21/12/2012
(Pilote UK) Last Tango in Halifax : une sympathique et attachante dramédie relationnelle
Il est des séries qui sont faites pour un visionnage hivernal. Celles qui, empreintes d'une chaude humanité, donnent envie de s'emmitoufler devant son petit écran, en sirotant un thé, tandis que la nuit froide est depuis longtemps tombée dehors. Last Tango in Halifax est de cette catégorie de fictions. Créée par Sally Wainwright, elle est diffusée depuis le 20 novembre 2012, le mardi soir, sur BBC1. Sa première saison compte six épisodes et s'est achevée mercredi soir en Angleterre.
Rassemblant un casting cinq étoiles au sein duquel on retrouve notamment Derek Jacobi et Anne Reid, la fiction a conquis le public anglais : avec une audience moyenne tournant autour de 7 millions de téléspectateurs, elle est la série diffusée en semaine qui a rassemblé le plus large public en Angleterre cette année. Cela explique le renouvellement par BBC1 pour une seconde saison. En attendant, laissez-moi vous expliquer pourquoi son pilote, rattrapé la semaine dernière, a su me séduire.
Alan et Celia se tournaient autour durant leur adolescence. Un déménagement et une lettre qui n'est pas parvenue à son destinataire les ont fait se perdre de vue sur un qui pro quo, chacun emportant avec lui son lot de regrets. Depuis, ils ont vécu leur vie, se sont mariés, ont eu des enfants... Soixante ans plus tard, se laissant convaincre par leurs jeunes générations de s'inscrire sur Facebook, ils se retrouvent par hasard par l'intermédiaire du réseau social. Tous deux sont désormais veufs. Lorsqu'Alan suggère qu'ils se rencontrent pour un thé, Celia hésite peu. L'après-midi qu'ils passent ensemble, riche en émotions, réveille des sentiments enfouis et oubliés. Serait-ce la possibilité d'une seconde chance pour leur ancienne flamme d'adolescence ?
Décidés à en profiter, ils annoncent alors, à leurs filles respectives, leur intention de se marier. Les deux femmes en restent sans voix : leur vie n'est-elle pas déjà assez compliquée comme cela ? Appartenant à deux milieux sociaux très différents, elles ont en effet leur lot de soucis. Caroline, la fille de Celia, dirige une école privée. Elle a deux garçons, mais sa vie personnelle est bien complexe : son mari, qui l'avait quittée, a délaissé sa maîtresse et veut revenir, alors que Celia avait entamé une relation avec une enseignante de son école. Quant à Gillian, la fille d'Alan, mère de famille veuve qui peine à joindre les deux bouts, jonglant entre sa ferme et un emploi de caissière dans un supermarché local, elle doit gérer un fils en pleine adolescence qui subit un peu trop l'influence du frère de son père. C'est peu dire qu'une telle famille recomposée promet sa part d'éclats et de confrontations.
Last Tango in Halifax est une dramédie relationnelle pleine de tendresse. Elle met en scène une improbable histoire de retrouvailles, racontée avec une écriture sincère et touchante qui n'entend pas laisser le téléspectateur indifférent. Le pilote s'amuse à décrire la valse d'hésitations à laquelle jouent ces deux êtres qui se recroisent 60 ans après. La particularité de cette histoire d'amour renaissante tient justement au vécu de ses protagonistes. Ils portent un regard bien différent de celui de leur jeunesse sur la nature des liens qui les unissent. Les expériences passées et les regrets qui les accompagnent leur permettent de mesurer l'importance des moments de bonheur, mais aussi d'apprécier la force des sentiments qu'ils éprouvent. Avec une authenticté attendrissante, on assiste au réveil d'un ancien amour que le temps avait dilué, mais qui s'est paradoxalement fortifié au fil des histoires -et des désillusions- que chacun a pu vivre de son côté. Celia, tout particulièrement, éprouve une profonde amertume à l'encontre de son défunt mari, consciente de ne pas avoir toujours pris les bonnes décisions, pour les bonnes raisons.
