Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/06/2010

(Mini-série UK / IRL) Father & Son : le chemin d'un père vers la rédemption sur fond de guerre des gangs


fatherandsona.jpg

La semaine passée, ITV diffusait sur plusieurs soirées (à la manière de Collision, il y a quelques mois) une mini-série coproduite avec la chaîne publique irlandaise RTÉ : Father & Son. Tournée fin 2008 et diffusée en Irlande au cours du mois de juillet 2009, cette fiction avait longtemps traîné inexplicablement égarée dans les cartons de ITV, avant que cette dernière ne se décide finalement à la programmer à l'antenne. Avouons-le, ces tergiversations pouvaient générer quelques inquiétudes sur le résultat, ITV n'étant pas la chaîne la plus fiable qui soit en ce qui concerne sa politique de fictions. Pour autant, les échos des critiques irlandaises n'étaient pas inintéressants, ce qui a suffi à éveiller ma curiosité. Un générique d'ouverture sur fond de chanson de Johnny Cash plus tard, c'est au bout du compte l'intégralité de cette mini-série que j'aurais suivie sans déplaisir.

fatherandsong.jpg

Derrière son décor nous plongeant dans le crime organisé du nord de l'Angleterre et de l'Irlande, Father & Son est une série sur la rédemption. L'histoire qu'elle va nous conter est celle de deux personnes, unies par les liens du sang, mais devenues étrangères l'une à l'autre en raison d'une tragédie. C'est un père et son fils qui vont d'une certaine façon se retrouver... pour mieux se perdre à nouveau ?

La mini-série débute à Manchester. Dans une banlieue déchirée par les guerres de gangs, Sean O'Connor est un adolescent apparemment sans histoire, vivant avec sa tante Connie, officier de police. Un jour, une fusillade éclate devant la maison ; une connaissance de sa petite amie est abattue. Ils sont pourchassés par les deux jeunes tueurs jusque dans l'hôpital où ils ont trouvé refuge. En état de légitime défense, Stacey abat l'un d'eux alors qu'il s'apprêtait à viser Sean. Refusant de laisser la jeune fille endosser la responsabilité des évènements, Sean se saisit de son revolver. La police, alertée par les détonations, l'arrêtera ainsi, l'arme du crime en main, se tenant aux côtés du corps ensanglanté de l'adolescent qui les avait poursuivis. Ne réalisant pas vraiment la gravité de la situation, jouant les chevaliers blancs envers Stacey sans apprécier toutes les conséquences, Sean se laisse embarquer par les forces de l'ordre.

Mais, au-delà du flagrant délit apparent, l'adolescent a un autre lourd passif qui ne plaide pas en sa faveur aux yeux des policiers : son père. Michael O'Connor a en effet longtemps été une figure du grand banditisme local, ayant contribué au climat de violence qui prévaut désormais dans les quartiers comme celui où vit son fils. Arrêté en Irlande alors que Sean était encore enfant, il y a purgé une peine de prison de six années. Mais trois jours après son arrestation, sa femme, Lynne, était abattue à leur domicile. L'enquête conclut à des représailles contre Michael. La soeur de Lynne, Connie, recueillit Sean chez elle... et aucun ne revit Michael qui ne rentra pas en Angleterre une fois sa peine finie. C'est dans un petit bourg irlandais, auprès d'une nouvelle femme, enceinte, que Michael entend refaire sa vie. Mais le coup de téléphone de Connie l'informant des évènements de Manchester le précipite dans un passé qu'il aurait préféré derrière lui, alors qu'il décide de rentrer au pays pour essayer d'aider son fils.

fatherandsonb.jpg

Father & Son dresse tout d'abord un portrait appliqué d'une banlieue de Manchester gangrénée par les guerres de gangs. S'essayant à une approche sociale, elle s'efforce de capter et retranscrire l'ambiance régnant dans ces quartiers. Elle parvient d'ailleurs à mettre en scène de façon assez convaincante ce climat d'insécurité instable, soulignant les engrenages létaux qui conduisent aux tragédies rythmant la mini-série. Si Sean fait ici figure de victime collatérale du milieu dans leque il vit, n'ayant pu se maintenir en marge de tout cela en dépit des efforts de Connie, Father & Son prend toute sa dimension en pointant la responsabilité de Michael O'Connor, et de ses anciens acolytes, dans la détérioration du lien social. Ce sont eux qui ont introduit les moeurs du crime organisé, mais aussi les moyens de les mettre en oeuvre avec la circulation des armes à feu.

Désormais, le mal s'est propagé, hors de contrôle. La violence suit un cercle vicieux qui se perpétue et se nourrit lui-même, sacrifiant les jeunes générations plongées dans ces préoccupations dès leur plus jeune âge. L'illustration de ce mal donnera d'ailleurs lieu à l'une des scènes les plus marquantes de la mini-série : celle où le petit frère d'une des victimes amène un revolver à son école et, en pleine salle de classe, le sort pour le pointer sur Imani, la fille de Connie. Combien d'adolescents ainsi perdus dans les méandres impitoyables de ces appels à la vengeance ?

fatherandsond.jpg

Au-delà de cette approche plus sociale du pan policier, reflet d'essais télévisés modernes, Father & Son marche aussi sur les pas du genre thriller. Des manipulations aux mensonges par omission, la mini-série révèle peu à peu que le hasard et la fatalité n'ont pas grand chose à voir avec l'enfer dans lequel Sean a été projeté. Derrière la tragédie qui se joue sous nos yeux, diverses personnes tirent les ficelles, dans l'ombre, qu'il s'agisse de vieux règlements de compte ou d'intérêts personnels à promouvoir. Qui manipule qui, la question se glisse rapidement dans l'esprit du téléspectateur, à mesure qu'il découvre la complexité réelle de l'affaire.

