20/04/2012
(Dossier) Les séries & la politique : Part. 2, Les grandes thématiques parcourant les séries politiques les plus représentatives
[Suite de : Les séries & la politique - Part. 1, Actualités et références passées de la série politique]
Depuis la décennie fondatrice des années 80, déterminante pour la série politique, de nombreuses fictions sont venues décliner ce thème particulier, rendant accessibles au petit écran les grandes figures du pouvoir. Elles ont démontré combien ce genre se trouve à la jonction de différentes approches narratives, toutes potentiellement légitimes et intéressantes. Certaines se concentrent donc sur la conquête du pouvoir mettant en lumière les ambitions et les rapports de force existant (1). D'autres donnent l'impression de se glisser au-delà des zones officielles, pour nous faire découvrir l'envers et les coulisses (2). Il en existe aussi qui s'adressent directement au citoyen, sources d'inspiration et de réconciliation avec la politique (3). Enfin, pour conclure, il sera intéressant de se demander si, entre excès de cynisme et idéalisme revendiqué, une voie existe pour le réalisme ? (4)
(House of Cards / President)
1. La conquête du pouvoir : un ressort traditionnel transcendant les époques
Les jeux de pouvoir n'ont pas attendus le petit écran pour fasciner le public. Ce n'est sans doute pas un hasard si la série qui représente le mieux, de manière intemporelle, cette quête vers les sommets revendique d'ailleurs une inspiration théâtrale. Il y a du Shakespeare (Richard III, MacBeth) dans House of Cards, une trilogie de trois mini-séries qui illustre l'arc narratif type des luttes autour du pouvoir : la conquête, le maintien et la déchéance. J'ai parlé de la réactivité du petit écran britannique, ici, on bascule dans l'anticipation : le premier épisode s'ouvre en effet sur l'annonce de la chute de Margaret Thatcher, la suite traitant du bal des prétendants pour lui succéder au poste de Premier Ministre. Or, il fut diffusé sur la BBC le 18 novembre 1990, soit quelques jours avant que l'évènement n'ait lieu dans la réalité. Le personnage central de House of Cards est Francis Urquhart, une figure politicienne ayant durablement marqué les esprits, notamment par sa célèbre réplique récurrente passée à la postérité : "You might very well think that ; I couldn't possibly comment". Le machiavélisme et le cynisme extrêmes dont fait preuve cet homme politique pour parvenir à ses fins, l'aplomb et le charisme avec lequel il rompt le quatrième mur pour interpeller le téléspectateur, sont d'une noirceur fascinante. Elle se rapproche en bien des points d'une série américaine ultérieure, dans laquelle le milieu de l'entreprise se substitue à celui de la politique, Profit.
Les ressorts de la tragédie, toujours, sont particulièrement perceptibles actuellement dans la fascinante Boss de Starz, mettant en scène le puissant maire de Chicago en proie à une maladie dégénérative inéluctable. Ils permettent aux fictions traitant de l'acquisition ou de la perte du pouvoir de proposer des récits solides et prenants, sans avoir à traiter du fond même de la politique. A l'instar des Hommes de l'Ombre, diffusée sur France 2 en février et qui évoque une campagne présidentielle française précipitée par l'attentat commis sur le président de la République, on y trouve une personnalisation des enjeux, à travers les ambitions - ou les qualités - de chacun, tout en ne négligeant pas de décrire la mécanique des rouages à l'oeuvre. Le potentiel dramatique de ces histoires où la dynamique centrale repose sur des sacrifices et d'épreuves est fréquemment utilisé. En Corée du Sud, récemment, plus que Korean Peninsula qui était une expérience de politique fiction alternative sur les rapports des deux Corées, l'exemple le plus intéressant est President. Cette série nous relate la campagne électorale présidentielle, partant des primaires au sein du parti, jusqu'à l'élection générale face aux opposants des autre formations. Non seulement, elle met en scène une partie d'échecs électorale sans concession, mais elle dispose en plus d'un élément particulier en arrière-plan : une démocratisation beaucoup plus récente du pays. Se perçoit ainsi une conscience particulière de la démocratie, marquée par l'empreinte des mouvements de libéralisation des années 70-80 qui ont forgé les certitudes du héros dans le sang de la perte d'un être cher.
