28/10/2012
(FR) Un Village français, saison 4 : une chronique ordinaire dense et marquante de la France de 1942
Un de mes plus intéressants rattrapages de séries françaises effectué cette année aura sans conteste été la découverte de Un Village français. Une oeuvre au sujet fort, ambitieux, qui gagne en maîtrise, en intensité et en qualité tout au long des trois premières saisons sur lesquelles j'avais eu l'occasion de revenir dans un bilan rédigé en début d'année. Depuis, la quatrième saison 4 a été diffusée au printemps 2012. J'ai investi dans le coffret DVD les yeux fermés. Avec raison.
Elle confirme en effet la place de la série parmi ces fictions qui démontrent que, oui, la France est capable de faire de bonnes, voire très bonnes, séries, exploitant pleinement le format télé et sachant les faire mûrir au fil des épisodes. En attendant la cinquième saison, annoncée pour février 2013 sur France 3 (au tournage de laquelle un nouveau magazine français sur les séries, sorti cette semaine, Preview, consacre d'ailleurs un reportage), j'ai achevé mon visionnage de la quatrième. Il est donc temps de vous expliquer pourquoi Un Village français mérite, cette année encore plus particulièrement, votre attention.
La saison 4 d'Un Village français continue de nous faire progresser dans la chronologie de la Seconde Guerre Mondiale, durant la période de l'Occupation, abordant cette fois l'année 1942. Se voulant représentative de tous les enjeux d'alors, la saison se découpe en deux parties, séparées par plusieurs mois, mais se déroulant sur des courtes périodes de quelques jours seulement.
La première permet d'évoquer le sort des juifs : Villeneuve accueillant en transit un convoi de juifs étrangers déplacés par les Allemands, elle devient le théâtre d'arrestations pour satisfaire aux demandes de l'occupant, tandis que l'école doit faire face à l'hébergement provisoire de ces détenus dans des conditions difficiles. A la mi-saison, ils partent finalement pour le camp de Drancy, sans savoir ce qui les attend. Ensuite, la série se recentre sur la question des réseaux de résistance à l'intérieur du pays, mais aussi en coordination avec la France libre dont le parachutage d'un radio venu de Londres rappelle l'existence. L'enjeu devient alors celui d'un rapprochement entre les différents mouvements issus de toutes les tendances politiques, des communistes aux gaullistes, tandis que la police française et les autorités allemandes redoublent d'effort pour les exposer.
Cette saison 4 s'inscrit dans la droite ligne de l'équilibre trouvé au fil des précédentes saisons. Tout en n'occultant jamais un arrière-plan historique où les grands évènements nous parviennent par quelques mots échangés à la préfecture, mais aussi par l'intermédiaire de Radio Londres, Un Village français reste centrée sur le sort de ses figures locales devenues familières. Les stéréotypes des débuts ont depuis longtemps été dépassés, les psychologies se sont affinées, révelant des complexités, voire des ambivalences, qui ont humanisé des personnages ayant gagné en épaisseur. On sait chacun caractérisé par une ambition, une prudence, un engagement ou un humanisme particulier. Désormais, partant de cette base, la série nous relate leurs réactions face aux nouveaux développements et tournants pris par l'occupation : comment, en cohérence avec eux-mêmes, mais aussi avec les limites de leurs caractères ou de leurs convictions, vont-ils faire face aux évènements ? C'est sur ce plan que le parti pris de la série est très intéressant. Car c'est sans le moindre recul, ni toujours réelle compréhension des enjeux, que chacun est amené à se positionner.
Faire de Villeneuve un lieu de transit provisoire pour des détenus juifs est ainsi l'occasion de se replacer du point de vue de 1942. Au-delà de l'antisémitisme ambiant, à ce moment-là, ni les juifs, ni les habitants de la ville ne peuvent imaginer ou mesurer ce vers quoi ils se dirigent. Or l'ignorance des protagonistes contraste avec la connaissance du téléspectateur. La gorge se noue imperceptiblement en voyant Daniel Larcher s'agiter pour mettre à disposition un local communal afin de tenter de soigner le quotidien immédiat des juifs, devenant sans le comprendre un maillon parmi tant d'autres qui facilitent par-là même le bon déroulement de la déportation en cours. Pareillement, les échanges à l'intérieur de l'école et les efforts faits par chacun pour comprendre et rationaliser ce qu'il se passe n'en sont que plus marquants. Il faut ici saluer la qualité de l'écriture qui conserve toujours, dans ces moments-là, une sobriété bien dosée, même face à des scènes où le drame et le déchirement pointent.
