Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/09/2010

(Téléphagie) Les séries et la musique : le savoir-faire sud-coréen (part. 2)


ostkdrama1.jpg


Choisir des pistes musicales plaisantes, c'est une chose. Parvenir à les utiliser à propos, c'en est une autre. Or, à mes yeux, s'il est un pays qui manie à merveille cet art d'allier séries et musique, c'est la Corée du Sud. En fait, il existe généralement une forme d'osmose entre ces deux aspects qui engendre une réciprocité généralement bien maîtrisée, leur permettant de se mettre mutuellement en valeur. Le téléspectateur finit par associer et mêler les échos positifs de part et d'autre. C'est bien simple, depuis le début de l'année 2010, j'ai dû avoir autant de coups de coeur pour des OST de k-dramas qu'en une décennie entière de téléphagie occidentale. (J'avoue qu'il m'est même arrivée d'aimer la musique, sans apprécier le drama ; le dernier exemple que j'ai en tête est Road Number One.)

ostkdrama3.jpg

Un filon d'exploitation florissant

Ne cachons pas la dimension marketing liée à cette production : l'industrie sud-coréenne de l'entertainement maîtrise parfaitement toutes les ficelles. Pour bien comprendre les enjeux, il suffit de jeter un oeil sur les divers classements des singles les plus vendus/téléchargés sur les plate-formes légales chaque semaine. Par exemple, prenons la dernière synthèse des 5 grands sites de musiques du pays (Melon, Bugs, Mnet, Soribada, Dosirak)
qu'assure KPopNet4 de façon hebdomadaire, proposée pour la dernière semaine du mois d'août au pays du Matin Calme.

Dans le top 30 des singles, on retrouve rien moins que 7 singles issus d'OST de dramas. Le savoir-faire marketing est encore plus flagrant lorsque l'on analyse de près ces sorties, puisque ces 7 morceaux couvrent en réalité "seulement" 3 séries différentes. Tout d'abord, il y a les singles tirés du grand succès d'audience actuel en Corée du Sud, Baker King, encore représenté dans ce top 30 par 2 singles (alors même qu'ils sont présents depuis quelques temps déjà, une longévité à souligner). A ses côtés, le drama actuellement à son apogée musicale est incontestablement My Girlfriend is a Gumiho, lancé le 11 août dernier sur SBS, dont on retrouve rien mois que les 4 singles différents de l'OST dans le top 30. Les dates de sorties de ces derniers sont d'ailleurs significatives : les chansons ont été disponibles, respectivement, les 4 août, 11 août, 20 août et 25 août pour la dernière... Parlez-moi d'une campagne parfaitement orchestrée ! Mieux encore, le morceau d'OST le plus haut dans le classement (n°4) est rien moins qu'une entrée, pour le moins fracassante, relevant d'un drama dont la diffusion est prévue... pour le mois de novembre prochain. Il s'agit en effet du premier extrait de l'OST d'Athena : Goddess of War (le spin-off d'IRIS) dont SBS a lancé la campagne de promotion fin d'août.

Ces exemples illustrent parfaitement la réciprocité installée entre ces deux volets de l'entertainement sud-coréen et cette forme de complémentarité, mais aussi de dépendance qui existe, chacun pouvant être instrumentalisé pour promouvoir l'autre. Dans le cadre de My Girlfriend is a Gumiho, la série sert de tremplin de promotion pour les chansons (l'acteur principal est d'ailleurs l'interprète de la chanson du premier single - ainsi, la boucle est bouclée) ; dans le cadre d'Athena, c'est la chanson qui sert de mise en bouche.

ostkdrama2.jpg

La composition des OST : une recette bien huilée

Si les soundtracks des dramas font recette et que tout le monde y trouve finalement son compte dans la distribution qui s'opére, c'est aussi parce qu'elles n'ont généralement pas leur pareil pour séduire le public.

 A quoi ressemble l'OST "type" d'un drama ?

