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10/11/2010

(J-Drama / Pilote) Guilty Akuma to Keiyakushita Onna : jusqu'où le désir de vengeance peut-il conduire ?


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Devant l'embarras de choix téléphagiques en ce dernier trimestre 2010, j'ai l'impression d'avoir des problèmes de riche pour remplir mon mercredi asiatique. Ce qui, pour un téléphage, ne peut jamais être objectivement qualifié de "problème". Tant de nouveautés aux synopsis aguicheurs, aux genres complètement différents, aux castings retenant mille et une attentions... Sur quels critères objectifs (ou non) donner la priorité à telle ou telle série ? Avant un retour probable en Corée du Sud, où les nouvelles séries m'appellent, ce week-end, après de nombreuses tergiversations, j'ai finalement jeté mon dévolu sur un drama, diffusé depuis le 12 octobre 2010 au Japon, Guilty Akuma to Keiyakushita Onna.

Parce que les histoires de vengeance exercent toujours une certaine fascination chez moi. Parce que même si je n'imagine pas Fuji tv porter à l'écran une série aussi sombre que ce dont je pourrais rêver à partir de la seule lecture du résumé, j'avais bon espoir que la mise en scène d'un flou moral troublant, dépassant tout caractère manichéen, soit plus réussie que l'un des principaux ratés de mes expériences estivales, JOKER Yurusarezaru Sosakan. Finalement, Guilty Akuma to Keiyakushita Onna ne s'est pas révélé exempte de défauts, et il serait excessif d'en faire un coup de coeur automnal. Pour autant, la série a su si bien accrocher mon intérêt que j'ai visionné les trois premiers épisodes d'affilée, tout en conservant le secret espoir que le drama saura grandir et mûrir au fil de la saison. Ainsi, même si elle est loin d'être parfaite, la série n'en demeure pas moins digne d'attention.

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Guilty Akuma to Keiyakushita Onna, c'est une histoire de revanche implacable, mais pas seulement. Au cours des deux premiers épisodes, s'esquisse également une rencontre, de deux êtres à une intersection de leur vie, à un croisement incertain où les dérives et choix qui s'offrent à eux vont rapprocher ces deux adultes qui n'auraient jamais rien dû avoir en commun.

En apparence, Nogami Meiko incarne la jeune femme sans histoire, menant une existence paisible en occupant un emploi dans un salon dédié aux animaux domestiques. Appliquée et enthousiaste dans son travail, personne ne pourrait se douter que lorsque les regards se détournent, le sourire qui illumine habituellement son visage se fige et disparaît. Car Meiko cache des blessures plus profondes. A l'âge de 19 ans, elle a été accusée et condamnée pour les meurtres par empoisonnement de son beau-frère et son beau-fils, cette tragédie aboutissant au suicide de sa soeur. Elle a toujours clamé son innocence, mais en vain. Désormais libérée, elle utilise son emploi du temps flexible et ses sorties pour organiser un autre plan autrement plus sombre : orchestrer une vengeance implacable contre les personnes, dont les actions ont, des années plus tôt, brisé sa vie. Si le téléspectateur ignore quel secret unit toutes les cibles de Meiko, il assiste à l'inarrêtable progression des plans de la jeune femme. Si pour le moment, elle est toujours parvenue, à la suite de chantage impliquant des êtres qu'elles aiment, à pousser ses victimes au suicide, jusqu'où peut-elle aller dans cette spirale de vengeance ? Pourra-t-elle vraiment, si la situation l'y oblige, prendre une vie de sang-froid ?

Sa perspective va peut-être changer en raison d'une rencontre fortuite pour son travail, se liant avec l'ami d'un client ayant laissé son chien : Mashima Takuro. Les états d'âme de Meiko semble se refléter comme dans un miroir chez cet homme dont elle ne connaît quasiment rien. C'est du point de vue de ce dernier que l'histoire nous est contée. Car Takuro, ayant ses propres préoccupations et problèmes, va lui cacher sa qualité de policier. Depuis une erreur de jugement qui a coûté la vie à la recrue qu'il avait sous ses ordres, Takuro n'est que l'ombre de lui-même. En plus d'un lourd poids sur la conscience qui lui fait trouver refuge dans l'alcool, il doit supporter les brimades continuelles de ses collègues pour poursuivre sur les ruines d'une carrière policière qui aurait pu être brillante. S'ajoute à tous ces soucis déstabilisants la disparition récente de son ancien mentor, accusé de corruption. Si tout le monde a vite fait de classer ce cas en suicide, Takuro découvre que c'est sur une affaire glissante que le vieil homme s'est lancé : l'affaire d'empoisonnement qui vit condamner Meiko. Rapidement, Takuro établit un lien entre d'étranges suicides qui ont lieu depuis plusieurs semaines et la jeune femme... Alors que le meurtrier de son ancien partenaire échappe à la condamnation pour insanité, Takuro poursuit ses visites auprès de Meiko, sans rien reporter de ses soupçons à des supérieurs qui préfèrent tant l'ignorer. Jusqu'où le conduira cette fréquentation ?

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Guilty Akuma to Keiyakushita Onna laisse une première impression ambiguë, qui apparaît finalement comme un reflet fidèle au flou ambiant que réserve la tonalité de la série. Appliquée, la série flirte avec une ambivalence morale jamais complètement assumée, mais où pointe une volonté scénaristique évidente de dépasser tout cadre manichéen, afin de remettre en cause la dichotomie traditionnelle du bien et du mal. C'est dans le personnage de Meiko que s'incarnent toutes les nuances de gris composant l'univers de ce drama : son projet de vengeance fait distinctement transparaître les deux faces dissociées d'une même personne, sans que le téléspectateur puisse deviner quelle est la réelle personnalité qui se cache sous ces masques. Est-ce cette face enjouée et ouverte aux autres ? Ou bien est-ce celle qui se referme et laisse entrevoir une détermination ayant banni toute émotion humaine ? Si la non-culpabilité de Meiko, pour l'empoisonnement à l'origine de tout, ne semble faire aucun doute de la perspective du téléspectateur (avec le peu d'éléments dont il dispose), en revanche, l'image qu'elle renvoie à l'occasion, d'une froideur déconnectée de toute contingence morale apparaît presque en accord avec le portrait terrifiant que sa mère en dresse.

