06/09/2010
(Téléphagie) Les séries et la musique : le savoir-faire sud-coréen (part. 2)
Choisir des pistes musicales plaisantes, c'est une chose. Parvenir à les utiliser à propos, c'en est une autre. Or, à mes yeux, s'il est un pays qui manie à merveille cet art d'allier séries et musique, c'est la Corée du Sud. En fait, il existe généralement une forme d'osmose entre ces deux aspects qui engendre une réciprocité généralement bien maîtrisée, leur permettant de se mettre mutuellement en valeur. Le téléspectateur finit par associer et mêler les échos positifs de part et d'autre. C'est bien simple, depuis le début de l'année 2010, j'ai dû avoir autant de coups de coeur pour des OST de k-dramas qu'en une décennie entière de téléphagie occidentale. (J'avoue qu'il m'est même arrivée d'aimer la musique, sans apprécier le drama ; le dernier exemple que j'ai en tête est Road Number One.)
Un filon d'exploitation florissant
Ne cachons pas la dimension marketing liée à cette production : l'industrie sud-coréenne de l'entertainement maîtrise parfaitement toutes les ficelles. Pour bien comprendre les enjeux, il suffit de jeter un oeil sur les divers classements des singles les plus vendus/téléchargés sur les plate-formes légales chaque semaine. Par exemple, prenons la dernière synthèse des 5 grands sites de musiques du pays (Melon, Bugs, Mnet, Soribada, Dosirak) qu'assure KPopNet4 de façon hebdomadaire, proposée pour la dernière semaine du mois d'août au pays du Matin Calme.
Dans le top 30 des singles, on retrouve rien moins que 7 singles issus d'OST de dramas. Le savoir-faire marketing est encore plus flagrant lorsque l'on analyse de près ces sorties, puisque ces 7 morceaux couvrent en réalité "seulement" 3 séries différentes. Tout d'abord, il y a les singles tirés du grand succès d'audience actuel en Corée du Sud, Baker King, encore représenté dans ce top 30 par 2 singles (alors même qu'ils sont présents depuis quelques temps déjà, une longévité à souligner). A ses côtés, le drama actuellement à son apogée musicale est incontestablement My Girlfriend is a Gumiho, lancé le 11 août dernier sur SBS, dont on retrouve rien mois que les 4 singles différents de l'OST dans le top 30. Les dates de sorties de ces derniers sont d'ailleurs significatives : les chansons ont été disponibles, respectivement, les 4 août, 11 août, 20 août et 25 août pour la dernière... Parlez-moi d'une campagne parfaitement orchestrée ! Mieux encore, le morceau d'OST le plus haut dans le classement (n°4) est rien moins qu'une entrée, pour le moins fracassante, relevant d'un drama dont la diffusion est prévue... pour le mois de novembre prochain. Il s'agit en effet du premier extrait de l'OST d'Athena : Goddess of War (le spin-off d'IRIS) dont SBS a lancé la campagne de promotion fin d'août.
Ces exemples illustrent parfaitement la réciprocité installée entre ces deux volets de l'entertainement sud-coréen et cette forme de complémentarité, mais aussi de dépendance qui existe, chacun pouvant être instrumentalisé pour promouvoir l'autre. Dans le cadre de My Girlfriend is a Gumiho, la série sert de tremplin de promotion pour les chansons (l'acteur principal est d'ailleurs l'interprète de la chanson du premier single - ainsi, la boucle est bouclée) ; dans le cadre d'Athena, c'est la chanson qui sert de mise en bouche.
La composition des OST : une recette bien huilée
Si les soundtracks des dramas font recette et que tout le monde y trouve finalement son compte dans la distribution qui s'opére, c'est aussi parce qu'elles n'ont généralement pas leur pareil pour séduire le public.
A quoi ressemble l'OST "type" d'un drama ?