Une OST se compose généralement d'une partie de chansons et d'une partie de simples instrumentaux. Il est fréquent d'ailleurs de rencontrer dans l'OST plusieurs versions, instrumentale et chantée, du même morceau. Parmi les chansons, on trouve quelques reprises (l'import de "classiques" étrangers n'est pas rare, avec une certaine tendance anglo-saxonne), mais aussi des inédits conçus spécialement pour la série. La plupart des musiques d'une OST auront chacune un interprète différent, ce qui va donc multiplier les influences et les interventions sur une même soundtrack. On y croise généralement au moins un acteur (ou une actrice) de la série. Les carrières acteur/chanteur ne sont pas cloisonnées en Corée du Sud ; et même si ladite personne n'a jamais envisagé son futur dans la chanson, elle saura généralement pousser la chansonnette sans trop de difficulté. Par ailleurs, participent également des chanteurs et/ou groupes extérieurs, sans aucun lien avec le drama ; ils peuvent être déjà connus, prêtant ainsi une part de leur notoriété à la série, ou bien, moins présent sur la scène médiatique, ils vont se servir de la série comme tremplin personnel. Il y a une forme de donnant-donnant constat entre les deux sphères de l'industrie du divertissement.

 Quant aux chansons, la diversité de leurs styles ne doit pas cacher qu'à quelques variantes près, leur contenu reste fidèle à un grand classique : la thématique de l'amour impossible/la rupture/l'adieu demeure la grande source d'inspiration première de la plupart d'entre elles. Pour peu qu'on se penche un peu sur  les paroles, ces dernières sont généralement assez édifiantes. L'amour est au fond un thème qui transcende tous les genres et les styles de dramas. Cependant, il faut bien insister sur le fait que tous les genres musicaux sont représentés et explorés, de façon à s'adapter au mieux à la tonalité de la série. On y trouve ainsi beaucoup de balades mélancoliques appréciées dans le cadre des sempiternels mélodramas, mais aussi des morceaux très dynamiques, plus orientés variétés, destinés à mettre en valeur l'atmosphère légère des comédies. Il y aura également des chansons aux accents franchement épiques pour accompagner les séries historiques.

En règle générale, le morceau musical s'appréciera pleinement si l'on a vu le drama ; et ce, même si certaines chansons peuvent s'imposer de manière indépendante. Reste que l'association d'une mélodie au souvenir d'un moment téléphagique agréable demeure le plus sûr moyen de diffusion de ces OST, mais aussi une façon d'assurer leur pérennité. L'assimilation du morceau par le téléspectateur est de plus facilitée par sa récurrence au cours des épisodes : la simple répétition de l'écoute familiarisera toute oreille récalcitrante qui n'aura pas eu un coup de foudre instantané.

ostkdrama4.jpg


Aperçu de soundtracks : éclectisme et multiplicité

Examinons maintenant quels morceaux ont pu marquer mon parcours téléphagique au pays du Matin Calme.

L'instrument de prédilection des OST de kdramas est le piano. Rien de tel que son utilisation pour proposer des thèmes profondément touchants et mélancoliques, qui vous donneraient presque instantanément envie de fondre en larmes lorsque les premières notes retentissent. L'OST de Bicheonmu est à mes yeux une des plus abouties sur ce point (pas seulement parce que cette série est celle qui m'a sans doute tiré le plus de larmes). Comment ne pas frissonner et rester insensible devant la beauté mélancolique de cette superbe composition ? 

(Nocturne, par Park Ji Yoon)
OST du drama Bicheonmu

Autre exemple de piano doux déchirant : A song of sorrow, par Kim Bum Soo, issue du drama Damo. Cette approche chargée d'une extrême douceur n'est pas le seul registre musical permettant d'éclairer et de faire vibrer la fibre tragique d'un drama. Les sud-coréens maîtrisent toutes les nuances de ce genre, pouvant également proposer des chansons qui déboucheront sur un résultat tout aussi poignant, mais où le fond musical sera plus riche en instruments de musique diversifiés et où le rythme sera un peu plus tranchant. Toujours dans Damo, nous y trouvons le parfait exemple illustrant ces subtiles variations dans l'émotionnel :

(A song of devotion, par Page)
OST du drama Damo


Si le piano demeure un instrument apprécié, il faut préciser que son utilisation ne renvoie pas automatiquement à des morceaux mélancoliques ou tristes. En effet, couramment employé pour souligner et servir toutes sortes de tonalités, il peut également, par exemple, constituer le support de chansons entraînantes à souhait, en offrant en guise de refrain mélodieux, une petite ritournelle agréable à l'oreille :