Father & Son n'est donc pas une simple fiction policière. La fusillade qui déclencha l'enchaînement des évènements s'inscrit dans un tableau plus vaste, où les enjeux se révèlent petit à petit. Aspect attrayant d'un scénario donc plus ambitieux que l'on aurait pu le penser aux premiers abords, la mini-série ne parvient cependant pas à totalement s'imposer dans ce créneau. Globalement un peu trop  prévisible pourrait-on dire, ou un peu trop calibrée, elle n'échappe pas à des raccourcis dommageables ou à quelques facilités scénaristiques. Reste que même si ce traitement laisse quelques regrets au téléspectateur, l'ensemble demeure efficace dans l'ensemble.

fatherandsonf.jpg

L'élément le plus perfectible de Father & Son réside sans doute dans sa dimension humaine. Cette mini-série utilise son cadre policier pour nous relater une histoire personnelle, celle de deux personnes que leurs choix et les drames de la vie ont séparées. Michael O'Connor n'a pas revu son fils depuis son arrestation, il y a plusieurs années. Trois jours après, sa femme était abattue à bout portant, un meurtre dont tout le monde s'accorde à penser qu'il est du aux activités criminelles de son époux. Sean a grandi élevé par sa tante, la soeur de sa mère. Un fossé s'est créé entre lui et Michael, chargé de ressentiments, de non-dits. L'intensité de ces sentiments s'est peu à peu muée en une forme de haine de la part de l'adolescent qui, désormais, ne veut plus, ne peut plus, entendre parler de cette figure paternelle absente.

Mais s'il a choisi la fuite en avant, à sa sortie de prison, Michael se retrouve désormais face à ses diverses responsabilités. Celle de père, pour n'avoir pas osé revoir Sean après le drame. Celle d'un ancien gangster qui n'y est pas pour rien dans le climat de violence et de guerre des gangs régnant dans la banlieue de Manchester. En retrouvant le chemin du nord de l'Angleterre, le voilà de nouveau confronté à un passé qu'il aurait souhaité oublier. Toutes ses actions sont orientées dans un seul but : aider son fils. Finalement, par ses confrontations avec ses anciens acolytes, avec son père, c'est le difficile chemin de la rédemption qu'il suit. Il a payé sa dette à la société en purgeant sa peine de prison. Il a une dette à payer envers cet enfant qui a grandi sans lui, profondément traumatisé par un évènement dont il n'a jamais parlé, la mort de sa mère.

Father & Son disposait donc de bases intéressantes pour construire un drama intense sur un plan émotionnel. Certains passages fonctionnent bien. Les paradoxes de Michael, la lassitude de Connie, sont des aspects bien décrits. Cependant, la mini-série ne va pas au bout de cette mise en valeur de sa dimension humaine, parfois un peu excessive ou maladroite. L'ensemble est certes prenant, mais elle avait les cartes pour faire mieux.

fatherandsone.jpg

Il faut souligner que si Father & Son fonctionne assez bien, c'est en grande partie dû à son casting. Autant Dougray Scott avait semblé aux abonnés absents, en début d'année, dans The Day of the Triffids, autant, ici, il est pleinement impliqué dans la complexité de son personnage, qu'il va incarner d'une façon très intense parfaitement maîtrisée. A ses côtés, on retrouve des valeurs sûres du petit écran britannique, comme Sophie Okonedo (Criminal Justice), Ian Hart (Dirt, Five Daughters) ou encore Stephen Rea. Enfin, Reece Noi incarne avec beaucoup de défiance et de versatilité Sean.

Sur un plan technique, Father & Son reste plutôt en retrait. Elle dispose d'une réalisation classique, correcte mais sans réelle identité, en dépit de quelques plans intéressants. Elle ne se démarque pas non plus par sa bande-son. En revanche, il faut souligner son splendide générique, superbe esthétiquement et opportunément construit sur une chanson de Johnny Cash, God's Gonna Cut You Down. Il donne immédiatement le ton et nous plonge dans une ambiance sombre, chargée de regrets, qui correspond parfaitement à la tonalité de la mini-série.

fatherandsonh.jpg

Bilan : Jouant sur plusieurs tableaux, Father & Son comporte plusieurs bonnes idées, tant dans la lignée du thriller que du drame humain, le tout en dressant un portrait appliqué des escalades de violence au sein de la banlieue de Manchester. Elle se suit dans déplaisir, bien aidée par un rythme solide. Cependant, la mini-série ne concrétisera pas toutes ses promesses, sa dimension humaine ne parvenant pas toujours à s'exprimer avec justesse et sobriété. De plus, si elle réussit à faire efficacement monter la tension ambiante, les résolutions finales, presque trop calibrées, pourront laisser un arrière-goût d'inachevé.

Au final, Father & Son s'avère être une mini-série intéressante à plus d'un titre, notamment en raison de l'environnement mis en scène. Elle mérite ainsi d'être découverte, mais le téléspectateur pourra nourrir quelques regrets au vu d'un potentiel entre-aperçu qu'elle n'aura pas toujourss réussi à pleinement exploiter.


NOTE : 7/10

16/06/2010

(J-Drama) Gaiji Keisatsu : jeux de dupes, jeux d'espions, au sein de l'antiterrorisme japonais


Gaiji_Keisatsu-banner.jpg

Aujourd'hui, pas de test de pilote, mais le bilan d'une série entière. Mon coup de coeur asiatique de la semaine est une découverte inattendue en provenance du Japon, une immersion dans les services de lutte antiterroriste de la police de ce pays : Gaiji Keisatsu. En bien des points, je serais tentée de dire qu'il s'agit d'un drama juste parfait pour mettre l'été à profit afin d'élargir son horizon téléphagique et découvrir (enfin) une série asiatique. Pourquoi ? Pour vous situer son genre, essayons-nous à l'exercice des parallèles : sobre et magistralement menée, Gaiji Keisatsu traite de menaces sur la sécurité intérieure avec la paranoïa et la maîtrise d'un Spooks (MI-5) des grands jours. De plus, autre atout pour achever de convaincre les derniers récalcitrants : c'est une série courte. Son format lui permet de ne pas s'étaler inutilement et de maintenir constante la tension qui y règne, car elle ne compte en effet que six épisodes d'une cinquantaine de minutes chacun.