Au-delà de ce couple central qui va provoquer une réunion familiale qui promet d'être pimentée, Last Tango in Halifax ambitionne, en prenant son temps (son rythme de narration est assez lent), d'explorer plus avant les dynamiques et la complexité des rapports unissant une galerie de personnages colorés introduits dès ce premier épisode. La complicité qui s'installe entre Alan et Celia offre quelques passages mémorables, empreints d'humour et d'une touche d'espièglerie qui fait mouche. Par contraste, la série pourra également jouer sur l'antagonisme instantané qui prend place entre les filles respectives du nouveau couple. Ces quadragénaires ont elles-mêmes leurs expériences de vie et leur lot de blessures personnelles. Elles ont des caractères extrêmement différents, mais ont toutes deux du potentiel pour évoluer. Leurs interactions promettent donc de pimenter aussi l'organisation du mariage soudain que leurs parents leur annoncent, les laissant pareillement pantoises. Voilà donc une série qui semble promettre sentiments et émotions.
Sur la forme, Last Tango in Halifax bénéficie d'une réalisation classique, qui convient bien à la nature du récit mis en scène. La série trouve une identité propre surtout par une bande-son qui suit très bien les changements de tonalités. Les thèmes instrumentaux légers et rythmés interviennent quand il le faut pour donner l'ambiance appropriée à certaines scènes marquantes, à l'image, dans le pilote, de l'improbable scène de course-poursuite qui voit Celia et Alan tenter de suivre la voiture volée de ce dernier (à vous faire pleurer de rire).
Si Last Tango in Halifax fonctionne, elle le doit aussi beaucoup à un casting extrêmement solide. L'association entre Derek Jacobi (I Claudius, Cafdael) et Anne Reid (Bleak House, Marchlands, Upstairs, Downstairs) est très enthousiasmante : chacun délivre une prestation convaincante, et des hésitations à la complicité qui renaît bientôt entre eux, l'évolution de leurs rapports dans le pilote résonne avec une authenticité particulière. A leurs côtés, c'est toujours un plaisir de retrouver Nicola Walker (Spooks), qui incarne la fille d'Alan, tandis que Sarah Lancashire (Lark Rise to Candleford, The Paradise) interprète de façon très assurée la fille de Celia. Parmi les autres acteurs, c'est l'occasion de croiser notamment Tony Gardner (The Thick of it, Fresh Meat), Dean Andrews (Life on Mars) ou encore Ronni Ancona.
Bilan : Last Tango in Halifax est une dramédie chaleureuse et confortable, à la fois tendre et profondément humaine. Une de ces oeuvres, pas vraiment originale et plutôt prévisible, mais dont l'écriture sait toucher et parler au téléspectateur. Elle offre aussi l'occasion de savourer de vraies performances d'acteurs qui apportent une dimension supplémentaire à l'histoire. C'est une de ces fictions sympathiques qui se regardent un froid soir d'hiver, chaudement installé sur son canapé. Ce n'est certainement pas une série qui conviendra à tous les publics, mais son pilote m'a agréablement surprise. A suivre.
NOTE : 7,5/10
Le générique de la série :
08:27 Publié dans (Pilotes UK) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bbc, last tango in halifax, derek jacobi, anne reid, sarah lancashire, nicola walker, tony gardner, dean andrews, ronni ancona | Facebook |
04/06/2011
(US) The Borgias, saison 1 : une ambivalente série, entre superficialité et humanité
Les voies de la télévision étant impénétrables (ou hautement stratégiques), les droits de The Borgias version Showtime ont été achetés, en France, par Canal +, laquelle doit nous proposer prochainement sa propre fiction sur le sujet, sobrement intitulée Borgia, signée Tom Fontana. Une façon d'éviter tout parasitage entre deux projets qui seront fatalement forcément comparés. Reste à déterminer comment traiter ce sujet a priori pimenté, mais auquel il faut savoir donner une consistance sur le long terme d'une, voire plusieurs saisons. En un sens, il y a presque trois décennies, la BBC avait déjà montré les écueils sur lesquels il était facile de s'échouer en s'attaquant à l'histoire d'une telle famille sur cette toile de fond italienne déchirée de la fin du XVe siècle.
