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14/12/2014

(Mini-série UK) The Lost Honour of Christopher Jefferies : préjugés et déchaînement médiatique

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Construire une œuvre évoluant sur la fine ligne entre fait réel et dramatisation est une des spécialités de Peter Morgan. De sa trilogie sur la carrière politique de Tony Blair (The Deal, The Queen et The Special Relationship) à la pièce de théâtre Frost/Nixon (qui fut ensuite portée sur grand écran), le scénariste anglais a toujours montré un intérêt pour cet exercice de scénarisation particulier. Sa dernière mini-série, The Lost Honour of Christopher Jefferies, le confirme une nouvelle fois. Comptant deux parties, d'un peu plus d'une heure chacune, elle a été diffusée cette semaine en Angleterre, les 10 et 11 décembre 2014, sur la chaîne ITV1.

Cette mini-série replonge le téléspectateur dans l'emballement médiatique qui suivit la disparition, puis la découverte du corps sans vie d'une jeune femme, près de Bristol, durant les fêtes de fin d'année 2010. L'affaire secoua le Royaume-Uni. L'attention de la police se porta d'abord sur le propriétaire de l'appartement dans lequel vivait la victime. Après son arrestation pour être interrogé, les médias et autres tabloïds se déchaînèrent contre cet homme à l'allure un peu excentrique - un aspect qui faisait de lui un coupable tout désigné. Les portraits à charge, recélant d'anecdotes gonflées, voire inventées, se succédèrent dans la presse. Lorsque, quelques jours plus tard, Christopher Jefferies fut libéré faute d'éléments probants, sa vie avait été irrémédiablement bouleversée. Ni l'arrestation, puis la condamnation du véritable meurtrier, plusieurs semaines après, ne contrebalancèrent les torts causés.

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Peter Morgan relate cette histoire en plaçant le téléspectateur aux côtés de Christopher Jefferies (interprété par un magistral Jason Watkins). La première partie décrit comment la vie ordinaire d'une personne sans histoire peut basculer en un instant, sans autre raison que quelques jugements expéditifs basés sur des ressentis et sur le fait qu'elle ne rentrait pas exactement dans les cases que la société aime attribuer à chacun. En dressant le portrait précis de Christopher Jefferies et des aspects -dans sa gestuelle ou son élocution- qui ont à l'époque interpellé enquêteurs et médias, c'est en fait le public que la mini-série place face à ses propres préjugés. Elle pointe la propension qu'a chacun de juger défavorablement sur une image renvoyée qui sort des canons attendus, de mettre à l'index celui qui n'entre pas dans les codes... Cette intolérance se croise au quotidien, mais elle est décuplée dans le cadre d'une enquête criminelle. Le récit décrit ainsi comment d'"étrange", une personne devient "suspecte", même sans autre élément tangible corroborant la suspicion. Tout se déroule comme si la défiance face à cet autre - dont les gestes, la manière de s'exprimer, les remarques, le placent "à part" - empêchait toute prise de distance et paralysait la réflexion. Happant le téléspectateur, l'écriture le conduit à s'interroger sur lui-même et sur ses réactions : celles qu'il a pu avoir il y a quatre ans (pour ceux qui ont suivi l'affaire), mais aussi, de manière plus hypothétique, sur la façon dont il réagirait face à une situation similaire. C'est avec finesse et -surtout- une sobriété à saluer que la mini-série encourage ainsi une remise en cause personnelle.

