il entend conduire sa politique avec une communication très ouverte, où le principe est de dire la vérité.

L'arrivée d'un tel gouvernement socialiste n'est évidemment pas du goût de l'establishment britannique, d'autant que Harry Perkins semble être un homme de conviction, droit dans ses bottes, qui n'est pas influençable. Rapprochés par des intérêts convergents, différents acteurs de l'ombre entrent alors en action dans les coulisses du pouvoir réel pour faire chuter ce Premier Ministre encombrant. Parmi ces opposants au sein desquels on retrouve aussi bien des magnats de la presse que des agents américains dont le pays s'inquiète pour ses intérêts en Europe, le directeur du MI5 s'impose comme une figure dominante du fait des ressources dont il dispose. Aristocrate représentant tout ce que Perkins souhaiterait changer dans la société, Sir Percy Browne se révèle être un adversaire dangereux. Tandis que dans le même temps le Premier Ministre ne peut guère compter que sur une poignée de fidèles pour tenter de mener à bien ses projets...

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Regarder A very British coup aujourd'hui, c'est tout d'abord constater que si le propos de la mini-série n'a rien perdu de sa force, l'ensemble demeure représentatif d'une époque particulière, celle des années 80. Elle décrit l'arrivée au pouvoir de l'aile la plus à gauche du parti travailliste, avec un programme de campagne suscitant la peur du capital et provoquant une panique boursière. De même, les enjeux géopolitiques envisagés sont ceux d'une période où la guerre froide n'est pas encore achevée et où l'URSS existe encore. Les thèmes ici envisagés, telles la dénucléarisation ou la fin de la "special relationship" avec les Etats-Unis, ont des enjeux particuliers. De plus, l'histoire a été écrite et publiée - et la série diffusée - dans l'Angleterre conservatrice de Margaret Thatcher. Sa réception par le public de la fin des années 80 ne peut donc pleinement s'apprécier et se comprendre sans se replacer dans ce contexte global.

Pourtant, cette nécessaire recontextualisation n'amoindrit en rien le propos de A very British coup. Si une oeuvre comme House of Cards, quelques années plus tard, transposera magnifiquement à l'écran tout le cynisme et le machiavélisme de la lutte pour le pouvoir, il souffle sur cette mini-série un pessimisme ambiant plus marquant car il touche à l'essence même du régime démocratique. En montrant la réaction des élites et leur organisation contre celui qui a remporté les élections, le récit oppose à la volonté du peuple celle d'un pouvoir de l'ombre. La capacité d'action du politique se trouve ici activement réduite par ceux que l'attaché de presse de Perkins appelle lui-même les "real masters" du pays. En dressant le portrait d'une véritable oligarchie, avec un establishment prêt à tout pour protéger ses intérêts et tirant les ficelles en marge des élections, loin du regard des gouvernés, A very British coup trouve un écho qui parle toujours au téléspectateur de 2012, alors que les questions du poids du monde financier, de certaines instances ou de l'abandon de souveraineté n'ont pas quitté l'actualité.

Par ailleurs, A very British coup reste une fiction à la construction très efficace. Véritable thriller politique mettant en scène une partie d'échecs létale au sommet de l'Etat, la mini-série propose trois épisodes exécutés sans le moindre temps mort, où la lutte entre chaque camp ne cesse de s'intensifier. Perkins a beau se présenter devant les caméras comme un homme simple issu du peuple, il est d'une lucité à toute épreuve. Son expérience lui permet de parfaitement comprendre la réalité des rapports de force à l'oeuvre, identifiant les rouages en train de s'activer pour précipiter son échec. Ses adversaires sont coriaces, et leurs ressources, multiples, rendent le combat - on le devine d'emblée - trop inégal. Mais ce Premier Ministre, stratège qui lutte pour ses idées et qui reste un homme intègre n'entendant pas se compromettre pour le pouvoir, implique vraiment le téléspectateur à ses côtés. Ses confrontations avec le chef du MI5 sont d'une intensité bluffante, et sa faculté à retourner des situations semblant sans issue force le respect. Si on peut peut-être reprocher à certains passages de prendre quelques raccourcis, l'ensemble s'agence vraiment de manière glaçante. 

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Sur la forme, A very British coup a logiquement vieilli visuellement, sans que la mise en scène datée n'affecte en rien la portée d'une histoire qui repose sur la finesse et le côté percutant des dialogues. Surtout, il faut relever que la mini-série bénéficie d'une bande-son extrêmement riche, rythmée et envahissante à la manière d'une musique de campagne électorale. Elle s'avère toujours très efficace pour accompagner le récit.