(Blood tears, par Lisa)
OST du drama Gumiho : The Tale of the Fox's Child

 
Au-delà de ces questions instrumentales, plus généralement, il est facile d'affirmer que la Corée du Sud est le pays des ballades. On y croise toutes les variantes du genre, déclinées avec toutes les nuances possibles et imaginables. Il est rare qu'une OST de kdrama n'en contienne pas au moins une. Il est fréquent d'en croiser plusieurs. Pour les interpréter, les possibilités ne manquent pas. On n'hésite pas à mettre à contribution les acteurs de la série, mais on est aussi prêt à se tourner vers d'autres chanteurs, plus ou moins confirmés, ou à faire appel aux multiples groupes et autres boys bands qui sévissent dans l'entertainment coréen.
Exemple du degré d'imbrication entre l'industrie de la musique et celle de la télévision, dernièrement, Baker King a ainsi pu confier la conception d'une de ses chansons phares à Lee Sung Chul, un des chanteurs coréens les plus productifs en terme de ballades.

Dans ce style musical, l'approche la plus épurée - et peut-être une des plus agréable - demeure une valeur sûre : la ballade intimiste, où la sobriété est maître mot et où le fond musical se contente d'accompagner tout en douceur, une voix simple qui ne force pas. I am Legend a proposé, dans ce registre, une belle version mélancolique le mois dernier, avec une chanson interprétée par Kim Jung Eun. Mais une des premières à m'avoir marqué dans ce style est issue du drama On Air. On pourra remarquer que, sans doute à dessein, dans chacun de ces exemples, le morceau est interprété par l'actrice principale de la série : un choix pas si innocent et plutôt judicieux.


(Shadow, par Song Yoon Ah)

OST du drama On Air


Si l'identité musicale du drama se forge naturellement dans le cadre d'une ballade personnelle comme citée ci-dessus, c'est un peu moins vrai pour les ballades plus classiques. Elles ne
s'apprécieront sans doute vraiment que si l'on a visionné la série - car certaines donnent parfois le sentiment d'être un peu interchangeables -, associant ainsi des souvenirs à cette mélodie. Cependant, on croise aussi dans ce genre quelques petites perles assez marquantes qui vont sortir du lot. Parmi mes préférés, figure une belle ballade langoureuse à souhait, qui vint rythmer un drama un peu plus ancien, All in :

(Just like the first day, par Park Yong Ha)
OST du drama All in


Comme je l'ai dit, les kdramas ne se contentent pas d'exploiter les doubles compétences de leurs acteurs, ils recourent également à des artistes populaires, déjà installés. S'opèrera alors la jonction entre deux sphères a priori réellement indépendantes, l'industrie musicale et l'industrie télévisée. Cette collaboration permet de mêler le style musical de l'artiste sollicité avec la tonalité particulière du drama à mettre en valeur. Pour une comédie romantique assez légère et explosive, comme Coffee House, cela donnera un morceau de kpop entraînant et dynamique à souhait, penchant vers la variété :



(Page One, par SG Wannabe & Ock Ju Hyun)
OST du drama Coffee House


Toujours dans ce cadre, certaines des plus belles OST de kdramas sont nées de cette collaboration : le recours à ces chanteurs peut en effet aussi déboucher sur de superbes ballades musicalement abouties et qui sauront vous transporter. Un drama comme The Legend, qui propose dans son ensemble une des plus belles OST qu'il m'ait été donné d'écouter (ecléctique, particulièrement riche et très réussie), exploitera ainsi à merveille cette voie, avec une chanson où pointe une dose de merveilleux, teinté d'épique, qui sied parfaitement à cette série :


(Love song for a thousand years, par TVXQ (DBSQ))

OST du drama The Legend


Par ailleurs, on ne soulignera jamais assez à quel point tous les genres musicaux sont représentés. Certains dramas contiendront des petits morceaux très légers, tel Go Go Chan, dans Coffee Prince. D'autres morceaux investiront des styles un peu moins présents à l'écran, tel du r'n'b, dans City Hall :

(I'll believe in myself, par Jung In ft. Bizzy)
OST du drama City Hall


Les OST s'adaptent donc à la tonalité des séries, mais elles vont également se positionner par rapport aux époques relatées. Il y aura alors deux approches possibles : soit la musique va s'inscrire dans le prolongement de la période mise en scène, permettant ainsi d'accentuer le dépaysement, soit il y aura une rupture volontaire qui sera orchestrée, de façon à distiller une certaine ambivalence dans l'atmosphère de la série.

