17/06/2012
(FR) Le voyageur des siècles : une savoureuse plongée au coeur des paradoxes temporels
Où je découvre que le petit écran français a lui aussi son voyageur partant à l'assaut du Temps avec son tournevis... magnétique.
C'est décidément la loi des séries : ce mois de juin aura été placé sous le signe des voyages temporels, après Jin, après Continuum, voilà une autre preuve que ce thème reste un classique par-delà les continents et les époques. En ce dimanche, My Télé is rich! vous propose donc de remonter le temps et d'embarquer dans ce qui aura été ma belle surprise de la semaine, tandis que je poursuis mon exploration du patrimoine télévisuel français. C'est que ce cycle consacré aux séries de l'ORTF est décidément riche en trésors dont je ne soupçonnais ni l'inventivité, ni la qualité ! Après La Brigade des Maléfices, c'est toujours dans la collection Les Inédits Fantastiques d'INA Editions, que j'ai trouvé mon bonheur, avec Le Voyageur des siècles.
Il s'agit d'une mini-série française qui a été diffusée dans le courant du moins d'août 1971 sur la première chaîne de l'ORTF. Elle compte en tout 4 épisodes, dont la durée oscille entre 1h15 et 1h25. Au départ, ce projet a été développé pendant des années par Noël-Noël et Jean Dréville à destination du cinéma. C'est finalement sur le petit écran que le scénario de Noël-Noël voit le jour, avec des moyens budgétaires forcément moindres, mais toujours Jean Dréville derrière la caméra. Sa diffusion égarée au coeur de l'été 1971 s'est malheureusement soldée par un échec. Heureusement, il y a eu depuis les rediffusions sur le câble et la sortie du coffret DVD (le mois dernier) pour éviter qu'elle ne tombe dans un injuste oubli. Car Le Voyageur des siècles est une réjouissante et originale oeuvre de science-fiction comme le petit écran français en a rarement proposé : un petit bijou à (re)découvrir !
L'histoire débute par un prologue se situant dans le futur, en 1981. Souhaitant mettre un terme à l'indivision de leurs terres, la soeur de Philippe d'Audigné fait appel à des enquêteurs pour essayer de retrouver son frère disparu. Scientifique et inventeur passionné, ce dernier menait dans le plus grand secret des expériences à partir de travaux commencés un siècle auparavant par leur grand-oncle, le savant François d'Audigné. Mais les recherches tournent court, leurs conclusions se heurtant à la logique de leur raison.
En réalité, Philippe d'Audigné a réussi ses recherches : il a mis au point une machine capable de voyager dans le temps. Sa première incursion officielle dans le passé le conduit dans les années 1880, à la rencontre de son grand-oncle sans qui rien n'aurait été possible. Ce dernier est émerveillé par la mise en oeuvre de ses théories et l'arrivée de ce visiteur du futur, un petit-neveu débarqué d'un autre temps. Mais Philippe a d'autres projets que ces retrouvailles scientifiques : dans un des miroirs qu'il utilise pour capturer des images du passé, il est tombé amoureux d'une belle jeune femme qui vivait au château dans les années 1780.
Philippe et François d'Audigné mettent alors le cap vers 1788. Si la Révolution française menace celle qu'il considère comme sa dulcinée, poussé par l'amour, jusqu'où Philippe sera-t-il capable d'aller et quels bouleversements sera-t-il prêt à provoquer pour la sauver ?
Présentée dès son introduction par un néologisme évocateur, celui de "julvernerie moderne", Le Voyageur des siècles est une véritable invitation à se lancer dans une histoire extraordinaire : celle d'une aventure à part à travers les époques. Il est intéressant de noter que le récit se vit du point de vue de François d'Audigné, savant du XIXe siècle au talent de conteur indéniable, lequel nous relate les évènements a posteriori avec une voix off qui apporte une saveur particulière à l'ensemble. Dotée d'une écriture réjouissante qui mise beaucoup sur l'émerveillement provoqué par cette ouverture sur le passé et/ou le futur, la mini-série se réapproprie toutes les facettes de ce thème classique de science-fiction qu'est le voyage dans le temps.
L'amateur de SF est donc en terrain conquis : toutes les problématiques soulevées par ce sujet sont abordées, qu'il s'agisse de rencontrer, ému, des ancêtres, de nouer des relations hors du temps avec des figures du passé, et bien entendu, la plus importante, la question de l'influence que l'on peut avoir sur le bon déroulement de l'Histoire. La mini-série se révèle ici particulièrement bien construite. Elle démarre de la plus anecdotique et sobre des manières, au XIXe siècle, par une simple rencontre entre le grand-oncle inventeur et Philippe qui vient lui apprendre que ses théories sont justes et lui offrir un bref aperçu du futur. Puis, lors du deuxième saut temporel qui les conduit au XVIIIe siècle, d'observateurs extérieurs, nos héros deviennent des acteurs à part entière : leurs agissements font alors basculer le récit dans une véritable uchronie, bousculant les évènements et changeant la face du monde en communiquant à Louis XVI des informations qu'il n'aurait jamais dû avoir. Les limites du voyage temporel, et surtout leur impact sur les voyageurs, vont alors prendre tout leur sens.