En outre, par-delà les questionnements sur les préjugés de chacun, l'autre grande problématique soulevée est celle du rôle joué par la presse. Les médias ont effet été une terrible caisse de résonance, amplifiant et décuplant hors de toute proportion cette défiance instinctive qu'avait éveillé chez beaucoup de personnes leur première rencontre avec Christopher Jefferies, qu'il s'agisse, pour les policiers, de leur premier entretien, ou bien, pour le public, de la première apparition du propriétaire face aux caméras de télévision qui campaient devant sa porte. Le déchaînement médiatique qui suivit son arrestation apparaît comme un cas d'école inversé, dans lequel tous les principes déontologiques furent allègrement bafoués. C'est la seconde partie de la mini-série qui s'attarde plus spécifiquement sur ces excès, en relatant le procès en diffamation qu'intentera ultérieurement Christopher Jefferies. Le récit rejoint ici une problématique plus large qui agite le Royaume-Uni ces dernières années, interrogeant les pratiques de sa presse, suite au scandale des écoutes téléphoniques impliquant notamment le journal News of the world. Après ces révélations, une commission d'enquête fut mise en place, la Leveson Inquiry, devant laquelle, d'ailleurs, Christopher Jefferies témoignera. Dans son dernier quart, la mini-série tente donc d'élargir son propos aux intrusions médiatiques plus générales dans la vie privée des individus - comme en témoigne le bref passage de Steve Coogan qui, jouant son propre rôle, échange quelques mots avec Christopher avant son passage devant la commission. The Lost Honour of Christopher Jefferies reste ici cependant sur la réserve. La complexité de ce débat sur l'usage de la liberté de la presse et de ses abus aurait nécessité de pouvoir y consacrer plus de temps ; or, ce n'était pas l'objectif premier de cette œuvre.

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Portant à l'écran une affaire qui a marqué le Royaume-Uni, The Lost Honour of Christopher Jefferies traite habilement, avec une sobriété et une sensibilité appréciables, d'un sujet très fort, qui interpelle le téléspectateur à plus d'un titre. En faisant le récit d'une trajectoire personnelle qui bascule en quelques jours, la mini-série interroge chacun sur ses propres préjugés et sur sa propension à regarder avec défiance toute personne ne correspondant pas aux canons attendus. Elle éclaire également les dérives médiatiques de ce cas particulier, lesquelles rejoignent d'autres pratiques abusives constatées ou révélées ces dernières années. Sans avoir le temps de s'approprier ce débat initié sur l'usage de la liberté de la presse, The Lost Honour of Christopher Jefferies a le mérite d'encourager à la réflexion. Récit avant tout intime, mais aux ramifications importantes dans la sphère publique, il s'agit d'une œuvre dense, soignée sur le fond comme sur la forme. À découvrir.


NOTE : 7,75/10


Un extrait de la mini-série :


[Retrouvez ce billet dans la sélection hebdomadaire Séries Mania]

19/10/2014

(UK) Marvellous : sincérité et humanité pour un biopic inspirant

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Malcolm: How'd you wangle that?
Neil : I just asked.
Malcolm : You can't just get things by asking.
Neil : Can't you? I can.

On parle souvent du petit écran anglais pour ses séries, ses mini-séries... Sachez qu'il existe un autre format à ne pas négliger : les téléfilms. Et dans l'art des unitaires percutants qui savent se démarquer, BBC2 fait partie des chaînes à surveiller, à l'image, l'année dernière, du génial The Wiper Times ou encore de la genèse de Doctor Who retracée dans An Adventure in Space and Time. Cet automne, c'est une fiction également à part qui a été proposée aux téléspectateurs anglais le 25 septembre 2014.

Écrit par Peter Howker (à qui l'on doit notamment un autre OTNI du petit écran anglais, Blackpool),  Marvellous s'inspire d'une histoire vraie, la vie de Neil Baldwin (lequel effectue d'ailleurs plusieurs apparitions). Souffrant de troubles d'apprentissage, exclu très tôt du système scolaire, il est malgré tout toujours allé de l'avant, déjouant et dépassant les attentes pour réaliser ses rêves et vivre de ce qu'il aimait. On suit donc son parcours bigarré, d'une carrière de clown dans un cirque jusqu'à l'université de Keele, en passant par le club de football de Stoke City.

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La séquence d'ouverture du téléfilm pose immédiatement le ton particulier que va adopter Marvellous. Rythmée par une chanson entraînante qu'entonne et joue un chœur, la jeunesse de Neil défile à travers quelques instantanés fondateurs, mêlant fiction tournée en noir et blanc et brèves images d'archive, de son exclusion de l'école à sa découverte du cirque ou à la naissance de sa passion pour le football grâce à sa mère qui l'emmenait voir les matchs. Durant l'heure et demie qui suit, l'unitaire va cultiver une sincérité d'écriture rare, aussi imperturbable que désarmante, qui résonnera durablement au plus profond du téléspectateur. Optant pour une sobriété bienvenue, sans excès de bons sentiments, ni approche manichéenne, c'est un récit parfaitement ciselé qui se déploie. L'impression d'authenticité demeure, notamment grâce à une tonalité non dénuée d'ambivalence, dans laquelle les limites et les difficultés auxquelles se heurte Neil ne sont jamais passées sous silence. Marquée par des passages dramatiques émouvants, mais aussi des moments drôles et légers, se dévoile avant tout une humanité qui touche en plein cœur et fait la force de cette œuvre.

