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21/12/2011

(K-Drama) The Sandglass : trois amis dans la tourmente politique sud-coréenne des années 70 et 80


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C'est un mercredi asiatique consacré à un classique que je vous propose aujourd'hui ; un de ces classiques qui n'a pas usurpé la réputation qui le précède. Pour être honnête, j'ai longtemps attendu, secrètement espéré, avoir un jour l'occasion de regarder un drama comme The Sandglass, une série qui traite sans détour de l'Histoire récente de la Corée du Sud, mêlant politique, mafia et destinées personnelles. Cette fiction concentre en son sein tous les ingrédients et grandes dynamiques qui font la force du petit écran sud-coréen. C'est sans conteste un des meilleurs k-dramas qu'il m'ait été donné de voir jusqu'à présent, et indéniablement un des plus marquants.

Il faut croire que je n'avais sans doute pas cherché dans la bonne direction pour découvrir ce genre de fictions, puisque The Sandglass est aussi désormais le plus ancien drama que j'ai visionné. Il fut en effet diffusé sur SBS du 10 janvier au 16 février 1995, chaque semaine du lundi au jeudi soir. Comportant un total de 24 épisodes, il reste un de ces "national dramas" qui ont marqué tout un pays, et ses taux d'audience demeurent à ce jour parmi les plus élevés des séries sud-coréennes : son dernier épisode atteignit presque 65% de part de marché. Certes, l'aura qui entoure The Sandglass, notamment en raison des évènements qu'elle porta à l'écran, est imposante, mais c'est aussi un drama particulièrement abouti représentant tout un savoir-faire.

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The Sandglass raconte la vie de trois jeunes gens, de leur adolescence jusqu'à l'âge adulte, plongés dans le tumulte politique sud-coréen des années 70 et de la première moitié des années 80.

Tae Soo et Woo Suk se sont connus sur les bancs du lycée. Rien ne semblait a priori les destiner à forger cette amitié qui résistera à toutes les épreuves : Tae Soo est le fils d'une courtisane, laissant le plus souvent ses poings s'exprimer pour lui, tandis que Woo Suk fait figure d'élève modèle, issu d'une famille de paysans austères, dont le père rigide entend bien le voir gravir les échelons de la hiérarchie sociale. Si pendant un temps, Woo Suk détournera Tae Soo de son inclinaison pour l'argent facile, les deux amis verront leurs chemins se séparer définitivement à la sortie du lycée. Le passé communiste du père de Tae Soo l'empêchera d'embrasser la carrière militaire dont il rêvait, le rejetant irrémédiablement dans la vie de gangster, tandis que dans le même temps, Woo Suk entre à l'université ambitionnant de devenir procureur.

C'est à la fac que le désormais étudiant en droit va croiser la route de Hye Rin, une jeune femme engagée politiquement dans toute cette agitation qui gagne alors les universités sud-coréennes. Ce qu'elle ne révèlera que plus tard, c'est qu'elle est aussi la fille d'un très riche propriétaire de casinos, bien introduit auprès des instances dirigeantes du régime. C'est grâce à Woo Suk que Hye Rin rencontre Tae Soo, au cours d'une visite de ce dernier à son ami. Le choix de carrière de Tae Soo, désormais arrêté dans le banditisme, déçoit par Woo Suk, cependant Hye Rin n'est pas insensible à ce jeune homme aux activités troubles, mais plein d'assurance. Les trois jeunes gens partageront ainsi quelques temps d'insouciance, vite rattrapés par la réalité d'une Corée du Sud en ébullition. Si les circonstances les précipiteront dans des camps opposés, ils ne perdront jamais de vue l'amitié qui les aura unis et qui restera toujours une constante de leurs vies.

