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12/10/2012

(Pilote FR) Ainsi soient-ils : le paradoxe d'une approche sécularisée d'un sujet qui ne l'est pas

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Depuis des mois, les échos positifs que suscite Ainsi soient-ils chez ceux qui ont eu l'occasion de voir quelques épisodes de cette nouvelle série d'Arte avaient plus qu'éveillé ma curiosité. J'ai cessé de lire des articles sur la série il y a des semaines, voulant l'aborder sans préjugés, ni préconceptions. Trop d'attente est souvent synomyme de déception. Elle a enfin débuté hier soir, en prime-time, accompagnée d'une promotion importante et de critiques accueillantes. Et ce matin, je dois vous dire que j'étais sincèrement heureuse en découvrant ses audiences : elle a parfaitement réussi son démarrage, et c'est vraiment bien de voir la chaîne récompensée de ses ambitions en terme de fiction et capter ainsi l'attention du public. De mon côté, j'ai passé une soirée intéressante devant les deux premiers épisodes. Mais... Parce qu'il y a un "mais". Ainsi soient-ils n'est pas la série que j'espérais.

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Au cours de ces deux premiers épisodes, après un pilote qui tire parfois un peu trop sur la corde de l'exposition, mais qui dans l'ensemble remplit efficacement son office, le second vient confirmer les équilibres et initier les intrigues. Chaque personnage correspond de manière assumée à certains stéréotypes, cependant on devine dans leurs personnalités un potentiel narratif indéniable ne demandant qu'à s'affirmer et se développer au fil du récit et des épreuves à surmonter. Chacun représente une problématique particulière à exploiter à l'épreuve du séminaire, pour voir s'il peut - et dans quelles conditions - conserver sa résolution d'embrasser cette vocation particulière. C'est une histoire sur l'engagement et la persévérance qui nous est proposée.

La construction de l'histoire, tout en restant souvent prévisible - la création du bouc-émissaire dans le second épisode par exemple -, s'opère très correctement. On assiste au récit classique de cinq jeunes adultes qui choisissent une voie professionnelle qui, dans le monde moderne, ne se comprend pas toujours, ne suscitera pas d'unanimité. Cette idée a en soi un réel intérêt, et je me suis laissée sans difficulté prendre au jeu d'une narration où chacun cherche encore sa place. Le rythme est efficace, et on s'implique très facilement auprès de ses protagonistes que l'on a envie d'apprendre à mieux connaître. Seulement dans cette synthèse se situe aussi le coeur du problème d'Ainsi soient-ils : cette voie professionnelle qu'elle est censée nous raconter, c'est la prêtrise. Or voilà un aspect que l'écriture semble avoir presque écartée, toute entière tournée vers une structure dramaturgique paradoxalement... sécularisée.

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Se saisir de l'espace d'un séminaire n'est pas un choix neutre au départ. Il faut comprendre que cela ne peut pas se réduire uniquement à la mise en scène de rituels religieux, ni à l'évocation parsemée des problématiques actuelles traversant l'institution ecclésiastique (qu'il s'agisse d'évocation directe ou indirecte, des questions matérielles aux affaires de moeurs). Ces éléments ne représentent que la surface des enjeux, ils ne peuvent permettre de retranscrire les dynamiques propres à un domaine qui touche ici au spirituel. Apparaît dans la série une forme de décalage irréductible : le choix d'une approche sécularisée pour traiter d'enjeux qui n'en sont pas. Oui, l'idée même de la foi religieuse est un concept qu'il est très difficile de retranscrire à l'écran. Mais les dynamiques de doutes, de certitudes, le poids de l'éducation ou de son rejet, qui sont inhérents à un tel cheminement sont soit passées sous silence, soit caricaturés à l'extrême.

Tout au long de ces deux premiers épisodes, se manifeste le refus des scénaristes de concevoir et d'appréhender la vie au séminaire au-delà des ressorts narratifs humains les plus basiques. Ces derniers ont leur légitimité, mais ils font que la série aurait pu se dérouler dans n'importe quelle institution de formation professionnelle. La spécificité du cadre et des enjeux qu'il soulève ne se traduira que par quelques références d'anecdotes évènementielles attendues (prêtres réfractaires, Vatican II). Si la mise en scène de la campagne de réélection à la tête de la conférence des évêques pourra prêter à sourire par ses excès, elle démontre surtout, par la manière dont elle introduit l'opposition caricaturale entre l'archevêque et Fromenger, ancien prêtre-ouvrier, la limite de l'approche choisie : le risque de s'enfermer dans des poncifs peu habiles dès que la série ne se concentre plus sur l'initiation de ces cinq jeunes séminaristes.

Au final, tout se déroule comme si, aussi bien chez les dignitaires que chez les aspirants, il semblait inconcevable aux scénaristes de dépasser les simples problématiques humaines les plus cyniques (ambition...) pour envisager l'existence d'une conscience religieuse (surtout chez des jeunes pour qui le "feu sacré" est encore théoriquement la source de leur vocation). La façon dont est gérée la crise que traverse un séminariste dans le deuxième épisode, mal retranscrite et mal expliquée, est symptomatique du problème. "Est-ce que le monde change ? Est-ce que nous ne pouvons plus le comprendre ?" s'interroge Fromenger : la problématique aurait été passionnante à traiter, elle reste pour le moment une question purement rhétorique.