Marvellous apparaît en fait comme une bulle d'air frais au sein du petit écran. Il y règne une sorte de dynamisme communicatif : l'espace d'un instant passé aux côtés de Neil (un Toby Jones magistral), tout semble possible. Du fait de sa condition, Neil aurait pu être destiné à une vie isolée, guère épanouissante, loin de ce qu'il aimait. Mais, avec un aplomb indéfectible, il a su aborder le quotidien d'une manière qui lui a permis de s'affranchir de tous les cadres dans lesquels il aurait dû se trouver limité et enfermé. Multipliant les contacts, il a réussi à nouer des liens bien au-delà de son seul entourage proche. Il a su faire confiance, compter sur les autres qui, même si beaucoup ont d'abord été perplexes, le lui ont souvent rendu. Il est aussi resté fidèle à lui-même, à sa franchise rafraîchissante comme à son art de faire rire les autres. Son attitude lui a ouvert des portes inattendues, lui permettant de dépasser toutes les attentes et de réaliser ses rêves. C'est sans doute aussi là que réside la clé de la magie de Marvellous : en nous entraînant dans le sillage de Neil, le téléfilm nous transmet une partie de l'état d'esprit qui le caractérise. L'impossible paraît soudain réalisable, les barrières se troublent... et c'est avec une énergie comme renouvelée que le téléspectateur ressort de cette heure et demie. 

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Toby Jones et... le vrai Neil Baldwin

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Dotée d'une écriture sincère et authentique, Marvellous propose un récit d'accomplissement, à l'humanité sobre et touchante, qui ne laisse pas le téléspectateur insensible. En ces temps où le cynisme et la noirceur paraissent plus porteurs dans le petit écran, voilà une œuvre qui cherche à inspirer et distille cette idée folle, aussi vertigineuse qu'entêtante, que les projets qui semblent les plus inaccessibles peuvent parfois se réaliser. Véritable antidote à tout blues d'automne, ce téléfilm a l'art de réchauffer les cœurs. Il est parfait pour accompagner une soirée qui s'annonçait morose : à découvrir !


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de cet unitaire :

12/10/2014

(Mini-série UK) The Driver : Another midlife crisis

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En 1983, David Morrissey signait ses débuts à la télévision britannique dans une mini-série estivale intitulée One Summer. À ses côtés, on retrouvait notamment un autre jeune acteur en devenir, Ian Hart [pour les curieux : jetez un œil à cette vidéo entrecoupée d'interviews rétrospectives]. Trois décennies plus tard, toujours dans le petit écran anglais, l'année 2014 aura été, pour David Morrissey, synonyme de 'midlife crisis'. En janvier, c'était une romance inattendue, sur un train de banlieue, qui ébranlait son personnage. Cet automne, c'est plus qu'une simple crise conjugale qu'il traverse dans The Driver, également sur BBC1. Il y incarne un père de famille impuissant, assistant à l'implosion progressive de sa famille. Frustré face à cette situation qui lui échappe, il se laisse embarquer dans un engrenage dangereux par une vieille connaissance tout juste sortie de prison, interprétée par... Ian Hart. The Driver, c'est une miflife crisis, mais aussi une vraie boucle télévisuelle en clin d’œil.