(Party Animals)
2. L'envers du décor : par-delà la zone officielle
Comme toute série se déroulant dans un milieu professionnel déterminé, une partie de l'attrait que peuvent exercer les fictions politiques tient à la possibilité d'aller au-delà des images communément montrées dans les médias. Il s'agit ici de découvrir les coulisses, les dynamiques qui y règnent, mais aussi de partir à la rencontre des personnes qui appartiennent à ce monde. Pour les évoquer, les séries ont pu prendre des directions très différentes. Dans The West Wing, le téléspectateur ne pouvait qu'être marqué par ce véritable esprit d'équipe au sein du staff, qui domine particulièrement dans les premières saisons. Avec une approche plutôt orientée dramédie légère, la sympathique Party Animals nous introduisait dans les couloirs de la Chambre des Communes, sans prétention autre que de s'intéresser aux relations (tumultueuses) unissant un groupe de jeunes professionnels rêvant de grandes carrières. A l'opposé, dans le registre de la comédie, une série américaine comme Spin City a pu mettre en scène le staff de la mairie de New York en usant d'un humour relativement consensuel, pas toujours très subtil mais jouant bien sur l'absurde des situations - ou des postures des personnages. Si elle appartient sur le papier au même genre, l'anglaise The Thick of it prend un parti beaucoup plus sombre : elle adopte une tonalité satirique, à la fois corrosive et irrévérencieuse, particulièrement jubilatoire. L'intérêt de tous ces portraits pas forcément des plus flatteurs est de permettre au téléspectateur d'accéder à un certain envers du décor désacralisé.
Découvrir les coulisses de la politique, c'est aussi permettre l'exploration de thématiques de fond inhérentes au pouvoir. Parmi les sujets les plus emblématiques, les rapports avec le quatrième pouvoir constitué par la presse sont une préoccupation récurrente du petit écran, qui se fait ici l'écho des interrogations des démocraties modernes, où la communication est devenue centrale, ayant tendance à prendre le pas sur tout le reste. La danoise Borgen fait de cet enjeu un de ses thèmes centraux, justifié par les liens (compliqués) qui unissent deux de ses personnages principaux. Au fil de ses deux saisons, la série a ainsi l'occasion de traiter de toutes les facettes de cette problématique : les relations entre personnel politique et journalistes, mais aussi le parti pris éventuel de la presse sous ses différents formats (tabloïd, télévision). Cependant, au-delà de cette approche traditionelle, il est assez révélateur de constater que c'est par le biais du thriller que le petit écran a souvent évoqué le sujet. En France, si Reporters a toujours conservé une storyline liée aux arcanes du pouvoir, la construction de sa saison 2 aboutit à un récit très ambivalent d'une subtilité rare pour dépeindre les rapports des journalistes d'investigation avec le Premier Ministre, sur fond de terrorisme et d'espionnage industriel. Dans un autre registre, la mini-série anglaise State of Play, mettant en scène deux amis, l'un parlementaire et l'autre journaliste - son ancien directeur de campagne -, a parfaitement retranscrit les conflits d'intérêt potentiels et les arbitrages auxquels la presse se livre dans ses rapports avec les autorités.
(Borgen)