Après les dix épisodes qui comportaient cette première saison, il est cependant temps de dresser un premier bilan, alors que la série a d'ores et déjà été renouvelée. J'ai suivi l'ensemble presque sans décalage, ce qui, en soit, plaide en faveur de The Borgias vu mes retards accumulés au cours du mois de mai. Pour autant, cette saison est loin d'avoir été exempte de défauts. L'enthousiasme des débuts a laissé placer à pas mal de frustrations, engendrées par des maladresses structurelles, caractéristiques d'une insuffisance d'ambition scénaristique assez dommageable. Pour autant, tout n'est pas à renier dans The Borgias ; et je pense suivre la saison 2.
Cette première saison est construite sur des bases narratives très académiques a priori efficaces. Elle propose un grand arc qui va sceller la confirmation de l'ascension des Borgias : de l'élection d'Alexandre VI jusqu'à une confrontation finale, face aux Français et au cardinal Della Rovore, que le pape, par une ultime manipulation et un dernier retournement, parvient à surmonter. Cependant c'est peu dire que la série aura pris des chemins parfois trop détournés pour nous narrer cette lutte de pouvoirs, cédant aisément à la facilité des mises en scène amoureuses trop creuses et déconnectées des réels enjeux. Le milieu de saison est un cap difficile à passer, tant le rythme de la série se ralentit au profit d'ébats un peu vains. Peut-être dix épisodes constituaient-ils une durée encore trop longue pour l'histoire envisagée, huit épisodes auraient sans doute suffi.
Pourtant, on souhaiterait pardonner aux Borgias bien des soubressauts qualitatifs en raison de l'attrait que suscite le sujet traité. Parce que se laisser entraîner dans la géopolitique complexe de l'Italie éclatée en royaumes de l'époque a quelque chose d'assez grisant. Parce que, par éclipse, cette carte postale colorée qui nous est dépeinte laisse transparaître tout son potentiel ; mais les scénaristes ne sauront jamais prendre la mesure de ce tableau déchiré. En effet, dans ces jeux de pouvoirs létaux, The Borgias reste trop souvent dans le registre du folklore historique. Au-delà de quelques éclairs, poignée de dialogues qui sonnent justes et qui maintiendront toujours ce relatif espoir de voir la série aller au bout de son idée, les Médicis ou Machiavel resteront ces figures historiques, inhérentes au cahier des charges, mais traitées de façon caricaturale et distante, sans jamais vraiment trouver leur place. Cela donne à la mise en scène un côté un peu artificiel qui frustre les attentes du téléspectateur.
Au fond, le problème principal de ces Borgias-là est un manque d'ambition et de vision de scénaristes archeboutés sur un concept qui leur a paru plus prudent de magnifier visuellement et esthétiquement, qu'en s'appropriant véritablement une histoire dont la complexité pouvait vite égarer. Pour autant, si ce sont mes regrets qui s'expriment par ces quelques lignes teintées d'amertume, il serait excessif de nier les atouts d'un série qui peut s'apprécier sur certains points. Certes l'intrigue politique et militaire qui amène à l'appel aux Français reste par trop linéaire, mais elle constitue cependant un fil rouge qui n'est pas déplaisant à suivre.
Mais au-delà de ce faste romain, la véritable force de cette fiction est ailleurs. C'est finalement par ses personnage que The Borgias a su retenir mon attention jusqu'au bout. S'ils ne sont pas toujours écrits de la manière la plus subtile qui soit, ils ont su plus sûrement que tout le reste m'impliquer dans leur destinée et les choix qu'ils ont pu faire. Car The Borgias est peut-être avant tout cela : une série sur l'ascension au sommet, ou plutôt, la survie d'une famille au sein de laquelle le patriarche nourrit suffisamment d'ambitions pour tous ses membres.