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The Driver s'ouvre sur une course-poursuite qui donne le ton et vise à distiller une tension sourde dans le récit. Jusqu'alors conducteur de taxi traité avec peu de considération par ses clients, Vince McKee décide de mettre ses talents au service d'un employeur d'un autre genre, un criminel avec qui il est mis en relation. Cette opportunité est non seulement pour lui une façon d'arrondir des fins de mois parfois difficiles, ayant notamment à la maison une adolescente exigeante, elle est surtout un moyen de rompre avec un quotidien à la morosité étouffante, donnant à Vince l'illusion de retrouver un semblant contrôle, de reprendre sa vie en main en décidant brusquement d'une nouvelle direction. Évidemment, il déchante vite. Être un simple conducteur ne fait pas moins de lui le complice des crimes perpétrés par la bande qu'il est censée accompagner. Rapidement, le voilà confronté à lui-même, à tous les principes qui l'ont défini jusqu'alors, lorsque la vie d'un homme se retrouve en jeu. Il lui faut faire des choix difficiles. Et les enjeux se compliquent un peu plus lorsque la police s'en mêle... Loin d'avoir renoué avec cette famille qu'il sentait lui échapper un peu plus chaque jour, il l'a en fait peut-être définitivement perdue.

La mini-série suit ainsi une construction relativement prévisible, de l'engrenage au brusque retour à une réalité qui se révèle encore plus douloureuse que la situation que Vince voulait laisser derrière lui. À la crise existentielle personnelle, se mêle également une crise familiale, plus latente, dont le scénario ne dévoile l'ampleur que progressivement. Tout cela donne un récit plutôt riche en thèmes à explorer, mais qui pèche en étant souvent trop brouillon. La direction narrative, hésitante, peine à trouver l'équilibre et le bon dosage entre les différents éléments de l'histoire relatée. La dynamique familiale, par exemple, aurait sans doute gagné à être plus explorée. Centrée sur son protagoniste principal, The Driver repose en grande partie sur la performance d'un David Morrissey impeccable. L'acteur se situe ici dans un de ses registres de prédilection, n'ayant pas son pareil pour incarner ces rôles un peu écorchés et impliquer le téléspectateur dans le sillage des errances et des dilemmes de son personnage. Il parvient d'ailleurs tout au long des trois épisodes à maintenir ce lien. Mais, en dépit du casting qui reste indéniablement le point fort de la mini-série, l'ensemble laisse l'impression d'un potentiel qui n'est pleinement exploité, à l'image d'une fin expédiée s'inscrivant en porte-à-faux de la tonalité ambiante...

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Au final, The Driver peut mériter un détour pour ses jeux d'acteurs. Mais, malgré quelques bonnes idées et une ambiance sombre qui ressort bien par moment, la mini-série n'aura pas réussi à mener à bien, d'une manière complètement convaincante, la 'crise de la quarantaine' qu'elle ambitionnait de mettre en scène. Ce qu'avait su réaliser The 7.39, dans un tout autre style. 


NOTE : 6,25/10


La bande-annonce de la mini-série :

02/03/2014

(Mini-série UK) The 7.39 : une romance inattendue sur le 7h39

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Le mois de février a pour le moins été chargé en séries intéressantes outre-Manche. Outre la pépite d'humour noir qu'est Inside No. 9, j'ai surtout jeté mon dévolu sur des fictions policières : la saison 2 de Line of Duty [la bande-annonce] est vraiment d'excellente facture, et Suspects [la bande-annonce] trouve peu à peu ses marques dans une approche particulière de cop show sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir. Cependant, à côté de toutes ces œuvres relativement sombres, permettez-moi en ce dimanche une brève parenthèse romantique : c'est l'occasion de revenir aujourd'hui sur une mini-série diffusée en Angleterre en début d'année, les 6 et 7 janvier 2014, sur BBC1. Écrite par David Nicholls, cette fiction sentimentale rassemblait de plus un casting attractif : David Morrissey, Sheridan Smith, Olivia Colman... Autant de (bonnes) raisons de jeter un œil à ce qui est une histoire simple, mais mise en scène avec une sincérité qui laisse difficilement indifférent.

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The 7.39 relate l'histoire d'un rapprochement inattendu entre deux voyageurs empruntant quotidiennement les transports de la banlieue londonienne. Carl Matthews et Sally Thorn habitent dans des bourgades anonymes autour de Londres. Chaque jour, pour se rendre à leur travail dans la capitale anglaise, ils prennent le train jusqu'à Waterloo, comme des milliers d'autres employés, passant des heures épuisantes dans des transports surchargés. Ces journées interminables les affectent, notamment dans leur vie de couple. Si Sally est fiancée et connaît les ultimes interrogations d'avant mariage, Carl est lui père de famille, ayant à ses côtés une épouse qui le soutient, tout en essayant de gérer deux adolescents qu'il ne comprend pas. Le premier échange entre Sally et Carl est houleux : une histoire de place assise que tous deux convoitaient. Mais progressivement leurs rencontres ferroviaires deviennent un moment de la journée que chacun attend avec impatience. Tous deux en quête d'échappatoire à leur manière, dépasseront-ils le simple flirt innocent ? Et avec quelles conséquences ?