Adaptation d'un roman éponyme d'Aso Iku, diffusée par NHK du 24 novembre au 19 décembre 2009, Gaiji Keisatsu (6 x 50') s'est donc révélée être l'excellente surprise de ce mois de juin dans mes programmations sériephiles. En résumé, c'est un peu ce qu'un drama comme IRIS aurait pu être, si ses scénaristes avaient mieux maîtrisé leur sujet.

gaijia.jpg

Gaiji Keisatsu nous plonge au coeur d'une branche à part des forces de police japonaise, celle qui s'occupe des Affaires étrangères, surveillant notamment les allées-venues sur le territoire national. En charge de la sécurité publique du pays, elle est celle qui lutte contre toutes les menaces internationales, tel que l'espionnage ou le terrorisme. Elle agit généralement de concert avec le bureau de la CIA basé à l'ambassade américaine, qui a historiquement été longtemps le donneur d'ordres de ce service. L'agence de renseignements américaine leur fournit d'ailleurs toujours des renseignements. Elle informe ainsi le directeur, Ariga Shotaro, d'une menace terroriste potentielle qui pèserait sur eux. Un mystérieux mercenaire très dangereux, connu sous le pseudonyme de "Fish", aurait infiltré le pays. L'enjeu est d'autant plus important que le Japon doit accueillir une cible de choix : une importante conférence internationale liée à l'antiterrorisme va prochainement s'y tenir.

Mais l'air n'est pas au tout sécuritaire, notamment au sein du gouvernement qui voit d'un mauvais oeil tous les crédits engloutis chaque année dans la division des Affaires étrangères. Le Japon n'a pas de tradition dans les services de renseignements. Mais, de toute façon, existe-t-il encore des menaces extérieures concrètes pour lui ? L'ambitieuse ministre aspire surtout à réduire le budget, quitte à privatiser une partie des forces de sécurité. Elle ne croit pas une seule seconde que le Japon puisse être une cible terroriste potentielle. Ne disposant pas d'éléments suffisants, le directeur Agira Shotaro n'insiste pas, mais il décide de poursuivre les investigations en cours afin d'identifier ce mystérieux "Fish" et savoir ce qu'il prépare. Pour cela, il a confié cette mission à l'unité dirigée par Sumimoto Kenji, un vétéran qui s'est longtemps occupé de démasquer les espions russes, avec des méthodes pas toujours très orthodoxes, mais généralement efficaces.

Parallèlement, Matsuzawa Hina est une jeune officier de police. Après un premier contact mouvementé avec l'unité de Sumimoto, alors qu'elle souhaitait interroger un étranger dans une affaire de viol, elle est transférée dans cette unité. Elle va rapidement découvrir que cette division agit à un niveau très différent des autres départements de police. Quand l'intérêt public est en jeu, l'intérêt des particuliers est facilement sacrifié ; d'autant plus que son supérieur hiérarchique, maître manipulateur, ne semble reculer devant rien pour mener à bien leur mission.

gaijib.jpg
 
Gaiji Keisatsu se révèle être un thriller de haut standing, admirablement maîtrisé sur la forme comme sur le fond. En nous plongeant dans une intrigue de lutte contre le terrorisme, la série se réapproprie dans le même temps les codes scénaristiques des fictions d'espionnage. On y retrouve, particulièrement bien exploités, tous les ingrédients classiques du genre : de l'organisation secrète tirant les ficelles et obéissant à des objectifs plus lointains, aux trahisons et défections dans les deux camps, en passant par des double-jeux quotidiens et la gestion des "collaborateurs", informateurs au statut particulier de la police japonaise. Tout cela se déroule avec en toile de fond des menaces contre la sécurité du pays. Même l'omniprésente CIA vient se mêler à la bataille, pour des passages au fort accent anglophone. Au final, cela donne un cocktail explosif mis en scène de façon très convaincante.
 
Évoluant dans une ambiance très sombre, Gaiji Keisatsu va prendre plaisir à déstabiliser le téléspectateur par son imprévisibilité. Le drama glisse peu à peu dans une sourde paranoïa de circonstances qu'il va entretenir au fil des épisodes. Rapidement, c'est un tableau d'une complexité fascinante qui se dessine sous nos yeux. Riche en ambivalences et en contradictions, la situation se complique chaque jour davantage, à mesure que les enjeux réels se dévoilent. Car, si l'enquête visant la menace terroriste progresse lentement, dans ce terrain trouble sur lequel se déroule la série, le danger provient tout autant de l'extérieur que de l'intérieur même du service. C'est d'autant plus vrai que les frontières entre les camps ne sont pas figées, les loyautés fluctuant dangereusement au gré des opportunités.

Même la trahison semble y être une notion toute relative. Nous nous retrouvons dans un milieu où la fin justifie les moyens. Le sort personnel des individus impliqués s'efface, victimes collatérales de la raison d'État, pions sacrifiables dans cette vaste partie d'échec où ce sont les enjeux nationaux et les ambitions des plus hauts responsables qui dictent les règles du jeu. L'intérêt public prétendu semble souvent bien insaisissable. Dans un cadre où tout n'est que faux-semblants, il faut intégrer ce mode de fonctionnement ou risquer d'être broyé. La manipulation y est élevée au rang d'art, si bien qu'elle en devient une technique de management utilisée au sein même de l'unité d'investigation. Matsuzawa Hina devra rapidement rayer le mot "confiance" de son vocabulaire : jusqu'où ira-t-elle sur la voie impitoyable où elle s'est engagée sans s'y perdre elle-même ?
 
gaijic.jpg
 
En plus de parvenir à créer une atmosphère des plus intrigantes, Gaiji Keisatsu dispose d'un scénario très solide. A chaque épisode viennent se greffer de nouvelles complications et de nouvelles pièces du puzzle sont révélées, troublant la compréhension globale du téléspectateur qui ne conservera qu'un temps seulement Hina comme point d'ancrage sur lequel se reposer. La série se révèle admirable de maîtrise, construisant une tension sourde qui prend à peu le pas sur tout le reste. Chaque action indépendante finit par s'emboîter dans le complexe puzzle de l'intrigue principale, dévoilant un magistral "toutélié" qui retient toute l'attention du téléspectateur.
 
