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06/05/2011

(Mini-série UK) Exile : un thriller plongeant dans un passé aux souvenirs égarés par la maladie


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En cette première semaine du mois de mai, le petit écran britannique s'est rempli de nouveautés. Outre une cohorte de fictions policières en provenance d'ITV, de Vera à Case Sensitive (comment ça "trop de séries policières à la télévision british ?"), le tout parachevé hier soir par le lancement sur BBC2 de The Shadow Line sur laquelle j'aurais l'occasion de revenir, c'est une mini-série diffusée chaque soir de dimanche à mardi sur BBC1 qui avait tout particulièrement retenu mon attention : Exile

Ceux qui me connaissent un peu le savent : parmi les quelques commandements téléphagiques que je suis religieusement depuis presque une décennie, figure la règle qui consiste à ne rien rater de la filmographie de John Simm (c'est ce que j'appelle le syndrome State of Play). Au-delà de son casting, naviguant entre thriller et drame familial, le synopsis de cette fiction, imaginée par Paul Abbott et écrite par Danny Brocklehurst qui ont notamment collaboré sur Shameless, avait assurément éveillé ma curiosité. Et je n'ai pas été déçue de la découverte.

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Exile nous raconte le retour dans sa ville natale d'un journaliste londonien, Tom Ronstadt, dont la vie aussi bien personnelle que professionnelle n'est plus que ruines, ayant subi de plein fouet les conséquences de son comportement autodestructeur. Loin de la capitale, Tom retrouve une maison familiale qui a bien changé et dont les occupants ne lui réservent pas le plus chaleureux des accueils. Sa soeur, Nancy, se dévoue entièrement à s'occuper de leur père, Sam, qui souffre de la maladie d'Alzheimer. Mais cela fait près de deux décennies que Tom s'est brouillé avec ce dernier, à la suite d'éclats de violence contre l'adolescent qu'il était alors, qui sont toujours demeurés inexpliqués.

Le retour de Tom ramène à la surface des souvenirs qui auraient sans doute dû restés enfouis. En pleine crise existentielle, le journaliste éprouve ce besoin irrépressible de comprendre un père dont il a fini par faire son contre-modèle. Cherchant à déterminer ce qui a pu se passer et briser ainsi l'homme que son père était (avant que la maladie ne le gagne), Tom se replonge dans un passé oublié et fuyant, au risque de réveiller les mêmes forces auxquels Sam s'était heurté des années auparavant. D'autant que si Tom perçoit rapidement qu'un scandale se cache derrière des indices troublants, il est loin d'imaginer la vérité qui s'est peu à peu diluée dans les souvenirs confus et effilochés de son père.

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Exile est une mini-série prenante qui mêle avec habileté les ingrédients du drame familial et du thriller psychologique. Elle commence sur un parfum de retrouvailles, vascillant entre flottement gêné et instant de complicité, qui confère à ce portrait une authenticité qui va être une des forces de cette fiction. En effet, il émane de l'ensemble une forme de sensibilité touchante, permettant au téléspectateur de ressentir une empathie immédiate pour ces différents protagonistes. Les rapports humains sont particulièrement bien traités. Qu'il s'agisse des relations frère/soeur sonnant très juste, ou bien la manière dont est présenté ce père, autrefois figure d'autorité, à l'esprit désormais rongé par la maladie. L'inversion des rôles entre le parent et les enfants, le poids que cela fait peser sur Nancy, puis sur Tom, toutes ces thématiques sont abordées sont détour, mais non sans pudeur.

C'est par son approche de la maladie d'Alzheimer que la mini-série va acquérir toute sa dimension, glissant progressivement dans la tonalité d'un thriller psychologique troublant. En effet, cette quête tardive qu'entreprend Tom pour essayer de comprendre son père se heurte justement aux souvenirs désormais égarés de ce dernier, dont l'esprit n'est là que par éclipse. De façon originale, dans cette histoire, il ne s'agit pas de mettre à jour un mystère extérieur, mais bien d'une enquête finalement très intime. Car démêler les zones d'ombre du passé, c'est reconstituer les bribes d'une mémoire que Sam a toujours, mais qui n'est plus accessible que par intermittence. Si l'intensité d'Exile vous prend à la gorge, elle reste uniquement psychologique : à mesure que l'intrigue progresse, ce passé au contenu inavouable déstabilise, les révélations sapent une à une bien des certitudes. On vit et ressent la violence des interrogations de Tom. Sans débauche d'action, avec une sobriété opportune, la mini-série trouve sa pleine mesure dans ce suspense particulier très efficace.