Chacun des protagonistes semble porté par ses propres ambivalences et ses paradoxes. Les rapports d'Alexandre VI à sa fonction demeurent aléatoires, profondément empreints d'une piété soudaine devant la charge qu'il occupe, mais n'hésitant jamais à faire preuve d'un pragmatisme et ne reculant devant aucune manipulation. Il aménage une forme de coexistence entre sa foi et une hypocrisie inhérente à ses choix qui rend le personnage difficile à cerner. De même, sa vision de sa famille oscille entre une finalité purement utilitariste et l'expression de sentiments paternels qui ne transparaissent qu'exceptionnellement. Ses rapports ambivalents avec Cesare constituent d'ailleurs une des dynamiques narratives les plus consistantes de la saison.
La frustration de ce dernier, confiné dans cette fonction d'homme d'église qu'il n'est pas, ne cesse de grandir, le conduisant peut-être encore plus sûrement vers cette voie sombre où il commandite sans sourciller des assassinats. Les sentiments guident pourtant toujours des actions qu'il exécute par contraste avec réel un sang froid : c'est une loyauté ou une dévotion envers ses points cardinaux qui le déterminent : sa famille, sa soeur, puis la belle Ursula. Le personnage qui évoluera le plus au cours de la saison sera incontestablement Lucrezia, l'adolescente chérie gâtée des débuts deviendra femme, les épreuves la fortifiant et lui faisant découvrir ce pragmatisme amoral qui n'est rien d'autre que l'instinct de survie dans cette société où, de par son statut, elle est contrainte d'évoluer. Et que dire de Juan, dont les désillusions de grandeur, ne font que le précipiter plus durement vers un douloureux retour à la réalité, les fanfaronnades ne suffisant plus lorsque la réelle lutte commence ?
S'ils se déchirent entre eux de la plus intime et cruelle des façons, se faisant souffrir tant par leurs natures différentes que par leurs caractères propres, ils demeurent unis dans l'adversité de cette Italie qui rêve de les voir déchus. C'est sans doute ici que se trouve la fascination que peut exercer la série : c'est dans ces convergences d'intérêts, dans ces loyautés troublées mais qui demeurent scellées par un amour familial qui nous transporte parfois aux confins d'une morale qui n'a de toute façon pas de place en ces milieux. The Borgias n'est finalement pas tant une série sur le pouvoir, qu'une série sur une famille confrontée au pouvoir. Et c'est peut-être en admettant cela qu'elle peut s'apprécier en dépit des limites qu'elle manifeste dans les autres registres.
Enfin, le casting n'aura pas dépareillé pour finalement parvenir à humaniser cette fresque historique. Tout en imposant une présence incontournable dans chacune de ses scènes, Jeremy Irons aura parfois un peu trop cédé aux paradoxes de son personnage. Les bonnes surprises sont venues de ceux incarnant ses enfants : le charmant François Arnaud (Yamaska) - le seul que je ne connaissais pas et qui restera pour moi la révélation de cette première saison - et Holliday Grainger (Demons, Above suspicion, Any human heart), mais aussi David Oakes (Les Piliers de la Terre) même s'il dispose d'un temps d'écran un peu moindre, surent parfaitement refléter les ambivalences, comme l'intensité des désirs, de ces figures qui ne sont pas maîtresses de leur destin.
Bilan : Si la première saison de The Borgias manque d'homogénéité, si les tenants et aboutissants politiques et militaires des jeux de pouvoirs italiens de la fin du XVe siècle ne seront jamais pleinement maîtrisés, la série va cependant se découvrir au fil des épisodes une autre force qui permettra au téléspectateur de lui pardonner bien des limites. Car c'est dans la dimension humaine qu'elle développe, dans ces rapports familiaux ambivalents, scellés par l'instinct de survie plus que par le sang, que va naître un attachement à cette série. La scène finale, qui peut surprendre au vu des épreuves traversées, consacre finalement cette approche plus humaine qui est celle dans laquelle The Borgias s'épanouit le mieux.