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Le concept de The 7.39 est très simple, presque minimaliste : c'est l'histoire d'une rencontre, d'une romance interdite. D'aucuns le qualifieraient même d'usé tant le scénario nous entraîne dans des eaux familières. Mais par-delà la prévisibilité de ses développements, la mini-série va pourtant admirablement tirer son épingle du jeu. Si elle se démarque, c'est en premier lieu grâce à une écriture chargée d'authenticité, subtile et hésitante, parlante jusque dans ses non-dits et les regards croisés échangés. Durant la première partie, la fiction capture ainsi à merveille, avec un naturel déconcertant, le rapprochement progressif qui s'opère, du flirt léger à la naissance de sentiments réciproques. Les deux protagonistes principaux n'avaient a priori d'autres points communs que d'être dans une phase de questionnements, tout en passant trop de temps dans les transports. Ils vont trouver chez l'autre un réconfort inattendu, une compréhension inespérée... Quelque chose qui réveille une troublante chaleur humaine. Le cadre ferroviaire nourrit l'illusion d'une déconnexion, l'espace d'un trajet, avec la réalité de leur quotidien respectif, entraînant avec la même force le téléspectateur dans ce sillage émotionnel.

D'abord innocente, l'attraction de Carl et Sally dépasse peu à peu ce premier stade. Ils laissent leurs sentiments échapper à leur contrôle et franchissent le Rubicon : la soirée exceptionnelle, choisie grâce au prétexte d'une grève, devient finalement une liaison qu'il est bien difficile de stopper. Le mensonge s'insinue alors dans leurs vies. La relation qui se développe se sait fatalement éphémère. Viendra en effet, très vite, le temps des conséquences : l'illusion se brise, l'échappatoire n'est plus, il faudra à chacun faire le point au sein de son couple. Dans les déchirements qui suivent, The 7.39 n'édulcore rien, toujours très brute et directe dans sa mise en scène. Elle n'émet aucun jugement, ni ne suit d'approche manichéenne : elle partage les aspirations, les doutes et les crises existentielles de chacun des personnages, esquissant des portraits avant tout humains, avec toutes les ambivalences inhérentes à cette nature. Si, dans cette seconde partie, la mini-série perd alors un peu de la magie initiale du temps des flirts, elle conserve cependant un souci de sincérité qui maintient intacte l'implication du téléspectateur aux côtés de ces personnages désormais à l'heure des choix.

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Sur la forme, The 7.39 est une œuvre également très travaillée. La réalisation, maîtrisée, opte pour une mise en image au format cinemascope (comme Top Boy, In The Flesh ou encore Utopia l'année dernière) qui rend très bien à l'écran. Surtout, la photographie est particulièrement soignée : marquée par des teintes à dominante lumineuse, elle apparaît en parfait écho avec la dimension romantique de l'histoire relatée. La bande-son fait l'objet d'un dosage tout aussi inspiré : jamais envahissants, quelques instrumentaux de musique classique rythment divers passages, laissant entrevoir le tourbillon des sentiments naissants.

Enfin, dernier atout -et non des moindres, The 7.39 mérite un détour du fait de l'association d'acteurs qu'elle permet dans ce registre particulier qu'est la fiction romantique. David Morrissey (State of Play, Blackpool, The Field of Blood) et Sheridan Smith (Mrs Biggs) délivrent tous deux des performances extrêmement justes et crédibles, fidèles au parti pris d'authenticité de l'écriture. Ils parviennent à toucher le téléspectateur, à l'impliquer et à le faire se questionner à leurs côtés. Plus en retrait, mais tout aussi impeccable, Olivia Colman (Exile, Rev, Twenty Twelve, Broadchurch) interprète l'épouse de Carl. On retrouve également Sean Maguire (Kröd Mändoon and the Flaming Sword of Fire, Scott & Bailey), Bill Milner (The Secret of Crickley Hall), Izzy Meikle-Small (Great Expectations), Lashana Lynch, Justin Salinger ou encore Thomas Morrisson.

