28/06/2013
(Pilote UK) The White Queen : la guerre des Deux-Roses du point de vue des femmes
Avec la fin du printemps, se sont s'achevées les saisons 3 de Game of Thrones sur HBO, et de The Borgias sur Showtime qui, elle, ne reviendra pas l'année prochaine. Vers quel petit écran allait donc se tourner le sériephile amateur de ces récits moyen-âgeux consacrés aux luttes de pouvoir ? Logiquement, il jetait un regard curieux vers une nouveauté annoncée sur BBC1, programmée également le dimanche soir, à partir du 16 juin 2013 : The White Queen. Constituée de 10 épisodes d'1 heure environ, il s'agit d'une adaptation de la saga littéraire de Philippa Gregory, The Cousin's War.
Destinée à trois chaînes, BBC1 pour l'Angleterre, Starz pour les Etats-Unis et VRT pour la Belgique, la série avait déjà fait parler d'elle avant même sa diffusion lorsqu'avait été révélée l'existence de plusieurs montages différents, Starz n'ayant pas les mêmes quotas et rapports aux scènes de sexe que sa consoeur anglaise. Les téléspectateurs qui souhaiteraient une version moins éditée auront toujours la possibilité d'attendre la diffusion américaine qui interviendra dans le courant de l'été, à partir du 10 août 2013. Malheureusement, ce ne sont pas quelques scènes plus explicites qui effaceront la déception qu'est The White Queen.
The White Queen nous plonge dans l'Angleterre de la deuxième partie du XVe siècle, mettant en scène une période troublée connue sous le nom de la Guerre des Deux-Roses. La série débute en 1464 : le conflit entre la Maison d'York et celle de Lancastre a précipité le royaume dans la guerre civile depuis plusieurs années déjà, marqué par la victoire du premier camp. Edouard d'York est devenu Edouard IV, couronné roi grâce aux manoeuvres et au soutien de Lord Warwick (Richard Neville). Ce dernier nourrit de hautes ambitions, mais ses plans vont se heurter à celle qu'Edouard va choisir, sans concertation, pour épouse.
En effet, le jeune roi tombe éperdument amoureux d'Elizabeth Woodville, la veuve d'un partisan Lancastrien, venue obtenir l'héritage dû à ses deux fils issus de ce premier mariage. De manière précipitée, avant de partir au combat, Edouard l'épouse en secret. Une fois le trône définitivement acquis, il confirme publiquement l'existence du mariage, et place Elizabeth en tant que reine à ses côtés. Si cette union est peu appréciée par la famille royale, notamment par la reine mère, l'opposition la plus forte est celle de Lord Warwick qui voit les projets personnels d'alliance qu'il avait envisagés rendus caducs.
The White Queen nous entraîne dans les jeux de pouvoir de la cour d'Angleterre, où les vaincus d'hier n'ont pas dit leur dernier mot et où les loyautés changent au gré des intérêts fluctuants de chacun. Elizabeth a beau pouvoir s'appuyer sur l'amour royal et un sens des alliances maritales très poussé, ce sont des épreuves difficiles qu'elle aura à affronter...
Sur le papier, le potentiel de The White Queen reposait sur ce mélange pimenté des sentiments et des luttes pour le pouvoir qu'elle se proposait de mettre en scène, avec pour cadre l'Angleterre de la fin du XVe siècle (le tournage ayant cependant eu lieu en Belgique). Malheureusement, à aucun moment au cours de ses deux premiers épisodes, la série ne va faire un instant illusion. Sa mauvaise gestion du point de départ de l'histoire, le coup de foudre entre un roi que d'aucuns qualifient d'usurpateur et une veuve qui n'est pas de haute naissance, est représentative de bien des limites. Le pilote est extrêmement précipité : en moins d'une heure, et quelques brèves rencontres, le téléspectateur voit l'antagonisme politique initial (la famille d'Elizabeth est liée aux Lancastriens) qui les opposait se changer en amour, pour finir par l'union officielle.