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The Sandglass se démarque tout d'abord par la richesse de son histoire et des thématiques que cette dernière va lui permettre d'aborder. Dans la première partie du drama, les vies des personnages principaux se confondent avec les remous de l'Histoire du pays, dressant un portrait détaillé et nuancé de la Corée du Sud durant sa dernière décennie d'autoritarisme. Du milieu des années 70 jusqu'au début des années 80, sous la dictature du général Park Chung Hee, puis du nouvel homme fort qui lui succède, Chun Doo Hwan, la série s'intéresse plus particulièrement aux mouvements de démocratisation qui parcourent la société et notamment le milieu universitaire, tout en mettant également en lumière la répression ferme dont ils font l'objet. Si l'agitation reste circonscrite jusqu'en 1979, l'assassinat du président Park par le directeur de la KCIA à la fin de l'année ouvre une période d'incertitude au cours de laquelle les aspirations démocratiques trouvent à s'exprimer. Elles ne seront que plus durement réprimés par le nouveau régime.

Durant ce printemps 1980, un des passages les plus marquants du drama reste sans conteste son récit du soulèvement et du massacre de Kwangju, en mai 1980. L'intervention militaire dans cette ville insurgée fit plusieurs centaines de morts, le bilan restant toujours incertain. Longtemps passés sous silence, la version officielle des évènements parlait alors de troubles causés par des sympathisants nord-coréens. Pour bien comprendre l'impact qu'a pu avoir la diffusion de The Sandglass, il faut se replacer à l'époque de sa diffusion : en 1995, la série permit aux téléspectateurs sud-coréens de découvrir dans leur petit écran la réalité de Kwangju, en proposant une reconstitution minutieuse basée sur des récits de témoins. Le drama quitte ici le cadre du simple divertissement pour restaurer une mémoire occultée. Contribuant à libérer la parole autour de ces blessures du passé, les sujets ainsi traités confère à cette oeuvre une dimension particulière. 

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S'il écrit avec ses personnages des pages d'Histoire qui interpellent, The Sandglass demeure un drama qui entremêle habilement la grande et les petites histoires. Sa réussite est justement d'être le récit de trois destinées personnelles, imbriquées dans un grand portrait plus vaste, à la fois social et politique, de la Corée du Sud de l'époque. Ainsi, si Woo Suk restera toujours concentré sur ses études, ne prenant pas part aux protestations, l'implication politique de Hye Rin nous permet de découvrir les réseaux étudiants de protestations, la série éclairant surtout leur répression par le régime dictatorial en place. Les arrestations, les tortures, mais aussi le fonctionnement des cercles de pouvoir et d'influence à cette époque, rien n'est passé sous silence. Il y a dans ce drama une volonté manifeste de réalisme qui donne une portée considérable à son propos.

Représentatifs du parti pris narratif des scénaristes, les épisodes 7 et 8, consacrés au soulèvement de Kwangju, sont ainsi d'une intensité dramatique aussi impressionnante que marquante. Les dynamiques de fond de la série y apparaissent déjà parfaitement maîtrisées. Les destinées de chacun se croisent et s'entre-choquent : tandis que Woo Suk effectue son service militaire dans les forces d'intervention qui sont envoyées sur place, Tae Soo se bat aux côtés des habitants, entraîné par un de ses amis, alors même qu'il avait jusqu'à présent oeuvré pour le parti au pouvoir dans des opérations commando contre l'opposition. En introduisant ses protagonistes de part et d'autre du champ de l'affrontement, le drama multiplie les points de vue et permet de ne jamais tomber dans le manichéisme. C'est une constante tout au long de la série : elle laisse les protagonistes seuls face à leur décision et à leur conscience ; aucun jugement n'est jamais exprimé. Toutes ces destinées reflètent avant tout les déchirements qu'ont vécu les habitants du pays. Et si le drama revêt souvent des accents tragiques, il semble aussi toujours parcouru par un véritable souffle épique qui captive le téléspectateur.