Si les personnages d'Un Village français sonnent souvent authentiques et réels, c'est justement grâce à leurs paradoxes et à leurs failles. Ils évoluent, pour la plupart, dans une zone grise, et seul l'avenir permettra de juger les décisions qu'ils ont prises, sur un plan aussi bien moral que légal ou politique. La saison offre à un certain nombre d'intéressants développements, fidèles à eux-mêmes, mais jamais figés non plus dans leurs positions. Parmi les différentes storylines, la seule sur laquelle je garde des réserves est celle de la relation entre Marchetti et Rita, une histoire d'amour impossible que je n'ai jamais réussie à trouver crédible. Toujours est-il que la série a conservé une dimension chorale qui fait sa force, avec une caractérisation cohérente des personnages particulièrement bien mise en valeur au cours des passages de crise les plus déterminants. Les conditions de la chute du réseau gaulliste, avec ce piège qui se referme sur la ferme de rendez-vous, illustrent cette qualité.
Par ailleurs, la saison 4 aura été celle de la confirmation pour ce qui est de la maîtrise du rythme narratif. Le passage à du vrai feuilletonnant en saison 3 avait constitué un déclic pour la série, soudain capable de susciter une attente chez un téléspectateur impatient de découvrir la suite. Le même savoir-faire se retrouve : le récit est dense, sans temps mort, avec une narration homogène. Les chutes de fin en forme de cliffhanger permettent un enchaînement naturel des épisodes. La maturité de la fiction se perçoit également dans sa gestion de ses grandes trames. Par exemple, on assiste au cours de la première partie relative aux juifs à un glissement inexorable, impeccablement géré, allant crescendo dans une tonalité de plus en plus glaçante. Tout d'abord, la déportation est assimilée à une simple tâche administrative et policière. Puis surgissent rapidement la réalité d'enjeux humanitaires pressants. Mais c'est l'ordre de séparation des enfants, et enfin l'arrivée des SS, qui achèvent le basculement dans l'horreur, confirmée par l'annonce finale de la destination du groupe : Drancy. Une escalade que la série sait bien construire.
Enfin, outre sa solidité d'écriture et l'ambition de son sujet, Un Village français bénéficie également d'un casting dans l'ensemble très bon et convaincant, dont les interprétations permettent de donner une force supplémentaire aux intrigues portées à l'écran. Cette saison 4 rassemble des acteurs principaux fidèles à eux-mêmes et maîtrisant parfaitement leurs personnages, même si, les storylines variant, tous n'ont pas la même exposition que par le passé (Thierry Godard, par exemple, est plus en retrait). Quant à ceux qui arrivent au cours de cette saison, ou sont seulement de passage, ils trouvent aussi très vite le ton juste. En dépit d'une histoire un peu artificielle, Axelle Maricq apporte une belle fraîcheur à l'écran dans son rôle de Rita. Philippe Résimont rend instantanément détestable personnage de Chasagne, un des rares à être présenté sans la moindre ambivalence. Nathalie Bienaimé se sera affirmée en se rapprochant d'un Raymond Schwartz moins présent. Et puis, en radio parachuté de Londres, je ne dis jamais non à quelques épisodes comprenant Jérôme Robart.
Bilan : Avec un récit dense et un rythme de narration très bien maîtrisé, la saison 4 de Un Village français marque une nouvelle étape dans la maturation d'une série qui semble désormais prendre pleinement la mesure de la force et de l'ambition de son sujet. Capable de susciter une vraie implication émotionnelle grâce à l'humanité de ses personnages, la série conserve dans le même temps l'approche pleine de sobriété et de retenue qui fait sa force, lui permettant de traiter avec beaucoup de justesse de thèmes difficiles. Cette saison 4 aura été une saison pleine et solide, confirmant la progression constante d'une oeuvre parvenue à maturité.