Une OST se compose généralement d'une partie de chansons et d'une partie de simples instrumentaux. Il est fréquent d'ailleurs de rencontrer dans l'OST plusieurs versions, instrumentale et chantée, du même morceau. Parmi les chansons, on trouve quelques reprises (l'import de "classiques" étrangers n'est pas rare, avec une certaine tendance anglo-saxonne), mais aussi des inédits conçus spécialement pour la série. La plupart des musiques d'une OST auront chacune un interprète différent, ce qui va donc multiplier les influences et les interventions sur une même soundtrack. On y croise généralement au moins un acteur (ou une actrice) de la série. Les carrières acteur/chanteur ne sont pas cloisonnées en Corée du Sud ; et même si ladite personne n'a jamais envisagé son futur dans la chanson, elle saura généralement pousser la chansonnette sans trop de difficulté. Par ailleurs, participent également des chanteurs et/ou groupes extérieurs, sans aucun lien avec le drama ; ils peuvent être déjà connus, prêtant ainsi une part de leur notoriété à la série, ou bien, moins présent sur la scène médiatique, ils vont se servir de la série comme tremplin personnel. Il y a une forme de donnant-donnant constat entre les deux sphères de l'industrie du divertissement.
Quant aux chansons, la diversité de leurs styles ne doit pas cacher qu'à quelques variantes près, leur contenu reste fidèle à un grand classique : la thématique de l'amour impossible/la rupture/l'adieu demeure la grande source d'inspiration première de la plupart d'entre elles. Pour peu qu'on se penche un peu sur les paroles, ces dernières sont généralement assez édifiantes. L'amour est au fond un thème qui transcende tous les genres et les styles de dramas. Cependant, il faut bien insister sur le fait que tous les genres musicaux sont représentés et explorés, de façon à s'adapter au mieux à la tonalité de la série. On y trouve ainsi beaucoup de balades mélancoliques appréciées dans le cadre des sempiternels mélodramas, mais aussi des morceaux très dynamiques, plus orientés variétés, destinés à mettre en valeur l'atmosphère légère des comédies. Il y aura également des chansons aux accents franchement épiques pour accompagner les séries historiques.
En règle générale, le morceau musical s'appréciera pleinement si l'on a vu le drama ; et ce, même si certaines chansons peuvent s'imposer de manière indépendante. Reste que l'association d'une mélodie au souvenir d'un moment téléphagique agréable demeure le plus sûr moyen de diffusion de ces OST, mais aussi une façon d'assurer leur pérennité. L'assimilation du morceau par le téléspectateur est de plus facilitée par sa récurrence au cours des épisodes : la simple répétition de l'écoute familiarisera toute oreille récalcitrante qui n'aura pas eu un coup de foudre instantané.
Aperçu de soundtracks : éclectisme et multiplicité
Examinons maintenant quels morceaux ont pu marquer mon parcours téléphagique au pays du Matin Calme.
L'instrument de prédilection des OST de kdramas est le piano. Rien de tel que son utilisation pour proposer des thèmes profondément touchants et mélancoliques, qui vous donneraient presque instantanément envie de fondre en larmes lorsque les premières notes retentissent. L'OST de Bicheonmu est à mes yeux une des plus abouties sur ce point (pas seulement parce que cette série est celle qui m'a sans doute tiré le plus de larmes). Comment ne pas frissonner et rester insensible devant la beauté mélancolique de cette superbe composition ?