Pourtant, si Guilty Akuma to Keiyakushita Onna entretient une volontaire ambivalence quasi-schizophrénique construite autour de son personnage central, la série ne franchit jamais un certain seuil, comme prisonnière d'un restant d'inhibitions. Ainsi, lorsque Meiko menacera de lâcher le bébé du haut du toit d'un immeuble, on découvrira a posteriori qu'il ne s'agissait que d'une poupée... Invariablement, elle utilise toujours le bluff pour fonder son chantage fatal, et n'a pour le moment jamais eu à mettre à exécution ses menaces. Certes, elle apparaît implacable à l'encontre de ses cibles, n'hésitant pas à détruire leur famille par leur mort ; mais si elle se ré-invente des codes moraux, elle ne s'en affranchit jamais complètement. S'attachant à ne pas dépasser ce point de non-retour virtuel, pour le moment, la série semble ménager à Meiko une porte de sortie. Pour autant, cette prudence permet aussi à Guilty Akuma to Keiyakushita Onna de laisser subsister un certain non-dit, autrement plus inquiétant, puisque résonne en arrière-plan une question lancinante : jusqu'où Meiko peut-elle se laisser emporter dans cette spirale de vengeance ?

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A ce stade de l'histoire, deux possibilités s'offrent à ce drama pour son évolution future. Ou bien peut-il nous décrire un progressif glissement hors de contrôle de personnages emportés par un désir de justice personnelle, réglant alors de manière privée et implacable leurs comptes en achevant de détruire leur rattachement à un certain idéal. Ou bien peut-il rester prudemment sur le sentier balisé de ces premiers épisodes, exploitant pleinement l'ambiguïté de la mise en scène, mais sans jamais concrétiser ce risque, se contentant de laisser en suspens la possibilité d'une telle dérive. Tout le paradoxe de Guilty Akuma to Keiyakushita Onna est finalement de parvenir à faire d'une de ses limites, a priori les plus contraignantes par rapport à son concept, une forme de point fort, en ce sens que la série ne se ferme aucune porte et sait jouer sur la suggestion pour envisager toute éventualité.

Le personnage de Takuro suit un schéma similaire ; le cumul de sa faillite personnelle et de la faillite du système judiciaire qui relâche le meurtrier de son partenaire achève de détruire ses dernières certitudes qui sont emportées par la disparition de son mentor. Sa rencontre, puis la relation qui s'esquisse entre lui et Meiko, interpellent immédiatement le téléspectateur. Non seulement par cet effet de miroir que l'on perçoit entre les deux dans leurs échanges, pareillement tiraillés, mais aussi en raison du fait que le policier sait ce que représente la jeune femme, sans que cela l'empêche de ressentir une étrange fascination pour elle. Or, consciemment ou non, le rapprochement qu'il encourage avec Meiko, et le silence dans lequel il s'enferme vis-à-vis de ses supérieures, apparaît un premier pas vers un glissement plus sombre, qui anéantirait ses derniers repères.

Outre l'attraction qu'exercent ces figures troublées, si la série bénéficie pleinement de la force des thèmes abordés, un des reproches principaux qui peut être adressé à son écriture, est sans doute son relatif manque de subtilité, auquel s'ajoutent quelques problèmes de crédibilité - le personnage du journaliste excentrique à l'excès, aux motivations floues, et vaguement omnipotent, représentant l'incarnation de certaines caractéristiques des fictions japonaises auxquelles je ne me suis jamais habituée.  Pourtant, que ce soit dans les rapports qu'entretiennent les personnages, ou bien dans la façon dont l'histoire progresse, le drama sait maintenir une tension constante dans la narration qui ne prend jamais l 'intérêt du téléspectateur en défaut. Il offre une consistance d'ensemble apportant une solide homogénéité dans la narration, qui vient ainsi compenser certains de ses travers récurrents.

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Presque logiquement pourrait-on dire, la forme s'inscrit dans une certaine continuité par rapport au fond de la série. En effet, d'apparence classique et sans valeur ajoutée particulière dans ses premières scènes, c'est finalement par une frustrante intermittence que la série laisse entrevoir un réel potentiel esthétique et une certaine maîtrise des tonalités colorées qui mérite d'être soulignée. Elle adopte ainsi à l'occasion une photographie plus soignée et recherchée, s'attachant avec beaucoup de réussite, et une certaine poésie de la mise en scène - consacrée par le générique de fin -, à refléter l'ambiance trouble du passage concerné. L'exercice est appréciable à l'écran ; mais ne nous donne que plus de regret sur l'identité visuelle que Guilty Akuma to Keiyakushita Onna aurait pu se construire si elle en avait eu l'ambition.

Pour supporter cette difficile histoire, le casting se révèle à la hauteur. Je confesse cependant que ma mémoire m'a (encore une fois) fait défaut. Il aura fallu attendre que je me plonge dans la filmographie du casting en rédigeant cette review, pour me rendre compte que cette série marque en fait un retour aux sources, par des retrouvailles avec un des premiers acteurs de séries asiatiques croisé au cours de mes débuts téléphagiques sur ce continent : Tamaki Hiroshi. Puisque Nodame Cantabile fut, avec Nobuta wo Produce, mon premier drama asiatique (il est plus récemment apparu dans Love Shuffle). Cette parenthèse de nostalgie téléphagique refermée, il convient de saluer Kanno Miho (Ai no Uta, Magerarenai Onna ou encore Niji wo Kakeru Ouhi), qui n'a sans doute pas un rôle facile en raison des hésitations des scénaristes, mais qui s'en sort de façon convaincante. Par ailleurs, retrouver Kichise Michiko (Mousou Shimai, BOSS) suffit à m'offrir quelques petits instants de bonheur à l'écran. Enfin, on croise également dans  la série des têtes familières du petit écran japonais, comme Mikami Kensei (GOLD, Tsuki no Koibito), Yoshida Kotaro, Karasawa Toshiaki (Fumo Chitai), Rikiya, Moro Morooka, Takizawa Saori (Jotei), Yokoyama Megumi ou encore Iwamoto Masuyo.