Pour ce qui est de la première hypothèse, un des meilleures illustrations se trouve dans l'OST de Capital Scandal. En écho au contexte des années 30, pour un drama se déroulant durant l'occupation japonaise, elle nous plonge dans un morceau swinguant à souhait :

(Kyung Sung Scandal, par Eru)
OST du drama Capital Scandal


Dans le registre des sageuk - les kdramas historiques -, on retrouve les deux grandes écoles au sein des productions. Soit il va s'agir d'exalter cette fibre épique contenue dans le drama, à la manière par exemple, de Jumong. Ou bien, certaines OST vont prendre le téléspectateur à contre-pied en optant pour des styles musicaux où pointe un flagrant anachronisme qui peut quelque peu déstabiliser dans un premier temps : parmi cette seconde tendance, on peut citer Damo et ses morceaux de krock endiablés, ou, plus récemment, Chuno (Slave Hunters).

Relevant de la première voie, voici un exemple d'envolée épique :

(Sesang-i nareul ora hane, par Insooni)
OST du drama Jumong

Relevant de la seconde voie, certains k-dramas vous prouveront avec beaucoup d'aplomb qu'une introduction type "chants grégoriens" qui enchaîne sur du rock endiablé en plein XVIIe siècle, et bien si, c'est possible...

(Change, par Gloomy 30's)
OST du drama Chuno (Slave Hunters)

De la même manière, toujours dans ce décalage anachronique, du rock électrique :

(Fate, par Kim Sang Min)
OST du drama Damo


Enfin, les dramas eux-mêmes parachèvent parfois la confusion des deux sphères musique et série, en intégrant l'univers musical directement dans les storyline. La série mettra alors en scène un chanteur ou bien un groupe fictif. Gloria, You're Beautiful, ou encore dernièrement I am Legend, rentrent tous dans cette catégorie. Et, une fois encore, cela ouvre un horizon particulièrement éclectique : il y en a pour tous les publics, et pour tous les goûts.

I am Legend propose des morceaux plutôt dynamiques, de la pop tendant vers  le rock, à l'image d'un de mes récents coups de coeur :

(Millions roses, par Come back Madonna)
OST du drama I am Legend


En mode Idols (boys bans), A.N.Jell aura été un groupe "fictif" particulièrement marquant et rentable, surfant sur le buzz et le "phènomène" You're Beautiful en fin d'année 2009 :

(I will promise you, par A.N.Jell)
OST du drama You're Beautiful

 

Pour conclure, en guise de dernière illustration de cette extraordinaire diversité des OST de k-drama, voici mon dernier gros coup de coeur du moment, issu de la soundtrack de My Girlfriend is a Gumiho, un morceau étrangement féérique d'où s'échappe comme une pointe de magie :

(Fox Rain (Sun Shower), par Lee Sun Hee)
OST du drama My Girlfriend is a Gumiho



En conclusion, j'ai envie d'insister sur le fait que la Corée du Sud n'est pas seulement un des pays qui propose les OST originales les plus abouties, avec des morceaux qui constituent et apportent une réelle valeur ajoutée à ses séries, soutenant ainsi leur contenu. Elle est aussi un des plus pragmatiques, faisant partie de ceux qui ont le mieux perçu tous les avantages à imbriquer ces deux volets, poussant la réciprocité entre musiques et séries à son maximum. Là où les Etats-Unis balbutient un Glee plus ou moins digeste, la Corée du Sud fait preuve d'une maîtrise globalement bien supérieure dans ce domaine.

Toutes les OST ne sont pas aussi marquantes que celles que j'ai pu évoquer ici, mais, dans l'ensemble, j'espère que cet article aura pu vous présenter un aperçu synthétique de la richesse de l'univers musical des kdramas, expliquant pourquoi il est à mes yeux le plus soigné parmi les nationalités dont le petit écran m'est familier.


Et vous, comment percevez-vous et ressentez-vous cet univers téléphagique musical du pays du Matin Calme ? Vous avez déjà poussé l'écoute des OST hors visionnage de la série ? Quelles sont les k-dramas qui ont pu vous marquer dans cette perspective ?

 

En complément, je vous conseille d'aller lire l'article d'Eclair sur Les OST de séries et de films coréens, ce dernier dispose en effet sans doute d'une vision d'ensemble plus complète, en raison d'un meilleur recul et d'une plus grande expérience sur tout ce qui touche à la Corée.