(Nocturne, par Park Ji Yoon)
OST du drama Bicheonmu
Autre exemple de piano doux déchirant : A song of sorrow, par Kim Bum Soo, issue du drama Damo. Cette approche chargée d'une extrême douceur n'est pas le seul registre musical permettant d'éclairer et de faire vibrer la fibre tragique d'un drama. Les sud-coréens maîtrisent toutes les nuances de ce genre, pouvant également proposer des chansons qui déboucheront sur un résultat tout aussi poignant, mais où le fond musical sera plus riche en instruments de musique diversifiés et où le rythme sera un peu plus tranchant. Toujours dans Damo, nous y trouvons le parfait exemple illustrant ces subtiles variations dans l'émotionnel :
(A song of devotion, par Page)
OST du drama Damo
(Blood tears, par Lisa)
Si le piano demeure un instrument apprécié, il faut préciser que son utilisation ne renvoie pas automatiquement à des morceaux mélancoliques ou tristes. En effet, couramment employé pour souligner et servir toutes sortes de tonalités, il peut également, par exemple, constituer le support de chansons entraînantes à souhait, en offrant en guise de refrain mélodieux, une petite ritournelle agréable à l'oreille :
OST du drama Gumiho : The Tale of the Fox's Child
Au-delà de ces questions instrumentales, plus généralement, il est facile d'affirmer que la Corée du Sud est le pays des ballades. On y croise toutes les variantes du genre, déclinées avec toutes les nuances possibles et imaginables. Il est rare qu'une OST de kdrama n'en contienne pas au moins une. Il est fréquent d'en croiser plusieurs. Pour les interpréter, les possibilités ne manquent pas. On n'hésite pas à mettre à contribution les acteurs de la série, mais on est aussi prêt à se tourner vers d'autres chanteurs, plus ou moins confirmés, ou à faire appel aux multiples groupes et autres boys bands qui sévissent dans l'entertainment coréen. Exemple du degré d'imbrication entre l'industrie de la musique et celle de la télévision, dernièrement, Baker King a ainsi pu confier la conception d'une de ses chansons phares à Lee Sung Chul, un des chanteurs coréens les plus productifs en terme de ballades.
Dans ce style musical, l'approche la plus épurée - et peut-être une des plus agréable - demeure une valeur sûre : la ballade intimiste, où la sobriété est maître mot et où le fond musical se contente d'accompagner tout en douceur, une voix simple qui ne force pas. I am Legend a proposé, dans ce registre, une belle version mélancolique le mois dernier, avec une chanson interprétée par Kim Jung Eun. Mais une des premières à m'avoir marqué dans ce style est issue du drama On Air. On pourra remarquer que, sans doute à dessein, dans chacun de ces exemples, le morceau est interprété par l'actrice principale de la série : un choix pas si innocent et plutôt judicieux.
(Shadow, par Song Yoon Ah)
OST du drama On Air
Si l'identité musicale du drama se forge naturellement dans le cadre d'une ballade personnelle comme citée ci-dessus, c'est un peu moins vrai pour les ballades plus classiques. Elles ne s'apprécieront sans doute vraiment que si l'on a visionné la série - car certaines donnent parfois le sentiment d'être un peu interchangeables -, associant ainsi des souvenirs à cette mélodie. Cependant, on croise aussi dans ce genre quelques petites perles assez marquantes qui vont sortir du lot. Parmi mes préférés, figure une belle ballade langoureuse à souhait, qui vint rythmer un drama un peu plus ancien, All in :
(Just like the first day, par Park Yong Ha)
OST du drama All in
Comme je l'ai dit, les kdramas ne se contentent pas d'exploiter les doubles compétences de leurs acteurs, ils recourent également à des artistes populaires, déjà installés. S'opèrera alors la jonction entre deux sphères a priori réellement indépendantes, l'industrie musicale et l'industrie télévisée. Cette collaboration permet de mêler le style musical de l'artiste sollicité avec la tonalité particulière du drama à mettre en valeur. Pour une comédie romantique assez légère et explosive, comme Coffee House, cela donnera un morceau de kpop entraînant et dynamique à souhait, penchant vers la variété :
(Page One, par SG Wannabe & Ock Ju Hyun)
OST du drama Coffee House
Toujours dans ce cadre, certaines des plus belles OST de kdramas sont nées de cette collaboration : le recours à ces chanteurs peut en effet aussi déboucher sur de superbes ballades musicalement abouties et qui sauront vous transporter. Un drama comme The Legend, qui propose dans son ensemble une des plus belles OST qu'il m'ait été donné d'écouter (ecléctique, particulièrement riche et très réussie), exploitera ainsi à merveille cette voie, avec une chanson où pointe une dose de merveilleux, teinté d'épique, qui sied parfaitement à cette série :
(I'll believe in myself, par Jung In ft. Bizzy) Pour ce qui est de la première hypothèse, un des meilleures illustrations se trouve dans l'OST de Capital Scandal. En écho au contexte des années 30, pour un drama se déroulant durant l'occupation japonaise, elle nous plonge dans un morceau swinguant à souhait :
(Kyung Sung Scandal, par Eru) Relevant de la première voie, voici un exemple d'envolée épique :
(Sesang-i nareul ora hane, par Insooni) Relevant de la seconde voie, certains k-dramas vous prouveront avec beaucoup d'aplomb qu'une introduction type "chants grégoriens" qui enchaîne sur du rock endiablé en plein XVIIe siècle, et bien si, c'est possible...