Enfin A very British coup n'aurait sans doute pas eu un tel impact sans son casting extrêmement solide et convaincant. Il faut commencer par rendre hommage à Ray McAnally (A Perfect Spy) dont la performance en Harry Perkins est magistrale : il sait allier avec beaucoup de justesse et de subtilité la bonhomie apparente de l'homme politique et la finesse et la précision du stratège qui s'efforce de mener à bien ses projets, le tout en ayant une présence marquante à l'écran. Face à lui, Alan MacNaughton dirige les hostilités avec un flegme inébranlable et une main de maître (ce qui ne surprendra pas la téléspectatrice que je suis qui a tant savouré la manière dont il incarnait Sir Wellingham dans The Sandbaggers). Autour d'eux, on retrouve notamment Keith Allen, Geoffrey Beevers, Marjorie Yates, Jim Carter, Philip Madoc, Jeremy Young, Tim McInnerny ou encore Shane Rimmer.

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Bilan : Exercice de politique-fiction très pessimiste sur la réalité et la nature du régime démocratique et des rapports de force qui s'y jouent en coulisse, A very British coup est une oeuvre de son époque, mais aussi une histoire qui trouve toujours un écho particulier de nos jours. Thriller bien construit mettant en scène un véritable coup d'Etat fomenté dans les coulisses feutrées des élites, loin du regard des gouvernés, cette mini-série n'a rien perdu de son efficacité, et les questionnements soulevés restent glaçants. Parmi les libertés prises avec le livre d'origine, il faut noter sa conclusion qui suggère de manière très amère l'échec de tous les protagonistes : la défaite de Perkins, comme celle du maintien de l'illusion démocratique.

En résumé, A very British coup est une oeuvre politique dont je recommande (encore aujourd'hui) le visionnage. Pour les curieux, elle existe en DVD en Angleterre (malheureusement sans piste de sous-titres, à réserver donc aux anglophones).


NOTE : 8/10

11/03/2012

(UK) Blackadder (La Vipère Noire) : une comédie historique savoureuse et incontournable

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Je suis la première à reconnaître être peu versée dans les comédies. Je n'ai fondamentalement rien contre ce genre, mais elles sont peu nombreuses à me fidéliser. Actuellement, à l'exception notable de ce petit bijou qu'est The Thick of it dont j'attends avec impatience la quatrième saison, aucune ne me marque. Pourtant j'ai moi aussi mes classiques dans ce genre : quelques comédies cardinales dont les DVD sont soigneusement rangés dans ma bibliothèque. Vous connaissez mon trio sacré de l'humour en séries : Yes Minister (Yes Prime Minister) (à laquelle je voue un culte), Jeeves & Wooster et Blackadder. Un peu plus récemment, l'intégrale de A bit of Fry and Laurie est venue s'ajouter au rayonnage ; j'aurais sans doute l'occasion de vous en reparler.

Si parmi les tous premiers billets de ce blog, figurait une brève présentation de la saison 2 de Blackadder, j'ai achevé il y a quelques temps un revisionnage intégral (et dans l'ordre de diffusion) de la série, si bien que j'ai envie aujourd'hui d'y revenir plus globalement. Car au rang des comédies cultes que tout sériephile doit avoir vues une fois dans sa vie, elle occupe une des toutes premières places. Diffusée de 1983 à 1989 sur BBC1 (avec un dernier épisode spécial venu conclure le millénaire en 1999), Blackadder compte 4 saisons, pour un total de 26 épisodes. Elle a été diffusée en France, sous le titre La Vipère Noire, sur Arte, à partir de 1995. Et elle reste une série qui se savoure avec un plaisir inaltéré.

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Les 4 saisons de Blackadder se déroulent chacune à une époque différente ; elles ont pour point commun de nous faire suivre les (més)aventures d'un membre de la famille des Blackadder, Edmund, à diverses périodes de l'Histoire de l'Angleterre, et dont l'ambition et l'opportunisme demeureront inchangés. Il restera toujours accompagné par un serviteur, le fidèle - plus ou moins - Baldrick, et par les descendants de ce dernier. Au fil des saisons, tandis que Blackadder ne cessera de s'abaisser dans la hiérarchie sociale, c'est sur le plan de l'évolution que Baldrick régressera inversement.

Blackadder s'apparente donc à une ré-écriture de l'Histoire anglaise s'étendant sur quatre siècles, à travers les destins des représentants de deux familles liées. La première saison se déroule à la fin du Moyen-Âge, au XVe siècle, sous le règne (fictif) de Richard IV. La seconde prend place sous Elizabeth I, dans la seconde moitié du XVIe siècle. Puis, la troisième met en scène la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, sous George III. Enfin, la dernière se déroule dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale, en 1917.

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Blackadder est une comédie brillante, à la richesse rare, dont la force va être de savoir exploiter tous les types d'humour, tout en faisant de ses dialogues son atout principal. Dotée d'une tonalité volontairement sombre, de plus en plus désenchantée à mesure que la série progresse, on retrouve entremêlés jusqu'à l'excès un cynisme et un absurde dont le cocktail se révèle très savoureux. Car c'est par ces échanges acides, délicieusement ciselés, qui prennent place entre ses personnages, et par ces réparties cinglantes, où tous les registres de la langue anglaise sont mobilisés, que Blackadder va marquer. Chaque mot est pensé et pesé, avec des passages à la densité prenante ; la série se savourant logiquement avant tout en version originale. Si l'écriture fonctionne si bien à l'écran, elle le doit aussi aux dynamiques qui se mettent en place entre ses protagonistes. Tout en étant la figure centrale, Blackadder permet une prise de distance souvent jubilatoire face aux problèmes à surmonter. Et il va aussi savoir s'intégrer dans une galerie de personnages aux rôles identifiés (le serviteur, l'aristocrate chanceux...).

