Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/05/2013

(J-Drama / Pilote) Kumo no Kaidan : la naissance de désirs et d'ambitions, et leurs dérives

kumonokaidanb_zps0f4df2ef.jpg

Après un hiver plutôt positif côté petit écran japonais, revenons en ce mercredi asiatique sur la saison printanière qui a commencé depuis quelques semaines au pays du soleil levant. Sur le papier, il faut dire que peu de dramas donnaient vraiment envie de leur donner une chance. Il y en avait malgré tout quelques-uns, comme, par exemple, Take Five en grande partie grâce à son casting, mais le manque de moyens de la série l'empêche d'exploiter de façon convaincante un concept qui aurait pu être sympathique. Il y avait aussi Kumo no Kaidan : un synopsis qui disait peu de choses et n'était pas des plus engageants, mais un poster promotionnel troublant et plus sombre qu'attendu... et Hasegawa Hiroki dans le rôle principal (oui, si j'avais été honnête, j'aurais dû commencer par ce dernier argument pour expliquer mon choix).

Sauf que Kumo no Kaidan rappelle que l'on peut débuter une série sans avoir forcément de bonnes raisons pour venir s'installer devant, et y trouver des motifs légitimes pour y revenir la semaine suivante. J'ai été agréablement surprise par ce drama, peut-être parce que je n'avais a priori pas d'attentes particulières. Adaptation d'un roman du même nom de Watanabe Junichi publié en 1985, Kumo no Kaidan a débuté le 17 avril sur NTV, étant diffusé dans le créneau de 22h. La durée des épisodes varie entre 45 minutes et 1 heure. Si la série réussit à intriguer, c'est que derrière ses atours de medical drama, elle se concentre et exploite des ressorts humains chargés d'ambivalence, difficiles à catégoriser. C'est avant tout un human drama sur l'affirmation de soi et ses dérives qui tient là un thème intéressant.

[La review qui suit a été rédigée après le visionnage des trois premiers épisodes.]

kumonokaidann_zps49655b90.jpg

Kumo no Kaidan débute dans une petite île (fictive) de moins de 500 habitants, Mikotojima, située dans l'archipel d'Izu au large de Tokyo. Pour satisfaire aux besoins médicaux des locaux, il existe sur place une petite clinique qui doit fonctionner avec des moyens et des effectifs réduits. Elle est dirigée par le seul médecin de l'île, Muraki Eiji. Pour l'assister, il utilise de plus en plus fréquemment les services du secrétaire de l'établissement, Aikawa Saburo. Autodidacte plongé dans ses livres de médecine, ce dernier ne réalise pas seulement des soins bénins : il est encouragé et poussé par le directeur à pratiquer des opérations chirurgicales autrement plus importantes. Saburo ne sait comment se positionner face à cela, d'autant qu'il est confronté à l'hostilité de ses collègues qui n'apprécient guère l'idée de voir exercer quelqu'un sans licence médicale, ce qui constitue une infraction pénale.

Cependant, les talents évidents de Saburo vont se révéler déterminants en plusieurs occasions. Tout d'abord lorsqu'une jeune femme, en visite sur l'île, doit subir une intervention d'urgence alors que le directeur est absent : Saburo assure l'opération et sauve ainsi la vie de Tasaka Akiko. Or, cette dernière est la fille du directeur d'un prestigieux hôpital de Tokyo. Enfermée dans la vie que ses parents lui ont tracé, Akiko est touchée par la gentillesse de Saburo à son égard, loin des médecins froids et cliniques qu'elle a l'habitude de fréquenter. Elle entreprend de se rapprocher de celui qu'elle croit médecin. Saburo ne la repousse pas vraiment, même s'il a entamé une relation avec une infirmière de la clinique, Suzuki Akiko. Les deux femmes laissent entrevoir plusieurs voies possibles pour Saburo, notamment celle de poursuivre l'exercice illégal de la médecine hors de l'île, Tasaka Akiko pouvant lui ouvrir bien des portes...

