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13/05/2012

(ISL) Tími Nornarinnar (Season of the Witch) : incursion au coeur de l'Islande

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En fin de semaine, comme le thermomètre dépassait allègrement les 30 degrés, j'ai cherché un dépaysement téléphagique adéquat et, dans ma quête de latitudes nordiques, je me suis une nouvelle fois retrouvée en Islande. Ce n'est que ma quatrième série Islandaise (la troisième dont je vous parle), mais il n'y a pas à dire, j'éprouve beaucoup d'affection pour ces contrées. Des séries diffusées là-bas en 2011, j'attends surtout avec impatience de pouvoir découvrir Heimsendir (par les créateurs de Naeturvaktin - dont je suis en train de finir la suite, Dagvaktin) et évidemment la saison 2 de Pressa, mais les circonstances ont voulu que je commence par la troisième série nominée aux Edda Awards en début d'année (sur un total de trois - bon, l'Islande est un petit pays !) : Tími Nornarinnar.

Cette dernière est l'adaptation d'un roman policier d'Árni Þórarinsson (Thorarinsson) (un écrivain que l'on a déjà croisé, souvenez-vous, car il a participé à l'écriture de Pressa), datant de 2005 et paru en France sous le titre Le Temps de la Sorcière. Tournée à l'automne 2010, la série - composée de 4 épisodes de 45 minutes environ - a été diffusée à la télévision publique islandaise en avril 2011. Sans s'imposer véritablement dans le registre du polar, Tími Nornarinnar s'est révélée très intéressante par un aspect inattendu : elle offre un véritable portrait de la société Islandaise actuelle en crise, le tout accompagné par un décor superbement mis en valeur.

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Tími Nornarinnar a pour principal protagoniste Einar, un journaliste expérimenté d'un grand quotidien islandais. Ce dernier a été muté dans le nord de l'île, loin de Reykjavik, avec pour objectif officiel d'y installer une rédaction locale. Exilé dans cette campagne enneigée, installé dans une maison louée avec pour seul compagnon un perroquet laissé par le propriétaire - et une photographe de passage qui le rejoint en début de série -, il s'ennuie, tentant d'en profiter pour vaincre ses démons et ne plus toucher à l'alcool. Mais le calme de ce bourg n'est qu'apparent. Plusieurs drames vont en effet toucher la région.

Au cours d'une sortie en rafting avec son entreprise, une femme tombe dans la rivière; elle est tuée dans la chute. La mère de cette dernière, vieille femme en maison de repos, contacte Einar, persuadée qu'il ne s'agit pas d'un accident, mais que sa fille a été assassinée. Dans le même temps, une représentation théâtrale attendue est interrompue suite à la disparition du jeune acteur principal ; le cadavre de ce dernier est retrouvé peu après, calciné dans une décharge. En plus de ces morts, Einar couvre la situation d'un village situé à quelques heures de route où une tension de plus en plus sourde monte, alors que des incidents racistes ont lieu sur fond d'élection locale prochaine.

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En m'installant devant Tími Nornarinnar, je m'attendais à une mini-série policière assez proche de Pressa qui, déjà, mettait en scène les investigations de journaliste. Je me suis retrouvée face à un autre parti pris : ici, l'enquête - ou plutôt les enquêtes - ne semblent pas déterminantes. Elles sont certes les fils conducteurs du récit, mais Tími Nornarinnar donne l'impression que ce qui est vraiment le coeur de son histoire est avant tout ce qui entoure les intrigues et vient se greffer à elles. Ce qui intéresse la série, c'est ce que les évènements permettent de révéler sur la société, sur le pays, et sur les protagonistes eux-mêmes. En cela, il s'agit d'un polar nordique qui respecte un certain nombre de canons du genre : c'est une oeuvre d'ambiance, au rythme de narration lent. Elle ne cherche pas à créer de véritable suspense, mais elle intrigue. La fausse bonhomie d'Einar, personnage central désillusionné et fatigué mais persistant, rend le personnage attachant, s'imposant comme le point de repère solide du téléspectateur. En dépit de certaines limites, notamment un manque d'homogénéité et de liant au sein des storylines, lesquelles sont desservies par des figures secondaires insuffisamment travaillée, l'histoire fonctionne.

