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14/12/2014

(Mini-série UK) The Lost Honour of Christopher Jefferies : préjugés et déchaînement médiatique

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Construire une œuvre évoluant sur la fine ligne entre fait réel et dramatisation est une des spécialités de Peter Morgan. De sa trilogie sur la carrière politique de Tony Blair (The Deal, The Queen et The Special Relationship) à la pièce de théâtre Frost/Nixon (qui fut ensuite portée sur grand écran), le scénariste anglais a toujours montré un intérêt pour cet exercice de scénarisation particulier. Sa dernière mini-série, The Lost Honour of Christopher Jefferies, le confirme une nouvelle fois. Comptant deux parties, d'un peu plus d'une heure chacune, elle a été diffusée cette semaine en Angleterre, les 10 et 11 décembre 2014, sur la chaîne ITV1.

Cette mini-série replonge le téléspectateur dans l'emballement médiatique qui suivit la disparition, puis la découverte du corps sans vie d'une jeune femme, près de Bristol, durant les fêtes de fin d'année 2010. L'affaire secoua le Royaume-Uni. L'attention de la police se porta d'abord sur le propriétaire de l'appartement dans lequel vivait la victime. Après son arrestation pour être interrogé, les médias et autres tabloïds se déchaînèrent contre cet homme à l'allure un peu excentrique - un aspect qui faisait de lui un coupable tout désigné. Les portraits à charge, recélant d'anecdotes gonflées, voire inventées, se succédèrent dans la presse. Lorsque, quelques jours plus tard, Christopher Jefferies fut libéré faute d'éléments probants, sa vie avait été irrémédiablement bouleversée. Ni l'arrestation, puis la condamnation du véritable meurtrier, plusieurs semaines après, ne contrebalancèrent les torts causés.

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Peter Morgan relate cette histoire en plaçant le téléspectateur aux côtés de Christopher Jefferies (interprété par un magistral Jason Watkins). La première partie décrit comment la vie ordinaire d'une personne sans histoire peut basculer en un instant, sans autre raison que quelques jugements expéditifs basés sur des ressentis et sur le fait qu'elle ne rentrait pas exactement dans les cases que la société aime attribuer à chacun. En dressant le portrait précis de Christopher Jefferies et des aspects -dans sa gestuelle ou son élocution- qui ont à l'époque interpellé enquêteurs et médias, c'est en fait le public que la mini-série place face à ses propres préjugés. Elle pointe la propension qu'a chacun de juger défavorablement sur une image renvoyée qui sort des canons attendus, de mettre à l'index celui qui n'entre pas dans les codes... Cette intolérance se croise au quotidien, mais elle est décuplée dans le cadre d'une enquête criminelle. Le récit décrit ainsi comment d'"étrange", une personne devient "suspecte", même sans autre élément tangible corroborant la suspicion. Tout se déroule comme si la défiance face à cet autre - dont les gestes, la manière de s'exprimer, les remarques, le placent "à part" - empêchait toute prise de distance et paralysait la réflexion. Happant le téléspectateur, l'écriture le conduit à s'interroger sur lui-même et sur ses réactions : celles qu'il a pu avoir il y a quatre ans (pour ceux qui ont suivi l'affaire), mais aussi, de manière plus hypothétique, sur la façon dont il réagirait face à une situation similaire. C'est avec finesse et -surtout- une sobriété à saluer que la mini-série encourage ainsi une remise en cause personnelle.

En outre, par-delà les questionnements sur les préjugés de chacun, l'autre grande problématique soulevée est celle du rôle joué par la presse. Les médias ont effet été une terrible caisse de résonance, amplifiant et décuplant hors de toute proportion cette défiance instinctive qu'avait éveillé chez beaucoup de personnes leur première rencontre avec Christopher Jefferies, qu'il s'agisse, pour les policiers, de leur premier entretien, ou bien, pour le public, de la première apparition du propriétaire face aux caméras de télévision qui campaient devant sa porte. Le déchaînement médiatique qui suivit son arrestation apparaît comme un cas d'école inversé, dans lequel tous les principes déontologiques furent allègrement bafoués. C'est la seconde partie de la mini-série qui s'attarde plus spécifiquement sur ces excès, en relatant le procès en diffamation qu'intentera ultérieurement Christopher Jefferies. Le récit rejoint ici une problématique plus large qui agite le Royaume-Uni ces dernières années, interrogeant les pratiques de sa presse, suite au scandale des écoutes téléphoniques impliquant notamment le journal News of the world. Après ces révélations, une commission d'enquête fut mise en place, la Leveson Inquiry, devant laquelle, d'ailleurs, Christopher Jefferies témoignera. Dans son dernier quart, la mini-série tente donc d'élargir son propos aux intrusions médiatiques plus générales dans la vie privée des individus - comme en témoigne le bref passage de Steve Coogan qui, jouant son propre rôle, échange quelques mots avec Christopher avant son passage devant la commission. The Lost Honour of Christopher Jefferies reste ici cependant sur la réserve. La complexité de ce débat sur l'usage de la liberté de la presse et de ses abus aurait nécessité de pouvoir y consacrer plus de temps ; or, ce n'était pas l'objectif premier de cette œuvre.