Si le mariage a lieu si rapidement, en secret, c'est qu'Edouard ne peut tout simplement pas attendre de coucher avec Elizabeth. Mais cette dernière n'entend pas n'être qu'une énième maîtresse dont ce roi charmeur aurait souillé l'honneur : après avoir manqué d'être violée par ce dernier, elle accepte de bonne grâce de l'épouser. Il y aurait sans doute eu là matière à cultiver une intéressante ambiguïté, entre pouvoir, pragmatisme et sentiments, mais le récit de The White Queen semble prendre un malin plaisir à déjouer tous les espoirs, s'enfermant dans une platitude frustrante. Les producteurs de la série ont eu à se justifier sur l'enchaînement sans transition d'une violence sexuelle à une cérémonie religieuse, expliquant schématiquement, dans The Guardian, "différente époque, différentes moeurs". Seulement, ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que le manque de crédibilité de leur récit tient avant tout à la manière artificielle dont tout se déroule : la série est incapable de faire ni ressentir, ni comprendre le lien qui s'est créé entre Edouard et Elizabeth et le choix lourd de conséquence que fera ce dernier en se mariant.
Suite à ce pilote raté dans la mise en scène du jeu des sentiments, une fois le mariage officialisé, on pouvait cependant se demander si The White Queen allait parvenir à sortir des maladresses de sa phase d'exposition et commencer à exploiter le potentiel de son concept. C'est la raison pour laquelle j'ai regardé le deuxième épisode. Mal m'en a pris. Certes, après l'amour, ce sont bien les confrontations politiques qui se retrouvent au premier plan, avec des complots de cour qui prennent vite forme... Mais l'approche narrative demeure inchangée : tout est pareillement précipité, les années défilant à vive allure sans prendre le temps de construire la moindre tension et ambivalence. Les intrigues suivent des ficelles trop grossières pour être engageantes, finissant par caricaturer ces rapports de pouvoir qui sont pourtant le coeur de l'histoire.
Plus frustrant encore, la série se complaît dans un manichéisme vite agaçant du fait de la simplicité naïve avec laquelle sont traitées des situations pourtant complexes, qui offraient matière à de belles confrontations. La famille d'Elizabeth, quoiqu'en pense cette dernière, n'est pas la dernière à manoeuvrer pour asseoir ses intérêts et son pouvoir. Or le récit est excessivement biaisé, et la candeur initiale d'Elizabeth trop en décalage avec les évènements dépeints, pour que les oppositions entre les différents camps acquièrent une réelle consistance. Les dialogues sonnent creux, et la fin du deuxième épisode achève de confirmer l'incapacité de la série à susciter la moindre émotion, y compris dans la tragédie. Et ce ne sont pas quelques rare scènes rendues assez jubilatoires par la mère d'Elizabeth qui sauveront l'ensemble du marasme fade dans lequel la série s'est embourbée.
De plus, ce n'est pas sur la forme que la série se rattrapera : le premier adjectif qui m'est venu en tête devant le pilote de The White Queen était "propret". Tout semble sonner faux dans cette mise en scène aux teintes artificielles ; on peine à croire que l'action se déroule au XVe siècle. Certes, la série n'est pas la première à opter pour ce genre d'approche, puisque The Tudors ou The Borgias ont, ces dernière années, misé sur les costumes colorés et les reconstitutions folkloriques, mais cela n'avait pas d'incidence sur l'ambiance générale de la série qui savait happer le téléspectateur. En revanche, The White Queen pousse, elle, la logique à son extrême, obtenant un résultat peu en prise avec le souffle historique attendu.