kumonokaidank_zps12ddbd06.jpg

Loin de se réduire à un simple medical drama ou à un dilemme amoureux, Kumo no Kaidan propose une histoire ambivalente qui éclaire et s'interroge sur les motivations humaines. Cette série entend avant tout mettre en scène l'ambiguïté et l'affirmation des désirs, des ambitions et des sentiments. L'écriture est assez minimaliste, efficace dans sa façon de suggérer les personnalités des différents protagonistes, sans en dire trop, laissant à l'interprétation du téléspectateur une part d'ombre et d'inconnu en chacun. Le triangle amoureux annoncé suit cette même tonalité duale, loin de l'intensité émotionnelle d'un Second Virgin. L'ensemble intrigue : le récit se construit autour d'indices ou d'informations laissés qui, à mesure que l'histoire progresse, dévoilent d'autres facettes des personnages. La série a pour fil rouge la progressive affirmation des souhaits de chacun, et surtout de la part d'ombre qui accompagne cette évolution - comme l'illustre la jalousie d'Akiko face à sa jeune rivale. La figure la plus emblématique de cette approche reste Saburo, protagoniste équivoque et difficile à cerner. Quelques éléments, comme sa compréhension et son intervention auprès de la jeune Akiko lorsqu'elle envisage le suicide, ne trompent pas sur l'existence d'un pan plus sombre, avec des blessures ou épreuves qu'il dissimule. Mais, à l'image de son passé, il reste avant tout un mystère.

Initialement, tout semble le désigner comme quelqu'un de passif et de maléable. Ce sont les circonstances et les ordres du directeur qui l'entraînent peu à peu dans la pratique illégale de la médecine. Lui hésite, refuse d'exprimer à haute voix ce qu'il souhaite, comme incapable de vouloir quelque chose. Pourtant, plusieurs signes sont révélateurs qu'il y a plus en lui que cet effacement volontaire : s'il fuit instinctivement les responsabilités, tremble longtemps après une opération, il reconnaît aussi l'excitation ressentie en salle d'opération. Peu à peu, il prend conscience de ce qu'il peut réaliser. A mesure qu'il s'affirme, il laisse entrevoir d'autres facettes qui l'éloignent de l'homme trop humble des débuts. En trois épisodes, le personnage évolue considérablement : le téléspectateur assiste à la naissance de nouveaux désirs, d'ambitions qui avaient été oubliées sur cette île perdue. C'est alors une voie dangereuse qui se dessine, loin de l'innocence des débuts : il ne s'agit plus d'aider des gens, mais de s'aider soi-même. Par ailleurs, si les sentiments des deux Akiko à son encontre sont évidents, ceux de Saburo restent flous, ambivalents, à l'image de son personnage. Le fait que l'histoire soit racontée, a posteriori, du point de vue de l'infirmière amoureuse renforce la construction dramatique du récit, annonçant un engrenage de décisions qui ne tend pas vers un happy end. Cela donne donc un drama intriguant dont le téléspectateur est curieux de connaître les transformations à venir.

kumonokaidanq_zps615b23b7.jpg

Sur la forme, Kumo no Kaidan est un drama avec un certain nombre de limites. L'atout de ces débuts tient au cadre offert par la petite île dans laquelle l'action s'ouvre : il offre à la caméra quelques beaux paysages et jolis bords de mer, de quoi apporter du dépaysement au téléspectateur, loin d'une Tokyo qui reste cependant à portée de transport des protagonistes. Cependant, dans l'ensemble, la réalisation reste très académique. Un mieux se perçoit en revanche progressivement du côté de la bande-son qui, dans le premier épisode, avait tendance à aller à contre-tonalité et à se faire inutilement envahissante. Elle parvient à bien se fixer dès le deuxième. On y trouve notamment un thème récurrent presque inquiétant qui est souvent utilisé à bon escient et apporte sa marque à l'ambiance intriguante de la série.