3. L'idéalisme et l'inspiration : la série citoyenne ?
La série peut aussi se saisir du politique pour le rendre au citoyen. En effet, si la politique a souvent engendré des désillusions, elle n'en demeure pas moins le terreau de tous les espoirs. Ces débats autour de la chose publique renvoient à l'idée du bien commun, à celle du changement possible. Or le temps d'un épisode, la fiction peut redonner toute sa force à l'idéal démocratique et rendre au téléspectateur un espoir fou, réveillant une conscience citoyenne. The West Wing a souvent été louée, à juste titre, non seulement pour sa pédagogie - cette impression d'éteindre la télévision plus intelligent qu'on ne l'avait allumée -, mais aussi pour être parvenue à réconcilier l'individu désabusé à la gestion des affaires publiques. Au-delà de la figure si emblématique du président Jed Bartlet, le petit écran a prouvé à maintes reprises qu'il était capable de sublimer/magnifier la chose publique pour proposer des passages marquants. Cet instant de grâce où le citoyen se ranime dans le téléspectateur, lequel peine presque à contenir son enthousiasme devant son petit écran, représente à mes yeux l'essence véritable et la magie des séries politiques. Elles seules sont capables de nous faire ainsi vibrer. Pour cela, elles empruntent souvent l'accent caractéristique d'un certain idéalisme qui peut prendre des formes très différentes.
A travers nombre d'interventions de Jed Bartlet, The West Wing reste sans doute la seule à avoir été capable de mobiliser le plus régulièrement cet aspect particulier aux fictions de ce genre. Mais dans sa septième saison, avec le débat en direct ayant opposé les deux candidats à l'élection présidentielle, elle a aussi prouvé qu'elle savait décliner ce savoir-faire et cette tonalité dans l'exercice plus compliqué d'un véritable échange. Par ailleurs, on retrouve dans d'autres séries cet instant de grâce démocratique, aussi fugace que soudain. Le pilote de Borgen en contient un exemple parfait, lorsque Birgitte, n'ayant plus rien à perdre, se lance dans un discours-vérité improvisé, au plus grand désespoir de son spin-doctor. Ce même ressort narratif, celui de la sincérité d'une profession de foi, se retrouve également dans la série japonaise Change, où l'exercice est poussé à son paroxysme dans le dernier épisode. Le personnage de Kimura Takuya, devenu Premier Ministre du Japon, est alors confronté à un scandale sans précédent. Pour reprendre la main, il s'adresse à la Nation, annonçant sa décision de dissoudre la Chambre des Représentants. Pendant une durée de 22 minutes (!), en plan fixe, face à la caméra, il se lance dans un discours fleuve où il exprime ses vues et ses états d'âme. Il est le seul protagoniste à apparaître à l'écran durant cette longue scène, le téléspectateur se retrouvant ici assimilé aux citoyens fictifs du Japon. L'exercice ne manque pas d'audace, tant le dynamisme d'ensemble de la série se retrouve soudain comme suspendu, figé par la solennité du moment. Et le contenu même du discours a beau être d'une approche consensuelle et idéaliste trop poussée, il est difficile de rester insensible à cette mise en scène.
(Change)
4. Entre cynisme et idéalisme, y-a-t-il une place pour le réalisme ?
Parmi les séries politiques réussies, on en trouve qui abordent cet univers sans concession, avec une noirceur revendiquée, d'autres qui optent pour une démarche plus optimiste... Mais au milieu de tout cela, où situer le degré de réalisme de ce que l'on regarde ? Certes, parler de réalisme dans une série, c'est évoquer quelque chose de très subjectif : cela correspond en effet à la conformité apparente de la série avec les idées préconçues que le téléspectateur peut avoir sur tel ou tel sujet. C'est la fameuse impression d'authenticité qui peut émaner d'une fiction. Au cours des dix dernières années, The West Wing (contre-utopie à l'Amérique de George W. Bush, puis reflet-anticipation de celle de Barak Obama à travers Matt Santos - pour lequel les scénaristes s'inspirèrent de celui qui n'était alors que sénateur de l'Illinois) et The Thick of it ont chacune brillamment proposé une certaine vision de la politique et de ce monde... Mais pour parler de réalisme, pour capturer aussi bien la force des idéaux et des attentes que les compromissions inhérentes à l'exercice du pouvoir et aux déceptions qu'il entraîne, c'est vers les fictions directement inspirées de faits réels qu'il faut sans doute se tourner. Je laisse ici volontairement de côté toutes les séries dites "historiques" (comme The Kennedys l'an dernier ou en 1983).