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Sur la forme, Exile bénéficie d'une réalisation soignée, classique de BBC1 si j'ose dire, mêlant fixité avec des cadres larges où ses personnages se perdent parfois sur l'écran et passages plus nerveux, sachant également jouer sur le suggestif pour orienter la perspective du téléspectateur. De plus, elle s'accompagne également d'une bande-son intéressante, ou plus précisément d'un thème instrumental nerveux qui va savoir refléter et encourager une atmosphère de tension qui capte l'attention du téléspectateur.

Enfin, Exile bénéficie d'un casting très solide, emmené par un John Simm (State of Play, Life on Mars, Mad Dogs) inspiré, juste parfait pour mettre en scène ce personnage aussi autodestructeur qu'obstiné, aux certitudes remises en causes. On éprouve une empathie instinctive pour lui, et l'interprétation aussi intense que nuancée de l'acteur y contribue grandement. Il est parfaitement épaulé par Jim Broadbent (Any human heart) qui trouve le ton juste pour interpréter ce père dont la rationnalité glisse dans les méandres de la maladie d'Alzheimer. Olivia Colman (Rev, Twenty Twelve) joue une soeur qui offre un contre-poid crédible, tout autant qu'une belle complicité avec le personnage de Tom. A leurs côtés, on retrouve également John Paul Hurley, Claire Goose, Timothy West, Shaun Dooley ou encore Daryl Fishwick.

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Bilan : Exile est une mini-série à la fois troublante et prenante. Derrière ses atours de drame familial marqué par la maladie dont l'écriture est pleine d'authenticité, se dessine peu à peu un thriller psychologique intense, d'une violence émotionnelle qui sonne juste. Le passé est à la fois le trait d'union et de division de cette fiction, sur fond de dillution de la conscience et des souvenirs dans la maladie. Une oeuvre poignante. A découvrir.


NOTE : 7,75/10


Des bande-annonces de la mini-série :



04/05/2011

(K-Drama) Conspiracy in the Court (Seoul's Sad Song) : destinées personnelles sur fond de réforme impossible

 
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En ce premier mercredi asiatique de mai, je reviens à mes amours coréano-sériephiles, avec la review d'un sageuk qui m'a longtemps intriguée avant que je ne trouve le temps de m'y lancer. Outre les échos positifs que j'avais pu croiser, le trailer et le synopsis m'évoquaient un peu le parfum d'une autre série historique que je chéris tout particulièrement, Damo. Et c'est vrai que l'on retrouve dans Conspiracy in the Court un parfum particulier qui le rapproche de ce drama plus ancien (d'ailleurs j'aime beaucoup son second titre anglais, qui me semble refléter parfaitement l'âme de cette histoire : Seoul's Sad Song)

Diffusée sur KBS2 au cours du mois de juillet 2007, cette série n'est pas sans évoquer, par sa tonalité et son format, des séries du câble sud-coréen. Non seulement elle diffère des dramas historiques "traditionnels" par sa manière de vouloir nous plonger dans une époque sans prétendre faire le biopic d'un personnage célèbre ayant véritablement existé, mais elle est également très brève (et donc accessible) puisque la version Director's Cut ne comporte que 8 épisodes, dont la durée varie pour chacun entre 1h et 1h15.

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Conspiracy in the Court s'ouvre dans une période troublée, à la toute fin du XVIIIe siècle, sur fond de tension entre la volonté de modernisation d'un souverain, qui forme le projet de déplacer la capitale du royaume afin de refonder une cité plus juste qui offrira du travail et de la nourriture aux plus humbles souffrant de la famine, et des factions politiques qui luttent pour préserver leur pouvoir ou un statu quo précaire qui leur bénéficie. Derrière ces confrontations entre le maintien des traditions et une volonté de rompre avec certaines rigidités héritées du passé, des forces s'agitent dans l'ombre afin de voir leurs vues prévaloir, quelqu'en soit le prix. Au sein même de la population, des troubles grandissent tandis que s'esquisse une timide forme d'aspiration à une justice sociale qui apparaît révolutionnaire dans cette société de tradition confucéenne à l'ordre social rigide.