(Change, par Gloomy 30's) De la même manière, toujours dans ce décalage anachronique, du rock électrique :
(Fate, par Kim Sang Min) I am Legend propose des morceaux plutôt dynamiques, de la pop tendant vers le rock, à l'image d'un de mes récents coups de coeur :
(Millions roses, par Come back Madonna)
(Love song for a thousand years, par TVXQ (DBSQ))
OST du drama The Legend
Par ailleurs, on ne soulignera jamais assez à quel point tous les genres musicaux sont représentés. Certains dramas contiendront des petits morceaux très légers, tel Go Go Chan, dans Coffee Prince. D'autres morceaux investiront des styles un peu moins présents à l'écran, tel du r'n'b, dans City Hall :
OST du drama City Hall
Les OST s'adaptent donc à la tonalité des séries, mais elles vont également se positionner par rapport aux époques relatées. Il y aura alors deux approches possibles : soit la musique va s'inscrire dans le prolongement de la période mise en scène, permettant ainsi d'accentuer le dépaysement, soit il y aura une rupture volontaire qui sera orchestrée, de façon à distiller une certaine ambivalence dans l'atmosphère de la série.
OST du drama Capital Scandal
Dans le registre des sageuk - les kdramas historiques -, on retrouve les deux grandes écoles au sein des productions. Soit il va s'agir d'exalter cette fibre épique contenue dans le drama, à la manière par exemple, de Jumong. Ou bien, certaines OST vont prendre le téléspectateur à contre-pied en optant pour des styles musicaux où pointe un flagrant anachronisme qui peut quelque peu déstabiliser dans un premier temps : parmi cette seconde tendance, on peut citer Damo et ses morceaux de krock endiablés, ou, plus récemment, Chuno (Slave Hunters).
OST du drama Jumong
OST du drama Chuno (Slave Hunters)
OST du drama Damo
Enfin, les dramas eux-mêmes parachèvent parfois la confusion des deux sphères musique et série, en intégrant l'univers musical directement dans les storyline. La série mettra alors en scène un chanteur ou bien un groupe fictif. Gloria, You're Beautiful, ou encore dernièrement I am Legend, rentrent tous dans cette catégorie. Et, une fois encore, cela ouvre un horizon particulièrement éclectique : il y en a pour tous les publics, et pour tous les goûts.
OST du drama I am Legend
En mode Idols (boys bans), A.N.Jell aura été un groupe "fictif" particulièrement marquant et rentable, surfant sur le buzz et le "phènomène" You're Beautiful en fin d'année 2009 :
(I will promise you, par A.N.Jell)
OST du drama You're Beautiful
Pour conclure, en guise de dernière illustration de cette extraordinaire diversité des OST de k-drama, voici mon dernier gros coup de coeur du moment, issu de la soundtrack de My Girlfriend is a Gumiho, un morceau étrangement féérique d'où s'échappe comme une pointe de magie :
(Fox Rain (Sun Shower), par Lee Sun Hee)
OST du drama My Girlfriend is a Gumiho
En conclusion, j'ai envie d'insister sur le fait que la Corée du Sud n'est pas seulement un des pays qui propose les OST originales les plus abouties, avec des morceaux qui constituent et apportent une réelle valeur ajoutée à ses séries, soutenant ainsi leur contenu. Elle est aussi un des plus pragmatiques, faisant partie de ceux qui ont le mieux perçu tous les avantages à imbriquer ces deux volets, poussant la réciprocité entre musiques et séries à son maximum. Là où les Etats-Unis balbutient un Glee plus ou moins digeste, la Corée du Sud fait preuve d'une maîtrise globalement bien supérieure dans ce domaine.