Dans ce registre particulier qui consiste à évoquer le réel à travers des oeuvres de fiction, c'est assez logiquement vers le pays ayant la tradition du récit politique la plus marquée que l'on revient : l'Angleterre et la réactivité de son petit écran aux évènements. J'ai déjà mentionné l'exemple de On Expenses, sur le scandale des notes de frais. De manière générale, si j'ai éclairé l'importance des années Thatcher sur l'évolution de la fiction politique anglaise, la décennie travailliste de Tony Blair a également eu un grand impact. Le trilogie de Peter Morgan (scénariste) et Stephen Frears (réalisateur), The Deal, The Queen, The Special Relationship, l'illustre parfaitement. The Deal par exemple, qui évoquait les rapports entre Tony Blair et Gordon Brown, fut diffusé par Channel 4 en 2003, la semaine précédant la conférence annuelle du Parti Travailliste. Cette particularité d'être capable de traiter de figures de pouvoir sans la moindre complaisance, alors même que celles-ci sont encore en place, se retrouve dans une autre mini-série de cette période, The Project, diffusée sur BBC1 (donc une chaîne publique) en 2002. Produit de la collaboration entre Leigh Jackson et Peter Kosminsky, cette fiction nous relate la décennie des années 90 à travers les yeux de jeunes militants travaillistes, c'est-à-dire les années d'opposition, puis la victoire et le temps des compromissions. Elle résume finalement bien toutes les facettes du récit politique, entre ambitions personnelles, engagement pour des idées, espérances et déceptions.
La politique est un sujet passionnant, particulièrement riche, qui offre bien des voies à explorer aux scénaristes. Il y aurait encore énormément à écrire sur le sujet. N'hésitez donc pas à réagir et à compléter cet article (assez) transversal, pour lequel il a forcément fallu faire des choix. Est-ce que les séries politiques ont pour vous un intérêt ? Quels exemples représentatifs sont à vos yeux les plus parlants/marquants ?
Quant au mot de la fin, je l'adresse à mes lecteurs français, pour ce dimanche, et laisse la place à CJ :
15:25 Publié dans (Dossiers) | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : séries politiques, house of cards, president, les hommes de l'ombre, borgen, party animals, spin city, reporters, state of play, the project, change, the west wing, the deal | Facebook |
19/04/2012
(Dossier) Les séries & la politique : Part. 1, Actualités et références passées de la série politique
Avec un dimanche à venir placé sous le signe de la politique (premier tour de l'élection présidentielle française, lancement de Veep sur HBO), c'est l'occasion ou jamais d'évoquer ce sujet qui m'est cher : les séries politiques.
Cela fait six ans que The West Wing s'est conclue. Une éternité. La source politique ne s'est pas tarie avec celle qui représente l'apogée de ce genre. En effet, depuis, de nombreuses séries ont vu le jour sur le sujet. Dans le versant dramatique, on pense notamment à Borgen (Danemark, 2010-..), President (Corée du Sud, 2010-2011), Daemul (Corée du Sud, 2010), Les Hommes de l'Ombre (France, 2012), Korean Peninsula (Corée du Sud, 2012), Boss (Etats-Unis, 2011-..), Yaldey Rosh Ha-Memshala (Israël, 2011-..), Ekipa (Pologne, 2007), Party Animals (Angleterre, 2007)... De plus, les comédies ne sont pas en reste avec des séries comme At Home with Julia (Australie, 2011), Polishok (Israël, 2009), The Hollowmen (Australie, 2008-..), Change (Japon, 2008), City Hall (Corée du Sud, 2009), The Thick of it (Angleterre, 2005-..), Parks & Recreation (Etats-Unis, 2009-..), Battleground (Etats-Unis, 2012), Veep (Etats-Unis, 2012), L'Etat de Grâce (France, 2007)... A l'exception d'At Home with Julia, qui fictionnalise la vie de la première Ministre d'Australie, et à un degré moindre et indirect de Yaldey Rosh Ha-Memshala dont la particularité est d'avoir pour scénariste la petite-fille de Yitzhak Rabin, nous sommes face à des fictions (non directement inspirées de faits réels).