Enfin, The White Queen bénéficie d'un casting correct, mais où la fadeur des personnages tend à éclipser des acteurs qui ne déméritent pourtant pas. Le couple principal est interprété par Max Irons (The Runaway) et la suédoise Rebecca Ferguson qui apporte une fraîcheur appréciable à l'écran. On retrouve aussi quelques habitués des fictions costumées, à l'image de James Frain (The Tudors), David Oakes (The Borgias), voire Amanda Hale (The Crimson Petal and the White, Ripper Street). Parmi la riche galerie d'acteurs, on croise également Aneurin Barnard, Faye Marsay, Tom McKay (Hatfields & McCoys), Ben Lamb, Eleanor Tomlinson, Caroline Goodall (Mrs Biggs), Juliet Aubrey (Primeval) et Rupert Graves (Single Father, Garrow's Law, Sherlock). Dans ces deux premiers épisodes, celle qui tire le mieux son épingle du jeu, bénéficiant de quelques répliques bien senties, est sans conteste Janet McTeer (The Governor, Five Days, Damages, Parade's End).
Bilan : En dépit d'un concept initial prometteur, The White Queen s'apparente à une sorte de livre dont les pages en papier glacé seraient tournées trop rapidement pour pouvoir construire un récit solide, cohérent et engageant. En dehors de quelques trop rares fulgurances, tout sonne creux et artificiel dans cette narration où les intrigues suivent des ficelles souvent grossières. Forçant les traits, coupable d'une simplification baclée de ses enjeux, la série flirte avec la caricature sans épaisseur des jeux de pouvoir moyen-âgeux. Loin des ambitions affichées, The White Queen échoue ainsi dans les ressorts les plus basiques des fresques historiques. Le téléspectateur reste à la porte, observateur distant, vite ennuyé...
NOTE : 5/10
Le générique de la série :
La bande-annonce de la série :
18:44 Publié dans (Pilotes UK) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : the white queen, bbc, starz, max irons, rebecca ferguson, james frain, david oakes, aneurin barnard, amanda hale, faye marsay, tom mckay, ben lamb, eleanor tomlinson, caroline goodall, juliet aubrey, rupert graves, janet mcteer | Facebook |
23/06/2012
(US) The Borgias, saison 2 : le temps des querelles fratricides
Bon gré, mal gré, je suis arrivée au bout de la saison 2 de The Borgias qui s'est achevée dimanche dernier au terme de 10 épisodes. Il est donc temps d'en dresser un bilan. Il faut dire qu'une fois encore, peut-être de manière plus criante que lors de la première saison, la série se sera montrée particulièrement inégale au sein de ses intrigues, ses défauts ressurgissant avec plus de force dans un premier tiers vraiment faible qui m'aura d'ailleurs conduit à laisser la série de côté pendant quelques semaines avant de finalement la rattraper et l'achever en même temps que la diffusion de Showtime.
A mes yeux, le seul réel intérêt qu'elle conserve, elle le doit à certaines des dynamiques relationnelles mises en scène, plus particulièrement aux rapports fraternels ou plutôt fratricides qui auront déterminé la saison. Carte postale colorée de la Renaissance, The Borgias a cependant sans doute atteint sa vitesse de croisière et les limites du parti pris des scénaristes pour exploiter le destin de cette famille particulière.
Cette saison 2 s'est construite sur la transformation des rapports de force au sein d'une famille Borgia qui tente par tous les moyens de maintenir son pouvoir et son influence. Elle doit pour cela lutter contre des ennemis extérieurs mais aussi intérieurs, dans la péninsule italienne et au sein de l'Eglise. Si la mise en scène du combat contre les Français reste, sur le plan des affrontements, sans doute la plus réussie, la saison démarre pourtant de façon très poussive. L'impression de tourner à vide et de chercher à gagner du temps au cours de longues parenthèses privées pèse. Les amours des uns et des autres fournissent plus d'une fois le prétexte à des scènes de sexe à l'utilité narrative souvent nulle (surtout dans le premier tiers). Avec sa fâcheuse habitude de greffer aux grandes intrigues de petites storylines à l'intérêt aléatoire, la série s'égare dès que ces dernières prennent le pas sur les premières. Dans la deuxième moitié de la saison, l'équilibre se rétablit peu à peu : se recentrant sur l'essentiel, la série nous entraîne au pas de course vers une confrontation inévitable au sein même de la famille, et son but apparaît alors enfin clair.