Pour autant, le grand atout de Tími Nornarinnar n'est pas ce versant policier. Ce qui marque, c'est cette incursion au coeur de l'Islande qu'elle propose. C'est la première fois que je visionne une série de ce pays qui respire à ce point l'Islande. Elle en exploite tout d'abord le cadre géographique particulier : la série s'imprègne des lieux à travers lesquels le personnage principal nous conduit, tirant pleinement parti de ces paysages glacés s'étendant à perte de vue. La neige se substitue à la pluie, le blanc à la grisaille de ses consoeurs scandinaves : cet épais manteau blanc est omniprésent, recouvrant tout le décor et tombant régulièrement. De plus, Tími Nornarinnar s'intéresse aussi à ses habitants : elle capture la photographie d'une société en crise, morale comme économique. Dans ce coin perdu d'Islande, on retrouve toutes les tensions sociales et ethniques (avec la question de l'immigration) qui agitent les sociétés occidentales modernes. Ce ne sont que des esquisses, et on regrettera que la série s'en tienne à un aperçu très sommaire, mais le téléspectateur n'en est pas moins marqué par le portrait sombre et peu optimiste qui est ainsi dressé.

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Tími Nornarinnar a été tournée dans le Nord de l'Islande (ce qui, de notre point de vue, est avouons-le une précision toute relative et assez anecdotique), principalement à Akureyi. Une des grandes forces de la série est justement que son réalisateur, Friðrik Þór Friðriksson (Fridrik Thor Fridriksson), va s'attacher à faire des lieux où se déroule l'action un acteur à part entière du récit. Il joue sur ces paysages superbes, oscillant entre une mer glacée et des sources d'eau chaude... De toutes les (quelques) séries islandaises que j'ai eu l'occasion de voir, c'est vraiment celle qui aura le mieux mis en valeur son cadre. Elle y est bien aidée grâce à sa photographie particulièrement soignée, qui reste à dominante claire - un intéressant choix pour une fiction qui demeure un polar. La musique, posée et entêtante, achève de happer le téléspectateur, contribuant à cette ambiance un peu déconnectée de tout, qui accompagne le héros dans ses investigations.

Enfin, côté casting, je crois que c'est la première fois dans l'histoire de ce blog que je vais devoir déclarer forfait pour vous donner des renseignements sur le sujet : la série n'a ni page imdb, ni fiche wikipedia, ni aucun référencement digne de ce nom dans le web anglophone, et mes quelques incursions dans le web islandais n'ont pas été très concluantes (certes, j'aurais pu enquêter sur les noms défilant à l'écran durant le générique de fin, mais entre les signes alphabétiques particuliers et une liste par ordre d'apparition, je n'ai pas eu le courage d'y consacrer plusieurs heures.). Je vais donc me contenter de dire que le casting est dans l'ensemble satisfaisant, l'acteur principal rentre très bien dans son rôle. Le seul bémol viendra de certains rôles secondaires - sans doute aussi une conséquence d'une écriture manquant parfois un peu de consistance.

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Bilan : Véritable portrait d'Islande qui exploite pleinement le cadre géographique (magnifique), mais aussi les tensions qui traversent la société - à l'image des crises touchant les sociétés occidentales -, Tími Nornarinnar vaut surtout pour cet instantané ainsi proposé de l'île nordique. Les enquêtes forment autant de fils rouges intermittents qui donnent une direction à l'histoire, même si l'ensemble n'est pas toujours pleinement maîtrisé et homogène. Sans créer de véritable tension captivante, l'intérêt sincère du téléspectateur ne se dément cependant pas au cours de ces quatre épisodes.

Une série à réserver aux amateurs de fictions scandinaves. Et pour tous les curieux qui souhaiteraient s'offrir un court voyage à travers l'Islande !


NOTE : 6,75/10


La bande-annonce (sous-titrée anglais) :


[Comme beaucoup de séries islandaises, le coffret DVD comprend une piste de sous-titres anglais.]

21/08/2011

(ISL) Næturvaktin (The Night Shift) : une ambiance désillusionnée à la fois drôle et touchante

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Après l'expérience concluante qu'a été Pressa, en ce week-end caniculaire, je tente une parade (un peu vaine, certes) en vous proposant un nouveau voyage en Islande. Il faut dire que l'ambiance de la série dont je vais vous parler aujourd'hui a de quoi refroidir, et pas seulement en raison de la neige, des gros anoraks et du fait qu'elle se déroule intégralement de nuit. Si Næturvaktin a indéniablement intégré les codes narratifs du mockumentary moderne, la série ne se réduit pas à ce genre. Elle n'est ni complètement une comédie, ni totalement une série dramatique. Alternant les tons, les mêlant parfois d'une étonnante manière, elle apparaît aussi atypique qu'inclassable ; sauf qu'une chose est sûre, elle retient bel et bien l'attention d'un téléspectateur dont elle s'assure la fidélité.