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Bilan : A l'image de ses personnages, Guilty Akuma to Keiyakushita Onna est un drama sombre qui flirte avec ses propres inhibitions narratives, à la croisée des chemins, et auquel il manque peut-être une construction scénaristique plus subtile et rigoureuse pour pleinement exploiter son potentiel. C'est ce que ses deux personnages principaux feront de leur rencontre et jusqu'où les conduiront leurs réflexions et états d'âme qui déterminera la valeur et la portée de cette série. Pour autant, au terme de ces premiers épisodes, on ne peut que constater la capacité étonnante de cette fiction à savoir se jouer de ses limites pour cultiver une ambiguïté au sein de son univers qui interpelle, transcendant toute classification. En dépit de certaines réserves, et sans adhérer à tout, il se révèle très difficile de décrocher de cette intrigante histoire, une fois que l'on est immergé dans ces mystères. Téléphages amateurs d'histoire de vengeance, laissez-vous tenter sans hésiter.   


NOTE : 6,5/10


Le générique très sombre et esthétique :

08/11/2010

(Pilote UK) The Trip : balade champêtre et gourmande dans le nord de l'Angleterre

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Sur My Télé is Rich, on aime rien plus que voyager (du moins téléphagiquement parlant - parce qu'on est aussi pragmatiquement très attaché à sa connexion internet). Pas seulement voguer de pays en pays, mais aussi partir explorer les recoins et les charmes plus discrets des contrées qui nous sont familières. Fatigué de l'oppressant cadre citadin, vous ressentez l'appel des grandes étendues verdoyantes, de ce faux calme de la campagne dont le fond sonore est seulement rythmé par les bêllements de moutons ? Cela tombe bien, BBC2 a pensé à vous. Ou du moins a-t-elle choisi un cadre résolument champêtre  pour y planter le décor de sa dernière comédie en date, dont la diffusion a débuté lundi dernier en Angleterre.

Il s'agit donc d'embarquer pour six épisodes de The Trip, une série s'inscrivant dans le registre des sim-com (les comédiens y jouent une version alternative d'eux-même, par exemple avec des traits de caractère accentué). Michael Winterbottom réunit donc devant sa caméra un duo d'acteurs qu'il connait bien pour proposer une fiction qui va finalement rejoindre la lignée et l'esprit du film A Cock and Bull Story

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Alors qu'il était dépêché par The Observer pour jouer les apprentis critiques culinaires dans une demi-douzaine de restaurants et petites auberges situés dans la région du Lake District, au nord-ouest de l'Angleterre, les plans bien ordonnés, pour mêler travail et plaisir, de Steve Coogan tombent à l'eau lorsque sa petite amie, Misha, décide soudain de le quitter pour retourner aux Etats-Unis. N'ayant jamais été un grand amateur de gastronomie et ne pouvant se résoudre à passer une semaine à voyager avec sa solitude, il se résoud à contacter Rob Brydon, le seul de ses amis potentiellement disponible pour tout quitter pendant quelques jours. La perspective de gîtes et couverts gratuits s'avérant difficile à décliner, Rob accepte de se joindre à Steve dans cette aventure culinaire et champêtre dans la campagne anglaise.

Après un bref voyage dépaysant à souhait, où le paysage de cette partie de l'Angleterre, superbement mis en valeur à l'écran, donne au téléspectateur de soudaines envies de dépaysement, sans pour autant voler la vedette à nos deux protagonistes, ce pilote va mettre en scène leur premier repas à l'auberge. Efficace, l'épisode s'attache à caractériser chacun des personnage, soulignant tant le narcissisme latent de l'un (Coogan), que l'autodérision prononcée à l'exès de l'autre (Brydon). Interpelé par l'indéfinissable impression d'une barrière d'intimité qui tombe, le téléspectateur n'éprouve aucune difficulté pour s'installer à leurs côtés, soudain inclus dans des discussions, naviguant entre pseudos private jokes volontairement lourdes et moments plus personnels, esquissant d'autres préoccupations d'avenir.

Au final, c'est en se complaisant dans ce créneau équivoque, entre vanité et authenticité, que The Trip va progressivement trouver ses marques.

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A la lecture de cette présentation, vous devinez déjà que nous nous situons plus dans une série de niche, réservée aux amateurs, que dans une fiction tout public. The Trip est en effet une de ces comédies à la fois classique et post-moderne, à la croisée des genres, qu'il est difficile de cerner, ou de savoir vraiment comment prendre. En dilettante, sans avoir l'air d'y toucher, elle progresse avec un étonnant naturel. Elle ne cherche pas tant à nous faire rire, qu'à nourrir une confusion des tonalités s'attachant à l'installation d'une proximité de confort avec des protagonistes aux caractères rapidement bien marqués et installés. Les dialogues, dont la part d'improvisation véritable reste floue, cultivent avec une étrange saveur un art de la futilité qui sonnerait probablement très creux dans n'importe quel autre cadre. Pourtant, c'est dans cette désarmante banalité, aux allures vaguement désuettes, que se trouve l'identité de The Trip et sans doute une bonne part de son potentiel.

Sans véritable ligne directrice, les sujets de conversation s'enchaînent, avec une volatilité et une versatilité terriblement ordinaires, ouvrant la voie à une forme d'introspection des personnages. Entre rappels teintés d'accomplissements passés et frustrations actuelles, en passant par l'exploration de l'amitié qui unit le duo, tout sonne très juste, permettant à la série de capitaliser sur une indéniable dimension humaine. Les défauts et ambivalences de chacun, par moment à la frontière d'un pathétique éhonté, font ressortir une étonnante authenticité, un peu vaine, mais parfois presque attendrissante, comme en témoigne la dernière scène de cet appel du fin fond de la nuit, perdu au milieu de la campagne. C'est là que le registre sim-com représente une valeur ajoutée indéniable, par la pointe d'auto-dérision piquante qu'il permet ; même si cet angle a aussi ses détracteurs légitimes, tant la fin de la réalité et le début de la fiction paraissent volontairement excessivement flous par moment.