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Bilan : Ainsi soient-ils n'est pas la série que son concept laissait imaginer. Elle part certes sur des bases intéressantes, avec des choses à dire sur l'importance des choix de ses personnages et la manière dont ils vont embrasser cette vocation professionnelle atypique dans la société française actuelle. Cependant c'est aussi une série qui n'a pas compris l'enjeu de son sujet. Nul ne lui demandait d'être un documentaire dans les coulisses d'un séminaire (surtout pas d'ailleurs !). Seulement vouloir parler de croyance religieuse impliquait malgré tout d'élargir l'approche narrative au-delà des ressorts classiques sur la formation professionnelle au sein d'une institution qui ploie sous le poids de ses traditions. Il s'agit certes d'un choix volontaire de la part des scénaristes. Sans doute aussi cela lui permet-il de toucher plus universellement le public français. Mais elle laisse une impression d'inachevé, car elle oublie de traiter une partie non négligeable de son thème. C'est dommage.

Reste que je pense poursuivre la suite de la série pour pouvoir la juger dans sa durée, et en tout cas j'espère voir Arte continuer sur cette voie des fictions originales ambitieuses.


NOTE : 6,5/10


La bande-annonce de la série :


Commentaires

Nous sommes d'accord (Ouf, je ne suis pas seul, je commençais à désespérer)! Son sujet méritait une approche de la religiosité, de la foi. On ne perçoit pas cette flamme. Et du coup la série est totalement transposable, d'autant que les ressorts politiques et le manichéisme est bien trop présent.
Je suis même plus sévère que toi, puisque j'ai trouvé qu'il y avait de gros problèmes de rythme dans la narration.
Et je n'ai pas été ému. Comme souvent la fiction française bannit l'émotion (notre héritage culturel cartésien peut-être ?).
Un grand merci pour cette critique qui rejoint la mienne.

Écrit par : Eclair | 12/10/2012

Même conclusion, c'est tellement dommage (et incohérent) de ne pas se confronter à ce qui faisait le charme et l'ambition de la série au départ...
Comme Eclair, j'ai aussi trouvé qu'il y avait un souci de rythme, d'émotion, d'un peu de tout pour quelques effets oratoires qui tombent à l'eau en plus.

Écrit par : watcher | 12/10/2012

Au delà du traitement, je rejoins les deux commentaires sur le rythme. J'ai comme dans l'idée que si cela avait été un peu mieux, la série aurait pu être plus engageante. Mais, sur ce plan-là, elle est particulièrement bancale. Certains épisodes s'en tirent mieux que d'autres, surtout quand les séminaristes sont ensemble et ne sont pas en train de gérer leurs crises existentielles chacun de leur côté (j'ai été étonnée par les va et viens, je ne sais pas si c'est réaliste ou si c'est juste pour un besoin narratif, mais je m'en serais bien passée).

Au bout du compte, je suis ressortie assez mitigée. Il y avait de l'idée dans certaine chose et une réalisation et une image qui rend l’œuvre agréable aux yeux à un certain niveau. Pour le reste, tout est à améliorer. L'intrigue avec Fromenger à ses moments, surtout que les personnages sont plus intéressants de ce côté-là, et il y a de bonnes répliques à l'occasion (qui malheureusement ne font pas oublier tous les autres mauvais échanges).

Au final, c'est au mieux regardable, sauvé par quelques bons moments, et une meilleure gestion de ses composants dans quelques épisodes (les 2 derniers me sont apparus moins éparpillés, tu me diras ce que t'en as pensé).

Écrit par : Carole | 13/10/2012

Je suis moyennement d'accord avec ton commentaire car d'une certaine manière, tu tires des conséquences de manière assez présomptueuse, que tu aurais largement pu tirer à partir des deux premiers épisodes de Six Feet Under par exemple. C'est bien simple, ta critique pourrait très bien s'adapter à la série d'Alan Ball, suffirait de changer le champ lexical de la religion par celui de la mort et des croque-mort. De la même manière, les personnages présentés au début de Six Feet Under sont extrêmement caricaturaux : la mère coincée, le fils frustré, etc. Tout comme l'utilisation, pour le coup, très attendue de l'utilisation de la mort... en commençant par celle du père !

Et pourtant, c'est grâce à cette exposition (ces clichés, ces épouvantables premiers épisodes, et, globalement, son épouvante première saison) que la série dans son intégralité prend toute sa valeur.

Écrit par : Manuuu | 16/10/2012

Au final c'est plutôt une déception pour moi car je crois que j'en attendais peut être beaucoup. J'ai trouvé tout le côté religieux un peu trop contemplatif et assez cliché au final, un peu comme si on était à l'extérieur de l'histoire (je ne suis sans doute pas très claire). Les personnages sont attachants mais la réalisation un peu cheap. Contrairement à toi je ne vais sans doute pas poursuivre.

Écrit par : Jessica | 17/10/2012

Les commentaires sont fermés.