07/02/2010

(K-Drama) Jumong (The Book of Three Han) : fresque épique sur la fondation d'une nouvelle nation



jumongdrama.jpg

Je ne vous cache pas m'être sentie plutôt contente en visionnant le dernier épisode de Jumong. Non que la lassitude me gagnait, la série sachant se renouveler constamment pour poser de nouveaux enjeux, mais il s'agit, de loin, du plus long drama asiatique que j'ai regardé jusqu'à présent : 81 épisodes. C'est que, mine de rien, cela demande un certain investissement (pas seulement en temps) ! Si bien qu'une fois l'histoire terminée, le sentiment de vide, en quittant un univers désormais trop bien connu, se dispute à la satisfaction d'avoir suivi et apprécié jusqu'au bout cette longue, mais fascinante, épopée.

Toujours est-il que je pense quand même attendre quelques mois avant d'attaquer Kingdom of the Winds, histoire de laisser reposer un peu tout cela ; et je vais probablement plutôt me concentrer sur des dramas contemporains dans les prochaines semaines.

Voici donc pour ce dimanche asiatique, une critique complète de Jumong (garantie sans spoilers). *Je dois vous avouer que l'heure tardive à laquelle je poste ce billet s'explique en grande partie en raison du terrible dilemme auquel j'ai dû faire face : condenser tout ce que j'aimerais écrire sur ce drama en une seule note !*

jumong9.jpg

Cette série, également intitulée The Book of Three Han : The Chapter of Jumong, se propose de nous raconter la fondation du royaume de Goguryeo (Koguryŏ), au Ier siècle avant J.-C., par Jumong. Ce royaume fut ensuite un des trois, avec Baekje (Paekche) et Silla, à dominer la péninsule coréenne durant plusieurs siècles, au cours d'une période que l'on désigne aujourd'hui sous le nom des Trois Royaumes de Corée. Avec ce récit, nous revisitons donc un des mythes fondateurs de ce pays.

Au Ier siècle avant J.-C., le territoire, divisé en de nombreux clans et tribus, subit l'influence chinoise de la dynastie des Han, qui a notamment conquit le Josun Antique. Ses habitants, désormais persécutés et appelés les "migrants", ont été réduits en esclavage par leurs conquérants. Cependant, leur espoir fut ranimé par un chef de guerre devenu légendaire, Hameosu, qui leva une armée, l'armée du Damul, pour combattre les Han et remporta plusieurs victoires contre l'Armée de Fer. Allié au prince héritier du royaume de Puyo, Kumhwa, Hameosu fut cependant trahi par le père de ce dernier avant de mener la dernière bataille.

Ce héros de la lutte pour les migrants considéré comme mort, Kumhwa recueillit à Puyo l'amante de son ami, Yuwha, afin qu'elle devienne sa concubine. Yuwha était alors déjà enceinte de Hameosu. Fidèle à sa promesse, Kumwha accepta d'élever l'enfant, appelé Jumong  ("grand archer") en hommage à son père, comme son fils. Il reçut une éducation royale aux côtés des deux autres garçons du roi. Mais, l'âge adulte approchant pour les trois jeunes hommes, l'enjeu successoral devient progressivement central. Tandis que les rivalités de personnes s'enveniment, la destinée de chacun va se mettre en marche. Le rêve de Hameosu de fonder une nouvelle nation et de restaurer le Josun Antique, en repoussant les Han, pourra-t-il voir le jour ?

jumong2.jpg

Jumong est un drama historique au sens traditionnel du terme. Si la série n'a aucune peine à maintenir une tension constante qui retient l'attention du téléspectateur, elle le fait en utilisant les codes très classiques de ce genre. La narration passe ainsi par une mise en scène théâtrale, ce qui donne donc des scènes relativement figées. Pour autant, paradoxalement, l'intensité émotionnelle des tragédies et de l'Histoire en mouvement n'est en rien amoindrie par ce traitement platonique des intrigues. L'empathie pour les personnages est bien réelle ; et le téléspectateur n'a aucun mal à ressentir, lui aussi, les foudres de la politique et de la passion qui s'abattent et s'affrontent.

Dans les différents types du genre historique, Jumong pourrait sans doute être classé comme une série d'intrigues de Cour. Certes, les batailles sont bien présentes et plusieurs arcs fondamentaux ont lieu en extérieur. Mais dans l'ensemble, ce sont dans les recoins des divers palais royaux, de Puyo à Hyunto, en passant par Keru, que se joue le sort des personnages. Sans se priver de phases d'action, le drama trouve rapidement un dosage convaincant, parvenant à trouver un équilibre entre complots de couloirs et parenthèses de combats décisives.