Corollaire de ce format, il suffira donc de rappeler que les rênes de The Trip ont été confiés à des acteurs confirmés, aux multiples caquettes, et habitués des comédies et autres one-man-show de l'autre côté de la Manche. Si Steve Coogan est sans doute plus connu pour son personnage d'Alan Partridge, Rob Brydon a notamment participé à certaines institutions de l'humour outre-atlantique, comme I'm sorry I haven't a clue.

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Bilan : Avec son rythme lent, en rupture nette avec le côté survolé des comédies modernes, The Trip investit un registre un peu à part. Cultivant l'art des dialogues délicieusement futiles au cours desquels tout semble prétexte à une douce autodérision teintée d'une certaine mélancolie, c'est une ambiance détendue, sorte de désarmante parenthèse entre amis, qu'elle installe. De cette invitation à la balade gourmande, le téléspectateur retient un parfum inimitable d'authenticité dans les relations mises en scène, au potentiel introspectif indéniable et renforcé par la semi-improvisation des dialogues, qui met instantanément à l'aise devant notre petit écran. Bien sûr, il y aura toujours cette frontière un peu trop floue entre fiction et réalité qui pourra troubler certains. Mais si aucun fou rire n'est à prévoir, au-delà des quelques sourires suscités, il y a quelque chose de confusément plaisant et revigorant à passer une demi-heure devant The Trip.Quelque chose qui donne envie de découvrir jusqu'où le voyage nous conduira. Pourquoi pas ?


NOTE : 6,25/10


Une bande-annonce :

This Is How Michael Caine Speaks

07/11/2010

(Pilote AUS) Rake : une série judiciaire décontractée sous les latitudes australiennes

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Depuis deux mois qu'il existe une belle et flambant neuve catégorie "Pilotes Océanie", autant entreprendre de la garnir un peu... Et pourquoi pas en inaugurant une nouvelle nationalité - la dixième ! - traitée sur ce blog ? Car la découverte du jour nous vient tout droit d'un pays jamais encore mentionné, mais pourtant loin d'être un inconnu. Penser qu'il aura fallu attendre plus d'un an pour le voir enfin abordé me rendrait même confusément honteuse. Ce n'est pas comme si les séries australiennes nous venaient de contrées insoupçonnées... Mais il est vrai que 2010 n'aura pas été australien (certes, ce fut au profit d'autres explorations géographiques ; la vie du téléphage étant faite d'arbitrages). Les quelques rares expériences réalisées durant l'année n'avaient jusque là pas été suffisamment concluantes pour décrocher un billet.

Cependant, hier soir, parmi les pilotes visionnés, c'est bien une production tout récente en provenance d'Australie qui a attiré mon attention : Rake. Commandée pour huit épisodes, son pilote a été diffusé ce jeudi soir sur la chaîne ABC1. Legal drama atypique, décontracté à l'excès, frôlant la comédie douce par instants, on y croise même des Mr Smith tout droit échappé d'une Matrice, et d'autres guest-stars comme Rachel Griffiths y sont annoncés dans les prochains épisodes. Bref, c'était une des *places to be* des nouveautés du paysage téléphagique de la semaine.

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Le pilote de Rake nous plonge sans introduction dans le chaos organisé, maintenu dans un précaire équilibre fonctionnel, que représente la vie de Clearver Greene. Avocat de profession, c'est cependant loin du barreau que le téléspectateur fait sa connaissance, la première scène de la série nous proposant un face-à-face musclé et unilatéral avec son bookmaker fort peu satisfait du rythme de remboursement des dettes de jeux qu'il a contractées. Pour se remettre de la raclée reçue, Cleaver va ensuite noyer son chagrin et trouver du confort dans les bras d'une prostituée, Missy, avec qui il s'est persuadé d'entretenir une forme de relation particulière, au bout de cinq années de loyaux services. Le lendemain, avant même de revêtir le costume de défenseur pour ses clients, c'est d'abord avec la qualité de défendeur qu'il se présente à la barre pour exposer une défense surréaliste visant à lier ses retards de paiement d'impôts à des aléas météorologiques exceptionnels. 

Personnage atypique, cultivant une irresponsabilité assumée de laquelle ressort par intermittence une bonhomie expérimentée, rudement efficace au cours d'un procès, Cleaver Greene est à l'image de la tonalité détendue qui règne dans la série. Pourtant les affaires judiciaires ne manquent pas de détails peu ragoûtants et quelque peu sordides, en témoigne celle traitée dans ce pilote : l'acte de cannibalisme d'un éminent économiste qui a dégusté, avec son accord préalable, un avocat s'étant suicidé. L'occasion pour les autorités de découvrir un tragique oubli dans la législation pénale de leur Etat : le cannibalisme n'est pas prévu parmi les infractions pénales. Nullum crimen, nulla poena sine lege... L'absence de charges n'étant pas politiquement envisageable, ce sera donc dans un procès pour meurtre que Cleaver va devoir assurer la défense de ce professeur.  

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Le premier aspect marquant de Rake réside incontestablement dans son ambiance. Forcément atypique par son côté très détendu, flirtant avec des accents latents de comédie qui s'ignore, la série tranche avec l'image traditionnelle du legal drama tiré à quatre épingles. Il est immédiatement clair que nous ne sommes pas dans un procedural show rigide. L'enjeu est ailleurs. Soulignant bien ses priorités, ce n'est ainsi pas autour de l'affaire criminelle du jour que tourne le pilote. Se concentrant sur une dimension humaine, et choisissant de se mettre au diapason de son personnage principal, Rake se sert de son cadre juridique comme d'un décor dans lequel évoluent ses protagonistes, et non comme d'une fin en soi. Cela ne l'empêche cependant pas de retrouver à l'occasion des bases plus classiques pour une fiction judiciaire.