NOTE : 6,25/10
Le générique :
La bande-annonce de la série :
12:02 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : showtime, the borgias, jeremy irons, françois arnaud, david oakes, holliday grainger, aidan alexander, joanne whalley, derek jacobi, colm feore, ruta gedmintas, lotte verbeek, elyes gabel, sean harris, simon mcburney, montserrat lombard, vernon dobtcheff, peter sullivan, bosco hogan | Facebook |
27/03/2011
(Pilote US) The Borgias : jeux de pouvoir impitoyables dans l'Italie de la fin du XVe siècle
Au vu des programmes qui s'annoncent dans les prochaines semaines, je devine que mon mois d'avril aura un parfum historique très prononcé. C'est tout d'abord Showtime qui va ouvrir le bal, avec une fiction destinée à succéder aux Tudors, à partir d'un sujet qui promet tout autant, si ce n'est plus, que le règne de Henri VIII : les Borgias. Ce choix d'une famille restée dans la mémoire collective, non seulement comme un symbole de décadence, mais aussi comme un modèle dans l'art de la quête du pouvoir, telle que le décrira si méticuleusement Machiavel, quelques années plus tard, dans son célèbre Prince, présente a priori tous les ingrédients nécessaires pour offrir un cocktail détonnant mêlant pouvoir, sexe et politique, avec en toile de fond les luxueuses et fatales coulisses du Saint-Siège.
Ayant toujours eu un rapport compliqué et beaucoup de réticences face aux Tudors, c'est avec une certaine réserve que j'ai lancé ce premier épisode, même si le sujet m'intéressait a priori beaucoup. Et c'est finalement avec plaisir que je peux dire que le pilote des Borgias remplit a priori toutes les promesses que l'imagination féconde (et romanesque) du téléspectateur pouvait avoir envisagé. D'une longueur imposante de plus d'1h30, il pose le cadre sanglant et ambitieux qui va être celui de la série, tout en introduisant efficacement la situation comme les protagonistes. La diffusion de The Borgias commencera le 3 avril prochain sur Showtime. Je serai au rendez-vous.
L'histoire s'ouvre à Rome, à la toute fin du Moyen-Âge et à l'aube de la Renaissance, en 1492. Les premières minutes nous permettent d'assister au dernier soupir du pape Innocent VIII. C'est l'opportunité qu'a patiemment attendu toute sa vie le très ambitieux cardinal Rodrigo Borgia, lui-même neveu du pape Callixte III. Le conclave, qui s'organise sous nos yeux, réuni afin d'élire son successeur, va s'avérer aussi disputé qu'opaque. En effet, il va être le cadre des plus intenses tractations et autres manoeuvres corruptives pour permettre à Rodrigo d'obtenir les faveurs de la majorité des votants. A l'extérieur, son fils Cesare le seconde habilement afin d'assurer la réussite de ses projets. Ses ambitions se verront récompensées : Rodrigo deviendra pape, prenant le nom d'Alexandre VI.
Cependant cette consécration est loin d'être une fin en soi. En effet, si les Borgia, une famille originaire d'Espagne, avaient déjà leur part d'ennemis dans l'Italie de cette fin de XVe siècle, l'accession au siège de saint Pierre ne va faire qu'attiser les tensions et renforcer la résolution de leurs ennemis. Se maintenir en place promet d'être aussi difficile et compromettant que l'ascension a pu l'être, en témoignent les complots qui, dès ce premier épisode, rythment déjà les coulisses du Saint-Siège. Alexandre VI devra plus que jamais s'appuyer sur la ruse, mais aussi sur ses enfants, au premier rang desquels, Cesare, qu'il va rapidement nommer cardinal.
C'est tout d'abord dans le registre d'une fiction politique historique que The Borgias s'impose. Ce pilote se consacre pleinement à la mise en scène de jeux de pouvoir mortels, sur fond de confrontation fatale entre les ambitions des grandes familles romaines influentes de l'époque. Tous les moyens sont bons pour servir leurs projets, ne s'arrêtant pas seulement à une corruption qui apparaît généralisée. De façon impitoyable, les complots se font et se défont, tandis qu'avec un arrière-goût empoisonné, les trahisons se succèdent, et les morts aussi. Si l'histoire se concentre logiquement sur les manoeuvres de Rodrigo et de son fils, ils sont loin d'être les seuls à agir en coulisses.