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La seconde partie de The Sandglass quitte le devant de la scène, pour nous immerger dans les coulisses du pouvoir. Elle se réapproprie alors habilement les codes narratifs des fictions de gangsters. A l'action et à la spontanéité de la jeunesse succèdent des pourparlers et des négociations, toujours arbitrés par des rapports de force mouvants. La série scelle ainsi le passage à l'âge adulte des personnages : marqués par les évènements dont ils ont pu être les acteurs ou les témoins dans leur jeunesse, leur accession aux responsabilités s'opère dans le tourbillon des changements qu'occasionne la cinquième République. Dépeignant l'ouverture progressive et timide vers une démocratisation qui ne sera consacrée qu'à la fin des années 80, The Sandglass conserve intact son savoir-faire pour parvenir à nous impliquer dans le sort individuel de ses personnages, tout en éclairant plus largement la situation du pays.

Le portrait que la série dresse des élites reste très sombre et sans illusion, n'hésitant pas à détailler les systèmes de corruption généralisée qui ont cours pour se maintenir au pouvoir. A nouveau, une efficace distribution des rôles s'opère parmi les personnages, permettant d'aborder les différents sujets sous tous les angles : tandis que Hye Rin investit sib rôle d'héritière, ambitionnant de légaliser le commerce des casinos, Woo Suk devient procureur. Il souhaite s'attaquer à cette mafia institutionalisée par les liens qu'elle a noués avec les instances dirigeantes. Or Tae Soo s'est lui justement imposé au sein de cette pègre qui reste instrumentalisée par les cercles du pouvoir. Les choix qu'ils seront amenés à faire, dictés par leurs principes mais aussi leurs sentiments, les conduiront tous à se heurter à ce système dont l'opacité et l'influence semblent demeurer inébranlables.

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Mais au-delà de toutes ces turbulences politiques, The Sandglass est une histoire d'amitié. Une loyauté indéfectible unira jusqu'au bout ces trois jeunes gens emportés par les mutations d'un pays, et qui resteront fidèles à eux-mêmes jusqu'au bout. Le souci de réalisme se retrouve dans la manière dont sont dépeintes leurs relations. C'est avec beaucoup de subtilités et de nuances que la série esquisse un triangle amoureux qui ne tombera jamais dans la caricature ; les expériences de vie éloigneront logiquement Woo Suk, tandis qu'un lien très fort se nouera entre Hye Rin et Tae Soo. Si le drama n'a pas son pareil pour nous faire partager leurs doutes, la force de ces histoires sentimentales tient au fait que les scénaristes ne cherchent pas à faire rêver de façon utopique : nous ne sommes pas dans une comédie romantique, leur affection réciproque n'occultera jamais les disparités sociales et les milieux différents que chacun incarne.

L'amour entre Hye Rin et Tae Soo, destiné à rester contrarié, rejoint la tonalité d'ensemble d'une série où le parfum de tragédie n'est jamais loin ; ce n'est pas la fatalité qui est ainsi soulignée, simplement les aléas d'une vie en ces périodes très tourmentées. Sachant constamment se renouveler, évoluant avec logique au gré des décisions prises et ne tombant jamais dans une répétition des mêmes schémas, les rapports entre les trois protagonistes se distendront, mais leur lien ne disparaîtra jamais. Respectant jusqu'au bout son parti pris de ne rien édulcorer, l'épisode final offrira la conclusion la plus logique et légitime, mais aussi la plus poignante et déchirante à ces amitiés. Le respect demeurera jusqu'au bout indéfectible, mais les choix de vies finiront logiquement par les opposer. La fin de The Sandglass marque durablement le téléspectateur, et apparaît vraiment à la hauteur de la qualité et de l'intensité d'un drama qui se vit aux côtés de ses personnages.

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Solide sur le fond, The Sandglass l'est également sur la forme. La série bénéficie d'une réalisation impeccable qui se démarque tant par sa maîtrise d'ensemble, que par sa capacité à en dire beaucoup sans avoir besoin que les protagonistes prononcent la moindre parole. La caméra n'a pas son pareil pour jouer sur la symbolique des mises en scène : elle sait pleinement occuper l'espace de chaque scène, mais également vraiment bien mettre en valeur un simple échange de regards ou un silence qui sera aussi explicite et fort que bien des lignes de dialogues. La série emploie d'ailleurs opportunément toutes les techniques de narration, notamment certains montages en parallèle qui rendent plusieurs scènes vraiment marquantes. 