Sur ce plan, la série bénéficie certes pleinement de cette tonalité décontractée, ce qui nous permet d'assister à un première plaidoirie de défense personnelle face à l'administration fiscale, où, jouant sur les contrastes offerts par l'avocat adverse, caricature rigoriste, Cleaver peut adopter une ligne de défense excentrique avec un aplomb et un sérieux au-delà desquels pointe une légère autodérision des plus savoureuses pour le téléspectateur. Pour autant, sans jamais perdre cette tonalité assez indéfinissable, cela n'empêche pas Rake de se montrer aussi plus traditionnelle quand il s'agit de nous proposer le procès de cet économiste cannibale. Le caractère extraordinaire de l'affaire, autant que l'excentricité de l'accusé, lui permettent de conserver sa particularité, tout en nous introduisant dans les prétoires australiens, terrain aux procédures et decorum encore inconnus pour la téléspectatrice que je suis, mais qui semblent plus se rapprocher de l'Angleterre que des désormais trop familières cours américaines.

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Judiciaire par son cadre, c'est cependant surtout dans le développement de ses personnages que Rake va savoir se révéler. Ou plutôt, c'est par l'exploration de sa figure centrale qu'elle va être en mesure de prendre ses distances avec les canons du genre. Ce qui fait son originalité, ce n'est pas en soi la vie dissolue, confusément chaotique, que mène Cleaver Greene, cultivant méticuleusement tous les vices concevables à son niveau, des jeux d'argent à la dépendance à la drogue, en passant par la fréquentation assidue d'un lupanar. Ce qui va faire la particularité du traitement du personnage dans la série, c'est plutôt la manière, excessivement débonnaire, avec laquelle il assume pleinement ses choix, sans s'en cacher. C'est ainsi qu'avec une familiarité et une spontanéité confondantes, il pourra aller se lamenter auprès de la mère de son fils du départ soudain de Missy, sa prostituée de coeur, esquissant une psychanalyse de comptoir sur sa relation avec elle dans un discours qui reflète parfaitement la dualité de ton de la série, entre sérieux et une touche de dérision.

Car voilà bien l'atout principal de Rake : une ambiance où la décontraction semble être élevée au rang d'art. Tout en conservant une narration classique, la série aime à jouer sur les conventions et les attentes du téléspectateur. Les premières scènes où elle choisit invariablement de démarrer dans des cadres familiers pour ensuite révéler un petit twist qui, finalement, fait toute la différence, sont bien révélatrices de cette volonté de s'amuser des codes scénaristiques traditionnels, assumant leur utilisation tout en conservant une certaine distance. C'est ainsi que la discussion au lit entre Missy et Cleaver renvoie initialement l'apparence d'un couple uni, ayant un échange normal après que le petit ami soit rentré ensanglanté... et soudain, les lumières clignotent pour indiquer que l'heure payée est passée. De la même manière, la discussion sur ses déboires amoureux entre Cleaver et une femme qui pourrait être une amie proche, ou un psy, s'éclaire sous un tout autre jour lorsqu'un adolescent entre et lance un "Hi Dad ! Hi Mum !" au naturel désarmant. C'est cela aussi Rake, une façon tranquille mais toujours ambivalente, de naviguer à la croisée des chemins, des tonalités et des inspirations. Sans aller jusqu'à vraiment marquer, cela lui confère indéniablement un côté très rafraîchissant, plaisant à suivre.

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Si la forme ne présente pas de particularité notable, le casting de la série s'avère très homogène. C'est sur l'art de mettre en scène une bonhomie cultivée dans laquelle se complaît Richard Roxburgh (East of Everything) que repose une bonne partie de la série. A ses côtés, on retrouve un certain nombre de têtes très familières du petit écran australien, voire au-delà : Matt Day (Tangle, Underbelly), Danielle Cormack (Xena, Rude Awakenings, The Cult, Legend of the Seeker), Russell Dykstra (Spirited), Adrienne Pickering (Headland), Caroline Brazier (Parallax), ou encore Keegan Joyce (K9).

Pour compléter cette distribution déjà solide, Rake pourra compter sur un certain nombre de guest-stars de luxe au fil des épisodes. Si durant ce pilote, l'économiste cannibale est incarné par Hugo Weaven, sont annoncés pour la suite, Rachel Griffiths, Sam Neill, Lisa McCune ou encore Noah Taylor. En somme, du beau monde qui devrait constituer une motivation supplémentaire pour un public non australien.

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Bilan :
Legal drama à la frontière des tonalités, flirtant avec la comédie sans jamais franchir le pas, Rake cultive avec beaucoup d'application une étonnante décontraction qu'elle pose avec naturel et dont elle fait sa marque distinctive. Plaisante à suivre, capable de prendre de la distance avec des codes narratifs qu'elle ne remet pourtant pas en cause, il règne au final une ambiance atypique à laquelle doit une bonne partie du charme rafraîchissant de ce pilote. Les amateurs de legal drama qui chercheraient un peu de dépaysement devraient y trouver leur compte. Les autres téléspectateurs aussi.


NOTE : 7/10


La bande-annonce de la série :

06/11/2010

[TV Meme] Day 12. An episode you’ve watched more than 5 times.

Mine de rien, en réfléchissant sur ce 12e jour du TV Meme, je me suis rendue compte qu'il y avait finalement beaucoup d'épisodes de séries que j'ai pu regarder de manière quasi-compulsive ou que je visionne encore régulièrement de façon ritualisée. En fait, pour la plupart de mes séries préférées - et même au-delà -, j'ai toujours un, deux, voire trois épisodes clés, dans lesquels je vais naturellement lancer lorsqu'il me prend l'envie soudaine de renouer avec tel ou tel univers.