En fait, The Borgias souffre d'un défaut paradoxal pour une série historique. Elle réussit à générer d'intéressantes oppositions de personnes, avec un triangle de thématiques au ressort tragique universel - amour, jalousie, honneur. Mais dans le même temps, elle ne parvient jamais à donner une épaisseur aux enjeux politiques, ni à capter le souffle de l'Histoire. C'est par nature une série en costumes, aux jolis décors Renaissance. Seulement sa reconstitution ne parle au téléspectateur que par son caractère folklorique, comme si le sous-titre "the original crime family" avait fait basculer l'ensemble dans une modernité qui la prive de toute dimension épique. On pourrait lui pardonner de s'arranger avec l'Histoire sans réel souci d'authenticité, romançant à l'extrême la réalité (Showtime suit ici la voie ouverte par The Tudors), si elle retranscrivait au moins l'envergure des jeux de pouvoir mis en scène. Mais elle échoue invariablement aux limites de cette sphère privée.
Si le versant historique manque de force, c'est toujours sur les personnages que repose l'intérêt de la série. Plus précisément, ce sont les trois enfants de Rodrigo qui se détachent nettement cette saison. Certes, Lucrezia n'aura comme principale histoire qu'à supporter un bal des soupirants fade, aux ressorts répétitifs, mais le drame du début de saison achève d'endurcir l'ancien ange innocent. Sa tentative de meurtre, vengeance impulsive, sur Juan est une des scènes de tension les plus réussies de la saison. Son frère aîné, justement, prend enfin de l'épaisseur : figure pathétique dans l'échec, n'ayant pas les épaules pour assumer les ambitions de son père, sa descente aux enfers lui confère une dimension tragique et destructrice qui lui permet de s'imposer à l'écran. Face à lui, le personnage de Cesare demeure le pivôt central : la saison lui offre l'occasion de prouver son efficacité et son pragmatisme. Ses aspirations à une vie militaire restent entravées par un frère, préféré par son père, qu'il jalouse encore plus en assistant à ses échecs. La tension ne cesse de monter au fil de la saison, l'opposition étant bien retranscrite par deux acteurs convaincants, François Arnaud et David Oakes. On en devine vite l'issue, qui interviendra finalement avant même le season finale.
La conséquence de la mort de Juan est d'officiellement consacrer un nouveau rôle pour Cesare : est venu le temps d'assumer les responsabilités familiales. Le dernier épisode laisse entrevoir d'intéressants développements pour la saison prochaine : le jeune homme reste un Borgia avec tous ces excès qui s'accentuent à mesure qu'il gagne en pouvoir. Délier de ses voeux, il peut désormais envisager ses ambitions dans toute leur ampleur. L'ascension de Cesare au fil de la saison s'inscrit en contraste avec l'évolution subie par son père sur laquelle pèse les lourdes maladresses des scénaristes. En effet, Rodrigo (et le jeu de Jeremy Irons par la même occasion) s'enferme dans une caricature poussive, de plus en plus privée de toute cohérence. Tout ne semble qu'extrêmité dans les réactions disproportionnées dépeintes, et au final, tout y sonne faux : de sa parenthèse pénitente (mais The Borgias échoue plus généralement à donner un semblant de crédibilité à son versant religieux) jusqu'à la manière dont il traite ses enfants, où la répétition invariable des mêmes ressorts (favoriser Juan, marier Lucrezia, décevoir les attentes de Cesare) devient lassante. Se transformant presque en élément comique involontaire, on en viendrait à souhaiter la résolution du cliffhanger final dans un certain sens.