Ce drama forme un tout, avec un fil rouge qui s'étend tout au long des six épisodes : il s'agit de déjouer les projets du mystérieux "Fish" et surtout de découvrir ses commanditaires. C'est dans ce cadre que chaque épisode va marquer une avancée, ou un développement particulier pour accomplir cette mission. Mais les premières réponses obtenues paraissent presque vaines ; car à mesure que la série prend peu à peu toute son ampleur, elle révèle une complexité aussi déstabilisante que passionnante.
 
gaijie.jpg
Pour autant, aussi attrayant que soit le suspense principal, un des atouts de Gaiji Keisatsu est de ne pas négliger de développer sa dimension humaine. C'est aussi à travers les blessures intérieures de ses personnages que la série acquiert une véritable épaisseur. Ici, le thriller se conjugue avec la mise en scène de drames humains. C'est parfois dur, voire même poignant. Les scénaristes prennent le temps de s'interroger sur les motivations de chacun, explorant ses personnages avec beaucoup de soin. Tout cela permet au téléspectateur de s'investir émotionnellement dans ce drama.
 
De manière générale, les protagonistes de Gaiji Keisatsu s'inscrivent la droite lignée du scénario global, reflétant cette absence déconcertante de manichéisme et défiant toute classification trop rapide. Ils évoluent au fil de la série, gagnant en nuances et montrant d'autres facettes de leur personnalité. Si Hina fait au début figure d'innocente plongée dans un monde dont elle n'a pas encore les clés, repère solide du téléspectateur, elle intègre peu à peu les exigences de son nouveau travail. Encore versatile, en quête de certitudes, l'élève dépassera-t-elle le maître ? C'est ce dernier, Sumimoto Kenji, qui constitue le véritable personnage phare de la série. Froid et calculateur aux premiers abords, il pourrait paraître antipathique s'il n'était pas immédiatement aussi fascinant. Et le trouble le concernant va grandissant au fur et à mesure que la série progresse. De plus en plus ambivalent, le téléspectateur apprend à le connaître. A travers ses failles, on découvre un autre pan du personnage, plus émotionnel que l'image qu'il aime renvoyer.
 
gaijif.jpg

Sur la forme, Gaiji Keisatsu est au diapason de la tonalité de son contenu. La réalisation est volontairement nerveuse. Elle change souvent de styles, allant jusqu'à utiliser des plans pris caméra à l'épaule qui contribuent à dynamiser l'ensemble. Cependant, on reste à l'écran dans une sobriété toute japonaise. L'image est assez sombre (parfois même, peut-être un peu trop), allant du pastel au noir et évitant toute couleur chatoyante. La musique est utilisée avec beaucoup de retenue, uniquement lors de certains passages la justifiant. Il n'y a aucune chanson. Seulement des morceaux musicaux qui viennent souligner les moments de tension.
 
Enfin, le casting se révèle quant à lui très convaincant. D'une sobriété prenante, sans aucun sur-jeu, le téléspectateur n'en ressentira pas moins l'intensité émotionnelle de certains passages. Watabe Atsuro délivre une performance absolument magistral pour incarner le si troublant Sumimoto Kenji. Ono Machiko joue la jeune policière catapultée dans ce milieu si déstabilisant de l'antiterrorisme. A leurs côtés, on retrouve également Ishida Yuriko, Endo Kenichi, Yo Kimiko ou encore Ishibashi Ryo.

gaijig.jpg

Bilan : Gaiji Keisatsu est un petit bijou d'espionnage. Un thriller au scénario admirablement bien maîtrisé. La série nous plonge dans un univers de faux-semblants, sans aucun manichéisme, où les vrais enjeux demeurent longtemps cachés danss l'ombre. Tout est ambivalent dans cet univers trop sombre et impitoyable, où chacun manipule l'autre, suivant son propre agenda. La réussite de ce drama est aussi de ne pas se contenter seulement du suspense qu'il génère, mais d'investir une dimension humaine qui ajoute à la richesse, mais aussi aux ambivalences, de l'histoire. Gaiji Keisatsu est une série dense qui joue ainsi sur plusieurs tableaux. 

En somme, voici un drama à découvrir de toute urgence !


NOTE : 8,75/10


Un extrait vidéo des cinq premières minutes du premier épisode :

13/06/2010

(UK) Doctor Who, series 5, episode 11 : The Lodger

dw511b.jpg

The Lodger correspond à une petite pause proposée aux téléspectateurs, une opportunité pour reprendre son souffle et de se remettre des derniers épisodes riches en émotions, avant d'attaquer l'arc final qui verra la prophétie annoncée en début de saison se réaliser, la Pandorica s'ouvrira. En attendant ces grandes manoeuvres, ce onzième épisode, avec en toile de fond une aventure quelque peu anecdotique, offre au Docteur un terrain d'expression à sa convenance, pour verser dans une sorte de "one-man-show" enthousiasmant. On ne le répètera jamais assez, mais une chose est bel et bien certaine : Matt Smith maîtrise désormais plus que parfaitement son sujet. Et il n'est jamais plus époustouflant que lorsqu'il s'agit d'exposer en pleine lumière la personnalité du Docteur, génie versatile et hyperactif, prompt à se laisser emporter dans ses élans de Time Lord. Bref, sans marquer, The Lodger se révèle être une belle célébration d'Eleven. Peut-être ce qu'il fallait avant d'abord la dernière ligne droite.

dw511d.jpg

Si le Docteur est sur-exposé dans cet épisode, c'est en partie la conséquence du twist de départ : Amy et lui sont une nouvelle fois séparés. En effet, le Tardis rencontre des difficultés pour se fixer au lieu et à l'époque voulus. Le Docteur ayant mis un nez dehors, le vaisseau, instable, repart sans lui, le laissant la tête dans l'herbe du parc où ils avaient attéri tandis qu'Amy est coincée à l'intérieur. Pris dans une sorte de boucle spatio-temporelle, le Tardis est bloqué dans un entre-deux de turbulences. Pour espérer le stabiliser et ramener Amy sur Terre, il faut identifier et stopper la source de ces troubles. L'épisode ne s'appesantit pas sur cette recherche, qui ne pose pas vraiment de difficulté au Docteur, bien aidé par des tours de passe-passe temporels.