Enfin, Kumo no Kaidan peut s'appuyer sur un casting globalement solide. Hasegawa Hiroki (Suzuki Sensei, Kaseifu no Mita) hérite à nouveau d'un rôle ambivalent et difficile à cerner, qui pourra rappeler par certains moments celui qu'il campait dans Second Virgin. Dans ces premiers épisodes, il joue quelqu'un d'assez passif et maléable, dont on sent cependant qu'il ne faudrait que peu d'encouragement pour une prise en main qui le conduirait sur la dangereuse voie de l'ambition et du mensonge. L'évolution du personnage promet d'être intéressante, et, dans ces différents registres qui s'annoncent, Hasegawa Hiroki a déjà prouvé qu'il s'en sortait très bien. Face à lui, pour compléter le triangle amoureux en formation, Inamori Izumi (Cleopatra na Onnatachi) joue une infirmière officiant sur l'île, un des rares soutiens de Saburo à la clinique. Ce qui explique leur rapprochement. Mais leur idylle est troublée par l'arrivé du personnage joué par Kimura Fumino (Sodom no Ringo). A leurs côtés, on retrouve également Naito Takashi, Hagiwara Masato, Aoyagi Sho, Kimura Midoriko ou encore Otomo Kohei.

kumonokaidane_zps7cd87ef2.jpg
kumonokaidanj_zps71ec1a7d.jpg
kumonokaidand_zpsefbc29d2.jpg

Bilan : Derrière les codes empruntés au medical drama ou son esquisse de triangle amoureux, Kumo no Kaidan se révèle être avant tout un drama sur l'affirmation de soi, sur le réveil des ambitions, des sentiments, des désirs, et sur la manière dont ces derniers peuvent vous égarer, avec tous les principes que l'on sera prêt à sacrifier pour atteindre ses objectifs. C'est un récit volontairement ambivalent, mettant en scène des personnages qui le sont tout autant. S'il sait prendre son temps, l'ensemble progresse de manière efficace : la fin du troisième épisode marque une première rupture dans le récit, dont il faudra surveiller l'orientation. Pour le moment, les débuts de Kumo no Kaidan ont donc rempli leur office : à suivre !


NOTE : 7/10


Un (bref) trailer conceptuel :

03/11/2010

(J-Drama) Karei Naru Ichizoku : déchirement familial sur une toile de fond industrielle

kareinaruichizoku0.jpg

Une review en forme de bilan en ce premier mercredi asiatique du mois de novembre. Non que je manque de nouveautés à découvrir, aussi bien japonaises que sud-coréennes, mais parce que, comme annoncé durant l'été, je m'efforce de poursuivre en parallèle mon exploration de la télévision du pays du Soleil Levant, suivant notamment vos recommandations du mois d'août (en l'espèce, merci donc à lady et calcifer qui m'avaient parlé de ce drama). Car ce week-end, j'ai profité du changement d'heure pour terminer une série commencée il y a déjà quelques semaines : Karei Naru Ichizoku. Diffusée en 2007, sur la chaîne TBS, elle comporte 10 épisodes (le premier et le dernier durant 75 minutes, les huit autres, 45 minutes).

Au vu du résumé, je m'attendais à de l'économique, de l'industriel, une pointe d'ambiance sixties... J'ai eu bien plus que cela. C'est une série qui, par ses thématiques et la manière de les traiter, ne ressemble à aucune autre. Rien ne m'avait vraiment préparé, à la seule lecture du synopsis, à la force de l'histoire dans laquelle je me suis ainsi engagée. Dix épisodes plus tard, Karei Naru Ichizoku s'est imposé à mes yeux comme un incontournable du petit écran japonais. Pas pleinement séduite dès le départ, au final, ce récit dont la tension va crescendo, s'affirmant peu à peu, aura plus que mérité l'investissement réalisé. Si bien que, c'est en téléspectatrice sans doute pas encore complètement remise de ce visionnage que je vous propose un bilan aujourd'hui. Car il était inconcevable de reporter d'une seule semaine la critique de ce drama.

kareinaruichizokud.jpg

Adaptation d'un roman de Yamazaki Toyoko, Karei Naru Ichizoku nous plonge au coeur de la réorganisation financière du Japon à la fin des années 60, à travers la destinée tumultueuse de la famille Manpyo, riche et puissante dynastie qui a fait fortune dans le domaine bancaire. A l'aube de l'entrée dans l'ère de l'économie moderne, la série offre un parfait reflet des tensions d'une époque, portrait contrasté d'une société hésitant entre crispation sur des acquis s'amenuisant et regard tourné vers le futur. A ce conflit, incarné par les deux figures centrales de la série, se superpose la description d'une relation - ou plutôt d'une non-relation, troublée et troublante, chargée d'incompréhension, entre un père et son fils.