Bilan : Si elle se rattrape quelque peu sur la fin, The Borgias aura proposé une saison 2 inégale. La série a confirmé et même accentué les défauts perceptibles dans sa première saison, incapable de prendre la mesure du potentiel offert par son cadre historique. Ses atouts restent des dynamiques finalement très modernes : des relations familiales ambigües, dont les enfants de Rodrigo sont les principaux protagonistes. Les grands thèmes ainsi abordés, la jalousie et la concurrence entre Juan et Cesare d'une part, les sentiments entre Lucrezia et Cesare d'autre part, restent les aspects les plus intéressants. Cela n'occulte pas le manque de subtilité de l'écriture, ou encore le caractère parfois très artificiel des intrigues, mais cela permet de conserver un certain public. Dont je fais encore partie pour l'instant.
NOTE : 6/10
La bande-annonce :
Le générique :
11:14 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : showtime, the borgias, jeremy irons, françois arnaud, holliday grainger, david oakes, lotte verbeek, joanne whalley, aidan alexander, colm feore, sean harris | Facebook |
04/06/2011
(US) The Borgias, saison 1 : une ambivalente série, entre superficialité et humanité
Les voies de la télévision étant impénétrables (ou hautement stratégiques), les droits de The Borgias version Showtime ont été achetés, en France, par Canal +, laquelle doit nous proposer prochainement sa propre fiction sur le sujet, sobrement intitulée Borgia, signée Tom Fontana. Une façon d'éviter tout parasitage entre deux projets qui seront fatalement forcément comparés. Reste à déterminer comment traiter ce sujet a priori pimenté, mais auquel il faut savoir donner une consistance sur le long terme d'une, voire plusieurs saisons. En un sens, il y a presque trois décennies, la BBC avait déjà montré les écueils sur lesquels il était facile de s'échouer en s'attaquant à l'histoire d'une telle famille sur cette toile de fond italienne déchirée de la fin du XVe siècle.
Après les dix épisodes qui comportaient cette première saison, il est cependant temps de dresser un premier bilan, alors que la série a d'ores et déjà été renouvelée. J'ai suivi l'ensemble presque sans décalage, ce qui, en soit, plaide en faveur de The Borgias vu mes retards accumulés au cours du mois de mai. Pour autant, cette saison est loin d'avoir été exempte de défauts. L'enthousiasme des débuts a laissé placer à pas mal de frustrations, engendrées par des maladresses structurelles, caractéristiques d'une insuffisance d'ambition scénaristique assez dommageable. Pour autant, tout n'est pas à renier dans The Borgias ; et je pense suivre la saison 2.
Cette première saison est construite sur des bases narratives très académiques a priori efficaces. Elle propose un grand arc qui va sceller la confirmation de l'ascension des Borgias : de l'élection d'Alexandre VI jusqu'à une confrontation finale, face aux Français et au cardinal Della Rovore, que le pape, par une ultime manipulation et un dernier retournement, parvient à surmonter. Cependant c'est peu dire que la série aura pris des chemins parfois trop détournés pour nous narrer cette lutte de pouvoirs, cédant aisément à la facilité des mises en scène amoureuses trop creuses et déconnectées des réels enjeux. Le milieu de saison est un cap difficile à passer, tant le rythme de la série se ralentit au profit d'ébats un peu vains. Peut-être dix épisodes constituaient-ils une durée encore trop longue pour l'histoire envisagée, huit épisodes auraient sans doute suffi.
Pourtant, on souhaiterait pardonner aux Borgias bien des soubressauts qualitatifs en raison de l'attrait que suscite le sujet traité. Parce que se laisser entraîner dans la géopolitique complexe de l'Italie éclatée en royaumes de l'époque a quelque chose d'assez grisant. Parce que, par éclipse, cette carte postale colorée qui nous est dépeinte laisse transparaître tout son potentiel ; mais les scénaristes ne sauront jamais prendre la mesure de ce tableau déchiré. En effet, dans ces jeux de pouvoirs létaux, The Borgias reste trop souvent dans le registre du folklore historique. Au-delà de quelques éclairs, poignée de dialogues qui sonnent justes et qui maintiendront toujours ce relatif espoir de voir la série aller au bout de son idée, les Médicis ou Machiavel resteront ces figures historiques, inhérentes au cahier des charges, mais traitées de façon caricaturale et distante, sans jamais vraiment trouver leur place. Cela donne à la mise en scène un côté un peu artificiel qui frustre les attentes du téléspectateur.