Conduit de façon rythmée, l'épisode nous propose donc une partie d'échec létale très accrocheuse, où la ruse est élevée au rang d'art, où la pitié et la morale ne sauraient intervenir, tout étant sacrifiable pour atteindre et assurer le pouvoir. On parlerait anachroniquement sans nul doute de machiavélisme, si Cesare Borgia n'avait pas justement inspiré le Prince de Machiavel publié quelques années plus tard. De même, à observer ces clans familiaux ainsi s'affairer et s'affronter, entièrement dédiés à cette lutte pour le pouvoir, le sous-titre de l'affiche de la série, "the original crime family", s'avère être bel et bien une promesse tenue. Et quand le cardinal Della Revore découvre son lit ensanglanté par un cadavre - même si c'est celui d'un être humain - la réminescence d'une autre scène cinématographique célèbre du genre vient naturellement : après tout, ce n'est pas non plus un hasard si Mario Puzzo a pu consacrer tout un roman à romancer le destin de cette famille. En résumé, The Borgias dispose de tous les ingrédients pour mettre en scène des luttes de pouvoir aussi animées que complexes.
Outre ses enjeux politiques, The Borgias exerce également un attrait plus subversif : le nom de cette famille a conservé à travers les siècles un parfum sulfureux sur lequel le pilote capitalise pleinement. Népotiste assumé, simoniaque rompu à tous les trafics, nicolaïste notoire, Alexandre VI personnifie et symbolise les dérives internes de l'Eglise du XVe et des débuts du XVIe siècle. L'épisode ne nous épargne aucun détail de cette décadence aux multiples facettes : des dessous de l'élection pontificale de 1492, avec la distribution de bénéfices ecclésiastiques et le pillage d'églises vidées de leurs objets de valeur, jusqu'aux questions de moeurs, face à un Souverain Pontife qui écarte de l'oeil du public la concubine qui lui a donné quatre enfants au motif hypocrite du maintien des apparences, tout en installant sa nouvelle maîtresse dans une maison où il peut lui rendre visite en secret.
De plus, ces thèmes se déclinent également à l'intérieur de la dynamique, forcément particulière, d'une famille toute entière consacrée aux ambitions du père. Les rôles y sont déjà distribués. Cesare, en dépit d'un intérêt bien plus porté sur le temporel que le spirituel, se doit d'embrasser une carrière ecclésiastique sur les pas de Rodrigo, tandis que son frère sera celui qui s'investira dans le versant militaire pour consolider leur emprise sur la péninsule. Quant à Lucrezia, le jeu des alliances par mariage lui est ouvert. Il faut noter que c'est jusqu'au sein même de cette famille que les signes de dérive des moeurs sont perceptibles. En effet, l'épisode met ouvertement l'accent sur l'ambivalence des rapports, ou plutôt des sentiments éprouvés par Cesare à l'égard d'une soeur qu'il chérit plus que tout et dont il a bien du mal à concevoir la seule idée du mariage.
Au-delà de ces thèmatiques où se mêlent pouvoir et sexe avec en toile de fond une reconstitution historique mettant en avant le luxe romain de cette fin de XVe siècle, la réussite de ce pilote va aussi être de ne jamais déshumaniser les jeux politiques qu'il dépeint. Si, par son sujet, The Borgias ne pouvait être manichéenne, elle va aussi proposer des personnages avec leurs failles et leurs propres ambiguïtés : ce ne sont pas des figures unidimensionnelles qui se réduiraient à leurs seules ambitions. Certes, la plupart des personnages sont moralement condamnables, mais ils sont surtout les dignes participants d'une tragédie du pouvoir shakespearienne, permettant à la série d'investir une dimension humaine qui retient également l'attention.