Le problème provient du premier étage d'une maison de banlieue pavillonnaire quelconque. Ne sachant à quoi s'attendre, privé de l'assistance du Tardis et ne devant surtout pas se regénérer dans l'aventure au risque de voir le Tardis se perdre avec Amy, le Docteur est contraint d'adopter une tactique d'infiltration plus subtile qu'à l'accoutumée : il répond à une offre de collocation pour louer une chambre dans l'appartement du dessous. En raison de cette approche moins directe et de l'isolement relatif du Docteur, The Lodger va donc se rapprocher des épisodes qui ont pu par le passé mettre en scène une forme d'infiltration. Le Docteur doit découvrir ce qui se cache à l'étage, sans éveiller les soupçons, ni l'attention du résidant du dessus. Le téléspectateur est bien conscient qu'il s'agit d'un prétexte scénaristique sans doute un peu facie, mais l'enjeu de l'épisode en dépend : ce qui intéresse le scénariste, ce sont les efforts d'adaptation du Docteur. Ses essais pour suivre un quotidien et un mode de vie humain le plus normal possible vont constituer l'attraction principale de ces quarante minutes, d'où ma qualification, par moment, de "one-man-show". 

dw511g.jpg

On retrouve, dans ces efforts de socialisation avec de nouveaux compagnons le temps d'une aventure, la petite touche de folie qui avait marqué l'introduction d'Eleven au cours du premier épisode de la saison. Ce ressenti ne provient pas seulement du fait que c'est la première fois depuis 10 épisodes que le Docteur met les pieds dans une cuisine pour nous concocter une de ces préparations culinaires dont il a le secret - et qui, en dépit de la manière de la concevoir, se révèlera bonne. Globalement, la dynamique avec son colocataire prend parfaitement, si bien qu'on retrouve un faux air de première rencontre avec Amy Pond. A croire que la solitude sied d'une certaine façon au Docteur, permettant à sa personnalité excentrique de se manifester et de s'épanouir pleinement, sans être contrebalancé par une présence pouvant le catalyser comme celle d'Amy.

Tout cela ressort au contact des nouvelles rencontres qu'il peut faire, nous offrant des passages proprement jubilatoires où le Docteur est absolument génial. Si je ne devais retenir qu'une seule chose de cet épisode, c'est l'opportunité qu'il offre d'explorer plus en avant et de pleinement apprécier cette personnalité complexe du Time Lord. Les scènes enthousiasmantes ne manquent pas. Dès la première rencontre avec son futur colocataire, sur le palier de la porte d'entrée, le ton est donné. Le Docteur s'impose naturellement, monologuant au gré de ses pensées. Les échanges entre les deux hommes sont juste hilarants, et vont garder ce côté décalé pour le reste de l'épisode. La collocation, quelle merveilleuse invention. Le Docteur dans la cuisine, le Docteur dans la salle de bain, le Docteur s'immisçant dans les projets amoureux de son nouvel ami... Le scénario exploite pleinement la situation, faisant le tour de toutes les péripéties les plus cocasses que cela pouvait générer. Et, peut-être en clin d'oeil à l'évènement sportif du mois, le Docteur va même jusqu'à s'essayer -avec un certain succès- au football ! Bref, est mis en scène un ensemble de scènes du quotidien, d'une telle normalité que leur étrangeté n'en est que plus accentuée tant elles sont inhabituelles pour notre excentrique Time Lord. Cela donne d'excellents moments de télévision.

dw511i.jpg

Un peu écrasée par la performance, l'intrigue du jour peinera tout au long de l'épisode à atteindre sa pleine envergure. Sans doute parce qu'en dépit de son omniprésence, elle peine à retenir notre attention. En effet, si les contacts intermittents avec Amy et les bruits venant du dessus constituent un rappel nécessaire et constant de la dangerosité de la situation, on ne s'inquiète jamais réellement de l'issue de l'aventure. Certes, cette saison a déjà prouvé qu'elle savait nous surprendre, mais le téléspectateur ressent bien que The Lodger est un épisode de transition, une bulle d'air frais en guise de parenthèse, permettant de se reposer avant de s'attaquer à l'enjeu majeur de la saison, ces craquelures spatio-temporelles qui fragmentent l'univers.

La résolution de l'intrigue va suivre le même état d'esprit. Tout d'abord, il y a la révélation expresse de ce qui est en train de se produire au colocataire. Avouons que le partage télépathique d'informations, c'est un procédé bien pratique : une facilité pour le scénariste  qui a un grand avantage, cela permet d'expédier toute cette phase d'explication et de digestion des informations en quelques secondes, balayant toutes les questions potentielles du colocataire qui sait désormais tout ce qu'il y a à savoir. Le voilà donc catapulté sans plus de cérémonie assistant "temporaire" du Time Lord, le temps d'une aventure sans lendemain, ce qui justifie cette rapidité d'exécution : inutile de s'appesantir sur le moment anecdotique de la révélation.