Patriarche dirigiste, qui mène son entourage d'une main de fer, Manpyo Daisuke possède une importante banque en bonne santé financière. Mais cette dernière est mise en danger par les plans de restructuration du ministère qui prévoient, à terme, de créer de grandes concentrations bancaires, au sein desquelles les plus petites se dilueront. Parallèlement, son fils aîné, Teppei, qui n'a jamais manifesté le moindre attrait pour ces jeux d'argent, s'est pleinement investi dans l'industrie métallurgique. Rêvant de faire entrer le Japon parmi les pays les plus industrialisés, visionnaire quant aux futurs enjeux décisifs, Teppei dirige une entreprise de fabrication de métaux. Ses certitudes le portant vers des projets ambitieux, la grande réalisation qu'il souhaite accomplir est la construction d'un haut fourneau qui lui permettra d'acquérir une indépendance de fabrication et une assise matérielle pour partir à l'assaut de nouveaux marchés, notamment américains.

kareinaruichizokun.jpg

Pour mener à bien ses idées, Teppei a besoin de soutiens financiers. C'est pourquoi il s'adressera logiquement à Daisuke, en dépit des rapports atypiques, dénués de tout sentiment qu'il a toujours entretenu avec lui, le fils se sentant comme étrangement rejeté par un père qui n'a eu d'yeux que pour le cadet, Ginpei. Aussi meurtri qu'il soit par cette attitude paternelle, Teppei continue obstinément de rechercher une trace de satisfaction dans le regard que son père peut poser sur lui. Seulement, pour ce dernier, la survie et la pérennité de la famille Manpyo ne sauraient passer que par la prospérité de leur banque. Ses manoeuvres pour permettre ce sauvetage vont l'amener à prendre des décisions difficiles et à orchestrer des manipulations brisant, sans arrière-pensée, plus d'un adversaire sur sa route. C'est ainsi sur une voie bien dangereuse qu'il conduit fermement une famille au bord de l'implosion. Daisuke se dit certes prêt à tout pour sauver sa banque, mais a-t-il vraiment songé au prix qu'il pourrait payer ? La famille Manpyo survivra-t-elle à ces soubressauts ? Quels seront les sacrifices à réaliser ?

A la seule lecture du synopsis, si on pressent le potentiel indéniable de Karei Naru Ichizoku, on peine à vraiment apprécier la multiplicité des thématiques que la série va développer et la force d'une histoire qui va tout simplement submerger le téléspectateur. Ce serait une erreur que de trop hâtivement la catégoriser dans un genre précis. Car un de ses principaux atouts va justement être de savoir transcender tous les thèmes mis en scène, pour finalement offrir un récit dense et surtout homogène, dont la maîtrise dans l'exploitation de ces différentes facettes, va dépasser toutes les attentes initiales.

kareinaruichizokuj.jpg

Tout d'abord, Karei Naru Ichizoku a évidemment les accents d'une saga industrielle au sens noble du terme. Nous plongeant dans les coulisses agitées et létales de la restructuration économique japonaise de la fin des année 60, elle manie avec dextérité le langage compliqué des financiers, tout comme les manipulations retorses des ambitieux qui peuplent ses réunions. Son incursion politique se révèle toute aussi désillusionnée, tant elle dévoile un monde corrompu aux alliances changeantes. Pour autant, ces passages complexes ne vont jamais rendre la série abrupte ou rébarbative. Au contraire, elle réussit à intégrer avec naturel ces enjeux, parfois excessivement abstraits mais toujours compréhensibles, dans les tensions émotionnelles sous-jacentes qui la parcourent.