Diffusée sur la chaîne Stöð 2 fin 2007, Næturvaktin (en anglais The Night Shift) est la première saison d'une trilogie. Elle comporte 12 épisodes d'environ 25 minutes chacun. Succès public et critique, elle a notamment remporté l'Edda Award de la meilleure série. Elle est suivie par une deuxième saison, rassemblant les mêmes protagonistes mais changeant le cadre, qui s'intitule Dagvaktin (The Day Shift), et par une troisième, Fangavaktin (The Prison Shift). Enfin, un film, Bjarnfreðarson, a conclu l'ensemble en décembre 2009 en Islande. Côté international, précisons que Næturvaktin a été diffusée ce printemps sur BBC4 en Angleterre.

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Næturvaktin raconte le quotidien de l'équipe de nuit d'une station service à Reykjavik. Georg Bjarnfreðarson en est le superviseur. Multi-diplômé, marxiste sur les bords, il règne semblable à un dictateur sur ses collègues (cf. l'affiche de promo du début), avec un constant besoin d'affirmer son autorité, voire sa supériorité. Il nourrit aussi une fascination pour la Suède. Divorcé, il doit cependant également garder son fils certaines nuits à la station service. Sous ses ordres, Ólafur Ragnar est le plus ancien employé du trio ; il est très souvent le bouc-émissaire de Georg. S'il n'est ni le plus assidu, ni le plus intelligent, il reste quelqu'un de terre à terre, ayant tendance à se laisser embarquer dans des plans qui se terminent mal. Enfin, Daniel Sævarsson vient tout juste d'être embauché : ancien étudiant en médecine qui a tout laissé tomber, il déprime et se cherche sans trop savoir quoi faire.

Ce sont les intéractions au sein de ce trio que la série va mettre en scène. Si leur routine est à l'occasion perturbée par des clients ou évènements inattendus, c'est très souvent au sein même du groupe que se cristallise les tensions. Des débats sur la gestion de la clientèle aux entraînements de survie pour savoir comment accueillir un éventuel braqueur, en passant par les "amendes" arbitrairement imposées pour retard, ou encore par l'obsession suédoise de Georg qui veut organiser un voyage là-bas, les nuits ne manquent généralement pas d'animation. Les problème naissent le plus souvent en raison de l'autoritarisme exacerbé de Georg, mais aussi parfois des erreurs d'appréciation d'Ólafur, enfin plus rarement à cause de la famille de Daniel qui s'inquiète de son avenir.

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Næturvaktin est une série à la tonalité atypique. Si elle a été écrite par ses scénaristes comme un drame, le versant comédie n'est pourtant jamais loin et prend même parfois le dessus. Elle entreprend de nous narrer un quotidien excessivement sobre, presque trop normal pour pouvoir être l'objet d'une fiction. On ne retrouve pas chez elle de succession de sketchs, d'excès burlesque, et encore moins de tentative d'humour volontaire. Si les mockumentary des années 2000, The Office en tête (avec sa figure de patron despotique cherchant aussi maladroitement à bien faire), sont à l'évidence passés par là, l'ambiance de Næturvaktin est beaucoup plus sombre que celle que l'on retrouve habituellement dans ces comédies. A travers ces trois protagonistes, la série développe une dimension humaine et sociale qui apparaît profondément désillusionnée. Elle se révèle aussi des plus psychologiques dans sa façon de mettre en scène les rêves, les aspirations, mais aussi les insécurités de ses personnages, suivant une logique et une cohérence très intéressantes.

Bénéficiant d'une écriture aussi corrosive qu'abrasive, c'est une série dont la dynamique repose principalement sur les échanges au sein de son trio principal. Ne manquant ni d'un certain sens de la répartie, ni d'inspiration pour proposer des chutes désabusées qui feront plus d'une fois sourire, Næturvaktin s'avère prenante pour un téléspectateur de plus en plus conquis et qui s'attache vraiment au fur et à mesure que progresse la saison. Si la série marque et se détache, elle le doit au paradoxe qu'elle cultive si bien, sachant se montrer à la fois touchante, drôle, bouleversante, dans une même scène. Cette étonnante confusion de tonalités normalement opposées et exclusives l'une de l'autre est un exercice narratif périlleux, mais la série trouve instinctivement et naturellement le juste équilibre. Næturvaktin a ainsi cette faculté très particulière de proposer des passages qui non seulement prêtent à sourire, mais qui laissent aussi le téléspectateur le coeur serré, avec un arrière-goût chargé d'amertume dans la bouche.