Il se dégage de l'ensemble un véritable souffle épique dans lequel le téléspectateur n'a aucun mal à se laisser emporter, pleinement conscient de l'importance des enjeux. Avouons-le, je craignais a priori un peu la longueur de cette série. Mais Jumong s'est révélé en fait prenant de bout en bout, quasiment sans temps mort. Ce drama s'apparente en réalité à une vaste épopée, que l'on pourrait comparer à un épais roman découpé en chapitres... C'est ce qui donne une impression de densité au récit, de laquelle il est difficile de se détacher une fois happé par l'histoire. La construction des intrigues accentue d'ailleurs ce sentiment : se déroulant toujours sur plusieurs niveaux, jouant sur les intéractions de diverses sphères de personnages, elles ne sont pas confinées sur un seul épisode. Par ce biais, la série se rapproche d'une chronique, divisée en un certain nombre de grands arcs scénaristiques (les chapitres).

jumong1.jpg

De plus, une autre qualité indéniable du fond, qui contribue également à maintenir l'attention du téléspectateur, c'est l'évolution constante des histoires. Allant toujours vers l'avant, les enjeux, comme les priorités, changent constamment, aucune situation ne restant jamais acquise. Si la lutte de pouvoirs demeure centrale, de nouvelles préoccupations viennent régulièrement bouleverser les alliances préconstituées, parvenant à renouveler les problématiques posées. Si bien que jamais la série ne donne l'impression de tourner en rond. Il faut le souligner, car c'est très impressionnant, pour le téléspectateur, d'observer la façon dont ce vaste récit se façonne et prend peu à peu toute sa dimension, découvrant des rouages et des ressorts scénaristiques insoupçonnés. Grâce à cette belle maîtrise, ces jeux de pouvoirs s'avèrent ne pas être du tout répétitifs, même s'ils s'étendent sur plus de 80 épisodes.

En fait, la série ne se déroule pas d'une seule traite. Au contraire, elle enchaîne de vastes arcs, regroupant plusieurs storylines, entre lesquelles se glissent de brefs épisodes de transition, qui servent de base pour permettre le lancement de l'arc suivant. Schématiquement, on peut diviser le drama en deux grandes parties. La première a une connotation plutôt initiatique, suivant un développement assez classique. Initialement jeune prince hédoniste et privilégié, profitant de la vie sans se soucier des conséquences de ses actes, Jumong va devoir faire face à ses premières douloureuses expériences de la vie, devenant peu à peu un guerrier accompli. A la frivolité des débuts succède la prise de conscience du poids de la destinée qui pèse sur lui, alors qu'il découvre l'héritage laissé par son vrai père. Cette première partie se déroule principalement à Puyo, sur fond de concurrence exacerbée entre les différents princes pour s'imposer comme l'héritier désigné du roi Kumhwa. Les intrigues de Cour ont ici une importance prépondérante.

La seconde partie marque l'émancipation véritable de Jumong. Il se décide finalement à embrasser la voie tracée par son père. S'assignant un rôle de protecteur des migrants du Josun Antique, il quitte Puyo pour fonder une nouvelle nation, coupant ainsi ses liens avec le royaume où il a grandi. D'une concurrence interne de succession, le coeur du drama se déplace alors vers un conflit entre tribus et nations. Recréant l'armée du Damul, Jumong se pose en adversaire des Han affaiblis dans la péninsule et va peu à peu conquérir un territoire qui deviendra à terme Goguryeo, un nouveau royaume devenu adversaire de Puyo. N'ayant plus rien de l'innocence inconsciente des premiers épisodes, Jumong est désormais un meneur d'hommes et un chef de guerre accompli.

La force du récit est de nous permettre d'apprécier l'évolution de toute une galerie de personnages très divers. A mesure que chacun doit faire face à de nouvelles épreuves que la vie place devant lui, la tonalité de l'histoire prend un tour plus mature, l'importance des enjeux étant démultipliée.

jumong5.jpg

Cette évolution de l'atmosphère du drama, de l'insouciance de la jeunesse jusqu'aux difficiles décisions nécessaires, prises grâce à l'expérience acquise, est une des raisons pour laquelle suivre Jumong dans la continuité se révèle particulièrement passionnant. Le téléspectateur est finalement le témoin privilégié de cette progressive maturation des différents personnages. Nous voyons la façon dont leurs propres choix les construisent peu à peu, les menant sur un chemin qui va leur permettre d'accomplir de grandes choses. Je dois dire que c'est un sentiment très agréable de voir ainsi parfaitement récompensé son investissement devant cette longue fresque historique, en observant la réalisation de ces différentes destinées.