Au fond, le problème principal de ces Borgias-là est un manque d'ambition et de vision de scénaristes archeboutés sur un concept qui leur a paru plus prudent de magnifier visuellement et esthétiquement, qu'en s'appropriant véritablement une histoire dont la complexité pouvait vite égarer. Pour autant, si ce sont mes regrets qui s'expriment par ces quelques lignes teintées d'amertume, il serait excessif de nier les atouts d'un série qui peut s'apprécier sur certains points. Certes l'intrigue politique et militaire qui amène à l'appel aux Français reste par trop linéaire, mais elle constitue cependant un fil rouge qui n'est pas déplaisant à suivre.
Mais au-delà de ce faste romain, la véritable force de cette fiction est ailleurs. C'est finalement par ses personnage que The Borgias a su retenir mon attention jusqu'au bout. S'ils ne sont pas toujours écrits de la manière la plus subtile qui soit, ils ont su plus sûrement que tout le reste m'impliquer dans leur destinée et les choix qu'ils ont pu faire. Car The Borgias est peut-être avant tout cela : une série sur l'ascension au sommet, ou plutôt, la survie d'une famille au sein de laquelle le patriarche nourrit suffisamment d'ambitions pour tous ses membres.
Chacun des protagonistes semble porté par ses propres ambivalences et ses paradoxes. Les rapports d'Alexandre VI à sa fonction demeurent aléatoires, profondément empreints d'une piété soudaine devant la charge qu'il occupe, mais n'hésitant jamais à faire preuve d'un pragmatisme et ne reculant devant aucune manipulation. Il aménage une forme de coexistence entre sa foi et une hypocrisie inhérente à ses choix qui rend le personnage difficile à cerner. De même, sa vision de sa famille oscille entre une finalité purement utilitariste et l'expression de sentiments paternels qui ne transparaissent qu'exceptionnellement. Ses rapports ambivalents avec Cesare constituent d'ailleurs une des dynamiques narratives les plus consistantes de la saison.
La frustration de ce dernier, confiné dans cette fonction d'homme d'église qu'il n'est pas, ne cesse de grandir, le conduisant peut-être encore plus sûrement vers cette voie sombre où il commandite sans sourciller des assassinats. Les sentiments guident pourtant toujours des actions qu'il exécute par contraste avec réel un sang froid : c'est une loyauté ou une dévotion envers ses points cardinaux qui le déterminent : sa famille, sa soeur, puis la belle Ursula. Le personnage qui évoluera le plus au cours de la saison sera incontestablement Lucrezia, l'adolescente chérie gâtée des débuts deviendra femme, les épreuves la fortifiant et lui faisant découvrir ce pragmatisme amoral qui n'est rien d'autre que l'instinct de survie dans cette société où, de par son statut, elle est contrainte d'évoluer. Et que dire de Juan, dont les désillusions de grandeur, ne font que le précipiter plus durement vers un douloureux retour à la réalité, les fanfaronnades ne suffisant plus lorsque la réelle lutte commence ?
S'ils se déchirent entre eux de la plus intime et cruelle des façons, se faisant souffrir tant par leurs natures différentes que par leurs caractères propres, ils demeurent unis dans l'adversité de cette Italie qui rêve de les voir déchus. C'est sans doute ici que se trouve la fascination que peut exercer la série : c'est dans ces convergences d'intérêts, dans ces loyautés troublées mais qui demeurent scellées par un amour familial qui nous transporte parfois aux confins d'une morale qui n'a de toute façon pas de place en ces milieux. The Borgias n'est finalement pas tant une série sur le pouvoir, qu'une série sur une famille confrontée au pouvoir. Et c'est peut-être en admettant cela qu'elle peut s'apprécier en dépit des limites qu'elle manifeste dans les autres registres.