De plus, le drama dispose d'une superbe bande-son. Outre un thème musical qui oscille entre mélancolie et déchirement, correspondant parfaitement à l'ambiance générale, retentit également, généralement une fois par épisode, une chanson phare un peu surprenante, puisqu'elle est russe : il s'agit de Zhuravli (Cranes), par Joseph Kobzon, dont les paroles originales sont dédiées aux soldats soviétiques tués. Se confondant complètement avec la tonalité de The Sandglass, elle apporte une dimension émotionnelle supplémentaire aux passages qu'elle accompagne et restera toujours associée à la série.

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Enfin, ce drama rassemble un impressionnant casting qui va contribuer à donner une âme à toute cette galerie de personnages, principaux comme secondaires. Au sein du trio central, c'est sans doute Choi Min Soo (South of the Sun, The Legend, Warrior Baek Dong Soo), dans un rôle aux accents fatalistes, qui s'avère le plus impressionnant, incarnant un personnage plein d'assurance qui va grimper avec détermination les échelons de la hiérarchie mafieuse, tout en restant fidèle à lui-même et à son histoire jusqu'au bout. A ses côtés, Park Sang Won (Eyes of Dawn, The Legend, Dream) incarne avec sobriété, et tout autant de loyauté, ce jeune homme modèle, pour qui la réforme du système passera par l'intérieur des institutions. Enfin, complétant ce triangle, Ko Hyun Jung (What's Up Fox ?, Queen Seon Duk, Daemul) aura sans doute eu la figure la plus changeante de ce drama, perdant bien des illusions et un instant son âme dans son accès aux responsabilités ; mais l'actrice aura parfaitement su retranscrire la force de caractère constante de la jeune femme.

Cependant, The Sandglass ne serait pas complet sans ses acteurs secondaires, extrêmement solides, qui interviennent tout au long du drama. Ils sont à la hauteur de la qualité des rôles qui leur sont proposés : la série est en effet une de ces fictions où aucun protagoniste n'est manichéen, ni les principaux, ni les secondaires. Chacun est caractérisé avec sa part de nuances, apportant une consistance supplémentaire au récit proposé. Parmi les plus représentatifs, il faut citer Lee Jung Jae (Air City, Triple), figure forcément tragique à la loyauté inébranlable, qui marque de sa seule présence ses nombreuses scènes dans lesquelles il ne prononce pourtant quasiment aucune parole. On croise également Park Geun Hyung, Jung Sung Mo, Jo Min Soo, Lee Seung Yun, Kim Jong Gyul, Jo Kyung Hwan, Kim Byung Gi, Jo Hyung Ki, Lee Doo Il, Kim In Moon, Jang Hang Sun, Kim Young Ae, Im Hyun Sik ou encore Kim Jung Hyun.

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Nothing has been solved yet.
...
And my friend asks me 'when?'..
And I answer, 'it's not done yet'..
Perhaps there's no end to this.
But that doesn't matter.
A friend of mine who's left earlier said to me,
'what is important is AFTER'..
'what matters is..'
'how you live AFTER that.'
'and don't you forget that.'

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Bilan : Fresque épique passionnante, à la richesse et à la qualité narrative constantes, The Sandglass est une oeuvre ambitieuse et aboutie qui concentre parfaitement tout le savoir-faire du petit écran sud-coréen. Tout en impliquant émotionnellement le téléspectateur dans les destinées mouvementées de ses trois personnages principaux, la série esquisse un portrait nuancé et complet, à la fois social et politique, de la Corée du Sud et de ses habitants au cours des décennies charnières 70s-80s'. Au-delà de son très intéressant sujet, la dimension particulière de The Sandglass tient également à ce travail de mémoire qu'elle entreprend, symbolisé par l'image du sablier qui s'écoule, la série appelant à se tourner vers le futur et à faire la paix avec le passé.