Adoptant initialement une tonalité enlevée et légère qu tend plutôt vers la comédie, Le Voyageur des siècles sait basculer dans un versant plus dramatique lorsque les enjeux se complexifient. A l'innocence première des explorateurs curieux de tout et fascinés par ce passé qui revit sous leurs yeux, succède le déchirement d'être rattrapé par les évènements, puis par la responsabilité qui pèse sur eux d'avoir décidé d'en changer le cours. L'efficacité de l'histoire doit beaucoup à l'empathie que suscitent les personnages confrontés à leurs dilemmes, mais aussi au soin apporté aux époques qu'ils découvrent. La série fait souvent preuve d'une richesse et d'une inventivité au charme un peu désuet, mais tellement stimulant. Initialement, le prologue débute d'ailleurs comme une série d'anticipation, offrant une vision futuriste de l'année 1981 (la série date de 1971), avec ses voitures magnétiques, ses télévisions sans écran et ses gratte-ciels à perte de vue jusqu'à Saint-Flour (!). Par la suite, Le Voyageur des siècles se rapproche du récit historique, à la découverte du XIXe (avec par exemple ce professeur fervent soutien du boulangisme), puis du XVIIIe siècle.
Les deux derniers épisodes sont sans doute les plus savoureux dans la reconstitution proposée. Tout d'abord parce que la France de 1788 vue à travers les yeux de François et de Philippe, émerveillés par ce qui les entoure, présente un portrait plein d'anecdotes au cours duquel le téléspectateur a presque l'impression d'être à leurs côtés. Et ensuite, parce que le basculement dans la néo-Histoire, en 1808, dans un royaume qui n'a pas connu la Révolution et donc l'Empire, nous entraîne dans une société du début du XIXe siècle difficilement reconnaissable du fait des avancées technologiques anarchiques permises par les indications de Philippe. Le scénariste montre alors l'étendue de son imagination fertile, avec ces chaises à porteur devenues à moteur, ces téléphones au combiné improbable... Et puis, la mini-série nous entraîne sur les pas d'un Empereur au destin inaccompli, mais dont l'aura incontestable écrase et laisse tout aussi admiratifs le républicain et le monarchiste qui forment pourtant notre duo d'explorateurs. L'uchronie, ici particulièrement savoureuse, mérite vraiment le détour !
Si la série déborde d'idées qu'il est réjouissant de voir transposer à l'écran, c'est logiquement sur la forme que Le Voyageur des siècles montre ses limites et a sans doute le plus vieilli. Cependant, la réalisation n'a rien perdu de son efficacté narrative et le plaisir de visionner la mini-série est intact. Au fond, l'image en noir & blanc, les décors recréés avec les moyens du bord - notamment en arrière-plans - et les images qui font parfois assez datées ajoutent finalement un certain parfum de nostalgie qui n'est pas déplaisant.
Si la vitalité de l'ensemble demeure, c'est aussi en partie grâce à un casting impeccable. Hervé Jolly apporte une belle fougue de jeunesse à son portrait de Philippe d'Audigné, homme brillant emporté par ses sentiments. Pour former avec lui un duo complémentaire, au sein duquel naît une vraie complicité, c'est Robert Vattier qui incarne avec une bonhomie savoureuse François d'Audigné. Les seconds rôles sont aussi solides : Raymond Baillet est l'assistant de François, celui qui lit le récit laissé par son maître aux grands professeurs de son temps. Et c'est la belle Myriam Colombi qui interprète celle qui a été la motivation de Philippe durant toutes ces années pour perfectionner sa machine à remonter le temps.
La dernière Renault magnétique de 1981
Bilan : Se réappropriant avec inventivité et enthousiasme ce grand thème de la science-fiction qu'est le voyage dans le temps, Le Voyageur des siècles se découvre avec beaucoup de plaisir. Elle se démarque par son écriture au dynamisme communicatif et par la richesse avec laquelle son univers est recréé. En effet, un soin constant est apporté aux détails, qu'il s'agisse de reconstitution - et recontextualisation - historique, ou bien lorsque la série s'aventure dans l'uchronie. Elle reste aujourd'hui une perle très originale de la télévision française. C'est donc une aventure qui mérite le détour, pour les curieux, les amateurs de science-fiction et/ou de bonnes séries françaises.
NOTE : 7,75/10
La bande-annonce de la série :
18:20 Publié dans (Oldies - 50s-80s), (Séries françaises) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ortf, le voyageur des siècles, hervé jolly, robert vattier, raymond baillet, lucien raimbourg, fernand bercher, henri de livry, myriam colombi | Facebook |