Enfin, le casting n'aura pas dépareillé pour finalement parvenir à humaniser cette fresque historique. Tout en imposant une présence incontournable dans chacune de ses scènes, Jeremy Irons aura parfois un peu trop cédé aux paradoxes de son personnage. Les bonnes surprises sont venues de ceux incarnant ses enfants : le charmant François Arnaud (Yamaska) - le seul que je ne connaissais pas et qui restera pour moi la révélation de cette première saison - et Holliday Grainger (Demons, Above suspicion, Any human heart), mais aussi David Oakes (Les Piliers de la Terre) même s'il dispose d'un temps d'écran un peu moindre, surent parfaitement refléter les ambivalences, comme l'intensité des désirs, de ces figures qui ne sont pas maîtresses de leur destin.
Bilan : Si la première saison de The Borgias manque d'homogénéité, si les tenants et aboutissants politiques et militaires des jeux de pouvoirs italiens de la fin du XVe siècle ne seront jamais pleinement maîtrisés, la série va cependant se découvrir au fil des épisodes une autre force qui permettra au téléspectateur de lui pardonner bien des limites. Car c'est dans la dimension humaine qu'elle développe, dans ces rapports familiaux ambivalents, scellés par l'instinct de survie plus que par le sang, que va naître un attachement à cette série. La scène finale, qui peut surprendre au vu des épreuves traversées, consacre finalement cette approche plus humaine qui est celle dans laquelle The Borgias s'épanouit le mieux.
NOTE : 6,25/10
Le générique :
La bande-annonce de la série :
12:02 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : showtime, the borgias, jeremy irons, françois arnaud, david oakes, holliday grainger, aidan alexander, joanne whalley, derek jacobi, colm feore, ruta gedmintas, lotte verbeek, elyes gabel, sean harris, simon mcburney, montserrat lombard, vernon dobtcheff, peter sullivan, bosco hogan | Facebook |
27/03/2011
(Pilote US) The Borgias : jeux de pouvoir impitoyables dans l'Italie de la fin du XVe siècle
Au vu des programmes qui s'annoncent dans les prochaines semaines, je devine que mon mois d'avril aura un parfum historique très prononcé. C'est tout d'abord Showtime qui va ouvrir le bal, avec une fiction destinée à succéder aux Tudors, à partir d'un sujet qui promet tout autant, si ce n'est plus, que le règne de Henri VIII : les Borgias. Ce choix d'une famille restée dans la mémoire collective, non seulement comme un symbole de décadence, mais aussi comme un modèle dans l'art de la quête du pouvoir, telle que le décrira si méticuleusement Machiavel, quelques années plus tard, dans son célèbre Prince, présente a priori tous les ingrédients nécessaires pour offrir un cocktail détonnant mêlant pouvoir, sexe et politique, avec en toile de fond les luxueuses et fatales coulisses du Saint-Siège.
Ayant toujours eu un rapport compliqué et beaucoup de réticences face aux Tudors, c'est avec une certaine réserve que j'ai lancé ce premier épisode, même si le sujet m'intéressait a priori beaucoup. Et c'est finalement avec plaisir que je peux dire que le pilote des Borgias remplit a priori toutes les promesses que l'imagination féconde (et romanesque) du téléspectateur pouvait avoir envisagé. D'une longueur imposante de plus d'1h30, il pose le cadre sanglant et ambitieux qui va être celui de la série, tout en introduisant efficacement la situation comme les protagonistes. La diffusion de The Borgias commencera le 3 avril prochain sur Showtime. Je serai au rendez-vous.