Pour les amateurs de k-dramas, et plus généralement pour tous ceux qui s'intéressent à ce pays, ce drama est tout simplement incontournable... Que dis-je, indispensable ! A voir !

NOTE : 9/10


Le générique :


La chanson (russe !) phare de l'OST, Cranes :

04/05/2011

(K-Drama) Conspiracy in the Court (Seoul's Sad Song) : destinées personnelles sur fond de réforme impossible

 
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En ce premier mercredi asiatique de mai, je reviens à mes amours coréano-sériephiles, avec la review d'un sageuk qui m'a longtemps intriguée avant que je ne trouve le temps de m'y lancer. Outre les échos positifs que j'avais pu croiser, le trailer et le synopsis m'évoquaient un peu le parfum d'une autre série historique que je chéris tout particulièrement, Damo. Et c'est vrai que l'on retrouve dans Conspiracy in the Court un parfum particulier qui le rapproche de ce drama plus ancien (d'ailleurs j'aime beaucoup son second titre anglais, qui me semble refléter parfaitement l'âme de cette histoire : Seoul's Sad Song)

Diffusée sur KBS2 au cours du mois de juillet 2007, cette série n'est pas sans évoquer, par sa tonalité et son format, des séries du câble sud-coréen. Non seulement elle diffère des dramas historiques "traditionnels" par sa manière de vouloir nous plonger dans une époque sans prétendre faire le biopic d'un personnage célèbre ayant véritablement existé, mais elle est également très brève (et donc accessible) puisque la version Director's Cut ne comporte que 8 épisodes, dont la durée varie pour chacun entre 1h et 1h15.

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Conspiracy in the Court s'ouvre dans une période troublée, à la toute fin du XVIIIe siècle, sur fond de tension entre la volonté de modernisation d'un souverain, qui forme le projet de déplacer la capitale du royaume afin de refonder une cité plus juste qui offrira du travail et de la nourriture aux plus humbles souffrant de la famine, et des factions politiques qui luttent pour préserver leur pouvoir ou un statu quo précaire qui leur bénéficie. Derrière ces confrontations entre le maintien des traditions et une volonté de rompre avec certaines rigidités héritées du passé, des forces s'agitent dans l'ombre afin de voir leurs vues prévaloir, quelqu'en soit le prix. Au sein même de la population, des troubles grandissent tandis que s'esquisse une timide forme d'aspiration à une justice sociale qui apparaît révolutionnaire dans cette société de tradition confucéenne à l'ordre social rigide.

Dans ce contexte compliqué, la série va suivre le destin de trois jeunes gens, happés dans ce tourbillon létal des luttes d'influence qui s'exercent dans les coulisses du pouvoir. Lee Na Young, fille d'un ministre déchu et exécuté pour trahison, a embrassé avec résolution le chemin de la vengeance. Décidée à faire payer le prix du sang à ceux qui ont détruit sa famille, elle a accepté de suivre un entraînement et assassine désormais sans sourciller. Elle a depuis longtemps perdu de vue son ancien flirt d'adolescence, Park Sang Kyu, le fils illégitime d'un haut dignitaire officiel. N'ayant toujours pas trouvé sa place par rapport à ses origines sociales particulières - sa mère étant esclave -, ce dernier s'est engagé auprès d'un des bureaux de police de la capitale. Enfin, Yang Man Oh, un ancien serviteur de la famille de Lee Na Young, a poursuivi son chemin au service de ses ambitions personnelles, teintées d'aspirations idéalistes pour mettre fin aux problèmes d'approvisionnement en denrées. Il est devenu un marchand influent aspirant à prendre le contrôle du commerce de la ville.

Nos trois personnages principaux vont se retrouver, certains volontairement, d'autres malgré eux, pris dans la toile d'araignée d'une conspiration qui étend son ombre sur la cour, décidée à empêcher toute réforme d'aboutir et à maintenir le système de classes tel qu'il existe jusqu'à présent. Dans cette partie de trahisons et de complots, que vaut une vie face à aux intérêts des puissants ?