Toutes les OST ne sont pas aussi marquantes que celles que j'ai pu évoquer ici, mais, dans l'ensemble, j'espère que cet article aura pu vous présenter un aperçu synthétique de la richesse de l'univers musical des kdramas, expliquant pourquoi il est à mes yeux le plus soigné parmi les nationalités dont le petit écran m'est familier.
Et vous, comment percevez-vous et ressentez-vous cet univers téléphagique musical du pays du Matin Calme ? Vous avez déjà poussé l'écoute des OST hors visionnage de la série ? Quelles sont les k-dramas qui ont pu vous marquer dans cette perspective ?
En complément, je vous conseille d'aller lire l'article d'Eclair sur Les OST de séries et de films coréens, ce dernier dispose en effet sans doute d'une vision d'ensemble plus complète, en raison d'un meilleur recul et d'une plus grande expérience sur tout ce qui touche à la Corée.
17:13 Publié dans (Séries asiatiques), (Téléphagie) | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : k-drama, damo, chuno, bicheonmu, all in, tale of the fox's child, on air, the legend, coffee house, city hall, capital scandal, jumong, i am legend | Facebook |
17/01/2010
(K-Drama) Bicheonmu (BiChunMoo / Fei Tian Wu) : des destinées tragiques en quête d'un art martial unique
Un peu d'ouverture supplémentaire en ce dimanche asiatique, puisque le drama dont je vais vous parler aujourd'hui est une coproduction sino-coréenne, nous ouvrant donc à la Chine. Même si je dois vous prévenir que ce n'est pas un pays que vous retrouverez régulièrement dans ces colonnes, notamment en raison du fait que j'ai un peu de difficultés à me faire à la langue (cantonnais ? mandarin ? Je ne sais pas, mes compétences linguistiques en la matière sont proches du néant) -à la différence du japonais ou coréen- et que la longueur de leurs dramas historiques (qui sont ceux qui m'intéressent le plus a priori) les rend assez imposant. Je n'en ai d'ailleurs vu qu'un seul jusqu'à présent, qui soit un pur c-drama (non une co-production) : il s'agissait d'une des versions du grand classique The Legend of the Condor Heroes, celle de 2003, je pense. De plus, en grande fresque historique, actuellement, je me suis promis de parvenir au bout de Jumong et de ses 81 épisodes (je vous annonce fièrement que j'approche la moitié -je crois que j'en ferais un bilan de mi-série, ou je risque d'oublier les 20 premiers épisodes d'ici que j'arrive à la fin). Une chose à la fois, donc, même si c'est un univers inexploré qu'il faudra que je prenne le temps de découvrir un jour. (D'autant qu'après, il faudra que j'enchaîne sur The Kingdom of the Wind.)
Pour en revenir au drama qui fait l'objet de la note du jour, il va sans doute marquer une nouvelle étape dans mes découvertes en provenance de ce continent. Oh, il fallait bien que cela arrive un jour. Les dramas historiques sont rarement joyeux, se rapprochant plus d'une succession de tragédies placées sous le signe du destin. Vous savez aussi que j'ai la larme facile. Reste que, après trois ans de découvertes de séries asiatiques, si j'en ai vu des fins tragiques, si j'ai parfois eu les yeux humides, j'étais toujours restée stoïque devant mon petit écran. Jusqu'à Bicheonmu. Où toutes mes belles résolutions ont volé en éclat, tandis qu'une pyramide de mouchoirs se constituait progressivement sur la table basse de mon salon : j'étais déjà en larmes devant l'avant-dernier épisode...