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Bilan : Relatant une romance inattendue, interdite, capturant un moment inévitablement fugace, The 7.39 se démarque par une écriture fine et authentique, évoquant à merveille le jeu complexe des voies sentimentales. L'histoire est simple, mais le récit sincère. Parfaitement interprété par un casting au diapason de la tonalité particulière de la mini-série, l'ensemble parle à un téléspectateur qui se laisse entraîner sans difficulté dans la bulle illusoire que représente cet amour ferroviaire. Par son naturel cultivé, par ses thèmes qui sonnent proches, cette fiction est ainsi une parenthèse touchante à glisser dans ses programmes. Avis aux amateurs.


NOTE : 7,25/10


La bande-annonce de la mini-série :

12/01/2014

(Mini-série UK) The Great Train Robbery : le casse du siècle

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Comme chaque année, les fêtes de Noël ont apporté dans le petit écran britannique leur lot d'épisodes spéciaux et de mini-séries, voire d'unitaires, assez divers. Avant de véritablement entrer dans les programmations de 2014 - ce mois de janvier s'annonce d'ailleurs fort riche ! -, je vous propose aujourd'hui de conclure l'année précédente en revenant sur une des fictions qui s'est détachée durant les fêtes : The Great Train Robbery. Scénarisée par Chris Chibnall, à qui l'on doit notamment en 2013 Broadchurch, cette mini-série comporte 2 parties d'1h30 chacune.

The Great Train Robbery s'inspire d'un fait réel, le braquage d'un train le 8 août 1963, considéré par beaucoup en Angleterre comme le "casse du XXe siècle". Pour l'anecdote, on retiendra que cette mini-série n'était pas initialement prévue comme un programme de fin d'année : elle devait être proposée durant l'été, pour coïncider avec les 50 ans du célèbre vol. Son timing n'a pourtant pas démérité : le jour même de la diffusion du premier épisode, les médias annonçaient en effet le décès de Ronnie Biggs, un des braqueurs. Si l'homme n'occupe qu'un rôle très secondaire dans The Great Train Robbery, la mini-série s'est donc assurée une promotion inattendue. Ce sont finalement environ 5 millions de téléspectateurs qui ont suivi le récit de ce braquage et de ses suites...

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The Great Train Robbery relate son fait divers suivant deux perspectives différentes et couvrant ainsi presque toute la décennie des années 60. Le premier épisode, intitulé A Robber's Tale, plonge le téléspectateur dans l'organisation et les préparatifs de l'attaque du train postal Glasgow-Londres du côté des braqueurs, en mettant tout particulièrement en lumière le rôle de Bruce Reynolds, qui va être le planificateur de l'ensemble de l'opération. Puis, le second épisode, intitulé A Copper's Tale, prend place une fois le braquage passé : il se place cette fois-ci du point de vue de la police. Les meilleurs officiers du pays sont mobilisés pour retrouver les criminels de cette attaque hautement symbolique contre laquelle les autorités se doivent de réagir avec la plus grande fermeté. C'est une enquête minutieuse qui est alors menée avec un objectif clair : que toutes les personnes ayant participé à ce crime se retrouvent derrière les barreaux. Le chef de l'investigation, le DCS Butler, fait vite de cette affaire une véritable croisade personnelle.

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Portant à l'écran un fait divers bien connu, The Great Train Robbery est une fiction d'approche classique, tout aussi efficace qu'appliquée dans les différents genres qu'elle investit. Avoir choisi deux angles distincts pour aborder un même sujet lui permet de densifier et de diversifier son récit : fiction de gangster dans sa première partie, la mini-série se mue en effet en histoire policière dans la seconde. Rythmée, capable de construire la tension dramatique attendue -en dépit d'une issue connue du téléspectateur-, l'écriture se révèle aussi assez méticuleuse, signe de la volonté de proposer une solide reconstitution. Pour autant, on peut regretter un format de 3 heures qui apparaît par moment trop réduit pour faire acquérir à la fiction toute sa dimension, avec des protagonistes secondaires manquant parfois d'épaisseur. Contrainte de faire des choix et d'emprunter quelques raccourcis, la mini-série va pouvoir s'appuyer sur un double portrait croisé, construit tout en clair-obscur, qui naît du face-à-face à distance de ses deux figures centrales que sont Reynolds le braqueur et Butler le policier.