En conclusion, si cela n'est pas déjà fait, un rattrapage s'impose avant février prochain.
NOTE : 8/10
La bande-annonce de la saison :
18:29 Publié dans (Séries françaises) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : france, un village français, france 3, robin renucci, audrey fleurot, nicolas gob, thierry godard, nade dieu, emmanuelle bach, patrick descamps, fabrizio rongione, marie kremer, maxim driesen, max renaudin, lucie bonzon, nathalie cerda, constance dollé, philippe résimont, nathalie bienaimé, axelle maricq, jérôme robart | Facebook |
Commentaires
Ton article est bien construit et j'aurais probablement pas fait mieux, même en suant sang et eau. Les premières saisons, j'avoue avoir eu un peu de mal, un épisode par-ci, un épisode par-là... Bref il m'a fallu du temps. La troisième saison s'est révélée profondément addictive, probablement à cause du changement d'écriture, avec des cliffhangers et des intrigues, sur la longueur (enfin j'ai perçu cette saison comme çà). La quatrième saison, n'en parlons pas, la fin est frustrante comme pas deux.
Donc oui, trois fois oui, rattrapez cette série...
PS Et joyeux blog anniversaire aussi (bien que ce post n'ai rien à voir)...
Écrit par : gecko4fr | 29/10/2012
J'adore la série, c'est la seule série française que je suis vraiment (avec Herocorp, quand elle reviendra) ! La série avait du potentiel et s'est vraiment bonifiée avec le temps : intrigues feuilletonnantes, développement des personnages (même si je suis d'accord avec toi sur l'histoire d'amour peu crédible avec Rita)....Le suspens et l'émotion sont très présents et les acteurs tous justes !
J'ai hâte de voir la 5ème saison !
Écrit par : JainaXF | 30/10/2012
Pas grand chose a ajouter a cette excellente chronique.
L'une ou l'autre remarque toutefois :
"Mais c'est l'ordre de séparation des enfants, et enfin l'arrivée des SS, qui achèvent le basculement dans l'horreur"
Plus precisement l'arrivee de la Gestapo, en charge des operations relatives a l'extermination des juifs.
Dans la serie, la SS est representee par Heinrich Muller, chef du SD pour la region.
Il est d'ailleurs assez interessant de noter, avec l'emergence d'actes de resistance et l'amplification de la repression nazie, la subtile evolution des luttes de pouvoir au sein des forces allemandes, mettant sur la touche l'armee reguliere representee par Kollwitz (pratiquement invisible durant cette saison) au profit des organisations de renseignements comme le SD, plus directement integre a l'appareil nazi.
"Parmi les différentes storylines, la seule sur laquelle je garde des réserves est celle de la relation entre Marchetti et Rita, une histoire d'amour impossible que je n'ai jamais réussie à trouver crédible."
Avec cette histoire, il me semble que les createurs ont voulu apporter a la serie une touche plus romanesque. Inevitablement, ils prenaient le risque d'un deficit de credibilite.
En ce qui me concerne, cela fonctionne parce que Rita est un personnage tres beau et que cette histoire permet de bien mettre en lumiere les ambivalences de Marchetti.
Personnellement, j'ai trouve cette histoire plus interessante que l'adjonction de romanesque chez Marie avec le parachutiste beau gosse (comme par hasard).
En tout cas, j'ai lu une interview de l'actrice qui joue Rita dans laquelle elle annonce que son personnage sera de retour dans la saison 6. Voila qui me rejouit deja.
Pour ce qui est de la credibilite, une scene m'a beaucoup plus derange.
Celle ou Muller raconte a Hortense sa participation active aux massacres de juifs par les einsatzgruppen.
Au vu du secret lie a ces operations, je trouve assez peu credible que Muller en parle aussi directement a Hortense, qui plus est dans un endroit public (un restaurant).
Ceci dit, je comprends toutefois bien l'importance de la scene dans l'evolution de la relation entre ces deux personnages
"Philippe Résimont rend instantanément détestable personnage de Chassagne, un des rares à être présenté sans la moindre ambivalence."