Bicheonmu fut diffusé en 2006 en Chine, et seulement en 2008 en Corée du Sud, suite à des problèmes de droits d'auteur. Les deux versions seraient différentes, mais je n'ai vu que celle coréenne. Adaptation d'un manhwa éponyme de Kim Hye Rin, cette histoire avait déjà fait l'objet d'un film, sorti en 2001 et disponible en DVD en France (sous le titre Bichunmoo). Contrairement à d'autres fresques historiques dont la longueur peut faire hésiter, il s'agit d'un drama relativement court pour les standards coréens, puisqu'il ne comporte que 14 épisodes (d'1 heure environ chacun).
L'histoire est la suivante... Suite à l'assassinat, le jour de sa naissance, de ses parents dont il ignore tout, Jin-Ha a été élevé par un serviteur de son père qui s'est présenté comme son oncle. Il l'a initié aux techniques du BiChun, un art martial ancien et secret que l'on ne peut apprendre que grâce à un manuel unique, que son père a laissé en héritage à Jin-Ha, et dont la puissance attire toutes les convoitises. Coréens exilés du royaume de Goryeo, conquis par l'Empereur Mongol, les deux hommes ont vécu retiré dans la montagne chinoise, déménageant souvent. Jin-Ha croise un jour la belle Sul-Ri. Les deux jeunes gens tombent éperdument amoureux, tandis qu'ils se lient également d'amitié avec un héritier noble de passage, Namgong Jun Kwang. Mais Sul-Ri, fille d'une concubine d'un puissant général mongol, Tarooga, doit suivre son père, lorsqu'il rend une dernière visite à sa mère.
L'enchaînement tragique des évènements commence alors. Ayant passé trop de temps au même endroit, des hommes, qui n'ont jamais cessé de rechercher le précieux manuel d'art martial, surgissent et tuent l'oncle de Jin-Ha. Ce dernier, découvrant peu à peu ses origines, sent son désir de vengeance s'affirmer. D'autant que Namgong Jun Kwang, aveuglé par son amour inconditionnel sur Sul-Ri, profite de l'absence de Jin-Ha pour faire pression sur la jeune femme afin qu'elle l'épouse. Leurs parents s'étaient déjà combattus pour le manuel du BiChun ; le général Tarooga ayant décoché la flèche fatale au père de Jin-Ha, sur ordre du père de Namgong Jun Kwan. Les enfants vont devenir les dépositaires de haines qui ne vont que grandir, tandis que l'amour qui unit Jin-Ha à Sul-Ri ne va, lui, jamais flétrir. Autour d'eux, l'Empire Mongol de la dynastie Yuan se désagrège peu à peu, plongeant le pays dans l'anarchie, bouleversant un peu plus leur univers.
Comme souvent dans les dramas historiques, la multiplicité des clans (et des peuples représenté ici : coréens, chinois et mongols), les alliances fluctuantes et les noms composés qu'un occidental ne retient pas forcément du premier coup, font que la complexité de la géopolitique mise en scène nous échappe parfois dans les premiers épisodes. Parce que, même s'il y a des indications pour situer chaque personnage, vous êtes peut-être aussi familier que moi avec l'histoire de la Chine (c'est-à-dire, je l'avoue, avec des connaissances proches du néant).
Comme cela m'a tracassé et amené à faire des recherches, autant les partager avec vous. Voici donc le cadre historique de ce drama : Bicheonmu se déroule au XIVe siècle, à la fin de la période de la dynastie mongole des Yuan. Le territoire chinois est alors sous la domination d'un peuple étranger, les Mongols, suite aux conquêtes initiées, un siècle et demi plus tôt, par Gengis Kahn, dont le petit-fils fut le premier empereur de la dynastie Yuan. Secoué de soubressauts et d'affrontements claniques internes, c'est un empire qui sert de champ de batailles, dans le cadre duquel se déroule ce drama. Le héros, Jin-Ha, est, lui, coréen. Son père, dignitaire militaire proche du roi coréen vaincu, était venu en Chine en tant qu'otage. Car, en effet, le royaume de Goryeo (équivalent à la Corée) a été conquis par les Mongols, par le biais de plusieurs invasions successives. Le père de Jin-Ha fut tué par des dignitaires mongols, qui souhaitaient s'approprier le fameux manuel du BiChun. Finalement, Jin-Ha finira par soutenir une famille chinoise, dont la bataille finale du drama va asseoir l'autorité. Cette dernière fera abdiquer la dynastie mongole déclinante et fondera ainsi une nouvelle dynastie : celle des Ming.