Immédiatement, me viennent à l'esprit les Celestial navigation (1.16), Noel (2.10), Election Night (4.07) ou encore 2162 votes (6.22) pour The West Wing (A la Maison Blanche). Mais j'ai également dû revoir plus d'une dizaine de fois le pilote de Deadwood. Et combien d'épisodes de Gilmore Girls, ma fiction anti-déprime par excellence, de They shoot Gilmores, don't they ? (3.07) à The Lorelais' first day at Yale (4.02), visionnage rituel de chaque rentrée universitaire ? Au-delà de ces valeurs sûres, de Severed Dreams (3.10) de Babylon 5 à Liars, Guns and Money (2.19 à 21) de Farscape, en passant par Collaborators (3.05) de Battlestar Galactica, ou encore Passover (2.01) de Rome... tant d'épisodes "cultes" à mes yeux. Tant de moments qui ont construit ma sériephilie. Ce ne sont pas forcément les meilleurs, ni les plus aboutis qualitativement parlant, mais ce sont ceux qui, inconstestablement, me procurent le plus de plaisir devant mon petit écran. Ceux à la fin desquels me prend soudain une folle envie de me lever et d'applaudir.

Pour aujourd'hui, mon choix s'est finalement arrêté sur un double épisode dont je connais désormais presque par coeur les lignes de dialogues, qui concerne une autre de mes séries fétiches : Doctor Who.

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Doctor Who
2.12/13 - Army of Ghosts / Doomsday

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Certes, j'aurais pu citer d'autres épisodes de Doctor Who, notamment Silence in the Library (4.08) qui est sans aucun doute le double épisode que j'ai le plus revu sur l'ensemble des cinq saisons qui composent à ce jour la série. Cependant, c'est sur Doomsday que j'ai choisi de m'arrêter. Pourquoi ?

Parce que cette conclusion la saison 2 symbolise à mes yeux tout ce qui fait de Doctor Who une fiction à part. Je confesse avoir regardé les deux premières saisons de manière très chaotique, entre difficultés techniques et mauvais timing, ce ne sera qu'ultérieurement que j'aurais l'occasion de revoir la saison 1 et une partie de la saison 2 dans des conditions acceptables (et accessoirement dans l'ordre). Mais, même si j'y suis parvenue de façon compliquée, ce final représente pourtant un véritable tournant dans la relation particulière que j'entretiens avec Doctor Who. C'est le moment où je suis réellement tombée amoureuse de cette série, où elle a cessé d'être un simple divertissement de science-fiction comblant le vide actuel du paysage téléphagique en la matière, pour devenir ce coup de coeur inclassable, associé à un étonnant sentimentalisme, et qui, dans ce registre, ne ressemble à aucune autre.

S'il s'inscrit parfaitement dans ces fins en forme d'explosion grandiloquente dans lesquelles Russell T. Davies excelle, ce n'est pas vraiment pour cet énième sauvetage de la Terre que Doomsday reste dans les mémoires. Cette conclusion parachève en fait toute la construction narrative d'une saison 2 entièrement tournée vers cette déchirure annoncée entre Rose et Ten. Car c'est aussi parce que les scénaristes en avaient méticuleusement posé les jalons, cultivant l'insouciance d'une relation qui ne pouvait pas être, que l'épisode put atteindre cette unique intensité bouleversante. Or, ce tourbillon émotionnel ainsi suscité reflète bien un des atouts majeurs de Doctor Who, la raison pour laquelle, au-delà de la qualité des scénarios, cette série est capable de toucher et de marquer tant de téléspectateurs : son unicité repose sur cette empathie hors du commun qu'elle est capable de générer.

Army of Ghosts et Doomsday incarnent en bien des points du pur Doctor Who version Russell T. Davies, dans ses forces et attraits comme dans certaines de ses limites. Mais cette conclusion est avant tout une de ces décharges émotionnelles qui marque. Un moment rare, d'osmose et de communion devant le petit écran, comme la téléphagie n'en offre finalement pas tant que ça, et qui se savoure et se chérit.

 

Le thème musical, inoubliable, de ce final :

 

Les adieux entre Ten et Rose :

03/11/2010

(J-Drama) Karei Naru Ichizoku : déchirement familial sur une toile de fond industrielle

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Une review en forme de bilan en ce premier mercredi asiatique du mois de novembre. Non que je manque de nouveautés à découvrir, aussi bien japonaises que sud-coréennes, mais parce que, comme annoncé durant l'été, je m'efforce de poursuivre en parallèle mon exploration de la télévision du pays du Soleil Levant, suivant notamment vos recommandations du mois d'août (en l'espèce, merci donc à lady et calcifer qui m'avaient parlé de ce drama). Car ce week-end, j'ai profité du changement d'heure pour terminer une série commencée il y a déjà quelques semaines : Karei Naru Ichizoku. Diffusée en 2007, sur la chaîne TBS, elle comporte 10 épisodes (le premier et le dernier durant 75 minutes, les huit autres, 45 minutes).

Au vu du résumé, je m'attendais à de l'économique, de l'industriel, une pointe d'ambiance sixties... J'ai eu bien plus que cela. C'est une série qui, par ses thématiques et la manière de les traiter, ne ressemble à aucune autre. Rien ne m'avait vraiment préparé, à la seule lecture du synopsis, à la force de l'histoire dans laquelle je me suis ainsi engagée. Dix épisodes plus tard, Karei Naru Ichizoku s'est imposé à mes yeux comme un incontournable du petit écran japonais. Pas pleinement séduite dès le départ, au final, ce récit dont la tension va crescendo, s'affirmant peu à peu, aura plus que mérité l'investissement réalisé. Si bien que, c'est en téléspectatrice sans doute pas encore complètement remise de ce visionnage que je vous propose un bilan aujourd'hui. Car il était inconcevable de reporter d'une seule semaine la critique de ce drama.