Ainsi, le pilote installe et et réserve une part d'ambivalence à tous ces protagonistes qui ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins. Sans doute pour bien introduire son cadre, il se concentre surtout sur Rodrigo (Alexandre VI) et Cesare. Pour le premier, ce sont ses positions teintées d'hypocrisie qui renforcent ses paradoxes, le vernis se craquellant rapidement derrière les déclarations d'intention initiales annonçant sa volonté de remplir dignement la fonction à laquelle il a été élu. Pour Cesare, les conflits internes sont plus personnels. Instrument frustré de son père, prêt à tout pour protéger sa famille, il ne rêve que de se voir délier de ses voeux ecclésiastiques pesant qu'il n'a prêté qu'avec réticence, mais il va finalement se retrouver nommé cardinal par le biais d'une énième manoeuvre politique de son père pour s'assurer d'une assise majoritaire auprès de ces dignitaires.
Au-delà de son efficacité sur le fond, c'est aussi sur la forme que The Borgias a su mettre tous les atouts de son côté. La série séduit par l'esthétique proposé dans ce pilote qui exploite pleinement le faste et le luxe de son décor romain. Il se dégage de ces superbes images comme un parfum de fin de XVe siècle absolument saisissant. La réalisation est soignée. Une attention toute particulière a été portée aux costumes, comme aux lieux dans lesquels se déroulent les scènes. Les effets de caméra, comme les teintes choisies, sont un vrai plaisir pour les yeux du téléspectateur.
Pour accompagner cette forme très convaincante, la série dispose également d'une bande-son en parfaite adéquation avec son ambiance, reprise réagencée de musique aux faux accents religieux. Elle n'est pas trop envahissante, mais contribue à donner son atmosphère de cette fiction, rythmant les intrigues et pointant la solennité de certains passages. D'ailleurs, c'est dès le départ, avec son long et magnifique générique, que The Borgias impose son style et ses ambitions sur la forme (cf. la première vidéo en bas de ce billet).
Enfin, pour donner vie aux protagonistes dans cette fresque, The Borgias bénéficie d'un casting international solide qui s'avère être à la hauteur des attentes. Jeremy Irons s'impose d'emblée comme la figure centrale ambitieuse, non dénuée d'ambiguïté dans sa façon d'alterner autoritarisme et ruse pour parvenir à ses fins. Pour le seconder dans ses basses oeuvres au sein de l'Eglise, son fils Cesare est interprété efficacement par François Arnaud (Yamaska). David Oakes (Les Piliers de la Terre), qui s'épanouit dans le domaine militaire, Holliday Grainger (Demons, Above suspicion, Any human heart) en troublante Lucrezia et Aidan Alexander, jouent ses autres enfants, tandis que Joanne Whalley incarne leur mère.
Autour de la famille Borgia gravite des alliés d'un jour et des ennemis encore plus déterminés. On retrouve dans la galerie d'acteurs qui les interprètent : Derek Jacobi (Mist : Sheepdog Tales), Colm Feore (24, The Listener), Ruta Gedmintas (Lip Service), Lotte Verbeek, Elyes Gabel, Sean Harris (Meadowlands), Simon McBurney (Rev.), Vernon Dobtcheff, Peter Sullivan (The Bill, The Passion) ou encore Bosco Hogan (The Tudors).
Un aperçu des décors...
Bilan : Superbe sur la forme, solide sur le fond, The Borgias démarre sur un pilote convaincant et abouti qui correspond à l'image romanesque préconcue que l'on pouvait avoir d'une fiction centrée sur cette famille marquante des XVe et XVIe siècles italiens. Grandeur et décadence, sexe et politique, religion et corruption, seront au rendez-vous de cette série historique qui nous plonge dans les coulisses du Saint-Siège. Au vu de cette introduction, elle dispose a priori de tous les ingrédients pour s'imposer comme un rendez-vous hebdomadaire plaisant. A suivre !
NOTE : 8/10
Le générique :
La bande-annonce de la série :
17:02 Publié dans (Pilotes US) | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : showtime, the borgias, jeremy irons, françois arnaud, david oakes, holliday grainger, aidan alexander, joanne whalley, derek jacobi, colm feore, ruta gedmintas, lotte verbeek, elyes gabel, sean harris, simon mcburney, montserrat lombard, vernon dobtcheff, peter sullivan, bosco hogan | Facebook |