Car voilà bien un des attraits les plus fascinants de Karei Naru Ichizoku : sa capacité constante à développer une empathie diffuse et sous-jacente tout au long de la série. Si le téléspectateur ne se sent jamais déconnecté de ces intrigues politico-industrielles, c'est parce que le récit n'y est jamais déshumanisé. C'est toujours par le facteur humain, les personnages, que l'histoire se construit, demeurant profondément liée aux aspirations et conflits internes qui les régissent. C'est ainsi que le téléspectateur va être capable de ressentir et de partager cette bouffée d'idéalisme mal contenue manifestée par Teppei, lorsque ce dernier décrit ses grands projets d'avenir, ou qu'il parle avec passion de l'industrie métallurgique. De même, on perçoit bien que les apparentes froides motivations de Daisuke cachent d'autres non-dits, d'autres blessures plus profondes et plus enfouies.

kareinaruichizokuk.jpg

Dans Karei Naru Ichizuku, si elle en est le décor principal, l'industrie n'est pas une fin en soi. Elle apparaît comme une extension, un univers qui se superpose à la famille, cette dernière restant le coeur véritable du drama. Car cette série est avant tout un véritable drame familial, dans tous les sens du terme. 

La puissance des Manpyo n'a d'égal que le malaise qui s'étend et se creuse dans une famille au bord de l'implosion. Placée sous la férule tyrannique et patriarcale d'un Daisuke pour qui chacun de ses enfants est un outil lui permettant d'oeuvrer à la protection de l'empire financier qu'il souhaite pérenniser, le téléspectateur s'aperçoit bien vite que la gangrène qui ronge les Manpyo est beaucoup plus profonde que de simples mariages arrangés. Il y a quelque chose de vicié dans ce portrait dressé d'une dynamique familiale, quelque chose qui va bien au-delà d'une simple histoire de moeurs et de cette maîtresse omniprésente, presque officiellement intronisée et qui s'arroge la place de l'épouse officielle. Face à ce ressort qui semble cassé, le téléspectateur est longtemps réduit à se perdre en conjectures, incapable d'identifier ce qui se cache derrière certains non-dits ou réactions disproportionnées.

kareinaruichizokuh.jpg

Pourtant, dès le départ, on devine inconsciemment que tout tourne, comme la série elle-même, autour de cette relation père-fils dont la détérioration apparaît presque instantanément inéluctable. Telle la partition maîtrisée d'une tragédie à l'ancienne au destin déjà scellé, on assiste impuissant à l'engrenage qui s'opère. Cette incompréhension initiale, de deux êtres qui ont toujours été des étrangers l'un pour l'autre, se change progressivement en une concurrence, un temps seulement inconsciente, mais qui prend peu à peu toute sa force pour se conclure en un affrontement direct visant à l'anéantissement de l'autre. Cette inimité qui bascule dans une aversion unilatérale à travers laquelle Daisuke règle ses comptes avec son propre père, Teppei n'étant qu'une incarnation, à ses yeux, de cette figure paternelle tant haïe, est proprement glaçante à l'écran. Si les secrets de famille soigneusement gardés expliqueront bien des ressorts cassés au sein des Manpyo, rien ne pourra arrêter l'engrenage infernal initié par cette opposition destructrice. A mesure que la situation se détériore et que la possibilité d'une réconciliation s'éloigne, le téléspectateur perçoit très tôt - trop tôt - l'issue probable vers laquelle tout finit par tendre.