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Sur la forme, Næturvaktin bénéficie d'une réalisation logiquemen sobre. Le cadre est restreint (la station service et ses abords), mais la série se prête bien à cette sorte de semi-huis clos où chacun se regarde dans le blanc des yeux et, occasionnellement, en vient à se dire ses quatre vérités. Quant à la bande-son, elle reflète parfaitement l'ambivalence de la série, à la fois un cri un peu désespéré, mais aussi une volonté de continuer d'aller de l'avant. Deux chansons "rock" sont utilisées à ces fins. Il y a tout d'abord celle du générique, intitulée Kyrrlátt kvöld ("Tranquil Evening") est signée par le groupe Utangarðsmenn. La seconde sert de générique de fin, mais résonne aussi parfois en cours d'épisode ; il s'agit de Jón pönkari ("John the Punk") par Bubbi Morthens.

Enfin, Næturvaktin bénéficie d'un casting tout simplement parfait pour incarner ces différents protagonistes, un peu brisé chacun à leur manière. Georg, avec ses excès d'autorisation et son besoin de tout contrôler en permanence, est joué par Jón Gnarr, qui fait vraiment sien ce personnage excentrique, souvent détestable, parfois pitoyable. Olafur est interprété avec une sobriété à saluer par Pétur Jóhann Sigfússon. Et c'est Jörundur Ragnarsson qui joue Daniel, sachant très bien retranscrire le côté désabusé et les crises existentielles du jeune homme. Dans les personnages secondaires récurents, Sara Margrét Nordhal Michaelsdóttir est la vendeuse du stand d'à côté, elle-aussi ouverte toute la nuit. Enfin, le fils de Georg est incarné par Arnar Freyr Karlsson.

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Bilan : Entre comédie et drame, Næturvaktin est une série toujours prenante, parfois vraiment drôle, souvent assez touchante, dont l'écriture se révèle vraiment juste. Si son atmosphère, désillusionnée, surprend par sa noirceur, elle permet aussi d'offrir un éclairage très humain sur ses protagonistes et leurs relations. En raison de cette tonalité entre-deux, elle reste une série difficile à catégoriser, une forme de cri désespéré qui sait nous faire rire. Un paradoxe à elle toute seule, mais un paradoxe admirablement bien équilibré et écrit. A découvrir !


NOTE : 8,25/10


La bande-annonce :


La chanson utilisée dans le générique :

04/08/2011

(ISL) Pressa (The Press), saison 1 : interrogations sur le rôle de la presse sur fond d'enquête criminelle

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Au programme du jour : de l'exploration sériephile ! Si, vous aussi, vous vous lamentez au travail en parcourant les cartes postales de connaissances supposément bien attentionnées, envoyées du bout du monde où elles sont occupées à paresser, j'ai trouvé un (quasi) palliatif ! Certes, ce n'est pas le chaud soleil que je vous propose aujourd'hui, mais la série dont je vais vous parler nous vient d'un pays encore inconnu sur My Télé is Rich!, l'Islande, avec une fiction qui a été ma vraie bonne surprise de la semaine : Pressa (dont le titre anglophone est The Press).

Diffusée en prime-time, à partir du 30 décembre 2007 et en début d'année 2008, sur Stöð 2, Pressa formait initialement un ensemble composé de 6 épisodes de 45 minutes chacun. Le succès critique avec lequel cette première saison a été accueillie explique qu'une seconde ait été commandée. Comportant également 6 épisodes, elle a été diffusée au cours de ce printemps 2011 en Islande. Pour son écriture, autour de Óskar Jónasson et Sigurjón Kjartansson, elle a réuni une équipe d'écrivains de polars islandais (Arni Thorarinsson, Pall Kristinn Palsson, Aevar Orn Josepsson, Yrsa Sigurdardottir). Et le résultat est au rendez-vous : la première saison de Pressa délivre une prenante série feuilletonnante qui, suivant un fil rouge d'enquête criminelle, propose une immersion dans les dessous de la presse tabloïd, en s'inspirant ici du grand journal du genre de l'île, DV.