Le danger alien du premier étage se révèla être finalement un vaisseau alien en perdition, auquel le système de survie recherche désespérément un pilote. Il grille - au sens littéral du terme - les passants happés dans la rue, à essayer de trouver un individu adéquat supportant la charge. Au final tout est expédié rapidement sans que cela paraisse une issue majeure; Le colocataire aura eu son utilité grâce à son amour pour la sédentarité - et pour la belle demoiselle à laquelle il peut enfin déclarer sa flamme. Le vaisseau alien en perdition se désagrègera (révélant l'absence de premier étage dans la maison). Et le Tardis pourra enfin se poser, avec une Amy assez secouée à son bord... Happy end. En somme, jusque dans cette résolution peu travaillée, on perçoit bien que l'enjeu de l'épisode est ailleurs.

dw511j.jpg

Episode de transition, The Lodger est une occasion de se concentrer sur le Docteur, et de savourer le fait que la série détient un des personnages principaux les plus enthousiasmants, complexes et fascinants du paysage téléphagique actuel. Et j'avoue que mettre en valeur cet aspect est  une chose que j'apprécie au plus haut point. La séparation d'Amy, très en retrait, n'est pas préjudiciable à l'équilibre de l'histoire, car c'est cette absence relative qui permet  au Docteur de faire étalage, de façon si marquée et sans contrôle, de ses réflexes de socialisation véritablement jubilatoires. Au fond, explorer plus avant et se concentrer sur les petits détails de la personnalité délicieusement excentrique du Docteur est une façon de masquer les faiblesses de l'intrigue principale, aventure un peu anecdotique que le téléspectateur relègue inconsciemment rapidement au second plan durant l'épisode. The Lodger demande simplement à ce que l'on profite de l'ambiance qui se dégage de l'ensemble.

Avant la dernière ligne droite de la saison, cet épisode est une piqûre de rappel savoureuse, rappelant au téléspectateur tout le plaisir qu'il y a à suivre notre Time Lord favori, dans ses vives réparties comme dans ses nombreuses contradictions qui l'animent. Et c'est aussi une façon d'offrir à Matt Smith un magnifique terrain d'expression à sa convenance, en saluant sa performance tout au long de la saison. Car, si son jeu vaut tous les superlatifs, il faut aussi souligner à quel point l'acteur n'est jamais aussi bon que quand il met pleinement en scène le comportement versatile et dynamique de son personnage. Dans cet épisode, il frôle la perfection.

dw511l.jpg

Bilan : The Lodger est un épisode de transition qui, avec son aventure un peu anecdotique en arrière-plan, se révèle finalement être un bel hymne au Docteur, lui donnant l'occasion de laisser sa personnalité s'exprimer sans retenu. Ces quarante minutes sont un condensé de scènes jubilatoires, de prétextes à des réparties et échanges décalés savoureux. Ce n'est pas un épisode dont l'apport marquera la saison 5, mais c'est une paranthèse très plaisante et un choix qui peut se justifier alors que la série amorce le virage pour rentrer dans sa dernière ligne droite.


NOTE : 8/10


L'arc final débute la semaine prochaine, The Pandorica Opens :

12/06/2010

(Pilote UK) Dappers : Bristol single mums

dappers6.jpg

Après Pulse la semaine dernière, ce jeudi soir, BBC3 poursuivait ses propositions de nouvelles séries avec la diffusion de deux pilotes, projet potentiel si les retours plaisent à la chaîne. Construits sur un format de 30 minutes par épisode, Dappers et Stanley Park illustrent bien les efforts de diversité et la bonne volonté (même si le résultat n'est pas toujours à la hauteur) de BBC3. Visant tous des publics assez ciblés, mais différents, ces deux derniers pilotes exploitent cependant des concepts plus modestes et moins originaux dans le paysage téléphagique, que l'horreur fantastique de Pulse. Prêtant parfois à sourire, ils se situent sur un registre léger, plutôt orienté comédie.

Ecrite par Catherine Johnson (scénariste du film Mamma Mia!), Dappers n'est pas déplaisante, mais reste cependant très (trop?) mesurée dans toutes les idées qu'elle transpose à l'écran.

dappers1.jpg

Habitant dans un logement social de Bristol, Ashley et Faye sont deux jeunes mères célibataires, sans emploi stable, qui tentent difficilement de joindre les deux bouts en cumulant aides familiales et petits boulots divers. Leur vie tourne autour de leurs enfants, étant prêtes à tout pour ces derniers. Amies très proches, complices unies dans et contre les soucis que chaque journée engendre, elles revendiquent avec une certaine fierté leur qualité de mère. Vivant dans le même immeuble, elles passent leur journée ensemble, partageant activités et états d'âme.

Dappers raconte donc leur quotidien pas toujours simple. Elles doivent tout d'abord gérer leurs rapports avec les pères respectifs de leurs enfants, des jeunes hommes souvent absents et loin d'être très fiables. Pourtant, naviguant de façon tout aussi versatile entre frustration et espoir, elles caressent toujours le doux rêve de parvenir à cet idéal de famille "complète", souhaitant, pour l'une, que son petit ami se responsabilise un jour, pour l'autre, qu'il revienne simplement à ses côtés et cesse de batifoler partout.

Outre une vie personnelle chaotique où leurs enfants demeurent le seul élément solide et stable de leurs journées, Ashley et Faye connaissent un quotidien rythmé par les péripéties qu'elles se créent. Elles s'inventent des combines pour améliorer leur vie matérielle, entre petits boulots souvent sans lendemain et anecdotiques vols à l'étalage sans conséquence. L'idée de l'épisode consiste ainsi à organiser une garderie des chiens des habitants du voisinage pour la journée. Cela se passe plutôt bien jusqu'à ce que la perte de l'un d'entre eux ne fasse éclater au grand jour à quel point elles ne maîtrisent absolument pas ce sujet animalier. En parallèle, leurs relations avec leurs voisins, caricature de "gens bien sous tous rapports", s'enveniment chaque jour davantage.

dappers2.jpg

Dappers s'inscrit dans une tonalité légère, entièrement construite sur la dynamique existant entre les deux mères au centre de l'histoire. Leur complicité se suivant avec plaisir, tout comme leurs réparties toujours très spontanées, cela confère à l'ensemble une ambiance plutôt agréable. La série s'investit donc beaucoup dans l'atmosphère, ambitionnant à nous immerger dans les préoccupations du milieu populaire qu'elle décrit. Les parallèles avec d'autres fictions viennent naturellement à l'esprit, malheureusement peut-être au détriment de Dappers. Nous sommes sur BBC3, donc en quête d'une certaine fraîcheur et bien loin des provocations et du trash maîtrisé d'une série comme Shameless, qui demeure une référence pour le portrait de ces classes populaires. C'est bien entendu logique, car Dappers n'a pas les mêmes ambitions et ne vise sans doute pas exactement le même public. Reste une frustration face à toutes les possibilités que ce concept permettait : ce pilote ne parvient pas à se départir de ce côté un peu "gentillet", qui se suit sans déplaisir, mais sans conséquence. Ne marquant pas le téléspectateur, la série peine à lui faire prendre rendez-vous pour l'avenir.