Le dernier acte de cette tragédie qu'est Karei Naru Ichizoku est à l'image de la série, reflet de toutes les désillusions que cet univers aura apporté. Plus que le contenu de cette fin, c'est l'extrême vanité de tous ces évènements qui reste le plus marquant. Ces luttes acharnées auxquelles on a assisté, ces sacrifices qui ont été faits jusqu'au plus ultime, nous auront entraîné et submergé dans un tourbillon émotionnel d'une ampleur rare. Mais, au final, ce sont d'autres forces, bien plus implacables, bien plus déshumanisées qu'une famille se déchirant, qui poursuivent leurs oeuvres, imperturbables, broyant sur leur passage tout ce qui peut se mettre au travers de leur route. C'est en cela que l'ambivalence de Karei Naru Ichizoku reste profondément dérangeante : certes, au sein de la famille Manpyo, la tradition l'a emporté sur la modernité, mais elle a déjà perdu la bataille finale. Ce n'est qu'un sursis un peu vain, qui donne au final un arrière-goût extrêmement amer (pas uniquement en raison du flot de larmes salées l'accompagnant), conclusion parfaite dans la droite lignée de la série.

kareinaruichizokum.jpg

Sur la forme, si sa réalisation est classique, la photographie bénéficie d'une intéressante teinte un peu sepia. Reflet de son appartenance aux sixties, elle renforce aussi l'ambiance de reconstitution historique à la veille de grands changements qu'évoque le drama. Cependant, le registre dans lequel Karei Naru Ichizoku excelle plus que toute autre, c'est dans la composition de sa bande-son. Avec ses accents épiques un peu surprenants aux premiers abords, au vu du sujet traité, elle permet au récit d'atteindre une dimension supplémentaire, lui conférant un souffle fascinant, mais qui prend tout son sens devant la mise en scène de cet affrontement au parfum de tragédie dans laquelle l'histoire glisse progressivement. Minimaliste dans son recours à des chansons, c'est par des morceaux instrumentaux que ce volet musical s'impose. Omniprésente, sans que son utilisation paraisse pour autant excessive ou artificielle, il apparaît rapidement que la musique occupe la fonction d'un outil de narration, rythmant le récit, ses avancées et ses bouleversements, renforçant d'autant l'intensité émotionnelle de certains passages. Cela accroît également cette apparence théâtrale, étonnamment grandiloquente, mais dont la force emporte le téléspectateur comme rarement. C'est bien une des plus marquantes - et des plus belles - OST de j-dramas qu'il m'ait été donné d'écouter.  

Enfin, Karei Naru Ichizoku bénéficie d'un casting très solide. S'il s'appuie sur une riche galerie de personnages, le rôle principal est dévolu à un Kimura Takuya très convaincant. Même pour une relative néophyte en télévision japonaise telle que moi, cet acteur ne pouvait être un inconnu. Cependant, évènement notable, c'est la première fois que je parviens au bout d'un de ses dramas, après des essais infructueux devant Pride ou MR BRAIN. Face à lui, Kitaoji Kinya (Zettai Reido) incarne un père avec ses propres préoccupations, mais aussi blessures personnelles. A leurs côtés, on retrouve un large casting, composé notamment de Suzuki Kyoka, Hasegawa Kyokon, Yamamoto Koji, Yamada Yu, Aibu Saki, Fukiishi Kazue, Nakamura Toru, Inamori Izumi, Takigawa Yumi, Nishimura Masahiko ou encore Harada Mieko.

kareinaruichizokue.jpg

Bilan : Entre épopée industrielle et saga familiale, Karei Naru Ichizoku est avant tout une histoire d'hommes. Avec pour toile de fond la modernisation économique du Japon, ce drame humain relate la détérioration progressive de la relation de deux êtres qui n'ont jamais su se trouver, ni se comprendre : un père et son fils aîné, dont les actions vont être une source de souffrance pour l'autre. A mesure que la série progresse, le récit acquiert une ampleur aussi fascinante que presque inattendue. Chaque épisode, chaque nouvelle prise de décision, renforce cette impression d'assister à un nouvel acte d'une sourde tragédie qui s'est inéluctablement mise en marche, et que rien ne paraît pouvoir arrêter. Entre tradition et modernité, entre amour et haine, il y a quelque chose de profondément désillusionné dans l'univers de cette série, illustré par la vanité finale de tous ces évènements. Vraiment dotée d'une intensité émotionnelle rare, Karei Naru Ichizoku ne laissera aucun téléspectateur indifférent.

Un incontournable du petit écran japonais.


NOTE : 9/10


La bande-annonce de la série :


Le thème musical principal (superbe) :