Si le drama n'est qu'une reconstitution romancée de l'Histoire, voici à peu près le cadre global à avoir en tête pour bien comprendre les enjeux qui sont posés dans la série.
*C'était la parenthèse culturelle de ce blog (qui a dit que la télévision ne permettait pas de se cultiver ?).*
C'est donc avec, en toile de fond, cette agitation politique et militaire, que Bicheonmu va prendre toute sa dimension. Il s'agit d'un splendide et puissant drama historique, aux ressorts scénaristiques très classiques mais efficacement mis en scène. La durée relativement courte de la série permet d'éviter toute baisse de rythme : ainsi, l'intensité ne cesse de croître au fil des épisodes, captant le téléspectateur dans le souffle épique et tragique des destins qui se jouent sous ses yeux. En effet, bien plus qu'une simple série traitant de complots et de jeux de pouvoirs dans un cadre médiéval, ce qui frappe, lors de la découverte de cette fiction, c'est la force qui émane de ce récit.
Car Bicheonmu s'inscrit dans la tradition la plus pure de ces tragédies antiques, où les destinées paraissent, dès le départ, déjà écrites dans le sang. Pèse, sur les protagonistes, le poids amer d'une prédestination à laquelle ils ne peuvent échapper. Le téléspectateur assiste, à la fois impuissant et fasciné, à la naissance de sentiments, qui vont poser les germes des trahisons futures, et aux prises de décisions les plus irréversibles, scellant ainsi des désirs de vengeance insubmersibles qui les conduiront à leur perte. Les différents personnages se retrouvent happés, sans toujours en prendre conscience, par ce tourbillon du destin, au sein duquel ils se débattent, mais qu'ils vont toujours finir par accompagner et nourrir.
Les thèmatiques abordées n'innovent en rien le genre, mais elles sont exposées de façon telle que l'on ne peut être que submergé par cette histoire poignante, sans aucune arrière-pensée. Tous les ingrédients d'une grande épopée tragique sont présents : des triangles amoureux, où les sentiments croisés ne sont pas réciproques, un peuple exilé et opprimé qui aspire à la liberté, un Empire en décrépitude où le pouvoir est en jeu entre les différentes factions qui s'affrontent et un art martial puissant au coeur de toutes les convoitises. Au milieu de tout cela, seule certitude immuable, l'amour, devenu impossible, qui unit Sul-Ri à Jin-Ha, en dépit des distances et des circonstances. Mêlant superbement sentiments et actions, se rapprochant par ce biais de la tradition des films Wu Xia Pian, la force de ce drama réside dans les émotions qu'il sait faire naître, tant auprès du téléspectateur que chez ses personnages.
Si ces derniers paraissent tous enfermés dans une prédestination tragique, dont ils ne peuvent se défaire, héritant de haines mortelles et de rivalités, gravées bien avant leur naissance, ils ne sont pour autant jamais unidimensionnels et vont tous progressivement évoluer au fil du drama. Emportés par leurs choix, le téléspectateur devine le moment où ils dépassent le point de non-retour, scellant définitivement le sort tragique qui les attend. Cette conscience accroît l'impression que tous se mouvent vers une destinée dont ils ne sont pas maîtres, sorte de fatalité chargée d'amertume, à laquelle, en tant qu'observateur extérieur, il est très difficile de rester insensible.