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Conspiracy in the Court est un drama historique à part, dont le premier atout va résider dans le style choisi et l'ambiance extrêmement sombre dans laquelle elle nous immerge dès les premières scènes, au cours desquelles le téléspectateur est témoin d'un assassinat. Le ton est immédiatement donné ; la hauteur des intérêts en jeu également. Empruntant ses techniques narratives plutôt aux dramas contemporains qu'aux sageuk, la série nous plonge directement dans l'action : il n'y aura aucun passage d'exposition, les personnages ainsi que leur rôle nous sont introduits au fil du premier épisode, sans ralentir les intrigues que nous prenons en cours.

La complexité du scénario peut déstabiliser un instant, mais la densité narrative et l'ambition scénaristique évidente captent instanément l'attention du téléspectateur. Car c'est une histoire soignée et d'une grande richesse qui est mise en scène, multipliant les protagonistes et les intérêts divergents pour offrir un tableau complexe et nuancé. L'ensemble sonne étonnament authentique, donnant une réelle consistance et crédibilité à un récit qui, même s'il se déroule sur une durée finalement plutôt brève, n'en parvient pas moins à acquérir une intensité marquante, accentuée par ses accents fatalistes caractéristiques.

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Cette impression de rigueur réaliste s'explique également en raison des thématiques traitées. Conspiracy in the Court n'est pas une simple série sur des jeux de pouvoirs létaux. En effet, elle trouve la pointe d'ambivalence attendue pour mêler et confronter intérêts personnels et intérêt supérieur, lequel demeure cette justification ultime invoqué par chacun, avec parfois une forme d'aveuglement troublant. Quoi de plus révélateur, par exemple, que les choix faits par Yang Man Oh, pourtant sans doute le plus clairvoyant du trio principal. Le jeune marchand reprend, presque sans en avoir conscience, la même rhétorique que les usuriers d'hier avec lesquels il entend rompre. Seulement, pour résoudre son problème du moment (l'enjeu du monopole commercial), affamer le peuple de la même manière que ses prédécesseurs semble être la solution légitime sur le long terme. Cela ne l'empêche pas dans le même temps de se proclamer le garant des plus humbles, lesquels sont toujours les premiers sacrifiés de ces luttes entre puissants.

De façon troublante, les attitudes de chacun semblent se nourrir de leurs ambiguïtés. Derrière ces agitations, Conspiracy in the Court, c'est en fait l'histoire d'une idée nouvelle, par encore pleinement formulée, ni vraiment comprise : celle d'une justice sociale que la rigidité de classes rend utopique. Le téléspectateur suit avec une fascination grandissante cet instantané social loin d'être manichéen, qui gagne en complexité à mesure que les ressorts dans l'ombre se dévoilent. Les apparences s'effritent, chaque camp se nuance... Mais à la fin, derrière ce tourbillon politique, c'est à une lutte bien plus simple que tout finit par se réduire : il s'agit avant tout de survivre.

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Au-delà de ces enjeux politiques, si Conspiracy in the Court pose un cadre sombre qui pourrait paraître de prime abord déshumanisé, au fil de la progression de l'histoire, son développement des personnages montre qu'il n'en est rien. La série va en réalité jouer de façon très troublante sur le contraste entre le volet des complots en cours et celui d'une étrange pureté sentimentale, bulle hors d'atteinte dans laquelle les trois personnages principaux sont unis ; les sentiments des deux hommes pour Lee Na Young ne vascillent jamais. De manière originale, c'est d'ailleurs elle, figure féminine que les deux autres révèrent, qui est l'assassin et représente ce qu'il y a de plus noir dans leur trio. Le contexte particulier permet au drama de se détacher des ressorts narratifs stéréotypés des triangles amoureux, préférant opter pour une forme d'idéalisation émotionnelle qui surprend le téléspectateur et tranche considérablement avec la noirceur ambiante. Cette dimension sentimentale que rien ne semble pouvoir atteindre ou ternir, même pas les agissements voire les oppositions de chacun, se révèle très touchante. 