Dans ce contexte compliqué, la série va suivre le destin de trois jeunes gens, happés dans ce tourbillon létal des luttes d'influence qui s'exercent dans les coulisses du pouvoir. Lee Na Young, fille d'un ministre déchu et exécuté pour trahison, a embrassé avec résolution le chemin de la vengeance. Décidée à faire payer le prix du sang à ceux qui ont détruit sa famille, elle a accepté de suivre un entraînement et assassine désormais sans sourciller. Elle a depuis longtemps perdu de vue son ancien flirt d'adolescence, Park Sang Kyu, le fils illégitime d'un haut dignitaire officiel. N'ayant toujours pas trouvé sa place par rapport à ses origines sociales particulières - sa mère étant esclave -, ce dernier s'est engagé auprès d'un des bureaux de police de la capitale. Enfin, Yang Man Oh, un ancien serviteur de la famille de Lee Na Young, a poursuivi son chemin au service de ses ambitions personnelles, teintées d'aspirations idéalistes pour mettre fin aux problèmes d'approvisionnement en denrées. Il est devenu un marchand influent aspirant à prendre le contrôle du commerce de la ville.

Nos trois personnages principaux vont se retrouver, certains volontairement, d'autres malgré eux, pris dans la toile d'araignée d'une conspiration qui étend son ombre sur la cour, décidée à empêcher toute réforme d'aboutir et à maintenir le système de classes tel qu'il existe jusqu'à présent. Dans cette partie de trahisons et de complots, que vaut une vie face à aux intérêts des puissants ?

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Conspiracy in the Court est un drama historique à part, dont le premier atout va résider dans le style choisi et l'ambiance extrêmement sombre dans laquelle elle nous immerge dès les premières scènes, au cours desquelles le téléspectateur est témoin d'un assassinat. Le ton est immédiatement donné ; la hauteur des intérêts en jeu également. Empruntant ses techniques narratives plutôt aux dramas contemporains qu'aux sageuk, la série nous plonge directement dans l'action : il n'y aura aucun passage d'exposition, les personnages ainsi que leur rôle nous sont introduits au fil du premier épisode, sans ralentir les intrigues que nous prenons en cours.

La complexité du scénario peut déstabiliser un instant, mais la densité narrative et l'ambition scénaristique évidente captent instanément l'attention du téléspectateur. Car c'est une histoire soignée et d'une grande richesse qui est mise en scène, multipliant les protagonistes et les intérêts divergents pour offrir un tableau complexe et nuancé. L'ensemble sonne étonnament authentique, donnant une réelle consistance et crédibilité à un récit qui, même s'il se déroule sur une durée finalement plutôt brève, n'en parvient pas moins à acquérir une intensité marquante, accentuée par ses accents fatalistes caractéristiques.

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Cette impression de rigueur réaliste s'explique également en raison des thématiques traitées. Conspiracy in the Court n'est pas une simple série sur des jeux de pouvoirs létaux. En effet, elle trouve la pointe d'ambivalence attendue pour mêler et confronter intérêts personnels et intérêt supérieur, lequel demeure cette justification ultime invoqué par chacun, avec parfois une forme d'aveuglement troublant. Quoi de plus révélateur, par exemple, que les choix faits par Yang Man Oh, pourtant sans doute le plus clairvoyant du trio principal. Le jeune marchand reprend, presque sans en avoir conscience, la même rhétorique que les usuriers d'hier avec lesquels il entend rompre. Seulement, pour résoudre son problème du moment (l'enjeu du monopole commercial), affamer le peuple de la même manière que ses prédécesseurs semble être la solution légitime sur le long terme. Cela ne l'empêche pas dans le même temps de se proclamer le garant des plus humbles, lesquels sont toujours les premiers sacrifiés de ces luttes entre puissants.

De façon troublante, les attitudes de chacun semblent se nourrir de leurs ambiguïtés. Derrière ces agitations, Conspiracy in the Court, c'est en fait l'histoire d'une idée nouvelle, par encore pleinement formulée, ni vraiment comprise : celle d'une justice sociale que la rigidité de classes rend utopique. Le téléspectateur suit avec une fascination grandissante cet instantané social loin d'être manichéen, qui gagne en complexité à mesure que les ressorts dans l'ombre se dévoilent. Les apparences s'effritent, chaque camp se nuance... Mais à la fin, derrière ce tourbillon politique, c'est à une lutte bien plus simple que tout finit par se réduire : il s'agit avant tout de survivre.