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Portant à l'écran une affaire qui a marqué le Royaume-Uni, The Lost Honour of Christopher Jefferies traite habilement, avec une sobriété et une sensibilité appréciables, d'un sujet très fort, qui interpelle le téléspectateur à plus d'un titre. En faisant le récit d'une trajectoire personnelle qui bascule en quelques jours, la mini-série interroge chacun sur ses propres préjugés et sur sa propension à regarder avec défiance toute personne ne correspondant pas aux canons attendus. Elle éclaire également les dérives médiatiques de ce cas particulier, lesquelles rejoignent d'autres pratiques abusives constatées ou révélées ces dernières années. Sans avoir le temps de s'approprier ce débat initié sur l'usage de la liberté de la presse, The Lost Honour of Christopher Jefferies a le mérite d'encourager à la réflexion. Récit avant tout intime, mais aux ramifications importantes dans la sphère publique, il s'agit d'une œuvre dense, soignée sur le fond comme sur la forme. À découvrir.


NOTE : 7,75/10


Un extrait de la mini-série :


[Retrouvez ce billet dans la sélection hebdomadaire Séries Mania]

08/07/2010

(Pilote UK) Identity : l'identité, au coeur du crime

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Identity confirme une  tendance initiée au cours du printemps : les acteurs britanniques de The Wire (Sur Ecoute) sont rentrés au bercail et investissent désormais les dernières nouveautés policières d'outre-Manche. De quoi nourrir cette fascination anglaise pour la série de HBO, laquelle s'impose en référence récurrente en Angleterre. Après Idris Elba, dans Luther sur BBC1 au printemps, c'est Aidan Gillen qui débarquait donc, ce lundi soir, sur ITV, dans Identity. Et comme la chaîne avait décidément voulu bien faire les choses question casting, elle s'est en  plus assurée les services de Keeley Hawes, encore fraîchement auréolée du final de Ashes to Ashes.

Je résume donc : Aidan Gillen et Keeley Hawes à l'affiche, pour mener quelques enquêtes au cours de l'été. Vous qui commencez à me connaître un tant soit peu, avec la seule présence de ce duo phare, vous devinez pourquoi il aurait été inconcevable que je ne regarde pas Identity, peu importe que les cop-shows soient un genre que j'ai un peu déserté au cours des dernières années.

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Pure série policière respectant avec une application quasi-scolaire tous les canons du genre, Identity s'est cependant efforcée en amont de trouver un angle d'attaque particulier pour ses enquêtes. C'est ainsi qu'elle a choisi de mettre en scène une unité très particulière au sein de la police, celle qui s'est spécialisée dans les crimes liés à l'identité. Dans une société moderne où règne la dématérialisation complète des informations, par le biais des nouvelles technologies, les détournements, voire les vols d'identité, sont des infractions en forte hausse.

Pour répondre à la spécificité d'un domaine pointu et très particulier, la police a créé une équipe spécialisée, chargée de lutter contre l'inflation de ces atteintes et placée sous le commandement de la DSI Martha Lawson. A ses côtés, elle a rassemblé une équipe hétéroclite de policiers aux compétences et aux modes de fonctionnement aussi différents que complémentaires, parmi lesquels figure le DI John Bloom. Après 15 ans d'infiltration dans les milieux de trafics internationaux en tout genre, notamment de drogue, le revoilà dans sa première affectation "normale", suivant directement cette longue mission très éprouvante qui a logiquement marqué l'homme.

A partir de ces ingrédients relativement classiques, la série va rapidement trouver ses marques pour s'inscrire dans le registre du cop-show le plus traditionnel qui soit.

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L'enquête de l'épisode, sans surprendre, se révèle plutôt prenante et surtout très dense, n'hésitant pas à multiplier les pistes, complexifiant d'autant l'affaire. Elle permet également au téléspectateur de se familiariser avec cette thématique particulière du détournement d'identité, à travers la descente aux enfers d'un homme qui semble être la cible d'un de ces voleurs d'un nouveau genre.

En effet, de l'utilisation de son nom pour le faire crouler sous les dettes jusqu'à des achats malencontreux provoquant des tensions au sein de son couple, depuis plusieurs mois, la vie de Justin Curtis est perturbée par une intervention extérieure malveillante qui l'a plongé dans une paranoïa désespérée. Jusqu'à présent, ses appels à l'aide ont été ignorés : de nos jours, la supposée fiabilité de toutes les données informatiques stockées l'emporte sur la versatilité du témoignage humain. Mais lorsque Curtis est accusé d'avoir renversé une jeune femme, avec une voiture louée à son nom, les choses dégénèrent. Ancien soldat, il accueille les policiers à l'arme à feu tout en clamant son innocence. Une fois l'individu arrêté, Martha est interpelée par sa version de l'histoire. Son équipe va alors devoir démêler le vrai du faux dans les allégations de l'accusé, et essayer de remonter une piste aussi trouble qu'insaisissable.