Cette liste peut sembler longue. Elle n'a pourtant rien d'exhaustif. On pourrait encore y inclure Forbrydelsen (Danemark, 2007-..) ou The Wire (les dernières saisons) (Etats-Unis, 2002-2008) qui, à la jonction de différents genres, y auraient légitimement leur place. Ce bref exposé montre une chose : l'intérêt du petit écran pour la chose publique n'est pas un phénomène localisé (si j'avais pris le temps de faire des recherches, je suis persuadée que l'on aurait pu trouver des exemples sud-américains, voire africains). Cela semble correspondre à une réelle demande du public, peut-être tout simplement inhérente à la dynamique démocratique de nos sociétés (car si parler politique n'est pas garantie de succès, Borgen, Daemul ou encore Les Hommes de l'Ombre ont chacune rencontré leur public dans leur pays respectif). Certaines de ces fictions sont réussies, d'autres non ; elles ont toutes des partis pris narratifs différents, mais elles conservent pour point commun leur sujet de départ. Dans la catégorie "séries politiques", on retrouvera ainsi mêlées celles qui nous immergent dans le milieu politique, celles qui mettent en scène des thématiques politiciennes, ou même celles qui s'engagent, fictions citoyennes ou critiques.
J'ai toujours été profondément fascinée par le thème de la politique ; le rôle déterminant qu'a joué The West Wing dans la construction de ma passion pour les séries n'est pas un hasard. Dans ce dossier - en deux parties au vu de sa longueur -, j'aimerais essayer de vous expliquer à quoi correspond pour moi la série politique et les raisons pour lesquelles elle éveille mon intérêt. Pour commencer, il me semble nécessaire de rappeler que les premières grandes lettres de noblesse sériephiles de ce genre ne datent pas du XXIe siècle (I). Puis, dans une deuxième partie à venir, j'évoquerai les grandes thématiques explorées par quelques-unes de ces séries représentatives du genre (II).
I. L'Angleterre, terre de fictions politiques : la décennie fondamentale des années 80
The West Wing s'est réapproprié le genre politique, elle ne l'a pas inventé. Le pays où la tradition de la série politique me semble la plus implantée est l'Angleterre. En terme de liberté de ton, d'acuité dans l'approche de ce milieu particulier et de traitement des thèmes qui transcendent le genre, mais aussi sur le plan de la réactivité par rapport aux évènements réels (le récent téléfilm On Expenses l'a encore une fois rappelé, relatif au scandale des notes de frais), la télévision anglaise n'a jamais hésité à aborder la question politique frontalement, sous toutes ses facettes et en empruntant toutes les tonalités. Et ce très tôt, sans doute parce que le genre s'est développé en s'inscrivant dans la lignée d'autres traditions narratives bien implantées.
Pour évoquer ces pionnières politiques du petit écran qui ont joué un rôle déterminant, la décennie marquante à retenir est celle des années 80-début 90, soit la décennie du gouvernement de Margaret Thatcher en Angleterre. On y croise quelques-unes des comédies politiques les plus réussies ayant durablement marqué les esprits, parmi lesquelles je retiendrais deux séries cardinales : Yes Minister (1980-84) / Yes Prime Minister (1986-88), et The New Statesman (1987-92). Précisons qu'elles ne sont pas les seules à l'époque - mais d'autres sont plus anecdotiques comme, par exemple, sur ITV, No job for a lady (1990-92). Par ailleurs, dans un registre très différent, les mini-séries politiques dramatiques ont également su se faire une place et s'essayer à l'exercice de la politique-fiction : A very British coup (1988) ou encore GBH (1991), voire même Edge of Darkness (1986), n'ont pas laissé indifférent, sachant que la grandiose House of Cards (1990-95) est, elle, venue refermer magistralement l'ère Thatchérienne.
L'attrait du petit écran pour la politique, tout comme la pertinence et la qualité pour l'évoquer, ne sont donc pas nés avec les années 2000.