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Au-delà de ces enjeux politiques, si Conspiracy in the Court pose un cadre sombre qui pourrait paraître de prime abord déshumanisé, au fil de la progression de l'histoire, son développement des personnages montre qu'il n'en est rien. La série va en réalité jouer de façon très troublante sur le contraste entre le volet des complots en cours et celui d'une étrange pureté sentimentale, bulle hors d'atteinte dans laquelle les trois personnages principaux sont unis ; les sentiments des deux hommes pour Lee Na Young ne vascillent jamais. De manière originale, c'est d'ailleurs elle, figure féminine que les deux autres révèrent, qui est l'assassin et représente ce qu'il y a de plus noir dans leur trio. Le contexte particulier permet au drama de se détacher des ressorts narratifs stéréotypés des triangles amoureux, préférant opter pour une forme d'idéalisation émotionnelle qui surprend le téléspectateur et tranche considérablement avec la noirceur ambiante. Cette dimension sentimentale que rien ne semble pouvoir atteindre ou ternir, même pas les agissements voire les oppositions de chacun, se révèle très touchante. 

Globalement, Conspiracy in the Court parvient à trouver un équilibre entre, d'une part, des conspirations politiques excessivement noires, et d'autre part, une touche de mélodrama étonnamment pure. Ce contraste des tonalités peut quelque peu déstabiliser à certains moments, mais au fur et à mesure que la série progresse, cette approche prend peu à peu tout son sens. Ce recours a priori presque excessif à une naïveté revendiquée et assumée pour dépeindre les liens unissant ces trois jeunes gens n'est pas un artifice creux pour rallier une plus large audience. Au contraire. L'idée de jouer sur l'antinomie entre le pragmatisme des uns et la force des sentiments des autres apporte une dramatisation qui confère au récit une dimension supplémentaire. Ce qui est mis en exergue, c'est le refus de renier ses aspirations, aussi idéalistes et hors de propos qu'elles puissent paraître dans ce monde impitoyable. Au fond, si Conspiracy in the Court a toutes les caractéristiques d'une tragédie du pouvoir bien huilée, sa dimension humaine demeure son vrai moteur : en cela, elle reste porteur d'un message d'espoir qui tranche avec la noirceur ambiante.

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Forte de sa complexité narrative aboutie, Conspiracy in the Court bénéficie également d'une forme tout particulièrement soignée. Quand je la rapprochais des séries du câble sud-coréen, c'était en partie justement pour la réalisation quasi-cinématographique qu'elle propose. La caméra est nerveuse, l'image jamais figée est loin du théâtralisme un peu rigide des sageuk traditionnels. La teinte restera volontairement sombre, sans jamais sacrifier des couleurs naturelles au sein desquels le rouge sang prédomine, dans les tenues jusque dans les rouges à lèvres de certaines courtisanes. Par ailleurs, la série dispose également d'une superbe OST qu'il convient de saluer. Non seulement elle va imposer quelques chansons récurrentes, souvent poignantes, jamais envahissantes, mais en plus sa bande-son comporte également quelques morceaux instrumentaux plus rythmés parfaits pour faire transparaître la tension ambiante. Il s'agit donc d'un drama pleinement travaillé qui se savoure aussi bien visuellement que musicalement.

Enfin, l'histoire est portée par un casting composée d'acteurs pas forcément très connus, mais qui délivrent ici une solide performance d'ensemble qui crédibilise le récit et sa portée. Le trio principal s'avère particulièrement crédible. Je serais tentée de dire que c'est Lee Chun Hee (Smile, Gloria), en marchand ambitieux et pragmatique, qui arrive le mieux à faire vibrer cette détermination froide couplée d'une fibre émotionnelle touchante. Peut-être est-ce parce que son personnage, d'origine plus modeste, a également plus conscience que les deux autres de ce qu'il y a à sacrifier au bout du chemin. Cependant Jin Yi Han (A Good Day for the Wind to Blow) et Kim Ha Eun (Chuno, Thorn Birds) proposent aussi des performances solides et convaincantes. A leurs côtés, on retrouve également Ahn Nae Sang (Royal Family), en roi réformateur, Jung Ae Ri (Women of the Sun), Kim Young Ae, Sa Hyun Jin, Kim Kyung Ryong, Jang Hyun Sung, Kim Ki Hyun, Jun Il Bum, Han Jung Soo ou encore Park Sun Young.