Outre l'ampleur du récit, ce qui retiendra l'attention, cela va être aussi l'attachement du téléspectateur à l'égard des différents personnages. Jumong offre en effet une galerie très hétéroclyte de personnalités diverses, pour lesquelles il est facile de ressentir une empathie spontanée. Le format long devient ici une opportunité : il permet de mettre chacun en valeur, ne se cantonnant pas à la poignée de personnages principaux. Si bien que tous les personnages récurrents - les morts étant finalement - paradoxalement - assez rares dans les deux premiers tiers de la série - ont des occasions de s'illustrer, tant en bien qu'en mal, suivant le camp dans lequel ils se trouvent. Tous deviennent rapidement des piliers presque immuables, dont les allégeances peuvent fluctuer, mais qui demeurent des points de repères solides pour le téléspectateur.

Plus anecdotique, mais tout aussi appréciable, la longueur de la série est aussi une occasion de retenir la plupart des noms propres utilisés, des personnes comme des clans en cause ; l'histoire est alors plus facilement accessible que dans des dramas plus condensés, où le téléspectateur peut se perdre.

jumong11.jpg

Jumong exploite donc pleinement les 81 épisodes qui lui sont alloués. Cette durée permet au récit d'alterner les ambiances. L'écriture mûrit avec ses personnages. La densité de ses storylines lui offre la possibilité d'alterner les genres et de proposer une palette très riche au téléspectateur. Ce drama apparaît, par bien des aspects, assimilable à un récit initiatique. Mais s'y mêlent aussi la passion et l'irrationnalité d'histoires d'amours impossibles, malmenées par les évènements. Les luttes de pouvoir bouleversent régulièrement toutes les certitudes, ne faisant jamais oublier qu'elles sont à l'origine de tout et que c'est d'elles dont dépendent tous les personnages. Ces luttes politiques prennent parfois (voire même souvent) un tour militaires, la série traversera ainsi plusieurs guerres. Mais, plus que tout, Jumong contient toute la symbolique de la fondation d'une nation nouvelle. Tout le drama tend vers cette finalité, les personnages surnageant dans le tourbillon de l'Histoire et du destin.

Il est donc difficile de classer Jumong de façon arrêtée : la série mélange les genres, faisant se succéder des storylines aux tonalités très différentes. C'est incontestablement un des aspects les plus enrichissants pour le téléspectateur qui, finalement, trouvera logiquement toujours des éléments scénaristiques qui lui conviendront. Seule une fresque aussi imposante peut offrir cette extrême diversité. De plus, ce constat renforce le sentiment que la série forme véritablement un tout complet, qui a su exploiter pleinement l'ensemble de son potentiel.

jumong4.jpg

A partir du caractère assez théâtral du contenu de la série, il est logique que la forme s'y adapte : la réalisation est logiquement assez figée, surtout pour les scènes se déroulant en intérieur. On identifie ainsi plusieurs lieux clés qui vont s'imposer comme les pièces incontournables où les discussions les plus déterminantes auront lieu (qu'il s'agisse de la salle du trône ou des diverses chambres des principaux protagonistes). En extérieur (une bonne partie du drama s'y déroule quand même), les batailles sont correctement chorégraphiées, de façon assez sobre, sans effets de style inutiles. L'image est moins chatoyante et contrastée que dans des dramas historiques plus récents (la série date pourtant seulement de 2006-2007), mais un soin certain a été apporté tant aux décors qu'aux costumes ; ce qui assoit de façon convaincante l'univers ainsi recréé. En somme, en dépit d'un classicisme un peu pesant par moment et qui peut paraître daté par certains aspects, la réalisation est très correcte et sert bien l'histoire.