The Great Train Robbery éclaire d'abord les contradictions de Reynolds. Si la mini-série se plaît à le présenter par instant comme le stéréotype romanesque du gangster des 60s', elle gratte vite ce vernis illusoire. Ainsi, si Reynolds refuse le port de revolver durant les braquages qu'il organise, les éclats de violence -délégués à ses hommes- n'en parsèment pas moins ses méfaits. S'il aspire à changer de statut en empruntant le raccourci de l'illégalité, ce n'est pas vraiment à une solution pérenne qu'il songe : il rêve d'un grand coup, de se faire un nom... Or face à ce braquage qui va aller bien au-delà de ses espérances, il se retrouve dépourvu de solutions pour gérer l'après, ses illusions de grandeur se heurtant à une vision à court terme fatale. Face à lui, The Great Train Robbery place, à la responsabilité de l'enquête, un homme très différent : Butler est quelqu'un d'intraitable et d'intransigeant, avec lui-même comme avec ses subordonnés. Implacable dans sa poursuite des criminels, il semble comme se consumer dans cette affaire qu'il condamne sans nuance et prend très personnellement -au point de retarder sa retraite jusqu'à l'arrestation de Reynolds. En guise de conclusion au récit de cette double trajectoire croisée, la mini-série délivre une première -et dernière- confrontation qui reste un de ses temps fort, résumant et symbolisant parfaitement l'opposition d'hommes à laquelle le téléspectateur vient d'assister.

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Sur la forme, The Great Train Robbery se réapproprie bien l'ambiance des 60s' attendue d'une telle fiction, bénéficiant d'une réalisation soignée et pleinement maîtrisée. C'est une mini-série stylée, qui s'offre même quelques passages à la mise en scène franchement géniale : ses premières minutes d'ouverture en sont une belle illustration, captant immédiatement l'attention du téléspectateur. Elle s'appuie de plus sur une bande-son tout aussi bien pensées, avec plusieurs chansons qui retentissent parfaitement dans l'atmosphère du moment, à l'image, par exemple, de l'utilisation de Sinnerman, par Nina Simone.

Enfin The Great Train Robbery a également le mérite de pouvoir s'appuyer sur un convaincant casting. Du côté des braqueurs, mis en avant durant la première partie, Luke Evans est parfait en Bruce Reynolds, personnage indéniablement charismatique, qui va se trouver face à une situation d'une ampleur aussi imprévue que non préparée. Autour de lui, on croise notamment Neil Maskell (Utopia), Martin Compston (Line of Duty), Paul Anderson (The Promise, Peaky Blinders), Nicholas Murchie, Jack Roth (Great Expectations, Bedlam), Del Synnott (The Silence), Jack Gordon et James Wilby. Du côté policier, la mini-série restreindra plus les protagonistes sur lesquels s'arrêter : Jim Broadbent (Any human heart, Exile) y est secondé par Robert Glenister (Spooks, Hustle, Law & Order UK), et c'est surtout la dynamique particulière de ce duo, entre concurrence et méfiance, qui fera l'attrait de la seconde partie.

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Bilan : Mini-série marquée par l'ambiance des 60s', The Great Train Robbery délivre une partition classique, mais stylée et efficace, dans un double registre qui emprunte aux fictions de gangsters comme aux enquêtes policières. Adaptation d'un fait divers réel, la mini-série soigne de manière appréciable les détails de la reconstitution proposée. Si le format de 3 heures l'oblige à se concentrer sur l'essentiel, elle propose en filigrane un intéressant double portrait croisé de deux figures contradictoires que tout oppose. Elle se construit donc à partir de leur confrontation à distance et, surtout, de leurs différences, pour signer un récit solide qui bénéficie en plus de l'aura qui entoure cette célèbre affaire. Avis aux amateurs !


NOTE : 7,25/10


La bande-annonce de la mini-série :