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Bilan : Drama abouti et assurément ambitieux, Conspiracy in the Court est plus qu'une simple série historique. Elle parvient à fasciner et à retenir l'intérêt du téléspectateur, tant par sa narration complexe et travaillée, que par la richesse de ses thématiques politiques et sociales qu'elle va aborder de manière nuancée en leur donnant un écho universel qui transcende les âges. Bénéficiant de son format court, l'histoire est maîtrisée de bout en bout. Ainsi, derrière son parfum semblable à une pièce shakespearienne, c'est une tragédie du pouvoir et de l'amour qui se joue, à la fois extrêmement sombre et d'une pureté émotionnelle poignante. A découvrir.


NOTE : 8/10


La bande-annonce de la série :


01/05/2011

(UK) Doctor Who, season 6, episodes 1 & 2 : The Impossible Astronaut & Day of the Moon

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Si lors de mon périple londonien, j'ai bien réussi à dénicher un Tardis à côté de notre hôtel à Earl's Court, c'est évidemment le retour du Docteur qu'il convient de célébrer aujourd'hui. Pas n'importe quel retour, puisque c'était la direction des Etats-Unis qu'avait pris notre Time Lord favori. Steven Moffat ayant désormais le contrôle d'une narration sans avoir à gérer l'héritage de son prédécesseur, c'est l'opportunité de se réapproprier l'ensemble en remettant en cause certaines habitudes du téléspectateur.

C'est donc une entrée en matière à la fois surprenante, mais aussi extrêmement calibrée dans un style propre au scénariste, qui nous est proposée. Quelques échanges rythmés par des réparties dont la série a le secret, des passages mythologiques qui raviront les fans et promettent bien des casse-têtes, et globalement une richesse de la narration assez vertigineuse qui n'est cependant pas sans soulever quelques questions sur l'accessibilié de la série

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Ce qui frappe devant ce début de saison 6, c'est à quel point il est placé sous le signe d'une ambition affichée et assumée. Il y a tout d'abord une ambition narrative indéniable, avec une entrée en matière qui n'hésite pas à prendre des risques. Non seulement, elle débute par une introduction atypique qui prend à rebours les attentes du téléspectateur et bouleverse les fondations mêmes de la série (et dont on se demande bien comment ce paradoxe pourra trouver une résolution crédible, sans se perdre dans les timelines), mais en plus la suite poursuit dans un registre similaire, multipliant les retournements de situation et autres twists destinés à marquer un téléspectateur invité à bien s'accrocher pour suivre  pouvoir ne serait-ce que prendre la mesure de tout ce qui se passe. Le scénario joue à merveille avec les attentes mais aussi les nerfs de l'observateur extérieur que nous sommes. La construction narrative interpelle ; et c'est déjà en soi une première réussite.

Par ailleurs, on retrouve également dans ce double épisode une véritable ambition mythologique assez vertigineuse. Les questions laissées en suspens s'enchaînent, voire se complexifient à l'extrême. On peut finalement dire que les premières minutes, qui laissent sous le choc et quelque peu sans voix, donnent parfaitement le ton. Les indices distillés, surabondants, sont prétextes à toutes les extrapolations. C'est le genre d'épisode où un revisionnage immédiat serait sans doute le bienvenu, ne serait-ce que pour bien disséquer chaque remarque faussement anodine ou chacune des symboliques utilisées. De River à Amy, en passant par la petite fille qui appelait le président Nixon à l'aide, le tout avec l'épée de Damoclès que font peser les évènements des premières minutes, le téléspectateur se laisse emporter par un tourbillon mythologique aussi déstabilisant qu'excitant.

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Mais paradoxalement, c'est dans cette richesse que se situe le point fort, mais aussi sans doute le point faible de ce double épisode. En effet, si certains passages sont tout particulièrement galvanisants, voire assez grisants pour un téléspectateur à la curiosité piquée, dont l'imagination en ébullition est prompte à se perdre en conjectures les plus folles, le scénario n'évite cependant pas l'écueil d'une surenchère pas toujours bien maîtrisée qui s'avère par moment contre-productive. A force de vouloir beaucoup en faire, dans un scénario dont les tiroirs multiples semblent tous mériter notre attention, le récit pèche en essayant de trop offrir, donnant parfois l'impression d'en perdre le sens des priorités et peut-être une certaine lisibilité.