Globalement, Conspiracy in the Court parvient à trouver un équilibre entre, d'une part, des conspirations politiques excessivement noires, et d'autre part, une touche de mélodrama étonnamment pure. Ce contraste des tonalités peut quelque peu déstabiliser à certains moments, mais au fur et à mesure que la série progresse, cette approche prend peu à peu tout son sens. Ce recours a priori presque excessif à une naïveté revendiquée et assumée pour dépeindre les liens unissant ces trois jeunes gens n'est pas un artifice creux pour rallier une plus large audience. Au contraire. L'idée de jouer sur l'antinomie entre le pragmatisme des uns et la force des sentiments des autres apporte une dramatisation qui confère au récit une dimension supplémentaire. Ce qui est mis en exergue, c'est le refus de renier ses aspirations, aussi idéalistes et hors de propos qu'elles puissent paraître dans ce monde impitoyable. Au fond, si Conspiracy in the Court a toutes les caractéristiques d'une tragédie du pouvoir bien huilée, sa dimension humaine demeure son vrai moteur : en cela, elle reste porteur d'un message d'espoir qui tranche avec la noirceur ambiante.

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Forte de sa complexité narrative aboutie, Conspiracy in the Court bénéficie également d'une forme tout particulièrement soignée. Quand je la rapprochais des séries du câble sud-coréen, c'était en partie justement pour la réalisation quasi-cinématographique qu'elle propose. La caméra est nerveuse, l'image jamais figée est loin du théâtralisme un peu rigide des sageuk traditionnels. La teinte restera volontairement sombre, sans jamais sacrifier des couleurs naturelles au sein desquels le rouge sang prédomine, dans les tenues jusque dans les rouges à lèvres de certaines courtisanes. Par ailleurs, la série dispose également d'une superbe OST qu'il convient de saluer. Non seulement elle va imposer quelques chansons récurrentes, souvent poignantes, jamais envahissantes, mais en plus sa bande-son comporte également quelques morceaux instrumentaux plus rythmés parfaits pour faire transparaître la tension ambiante. Il s'agit donc d'un drama pleinement travaillé qui se savoure aussi bien visuellement que musicalement.

Enfin, l'histoire est portée par un casting composée d'acteurs pas forcément très connus, mais qui délivrent ici une solide performance d'ensemble qui crédibilise le récit et sa portée. Le trio principal s'avère particulièrement crédible. Je serais tentée de dire que c'est Lee Chun Hee (Smile, Gloria), en marchand ambitieux et pragmatique, qui arrive le mieux à faire vibrer cette détermination froide couplée d'une fibre émotionnelle touchante. Peut-être est-ce parce que son personnage, d'origine plus modeste, a également plus conscience que les deux autres de ce qu'il y a à sacrifier au bout du chemin. Cependant Jin Yi Han (A Good Day for the Wind to Blow) et Kim Ha Eun (Chuno, Thorn Birds) proposent aussi des performances solides et convaincantes. A leurs côtés, on retrouve également Ahn Nae Sang (Royal Family), en roi réformateur, Jung Ae Ri (Women of the Sun), Kim Young Ae, Sa Hyun Jin, Kim Kyung Ryong, Jang Hyun Sung, Kim Ki Hyun, Jun Il Bum, Han Jung Soo ou encore Park Sun Young.

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Bilan : Drama abouti et assurément ambitieux, Conspiracy in the Court est plus qu'une simple série historique. Elle parvient à fasciner et à retenir l'intérêt du téléspectateur, tant par sa narration complexe et travaillée, que par la richesse de ses thématiques politiques et sociales qu'elle va aborder de manière nuancée en leur donnant un écho universel qui transcende les âges. Bénéficiant de son format court, l'histoire est maîtrisée de bout en bout. Ainsi, derrière son parfum semblable à une pièce shakespearienne, c'est une tragédie du pouvoir et de l'amour qui se joue, à la fois extrêmement sombre et d'une pureté émotionnelle poignante. A découvrir.


NOTE : 8/10


La bande-annonce de la série :