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Adaptation d'un roman de Yamazaki Toyoko, Karei Naru Ichizoku nous plonge au coeur de la réorganisation financière du Japon à la fin des années 60, à travers la destinée tumultueuse de la famille Manpyo, riche et puissante dynastie qui a fait fortune dans le domaine bancaire. A l'aube de l'entrée dans l'ère de l'économie moderne, la série offre un parfait reflet des tensions d'une époque, portrait contrasté d'une société hésitant entre crispation sur des acquis s'amenuisant et regard tourné vers le futur. A ce conflit, incarné par les deux figures centrales de la série, se superpose la description d'une relation - ou plutôt d'une non-relation, troublée et troublante, chargée d'incompréhension, entre un père et son fils.

Patriarche dirigiste, qui mène son entourage d'une main de fer, Manpyo Daisuke possède une importante banque en bonne santé financière. Mais cette dernière est mise en danger par les plans de restructuration du ministère qui prévoient, à terme, de créer de grandes concentrations bancaires, au sein desquelles les plus petites se dilueront. Parallèlement, son fils aîné, Teppei, qui n'a jamais manifesté le moindre attrait pour ces jeux d'argent, s'est pleinement investi dans l'industrie métallurgique. Rêvant de faire entrer le Japon parmi les pays les plus industrialisés, visionnaire quant aux futurs enjeux décisifs, Teppei dirige une entreprise de fabrication de métaux. Ses certitudes le portant vers des projets ambitieux, la grande réalisation qu'il souhaite accomplir est la construction d'un haut fourneau qui lui permettra d'acquérir une indépendance de fabrication et une assise matérielle pour partir à l'assaut de nouveaux marchés, notamment américains.

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Pour mener à bien ses idées, Teppei a besoin de soutiens financiers. C'est pourquoi il s'adressera logiquement à Daisuke, en dépit des rapports atypiques, dénués de tout sentiment qu'il a toujours entretenu avec lui, le fils se sentant comme étrangement rejeté par un père qui n'a eu d'yeux que pour le cadet, Ginpei. Aussi meurtri qu'il soit par cette attitude paternelle, Teppei continue obstinément de rechercher une trace de satisfaction dans le regard que son père peut poser sur lui. Seulement, pour ce dernier, la survie et la pérennité de la famille Manpyo ne sauraient passer que par la prospérité de leur banque. Ses manoeuvres pour permettre ce sauvetage vont l'amener à prendre des décisions difficiles et à orchestrer des manipulations brisant, sans arrière-pensée, plus d'un adversaire sur sa route. C'est ainsi sur une voie bien dangereuse qu'il conduit fermement une famille au bord de l'implosion. Daisuke se dit certes prêt à tout pour sauver sa banque, mais a-t-il vraiment songé au prix qu'il pourrait payer ? La famille Manpyo survivra-t-elle à ces soubressauts ? Quels seront les sacrifices à réaliser ?

A la seule lecture du synopsis, si on pressent le potentiel indéniable de Karei Naru Ichizoku, on peine à vraiment apprécier la multiplicité des thématiques que la série va développer et la force d'une histoire qui va tout simplement submerger le téléspectateur. Ce serait une erreur que de trop hâtivement la catégoriser dans un genre précis. Car un de ses principaux atouts va justement être de savoir transcender tous les thèmes mis en scène, pour finalement offrir un récit dense et surtout homogène, dont la maîtrise dans l'exploitation de ces différentes facettes, va dépasser toutes les attentes initiales.

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Tout d'abord, Karei Naru Ichizoku a évidemment les accents d'une saga industrielle au sens noble du terme. Nous plongeant dans les coulisses agitées et létales de la restructuration économique japonaise de la fin des année 60, elle manie avec dextérité le langage compliqué des financiers, tout comme les manipulations retorses des ambitieux qui peuplent ses réunions. Son incursion politique se révèle toute aussi désillusionnée, tant elle dévoile un monde corrompu aux alliances changeantes. Pour autant, ces passages complexes ne vont jamais rendre la série abrupte ou rébarbative. Au contraire, elle réussit à intégrer avec naturel ces enjeux, parfois excessivement abstraits mais toujours compréhensibles, dans les tensions émotionnelles sous-jacentes qui la parcourent.

Car voilà bien un des attraits les plus fascinants de Karei Naru Ichizoku : sa capacité constante à développer une empathie diffuse et sous-jacente tout au long de la série. Si le téléspectateur ne se sent jamais déconnecté de ces intrigues politico-industrielles, c'est parce que le récit n'y est jamais déshumanisé. C'est toujours par le facteur humain, les personnages, que l'histoire se construit, demeurant profondément liée aux aspirations et conflits internes qui les régissent. C'est ainsi que le téléspectateur va être capable de ressentir et de partager cette bouffée d'idéalisme mal contenue manifestée par Teppei, lorsque ce dernier décrit ses grands projets d'avenir, ou qu'il parle avec passion de l'industrie métallurgique. De même, on perçoit bien que les apparentes froides motivations de Daisuke cachent d'autres non-dits, d'autres blessures plus profondes et plus enfouies.

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Dans Karei Naru Ichizuku, si elle en est le décor principal, l'industrie n'est pas une fin en soi. Elle apparaît comme une extension, un univers qui se superpose à la famille, cette dernière restant le coeur véritable du drama. Car cette série est avant tout un véritable drame familial, dans tous les sens du terme. 

La puissance des Manpyo n'a d'égal que le malaise qui s'étend et se creuse dans une famille au bord de l'implosion. Placée sous la férule tyrannique et patriarcale d'un Daisuke pour qui chacun de ses enfants est un outil lui permettant d'oeuvrer à la protection de l'empire financier qu'il souhaite pérenniser, le téléspectateur s'aperçoit bien vite que la gangrène qui ronge les Manpyo est beaucoup plus profonde que de simples mariages arrangés. Il y a quelque chose de vicié dans ce portrait dressé d'une dynamique familiale, quelque chose qui va bien au-delà d'une simple histoire de moeurs et de cette maîtresse omniprésente, presque officiellement intronisée et qui s'arroge la place de l'épouse officielle. Face à ce ressort qui semble cassé, le téléspectateur est longtemps réduit à se perdre en conjectures, incapable d'identifier ce qui se cache derrière certains non-dits ou réactions disproportionnées.