Si toutes ces caractéristiques ont permis à Blackadder de passer à la postérité, il serait faux de décrire la série comme un bloc homogène. En effet, elle a considérablement évolué au fil de ses saisons, permettant au téléspectateur d'être le témoin privilégié de la maturation, aussi fascinante que très réussie, de l'idée de départ. La première saison est ainsi celle des expérimentations, et reste sans doute la moins aboutie. Disposant d'un budget qui lui permet des scènes en extérieur, elle revisite avec excès la période médiévale, en multipliant les anachronismes. Mais elle laisse un arrière-goût d'inachevé, donnant l'impression de toujours chercher son équilibre. Même si elle propose quelques scènes très réussies, c'est celle que j'aime le moins. Puis, à partir de la saison 2, la distribution des rôles entre les personnages s'affine, de même que leurs rapports. Le duo entre Blackadder et Baldrick, tout particulièrement, réserve quelques échanges très savoureux, et les caprices de la reine Elizabeth I provoqueront plus d'un sourire.

Viennent ensuite les deux dernières saisons de Blackadder qui sont celles qui forgent véritablement la "légende" de la série. La troisième est celle de la maturité dans le domaine de la comédie : trouvant une justesse d'écriture entre tous les types d'humour et de dynamiques expérimentées au cours des saisons précédentes. On y retrouve du burlesque, du provocateur, et surtout des dialogues génialement ciselés, notamment ceux entre Blackadder et le prince régent au sujet desquels l'adjectif "culte" n'est pas galvaudé. Enfin, la quatrième saison est la plus approfondie. Elle permet à la série de prendre toute la mesure de son concept d'origine. Cette dernière s'y fait plus grinçante, et surtout moins légère, abordant des thématiques plus pesantes face à ces soldats dans les tranchées de la Grande Guerre. Blackadder exploite alors sa tonalité particulière, oscillant toujours entre cynisme et humour, pour traiter avec une justesse inattendue - mais sans se renier - de sujets qui sont normalement étrangers à la comédie. La quatrième saison est ainsi la plus aboutie ; et son résultat reste à mon sens le plus ambitieux apport de la série, démontrant par là toute sa richesse.

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Sur la forme, la baisse budgétaire à la fin de la première saison se perçoit dans l'évolution des décors. Mais dans l'ensemble, cela aura peu d'influence sur la série elle-même : c'est en effet sur ses dialogues que Blackadder repose, et c'est ce qui lui permettra de s'imposer, la forme demeurant plus anecdotique (surtout lorsque l'on a à disposition un tel casting pour leur donner vie). A noter que les génériques de début et de fin changent à chaque saison ; je vous en propose une petite compilation en fin de billet, car ils sont généralement très inventifs et l'orchestration musicale, comme les mises en scène, ont contribué à forger l'aura de la série. Personnellement, je continue d'avoir un faible pour le dynamisme de celui de la première saison (cf. première vidéo ci-dessous).

Interprète du rôle titre et co-créateur de la série avec Richard Curtis, Rowan Atkinson est sans doute plus connu en France pour son rôle de Mr Bean. Pourtant Blackadder reste à mes yeux son oeuvre la plus réussie ; la plus indispensable aussi. On y retrouve évidemment son jeu d'acteur caractéristique, et toutes ses expressions familières, qui apportent une dimension supplémentaire à un personnage de Blackadder dont l'atout va rapidement devenir ce sens de la réplique qui fait mouche. A ses côtés, Tony Robinson traversera les siècles à ses côtés, offrant un pendant parfait. On croisera également Tim McInnerny, Miranda Richardson, mais aussi Hugh Laurie (dont l'interprétation du Prince régent dans la saison 3 est juste brillante) et Stephen Fry, des noms qui marqueront le comique anglais des années 80 et 90.

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Bilan : Comédie culte qui n'a pas usurpé son rang mais mériterait une meilleure reconnaissance au-delà des frontières de l'Angleterre, Blackadder excelle dans le maniement d'un humour noir, cynique et provocateur. Sa force première réside dans des dialogues très bien écrits, qui vont offrir des échanges sacrément savoureux, dont beaucoup méritent d'être inscrits dans le panthéon des comédies. Rassemblant la fine fleur de l'humour anglais, cette série va nous faire assister à sa progressive maturation, pour aboutir à une saison 4 d'une richesse à saluer qui reste un bijou que tout sériephile devrait avoir dans sa DVDthèque.

Blackadder est donc un indispensable. Si vous êtes curieux, mais manquez de temps, laissez-vous au moins tenter par les saisons 3 et 4, elles le méritent vraiment ! Une arme anti-morosité toujours aussi efficace !


NOTE : 9/10


Tous les génériques (de début et de fin) :