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Pressa nous entraîne dans les coulisses de Pósturinn, communément appelé "The Post", le plus important quotidien tabloïd d'Islande. On y suit les pas de Lára, une jeune mère célibataire qui a toujours rêvé de devenir journaliste. Grâce à une connaissance, elle vient tout juste de se faire embaucher à l'essai dans ce journal pour le moins controversé. Sans expérience dans le domaine de la presse, la "chance du débutant" est cependant avec elle. En effet, elle met dès le premier jour le doigt sur une grosse histoire, réunissant tous les ingrédients d'une affaire criminelle médiatique, avec sa dose de scandales, qui va tenir le pays en haleine.

Le mari d'une des présentatrices télévisées les plus célèbres d'Islande, Esther, est porté disparu. Rapidement la police conclut à une mort probable en découvrant la voiture de l'homme, avec des traces de sang nettoyées à l'intérieur. Les soupçons se portent logiquement sur la possible veuve. Sur le coup depuis le début, avec une longueur d'avance sur ses confrères, "The Post" enquête de son côté. Au nom du droit à l'information, il n'hésite pas à dévoiler les secrets les mieux gardés de l'investigation policière, tout en parvenant parfois aussi à avoir un temps d'avance sur les autorités. A mesure que Lára progresse, c'est une histoire bien plus dangereuse et complexe qu'envisagée, avec des enjeux financiers extrêmement importants, qui se dévoile peu à peu.

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Le premier grand atout de Pressa est le milieu dans lequel la série nous immerge et dont elle va savoir prendre toute la mesure : celui de la presse tabloïd. Le sujet est d'actualité, puisqu'on a rarement autant discuté de cette dernière que durant cet été 2011 et le scandale ayant éclaté en Angleterre. De plus, le fait que "The Post" soit une version fictive inspirée du très réel DV islandais n'est sans doute pas pour rien dans l'impression de réalisme qui se ressent face au milieu médiatique que la série va nous dépeindre.

Car la vraie réussite de Pressa est de parvenir à traiter avec beaucoup d'habileté et de nuances de cette problématique tabloïd, en prenant soin d'aborder toutes les facettes qu'elle peut recouper.  Elle capture tout d'abord le souffle d'une rédaction et de toutes les dynamiques qui y sont à l'oeuvre : les dissensions existent, mais s'esquisse en filigrane une forme de solidarité dans l'adversité. Elle expose les convictions mais aussi les doutes des journalistes, confrontés à la nécessité d'un arbitrage constant entre des intérêts commerciaux et des principes moraux pas toujours convergents. Peut-on et doit-on tout publier ? Où commence et où s'arrête l'information ? Existe-t-il une frontière infranchissable au nom de la vie privée ?

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Si ces questionnements sont personnels à chacun, Pressa va bien mettre en lumière les tenants et aboutissants des débats agitant cette presse. Elle évoque le problème des moyens pour accéder aux scoops, les libertés prises avec la loi au nom du supposé intérêt supérieur et les atteintes à la vie privée que cela peut engendrer (recouvrer illégalement les adresses ip d'un blogueur par exemple). Elle met aussi en scène les conséquences des articles publiés, pouvant avoir une incidence grave sur la vie des gens, dépassant la seule affaire en cause. La mission d'informer des journalistes les place alors devant des responsabilités inattendues auxquelles il est parfois dur de faire face.

Plus largement, Pressa évoque également toute l'ambiguïté des rapports de chacun avec la presse tabloïd. "The Post" est facilement dédaigné par ses confrères, taxé de "sous-journalisme de caniveau". Mais, même mis à l'index, il reste le journal auquel tout le monde est abonné, que chacun lit, demeurant incontournable dans les discussions privées comme dans les revues de presse plus officielles. La série nous décrit avec brio cette forme de fascination/répulsion pour un journal qui marche sur une fine ligne entre information, sensationnalisme et voyeurisme. Ces ambivalences sont d'ailleurs parfaitement représentées à tous les niveaux. Au sein du conseil d'administration du quotidien, ces financiers respectables rejettent le scandale, mais dans le même temps, on sent bien que, loin de toute considération morale, c'est l'évolution des ventes qui demeure le facteur déterminant. Au sein de la presse, "The Post" fait office de défouloir osant publier et franchir des lignes que ses confrères n'oseront pas.

En somme, Pressa offre un éclairage nuancé et vraiment très intéressant sur la presse, et plus particulièrement sur la problématique spécifique posée par les tabloïds, qui mérite assurément le détour.