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Il faut reconnaître que l'enquête est bien huilée et le tout est efficacement conduit, bénéficiant de l'approche relativement originale d'un crimé lié à l'identité. Le téléspectateur suit ainsi sans déplaisir la progression de l'affaire, l'épisode maintenant son attention sans aucun temps mort, ni baisse de régime. Malheureusement, Identity se heurte rapidement à une limite structurelle, voire conceptuelle. Sa recette conserve un arrière-goût extrêmement familier : le fonctionnement de l'équipe de policiers dans son ensemble, comme le numéro de duettistes proposé par les deux personnages centraux, ne s'écarte jamais des conventions du genre. Si bien qu'elle n'apparaît être au final qu'une énième déclinaison de cop-show classique, sans réelle valeur ajoutée. Le cadre londonien est certes agréable, mais ne permet pas d'impulser une originalité suffisante qui donnerait l'occasion à la série d'imposer sa propre identité à l'écran (sans mauvais jeu de mots).

Cependant, la dernière scène de l'épisode, en plus d'introduire un potentiel fil rouge des plus intrigants, ouvre une voie pour dépasser le stade de la série trop policée que propose ce pilote. John Bloom a passé les 15 dernières années de sa carrière, sous un nom d'emprunt, à prétendre être quelqu'un qu'il n'est pas, infiltré au sein d'une organisation criminelle. S'il a fait tomber le chef trafiquant et s'il a réintégré le service normal, la fin de l'épisode nous montre qu'il n'a pas tourné complètement la page du personnage fictif qu'il jouait. Il renoue ainsi le temps d'une soirée avec ses anciennes connaissances. Dans cette ambiance festive, derrière certains regards échangés, lourds de sens, on devine des histoires pleines de non-dits, qui n'ont pas encore livré tous leurs secrets.

John Bloom n'est pas un simple policier pragmatique et très doué, comme nous l'avait démontré l'enquête du jour. Sa non-rupture avec son passé d'infiltré rejoint finalement la thématique globale de la série : les questionnements identitaires ne seront sans doute pas réservés aux seules enquêtes du jour. Ainsi, ce petit twist final apporte un nouvel éclairage au personnage de Bloom et laisse transparaître une autre voie de développement possible à Identity : celle d'explorer son thème au-delà de son lot quotidien d'affaires, en s'intéressant à la personnalité, que l'on devine complexe, de sa figure centrale. 

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Sur la forme, Identity est, à l'image de son contenu, parfaitement calibré. Si la réalisation reste d'une prudente neutralité, en revanche, j'ai assez bien apprécié le coloris et les teintes choisies. La photo de l'image est sobre, mais les couleurs, avec certaines accentuations les faisant ressortir, jouent sur une pointe d'ambiance nostalgique auprès du téléspectateur. C'est un aspect que j'ai bien apprécié, même si cela n'est qu'un détail technique assez diffus.

Enfin, côté casting, l'équipe est homogène et convaincante. Comme je l'ai déjà mentionné, la double présence de Keeley Hawes (Spooks, Ashes to Ashes) et d'Aidan Gillen (The Wire/Sur Ecoute) suffit à mon bonheur. A leurs côtés, on retrouve notamment Holly Aird (Monday Monday), Elyes Gabel (Dead Set), Shaun Parkes (Harley Street, Moses Jones), mais aussi Patrick Baladi (Party Animals, Mistresses) en supérieur très méfiant.

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Bilan : Identity propose un pilote efficace, de facture très classique, sans doute même, "trop" classique. La série apparaît comme une sorte d'énième variante du cop-show traditionnel, avec comme pointe d'originalité, le cadre global entourant ses enquêtes concernant des crimes avec, en leur centre, un enjeu à la sensibilité très moderne, celui de l'identité. Cela se suit sans déplaisir, mais sans réellement s'imposer auprès d'un téléspectateur qui aura peut-être tendance à être d'autant plus conciliant si, comme moi, il apprécie le casting. Cependant, l'entrée en matière est très correcte. Et, surtout, la fin de l'épisode ouvre un fil rouge des plus intrigants sur le personnage de Bloom. Qui sait, peut-être Identity a-t-elle les moyens d'aller au-delà du simple formula show proprement calibré, entrevu dans ce pilote. Dans tous les cas, les amateurs de séries policières devraient sans nul doute y trouver leur compte.


NOTE : 6/10


La bande-annonce de la série :