J'avoue que c'est l'accessibilité même du propos de la série qui m'a semblé remise en cause dans ce double épisode. A mes yeux, Doctor Who est et doit demeurer un divertissement familial grand public, pas uniquement une fiction de geeks débattant du moindre détail sur internet. Il y a un juste dosage à trouver, entre les attentes d'un public de fans qui vont s'extasier sur chaque symbolique cachée et éplucher et confronter avec le décodeur du net toutes les théories, et celles d'un public plus généraliste si j'ose dire, moins impliqué "passionnément", qui va rechercher un divertissement d'aventure teinté de science-fiction. Les deux publics ne sont pas incompatibles ; les satisfaire n'a rien d'antinomique, mais il ne faut pas sacrifier l'un au profit de l'autre. J'ai eu le sentiment que cet épisode, par l'extrême condensation qu'il proposait, perdait quelque peu le second.

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En ce qui me concerne, mon bilan de ce double épisode de rentrée se rapprochera de la plupart des aventures du Docteur ainsi découpées en deux parties. La première, à vocation plus introductive en dépit de ses si nombreux effets narratifs, enchaînant les twists et révélations, m'avait laissée l'impression un peu frustrante de toute juste démarrer lorsqu'avait retenti le générique de fin. La seconde a apporté l'équilibre attendu. La contre-attaque du Docteur, avec sa part d'action, de répliques pimentées et de dramatisation autrement plus poignante, m'a permis de retrouver la magie qui fait l'identité de la série, me touchant beaucoup plus que le stade des promesses et des questions du premier épisode. Ce sentiment de déséquilibre s'explique - et se justifie en quelque sorte - par le choix de la construction narrative (voilà pourquoi je n'ai fait qu'une seule review d'ensemble).

L'histoire en elle-même est prenante, même si dans la manière dont est présentée la menace extraterrestre, j'ai parfois un peu l'impression que le style de Steven Moffat, aussi savoureux qu'il soit, se renouvelle trop peu. Il ne s'agit pas de renier certains thèmes qui lui sont apparemment chers, mais il y a des caractéristiques qui reviennent presque invariablement, renvoyant volontairement ou non à d'autres aventures passées écrites par le scénariste. Même si la recette continue de fonctionner, attention cependant à ce que la répétition n'amoindrisse pas trop l'effet suscité : pour préserver la magie, il faut aussi savoir rafraîchir les ressorts narratifs. 

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Au-delà de l'efficacité de la construction narrative, ce sont les personnages qui demeurent l'âme de la série, permettant d'exploiter une dimension plus émotionnelle dans laquelle réside ce secret diffus et imperceptible qui fonde toute la magie de Doctor Who. Ce double épisode est également très riche dans ce domaine. Plus les rencontres passent, et plus j'apprécie le personnage de River Song. Sa relation avec le Docteur, dans cette aventure américaine, alterne habilement le flirt joyeusement grisant ,qui sait parfaitement jouer sur l'alchimie évidente entre Alex Kingston et Matt Smith, et un aspect plus tragique, les lignes temporelles personnelles de chacun poursuivant inéluctablement leur évolution dans des directions opposées. Toute leur relation est placée sous ce signe : la première rencontre du Docteur fut la dernière de River. Le baiser final venant conclure l'épisode contient ce même arrière-goût un peu confus : le premier du Docteur... le dernier de River ?

Parallèlement, pour Amy et Rory, le mariage n'aura pas tout résolu. Usant et presque abusant de qui pro quo réels ou supposés qui laissent simplement songeurs, le double épisode sème autant le trouble qu'il ne raffermit les liens existant entre les deux. Alternant le chaud et le froid, il y a quelque chose de très touchant dans la manière dont ces personnages sont mis en scène. Les troubles sonnent souvent juste et on retrouve un parfum d'authenticité sentimentale que j'apprécie tout particulièrement. Le traitement de la question de la grossesse - ou non - d'Amy est sans doute ce qui laissera le plus de questions en suspens, tant sur un plan mythologique, que sur les rapports d'Amy avec le Docteur et Rory.

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Bilan : Ce double épisode au parfum américain n'a pas entendu pas lésiner sur les moyens pour offrir au Docteur une introduction en forme de feux d'artifices émotionnels et mythologiques, condensant sans doute à l'excès tous les ingrédients légitimement attendus d'une aventure qui a vocation, non pas à se suivre comme un stand-alone, mais bien à poser les bases et à conforter les grands arcs à venir dans la série. Son extrême richesse ravira plus d'un fan, cependant elle s'accompagne d'une surenchère pas toujours pleinement maîtrisée. Si l'ambition affichée galvanise et récompense la fidélité du téléspectateur, il faut savoir aussii trouver le juste dosage et se modérer pour ne pas trop en faire.

Doctor Who signe donc un retour marquant. Vivement la suite.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de l'épisode :