Pour faire vivre cette histoire, le casting, bi-national comme le drama, se révèle globalement solide. Jin-Ha est interprété de façon assez convaincante par Joo Jin Mo (Dream), lequel parvenant efficacement à traduire l'évolution du personnage, de l'insouciance teintée de naïveté des débuts, jusqu'à la mélancolie douloureuse du chef de guerre endurci par les épreuves que la vie lui a réservées. Park Ji Yoon, même si elle est parfois un peu trop stoïque, incarne avec une grâce certaine l'amour de sa vie, la belle Sul-Ri. Dans le casting principal, le seul acteur avec lequel j'ai eu quelques difficultés est Wang Ya Nan, qui joue Namgong Jun Kwang, l'ancien ami de Jin-Ha qui le trahira pour obliger Sul-Ri à l'épouser. Sa performance ne m'a pas convaincu, trop statique, ses émotions donnaient l'impression d'être vraiment forcées lorsqu'il essayait de les exprimer. Enfin, du côté, des personnages plus secondaires, il faut saluer la présence de Niu Li, en jeune femme noble qui tombera fatalement amoureuse de Jin-Ha, et de son serviteur, dont la fidélité fluctuera, Shi Jun, interprété par Kim Kang Woo (qui jouait Chae Do Woo, dans Story of a Man / The Slingshot).
Cependant, plus que l'histoire, efficace mais somme toute classique, plus que le casting, ce qui fait la réelle particularité et la force de Bicheonmu, y puisant son essence plus qu'aucun autre drama historique que j'ai eu l'occasion de voir, c'est l'ambiance que la série parvient à créer. Elle est en effet servie par une bande-son absolument magnifique, composées de petites mélodies récurrentes et, surtout, de très belles chansons, à la tonalité chargée de regrets non formulés, qui transportent le téléspectateur et le touchent en plein coeur à chaque fois qu'elles retentissent. J'ai eu des frissons, au cours de certains épisodes, en entendant ces superbes thèmes se superposer si justement aux scènes qu'ils soulignaient. Je pense d'ailleurs qu'une bonne partie de l'intensité émotionnelle générée par ce drama l'est grâce au soutien très bien inspiré de ces musiques. Le travail qui a été fait mérite vraiment d'être salué.
Par ailleurs, toujours sur un plan formel, ce drama bénéficie d'une réalisation travaillée et assez soignée, des beaux décors dans lesquels se déroule l'action jusque dans les chorégraphies des combats (car Bicheonmu est aussi une série d'art martial très efficacement mise en scène). Les images filmées sont parfois vraiment belles ; et les couleurs, presque un peu poussiéreuses en ce sens qu'elles sont moins chatoyantes que dans d'autres k-dramas historiques, confèrent une forme de légitimité supplémentaire, une impression presque légendaire, au récit.
Bilan : Bicheonmu est une magnifique fresque épique, où les nécessités des luttes de pouvoir autour de la maîtrise d'un art martial supérieur, le Bi Chun, se mêlent à l'intensité des sentiments amoureux qui vont unir et désunir chaque camp. Bien loin d'être un simple drama d'intrigues de cour, il se déroule dans une Chine en proie à la guerre civile, avec en toile de fond la situation confuse et anarchique de la fin de la période de la dynastie Yuan. Mêlant épopée vengeresse, amours impossibles et destins de peuples entiers, l'intensité des émotions sur laquelle ce drama capitalise en fait une oeuvre à part, à mon sens incontournable et indispensable.
NOTE : 7,5/10
Un des aspects les plus marquants de ce drama réside dans sa bande-son. Voici deux morceaux de son OST qui ne peuvent vous laisser indifférents.
BiChunMoo, OST, 2. Nocturne (Park Ji Yoon) (Avec des images de la série) :
BiChunMoo, OST, 9. In a World without You (Han Ul) :
09:07 Publié dans (Séries asiatiques) | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : k-drama, c-drama, sbs, bichunmoo, bicheonmu, fei tian wu, joo jin mo, wang ya nan, park ji yoon, niu li, kim kang woo | Facebook |