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Pourtant, dès le départ, on devine inconsciemment que tout tourne, comme la série elle-même, autour de cette relation père-fils dont la détérioration apparaît presque instantanément inéluctable. Telle la partition maîtrisée d'une tragédie à l'ancienne au destin déjà scellé, on assiste impuissant à l'engrenage qui s'opère. Cette incompréhension initiale, de deux êtres qui ont toujours été des étrangers l'un pour l'autre, se change progressivement en une concurrence, un temps seulement inconsciente, mais qui prend peu à peu toute sa force pour se conclure en un affrontement direct visant à l'anéantissement de l'autre. Cette inimité qui bascule dans une aversion unilatérale à travers laquelle Daisuke règle ses comptes avec son propre père, Teppei n'étant qu'une incarnation, à ses yeux, de cette figure paternelle tant haïe, est proprement glaçante à l'écran. Si les secrets de famille soigneusement gardés expliqueront bien des ressorts cassés au sein des Manpyo, rien ne pourra arrêter l'engrenage infernal initié par cette opposition destructrice. A mesure que la situation se détériore et que la possibilité d'une réconciliation s'éloigne, le téléspectateur perçoit très tôt - trop tôt - l'issue probable vers laquelle tout finit par tendre.

Le dernier acte de cette tragédie qu'est Karei Naru Ichizoku est à l'image de la série, reflet de toutes les désillusions que cet univers aura apporté. Plus que le contenu de cette fin, c'est l'extrême vanité de tous ces évènements qui reste le plus marquant. Ces luttes acharnées auxquelles on a assisté, ces sacrifices qui ont été faits jusqu'au plus ultime, nous auront entraîné et submergé dans un tourbillon émotionnel d'une ampleur rare. Mais, au final, ce sont d'autres forces, bien plus implacables, bien plus déshumanisées qu'une famille se déchirant, qui poursuivent leurs oeuvres, imperturbables, broyant sur leur passage tout ce qui peut se mettre au travers de leur route. C'est en cela que l'ambivalence de Karei Naru Ichizoku reste profondément dérangeante : certes, au sein de la famille Manpyo, la tradition l'a emporté sur la modernité, mais elle a déjà perdu la bataille finale. Ce n'est qu'un sursis un peu vain, qui donne au final un arrière-goût extrêmement amer (pas uniquement en raison du flot de larmes salées l'accompagnant), conclusion parfaite dans la droite lignée de la série.

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Sur la forme, si sa réalisation est classique, la photographie bénéficie d'une intéressante teinte un peu sepia. Reflet de son appartenance aux sixties, elle renforce aussi l'ambiance de reconstitution historique à la veille de grands changements qu'évoque le drama. Cependant, le registre dans lequel Karei Naru Ichizoku excelle plus que toute autre, c'est dans la composition de sa bande-son. Avec ses accents épiques un peu surprenants aux premiers abords, au vu du sujet traité, elle permet au récit d'atteindre une dimension supplémentaire, lui conférant un souffle fascinant, mais qui prend tout son sens devant la mise en scène de cet affrontement au parfum de tragédie dans laquelle l'histoire glisse progressivement. Minimaliste dans son recours à des chansons, c'est par des morceaux instrumentaux que ce volet musical s'impose. Omniprésente, sans que son utilisation paraisse pour autant excessive ou artificielle, il apparaît rapidement que la musique occupe la fonction d'un outil de narration, rythmant le récit, ses avancées et ses bouleversements, renforçant d'autant l'intensité émotionnelle de certains passages. Cela accroît également cette apparence théâtrale, étonnamment grandiloquente, mais dont la force emporte le téléspectateur comme rarement. C'est bien une des plus marquantes - et des plus belles - OST de j-dramas qu'il m'ait été donné d'écouter.  

Enfin, Karei Naru Ichizoku bénéficie d'un casting très solide. S'il s'appuie sur une riche galerie de personnages, le rôle principal est dévolu à un Kimura Takuya très convaincant. Même pour une relative néophyte en télévision japonaise telle que moi, cet acteur ne pouvait être un inconnu. Cependant, évènement notable, c'est la première fois que je parviens au bout d'un de ses dramas, après des essais infructueux devant Pride ou MR BRAIN. Face à lui, Kitaoji Kinya (Zettai Reido) incarne un père avec ses propres préoccupations, mais aussi blessures personnelles. A leurs côtés, on retrouve un large casting, composé notamment de Suzuki Kyoka, Hasegawa Kyokon, Yamamoto Koji, Yamada Yu, Aibu Saki, Fukiishi Kazue, Nakamura Toru, Inamori Izumi, Takigawa Yumi, Nishimura Masahiko ou encore Harada Mieko.

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Bilan : Entre épopée industrielle et saga familiale, Karei Naru Ichizoku est avant tout une histoire d'hommes. Avec pour toile de fond la modernisation économique du Japon, ce drame humain relate la détérioration progressive de la relation de deux êtres qui n'ont jamais su se trouver, ni se comprendre : un père et son fils aîné, dont les actions vont être une source de souffrance pour l'autre. A mesure que la série progresse, le récit acquiert une ampleur aussi fascinante que presque inattendue. Chaque épisode, chaque nouvelle prise de décision, renforce cette impression d'assister à un nouvel acte d'une sourde tragédie qui s'est inéluctablement mise en marche, et que rien ne paraît pouvoir arrêter. Entre tradition et modernité, entre amour et haine, il y a quelque chose de profondément désillusionné dans l'univers de cette série, illustré par la vanité finale de tous ces évènements. Vraiment dotée d'une intensité émotionnelle rare, Karei Naru Ichizoku ne laissera aucun téléspectateur indifférent.

Un incontournable du petit écran japonais.


NOTE : 9/10


La bande-annonce de la série :


Le thème musical principal (superbe) :