Pour fonctionner, la serie a aussi besoin de personnages qui sont de vrais mechants.
Il en fallait un du cote francais.
Avec Chassagne a la tete de Villeneuve a la place de Larcher, les auteurs vont pouvoir explorer une nouvelle dynamique dans les relations entre les autorites francaises et allemandes.
Cela devrait etre interessant.
"Or l'ignorance des protagonistes contraste avec la connaissance du téléspectateur."
C'est evidemment un des ressorts les plus interessants de la serie.
Je me demande d'ailleurs si les auteurs vont oser se debarrasser de certains personnages centraux avant la liberation.
En effet, il ne me paraitrait guere credible que tous survivent jusqu'en 1945, particulierement ceux qui sont activement impliques dans la resistance.
Je dois dire que j'ai particulierement peur pour Marie Germain. Si elle devait mourir, il me faudrait une bonne provision de kleenex pour m'en remettre.
Écrit par : Fred | 01/11/2012
@ gecko4fr : J'ai suivi une évolution très proche de la tienne, avec une implication qui est allée crescendo. Un vrai coup de coeur-déclic en saison 3, et une saison 4 qui confirme la maturation de l'écriture et les qualités de la série. (Et merci pour l'anniversaire ! ;) )
@ JainaXF : Pareillement hâte de découvrir la suite, et surtout comment vont être traitées ces dernières années d'occupation puis la libération. Normalement la série devrait aller jusqu'à la fin de l'année 1945, ce qui ouvre beaucoup de thématiques à explorer sur la libération et ce qui va s'y produire (légalement et les réactions spontanées).
@ Fred : J'ai pensé à toi en rédigeant cette chronique. Tu avais bien raison de me presser de regarder cette saison !
"Avec cette histoire, il me semble que les createurs ont voulu apporter a la serie une touche plus romanesque. Inevitablement, ils prenaient le risque d'un deficit de credibilite.
En ce qui me concerne, cela fonctionne parce que Rita est un personnage tres beau et que cette histoire permet de bien mettre en lumiere les ambivalences de Marchetti.
Personnellement, j'ai trouve cette histoire plus interessante que l'adjonction de romanesque chez Marie avec le parachutiste beau gosse (comme par hasard)."
-> Je comprends ce qu'ont voulu faire les scénaristes, et en effet, la vitalité du personnage de Rita permet de s'intéresser à cette relation, même si on la juge trop peu crédible. Les thématiques soulevées par cette storyline sont plus riches que le romanesque de l'histoire avec le parachutiste, qui est plus simple et brève (et n'engage pas le futur). Mais de mon point de vue de téléspectatrice O:-) , pouvant pleinement comprendre Marie sur la gestion de cette question (^^'), j'ai bien aimé cette petite parenthèse qui trouve sa légitimité aussi dans la brièveté. Cela souligne combien ces résistants se savent en sursis, et en quelque sorte, ils essaient de vivre plus intensément, de profiter un peu, de ce sursis.
"En effet, il ne me paraitrait guere credible que tous survivent jusqu'en 1945, particulierement ceux qui sont activement impliques dans la resistance.
Je dois dire que j'ai particulierement peur pour Marie Germain. Si elle devait mourir, il me faudrait une bonne provision de kleenex pour m'en remettre."
-> Pour le moment, il est vrai que la dynamique tragique du côté de la résistance a toujours été supportée par des personnages secondaires. L'approche par "grandes trames" que suit désormais la série permet aussi de ménager des portes de sortie temporaires aux protagonistes (par ex Marcel Larcher cette saison, qui est lui aussi dans une situation très précaire depuis longtemps), et peut-être d'éviter tout en restant crédible ces destinées tragiques.
Comme toi, je crois cependant que tous ne pourront pas atteindre 1945 ; et surtout que tous ne survivront pas à 1945 (puisque la série va traiter de la libération). Mais, même si ça sera éprouvant, je me dis qu'une fin digne du personnage est peut-être aussi le meilleur hommage qu'on puisse rendre à certains.
Écrit par : Livia | 02/11/2012
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