Mais le véritable point fort de Jumong réside dans sa bande-son. Comme dans beaucoup de dramas coréens, celle-ci se révèle superbe, avec plusieurs chansons ou musiques particulièrement marquantes qui ne pourront laisser pas indifférent le téléspectateur. Qu'il s'agisse de refléter la tonalité épique du moment, la tragédie d'amours brisés ou le deuil engendré par la perte d'êtres chers, tous les instants clés de la série bénéficient d'accompagnements musicaux d'excellente facture. J'ai d'ailleurs récupéré les 2 volumes de l'OST, indépendamment du drama, et les musiques s'écoutent également seules, sans perdre ni leur charme, ni leur attrait.

jumong3.jpg

Enfin, terminons cette présentation sur le casting. Si le jeu des acteurs apparaît, dans certaines scènes, dans la continuité du style théâtral choisi, un brin figé, la série bénéficie cependant d'excellentes performances de la part de l'ensemble de ses acteurs, à commencer par celui qui incarne le héros : Song Il Gook (Emperor of the Sea, Lobbyist, Kingdom of the winds). S'il s'agit du premier drama dans lequel je le croise, j'avoue avoir été vraiment fascinée par la progressive métamorphose qu'il est capable de retranscrire, de la naïveté teintée d'insouciance des premiers épisodes, jusqu'au leader marqué par les drames, sur lequel pèsent toutes les épreuves qu'il a dû traverser. Qu'il s'agisse de jouer dans un registre léger plutôt comique ou d'imposer sa présence dans des moments véritablement dramatique, Song Il Gook est vraiment convaincant et parvient à faire naître instantanément l'empathie du téléspectateur à l'égard de son personnage. A ses côtés, la belle Han Hye Jin (JeJoongWon) incarne avec beaucoup d'autorité et une certaine froideur, la troublante Soh Suh No, la fille du chef de Keru, un important marchand, dont la destinée semble liée à celle de Jumong ; leur amour réciproque se heurtera constamment aux aléas de leur vie tumultueuse.

Derrière ce couple phare, la galerie particulièrement riche de personnages est, comme je l'ai déjà évoqué, très bien mise en valeur grâce au format : la longueur de la série permettant d'offrir un temps d'antenne important à chacun. Les rôles féminins, dont les manigances en coulisses sont peut-être encore plus déterminantes que celles de leurs époux, sont parfaitement tenus, qu'il s'agisse de Lady Yuwha, incarnée par Oh Yun Soo (The Queen returns), de l'insupportable reine Wan Hoo, jouée par Kyun Mi Ri, ou encore de la douce, mais si déterminée, Yesoya (Song Ji Hyo, vue dans Goong). Le concurrent principal de Jumong, le prince Daeso, dont les crises de colère sont souvent fatales, est incarné efficacement par Kim Seung Soo (dernièrement dans Good Job, Good Job). Enfin, l'ambivalent roi Khumwa est interprété par Jun Kwang Ryul (Swallow the sun).

jumong7.jpg

Bilan : Jumong est une véritable épopée au sens noble du terme. Traditionnel tant sur la forme que sur le fond, il s'agit d'un drama historique composé d'ingrédients classiques, mais dont le mélange prend vraiment bien. Doté d'une mise en scène assez théâtrale, imposant une certaine distance avec les protagonistes, le téléspectateur n'en est pas moins emporté par le souffle épique qui traverse ce grand récit. En dépit de sa longueur, le scénario se révèle solide dans la durée, s"exécutant sans temps mort et offrant ainsi une belle récompense pour l'investissement du téléspectateur. Construit en plusieurs grands arcs, bénéficiant de phases où l'histoire s'accélère considérablement, rendant intenable toute attente pour regarder l'épisode suivant, ce drama est admirablement bien maîtrisé sur le plan narratif.

Si j'ai bien conscience que la longueur peut a priori quelque peu rebuter, je dois avouer qu'il n'en est que plus gratifiant de suivre un récit qui ne déçoit pas et prouve que la réalisation de ces 81 épisodes se justifiait pleinement. Jumong n'est pas une série à "engloutir" d'une traite. Il s'agit d'un investissement de plusieurs mois, qu'il faut prendre le temps de savourer, et que l'on regardera en parallèle d'autres dramas, en y consacrant une soirée par semaine, par exemple. Si vous n'avez rien contre les dramas historiques, vous ne regretterez certainement pas l'aventure : laissez-vous prendre au jeu de cette grande fresque !


NOTE : 7,5/10


Un aperçu de l'OST avec la superbe chanson clôturant chacun des épisodes :


Un MV reprenant des images des premiers épisodes :