La série qui représente à mes yeux la quintescence de la fiction politique, ayant durablement imprégné les esprits, mais aussi la manière de concevoir la politique et ses ressorts (bien au-delà du seul petit écran anglais), reste Yes Minister / Yes Prime Minister. Rythmée par des dialogues délicieusement ciselés, maniant un humour froid souvent très drôle, cette série nous décrit les coulisses d'un cabinet ministériel (et puis, promotion oblige, du 10 Downing Street), en s'intéressant plus particulièrement aux relations entre les fonctionnaires en place au sein de l'administration et l'homme politique censé les diriger. Offrant à ses personnages des numéros de duettistes aux répliques jubilatoires qui resteront cultes, Yes Minister est une brillante comédie satirique qui, tout en sachant garder une distance par rapport à son sujet, fait preuve de beaucoup de finesse et de perspicacité pour capturer et décrire les dynamiques à l'oeuvre dans les coulisses gouvernementales. Demeurée une référence en matière d'écriture politique, elle a connu de nombreux remakes à travers le monde. Un retour au petit écran a même récemment été annoncé, les créateurs de l'original (Jonathan Lynn et Antony Jay) reprenant leur plume après une incursion au théâtre en 2010.
L'autre grande comédie politique de l'époque est The New Statesman. S'inscrivant dans un registre plus sombre, volontairement corrosive, cette série met en scène un MP (représentant à la Chambre des Communes) nouvellement élu du parti conservateur, Alan B'Stard. Arriviste ambitieux, arrogant et amoral, s'affranchissant de toutes limites et assumant toutes les prises de position sans sourciller, ce personnage provocateur (qui doit aussi beaucoup à la performance de Rik Mayall pour l'interpréter) reste une des figures les plus marquantes du petit écran britannique (que l'on peut éventuellement rapprocher d'autres anti-héros "détestables" de la comédie de l'époque, comme Blackadder). Dotée de dialogues très cinglants, se complaisant dans un humour aussi noir que savoureux, cette comédie particulièrement irrévérencieuse dresse en filigrane un portrait au vitriol du monde parlementaire, tout en entraînant son personnage principal dans toutes sortes d'histoires et plans improbables, y compris à l'étranger. Signe de son impact durable, le nom d'Alan B'Stard parle toujours aux Anglais et reste à l'occasion utilisé par ses créateurs, des années après la fin de la série, pour signer des éditoriaux dans certains journaux britanniques.
(Le générique de The New Statesman)
Aujourdhui, dans les séries actuelles, il existe toujours des héritières s'inscrivant dans la lignée ainsi tracée par leurs prédécesseurs. En 2009, la comédie israëlienne Polishok s'inspirait encore directement de la voie ouverte par Yes Minister (dont j'ai aussi parlé d'ailleurs du renouveau futur annoncé). Mais, ces dernières années, c'est sans aucun doute l'excellente The Thick of It qui apparaît comme la plus grande et digne représentante de cette tradition (qui s'exporte jusqu'au grand écran, avec In the loop). Elle a su adapter et intégrer des exigences modernes, notamment avec son approche mockumentary, tout en préservant les acquis satiriques consacrés précédemment.
Signe d'un filon inépuisable, le créateur de The Thick of It, l'Ecossais Armando Iannucci (qui, en 2005, décrivait sa série comme la rencontre de Yes Minister avec The Larry Sanders Show), lance ce dimanche sur HBO une nouvelle comédie Veep très attendue, mettant en scène une vice-présidente américaine interprétée par Julia Louis-Dreyfus. Cette nouveauté est à surveiller de près et montre que ce créneau qui s'est construit sur plusieurs décennies demeure porteur pour le petit écran.
La suite : Part. 2, Les grandes thématiques parcourant les séries politiques les plus représentatives.
[Ce premier article inaugure une nouvelle catégorie sur le blog : les Dossiers. Jusqu'à présent My Télé is Rich! a toujours été très centré sur les reviews - avec deux/trois billets d'humeur exceptionnels -, j'aimerais l'élargir à des billets un peu plus transversaux. Histoire de pouvoir prendre un peu de recul avec la production télévisuelle. N'hésitez donc pas à réagir (aussi ^^) sur cette idée.]
15:30 Publié dans (Dossiers) | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : séries politiques, the thick of it, veep, the west wing, yes minister, the new statesman | Facebook |