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Outre cette immersion dans la presse tabloïd, le second atout de Pressa est d'être une fiction construite comme un thriller, où les pistes se brouillent, les retournements de situation se multiplient et les morts nourrissent les suspicions - le tout sous le regard du public. Le téléspectateur suit l'enquête criminelle commencée avec la disparition du mari d'Esther à travers les journalistes du "Post" ; même si la série se permet quelques incursions au sein de la police, permettant de nous proposer en parallèle une autre façon d'enquêter, avec des ressources qui n'ont rien à voir avec celles du tabloïd. Le suspense monte, à mesure que les préconceptions tombent et que l'histoire s'avère bien plus compliquée qu'initialement envisagée. Si Pressa échouera à aller jusqu'au bout de son concept et à confirmer la tension palpable et presque paranoïaque qui s'esquisse par instant, l'ensemble est efficacement construit, en escalade. Gagnant constamment en intensité, ce fil rouge entraîne le téléspectateur, sans le moindre temps mort, jusqu'à une résolution climax des plus correctes.

Par ailleurs, Pressa se démarque également par la proximité qui en émane. La série dispose en effet d'un atout unique, celui de son cadre. Les enjeux sont certes nationaux, mais les réseaux de relations sociales et l'inter-connexion entre chacun sont à l'échelle de l'Islande : un pays d'un peu plus de 300.000 habitants. Grâce au pays où elle se déroule, Pressa mêle ainsi local et national comme peu de fictions peuvent le faire, alliant les points positifs des deux. De plus, la série se bâtit sur une dynamique humaine convaincante. Elle nous permet de suivre l'affirmation de sa figure féminine centrale. Initialement, Lára arrive sans expérience, recommandée par une connaissance et suffisamment jolie pour que ses collègues puissent supputer sur certaines arrière-pensées entretenues par leurs supérieurs. Face aux épreuves, la jeune femme mûrit peu à peu sous nos yeux. Si toute la dimension familiale qui l'entoure apparaît parfois excessivement déconnectée de l'intrigue principale, comme une sorte de parenthèse à l'utilité pas toujours évidente, on finit d'ailleurs par apprécier sa fille et sa passion pour la Formule 1. Le rythme d'ensemble de la narration n'en souffre pas trop, si bien que ces quelques maladresses sont vite oubliées.

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Si elle s'est montrée très intéressante et globalement maîtrisée sur le fond, c'est sans doute sur la forme que je serais plus mitigée. Certes la photographie est parfaitement adéquate : les images adoptant une teinte un peu glacée qui correspond à l'ambiance de polar médiatique de Pressa. Mais en revanche, les choix de réalisation sont plus discutables. En effet, toutes les scènes sont filmées caméra au poing, l'image ne se fixant jamais sur un plan précis, tressautant constamment, censée renvoyer un ressenti de nervosité. Si elle atteint en partie son but, j'ai mis deux épisodes à m'habituer à cette réalisation insuffisamment posée. Par ailleurs, il convient de souligner un autre aspect formel positif de cette série : sa bande-son, toujours sobre, uniquement composée d'instrumentaux, rythmés et tendus comme il faut pour donner le ton.

Enfin, Pressa bénéficie d'un casting homogène et globalement solide, au sein duquel Sara Dögg Ásgeirsdóttir s'impose de manière convaincante en figure féminine centrale qui s'affirme et trouve progressivement ses marques dans ce milieu du journalisme au fil de la saison. A ses côtés, on retrouve notamment Kjartan Guðjónsson, Þorsteinn Bachmann, Stefán Hallur Stefánsson, Nanna Kristín Magnúsdóttir ou encore Orri Huginn Ágústsson.

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Bilan : Pressa est une série feuilletonnante, prenante et efficace, qui sait s'imposer dans un double registre. D'une part, elle nous plonge, avec beaucoup d'authenticité, dans les rouages d'un journal tabloïd, en abordant habilement toutes les problématiques soulevées par cette presse controversée. D'autre part, l'enquête qui fait office de fil rouge se complexifie peu à peu pour reprendre à son compte les codes d'un thriller à suspense. Si le premier aspect est sans doute mieux maîtrisé que le second, l'ensemble forme une fiction des plus convaincantes qui mérite assurément le détour.

En résumé, Pressa, c'est vraiment l'occasion sériephile rêvée de partir explorer téléphagiquement l'Islande. Profitez donc du mois d'août et du hiatus des networks américains !


NOTE : 7,75/10


[Disponible en DVD avec sous-titres anglais.]