Côté casting, on retrouve des actrices familières du petit écran : Lenora Crichlow (Being Human, Material Girl), en habituée de ce type de projet, et Ty Glaser (qu'on a pu voir récemment dans Above Suspicion). Elles parviennent à bien mettre en valeur la complicité qui unit leurs deux personnages, recréant devant la caméra une amitié sobre et solide qui crédibilise très bien les relations humaines décrites.

dappers4.jpg

Bilan : Le pilote de Dappers n'est pas désagréable à suivre. Le quotidien mouvementé, agrémenté de péripéties burlesques, de ces deux jeunes mères pragmatiques, vaut en grande partie pour la complicité dont elles font preuve à l'écran. L'ensemble est plutôt vivant et cela prête quelque fois à sourire, sans plus. Au final, le pilote parvient à se créer une ambiance assez intéressante. Comme nous sommes sur BBC3, Dappers reste logiquement sur un registre assez soft et léger. Trop peut-être. Car sans réel piquant, sans impertinence véritable, tout cela se regarde un peu sans conséquence. Si bien que la pérennité du concept ne semble pas complètement assurée : ce cadre pourra-t-il vraiment fournir matière et intéresser les téléspectateurs durant une saison complète ? Même si, six épisodes, ce n'est non plus excessivement difficile à combler.


NOTE : 4,5/10


La scène d'ouverture de l'épisode :

10/06/2010

(UK) Doctor Who, series 5, episode 10 : Vincent and the Doctor


dw510b.jpg

Avec Vincent and the Doctor, la saison 5 de Doctor Who propose ici un de ses épisodes les plus maîtrisés et aboutis de l'année. A la découverte d'une figure historique et culturelle, on y retrouve cette ambiance troublante d'ambivalence, entre happy end et fatalité, constante très intéressante de la saison. Épisode tour à tour prenant, touchant, émouvant et drôle, le téléspectateur passe un excellent moment devant son petit écran.

Et puis, mine de rien, on peut commencer à esquisser quelques réflexions sur cette saison. Nous en sommes déjà (!) au dixième épisode, la fin approche à grands pas. Pourtant ai-je l'impression de ne pas voir la saison passer ? Je dois avouer que je savoure de façon hebdomadaire sans le moins du monde me projeter vers le season finale. Ça, c'est généralement plutôt bon signe dans une série !

dw510c.jpg

L'épisode s'ouvre sur une balade anecdotique de notre duo au Musée du Quai d'Orsay à Paris. Amy ignore qu'elle vient de perdre un être cher, et le Docteur, ne pouvant détacher ses pensées de cette tragédie, réalise tous ses rêves, comme pour essayer à sa manière de compenser, d'offrir ce réconfort dont Amy doit avoir, au moins inconsciemment, besoin. C'est ainsi que nos voyageurs visitent l'exposition consacrée à Van Gogh, présentée par un guide touristique fabuleux, Bill Nighy qui s'invite avec classe et superbe pour quelques scènes. Le Docteur s'arrête cependant devant le tableau d'une église. A une des fenêtres est dessinée une étrange silhouette qui interpelle instinctivement le Time Lord, tous ses sens en alerte. Ce n'est pas une ombre anonyme sortie du cerveau tourmenté du peintre, mais bien un danger. Il prend donc la décision d'enquêter sur cette créature...

Un renseignement chronologique plus tard, Amy et le Docteur débarquent donc en juin 1890, à la rencontre de Van Gogh, moins d'un an avant que le célèbre peintre ne mette fin à ses jours. Menant une vie de marginal, ses peintures invendues traînant chez lui, production pour laquelle son talent n'est pas reconnu, il accumule les dettes au café du bourg, incapable de les payer, personne n'acceptant ses "croûtes" comme monnaie d'échange. Paria naturellement méfiant, instable et versatile, Van Gogh offre une première rencontre à la hauteur des attentes du téléspectateur. C'est une constante de la série, les premiers échanges entre le Docteur et des personnages historiques, toujours dotés d'une forte personnalité, provoquent invariablement des étincelles et donnent lieu à des répliques cinglantes souvent jubilatoires. Celle-ci ne déroge pas à la règle, fausse bataille d'égo entre deux figures qui ne se laissent pas facilement démonter. Il faut le charme et la spontanéité d'Amy, source de bien des apaisements, pour prendre la voie médiane de la transaction.

dw510d.jpg

Quelques minutes seulement passées dans cette bourgade confirment au Docteur tous les soupçons qu'il pouvait avoir sur l'existence d'une créature dangereuse qui y sévirait. Plusieurs villageois sont morts. Or, nos deux voyageurs, raccompagnant finalement le peintre chez lui après avoir été chassés à ses côtés du lieu où le cadavre de la dernière victime a été retrouvé, découvrent pourquoi le tableau représentait la menace. Tout aussi haut en couleur et instable mentalement, ce n'est pourtant pas la folie qui lui fait voir charger cette créature invisible qui existe bel et bien, laissant sur son chemin un sillage de mort. Sa vision unique du décor qui l'entoure - ce que retranscrit en partie ces tableaux - lui permet de percevoir ce qu'un oeil normal, d'humain comme de Time Lord, ne peut capter.

Cette créature est évidemment extraterrestre. La façon dont elle est traitée suit un schéma classique pour la série. Il y a tout d'abord l'identification du danger, au moyen d'un improbable outil de reconnaissance qui traînait dans le vide-grenier du Tardis depuis des années. La première confrontation est évidemment compliquée, et le sauvetage in extremis. Tout cela se déroule dans une relative insouciance, l'humour se mêlant naturellement à l'ensemble, témoignant du fait que l'importance de l'épisode réside bien plus dans la rencontre avec Van Gogh et toute la symbolique à laquelle elle renvoie, plutôt que dans cet énième affrontement avec un dangereux alien. Enfin, vient l' affrontement final dans cette église où le monstre apparaissait sur le tableau exposé au XXIe siècle. C'est Van Gogh qui sauve nos deux voyageurs d'une situation compliquée, réussissant finalement à tuer la créature en se servant du fait qu'il est le seul à la voir.

Pourtant, cette conclusion est une fausse happy end, à l'image de bien des épisodes dans cette saison 5. Le Docteur révèle ensuite que cette créature avait été abandonnée par les siens, car elle était aveugle. Elle tuait au hasard, en chargeant, probablement parce que cette situation lui était insupportable. Van Gogh semble à ce moment-là ressentir presque une forme d'empathie, ou du moins de compréhension du comportement si dangereux qu'elle a eu. Cette fin garde donc un goût doux-amer qui reflète la tonalité d'ensemble de l'épisode.

dw510h.jpg

Car cet épisode, chargé d'une mélancolie sous-jacente, nous propose finalement une forme de deuil. Ce recueillement, dont la faille spatio-temporelle nous aura privé en effaçant Rory de la mémoire d'Amy, va se vivre à travers le destin déjà scellé du génie qu'était Van Gogh. Car Amy, sans y prendre garde, avec une insouciance presque condamnable, s'attache à cet homme. Elle espère en secret pouvoir changer quelque chose, empêcher ou du moins reculer la tragédie déjà programmée. Elle n'a pas de souvenirs de Rory, pourtant, tout au fond d'elle, quelque chose est brisé. Van Gogh le perçoit, lui. Elle se contente, elle, de réagir à un ressenti qu'elle ne peut exprimer, essayant, espérant apporter ce petit quelque chose qui rallongerait la vie du peintre.

C'est au fond l'objectif secret du voyage dans le futur que le Docteur offre à la fin à Van Gogh. Nos deux amis lui permettent de découvrir sa renommée posthume et ce qu'il laissera aux générations futures. En accédant à la postérité après sa mort, il gagnera une forme d'immortalité. Non, il ne sera pas oublié. Oui, son talent sera un jour reconnu, célébré même. Mais cette incursion dans le futur, si elle l'émeut profondément, ne changera pas l'histoire. D'ailleurs le Docteur aurait-il cédé à l'impulsion d'Amy s'il avait pensé un instant que cela pourrait remettre en cause un élément sans doute à jamais fixé dans la ligne temporelle, le suicide de Van Gogh ? Il y a une fatalité, une immutabilité, dans cette fin tragique.

Ses espérances déçues, Amy semble affectée, mais le Docteur lui délivre un discours  comme toujours chargé d'une vitalité qui reboosterait quiconque. Ils lui ont offert de belles choses, lui permettant d'entrevoir quelque chose au-delà même de sa mort, n'est-ce pas déjà précieux ?

dw510i.jpg

Dans cette ambiance qui oscille entre une légèreté de façade et une thématique plus pesante en arrière-plan, ce qui frappe peut-être le plus durant l'épisode, c'est l'omniprésence, latente la plupart du temps, de la mort. La symbolique des tournesols, sur lesquels Amy insiste lourdement, est à ce titre particulièrement révélatrice et forte. Ce n'est pas un épisode "classique" suivant le décès d'un personnage, mais nous sommes projetés dans une zone trouble, une espèce de "faux deuil", perceptible sans être exposé au grand jour. L'inconscient d'Amy pleure son fiancé oublié. Le Docteur est plus prévenant que jamais, la conduisant là où elle le souhaite, essayant de la satisfaire. Mais, lui-aussi, souffre en secret d'une situation dont il se sent responsable. Son lapsus, lorsqu'il lâche tout haut le prénom de Rory, montre bien à quel point ce dernier occupe encore ses pensées.

La force de l'épisode est finalement de parvenir à conserver omniprésent un souvenir qui n'est plus et ne peut plus être énoncé à voix haute. Derrière les apparences, s'opére un travail de deuil  silencieux. Ce caractère implicite se révèle peut-être encore plus touchant encore qu'un traitement classique, sans doute parce qu'il joue sur la fibre émotive du téléspectateur, qui se retrouve à ressentir les regrets non formulés par les personnages, à commencer par Amy.

dw510j.jpg

Car cet épisode est effectivement chargé de regrets, une continuation inavoué du drame qui s'est vécu et sur lequel on ne peut faire le travail de deuil attendu. L'intrigue fil rouge des failles spatio-temporelles est d'ailleurs mise entre parenthèses. Aucune mention n'y est faite, aucun indice n'apparaît. Au fond, cela paraît logique. Il n'y a plus besoin de justifier de son importance, cette craquelure fatale est dans tous les esprits, du téléspectateur comme du Docteur. Tout le monde a saisi ce qui est à l'oeuvre, inutile d'y revenir pour le moment. Elle s'efface donc presque pudiquement afin de permettre à chacun d'apprécier cette aventure, mais aussi, en son for interne, de dire au revoir à Rory.

dw510k.jpg
dw510m.jpg

Billan : Vincent and the Doctor est un épisode subtile, riche en ambivalences et en émotions. L'aventure est classique mais rythmée, elle se suit de façon plaisante. Cependant l'enjeu véritable est ailleurs. Alternant les touches fantaisistes pleines de légèreté et les moments plus touchant, l'épisode nous amène à la découverte d'un peintre à la destinée tragique, artiste mal aimé en son temps auquel nos deux voyageurs tenteront d'apporter une brève paix intérieure. Mais dans le même temps, s'opère un travail de deuil implicite à la fois troublant et touchant. Il s'agit incontestablement d'une réussite, petite mine d'or dans laquelle on retrouve tout ce qui fait la série. Cela se savoure sans modération.


NOTE : 9,5/10


La bande-annonce du prochain épisode :