L'histoire s'ouvre à Rome, à la toute fin du Moyen-Âge et à l'aube de la Renaissance, en 1492. Les premières minutes nous permettent d'assister au dernier soupir du pape Innocent VIII. C'est l'opportunité qu'a patiemment attendu toute sa vie le très ambitieux cardinal Rodrigo Borgia, lui-même neveu du pape Callixte III. Le conclave, qui s'organise sous nos yeux, réuni afin d'élire son successeur, va s'avérer aussi disputé qu'opaque. En effet, il va être le cadre des plus intenses tractations et autres manoeuvres corruptives pour permettre à Rodrigo d'obtenir les faveurs de la majorité des votants. A l'extérieur, son fils Cesare le seconde habilement afin d'assurer la réussite de ses projets. Ses ambitions se verront récompensées : Rodrigo deviendra pape, prenant le nom d'Alexandre VI.
Cependant cette consécration est loin d'être une fin en soi. En effet, si les Borgia, une famille originaire d'Espagne, avaient déjà leur part d'ennemis dans l'Italie de cette fin de XVe siècle, l'accession au siège de saint Pierre ne va faire qu'attiser les tensions et renforcer la résolution de leurs ennemis. Se maintenir en place promet d'être aussi difficile et compromettant que l'ascension a pu l'être, en témoignent les complots qui, dès ce premier épisode, rythment déjà les coulisses du Saint-Siège. Alexandre VI devra plus que jamais s'appuyer sur la ruse, mais aussi sur ses enfants, au premier rang desquels, Cesare, qu'il va rapidement nommer cardinal.
C'est tout d'abord dans le registre d'une fiction politique historique que The Borgias s'impose. Ce pilote se consacre pleinement à la mise en scène de jeux de pouvoir mortels, sur fond de confrontation fatale entre les ambitions des grandes familles romaines influentes de l'époque. Tous les moyens sont bons pour servir leurs projets, ne s'arrêtant pas seulement à une corruption qui apparaît généralisée. De façon impitoyable, les complots se font et se défont, tandis qu'avec un arrière-goût empoisonné, les trahisons se succèdent, et les morts aussi. Si l'histoire se concentre logiquement sur les manoeuvres de Rodrigo et de son fils, ils sont loin d'être les seuls à agir en coulisses.
Conduit de façon rythmée, l'épisode nous propose donc une partie d'échec létale très accrocheuse, où la ruse est élevée au rang d'art, où la pitié et la morale ne sauraient intervenir, tout étant sacrifiable pour atteindre et assurer le pouvoir. On parlerait anachroniquement sans nul doute de machiavélisme, si Cesare Borgia n'avait pas justement inspiré le Prince de Machiavel publié quelques années plus tard. De même, à observer ces clans familiaux ainsi s'affairer et s'affronter, entièrement dédiés à cette lutte pour le pouvoir, le sous-titre de l'affiche de la série, "the original crime family", s'avère être bel et bien une promesse tenue. Et quand le cardinal Della Revore découvre son lit ensanglanté par un cadavre - même si c'est celui d'un être humain - la réminescence d'une autre scène cinématographique célèbre du genre vient naturellement : après tout, ce n'est pas non plus un hasard si Mario Puzzo a pu consacrer tout un roman à romancer le destin de cette famille. En résumé, The Borgias dispose de tous les ingrédients pour mettre en scène des luttes de pouvoir aussi animées que complexes.
Outre ses enjeux politiques, The Borgias exerce également un attrait plus subversif : le nom de cette famille a conservé à travers les siècles un parfum sulfureux sur lequel le pilote capitalise pleinement. Népotiste assumé, simoniaque rompu à tous les trafics, nicolaïste notoire, Alexandre VI personnifie et symbolise les dérives internes de l'Eglise du XVe et des débuts du XVIe siècle. L'épisode ne nous épargne aucun détail de cette décadence aux multiples facettes : des dessous de l'élection pontificale de 1492, avec la distribution de bénéfices ecclésiastiques et le pillage d'églises vidées de leurs objets de valeur, jusqu'aux questions de moeurs, face à un Souverain Pontife qui écarte de l'oeil du public la concubine qui lui a donné quatre enfants au motif hypocrite du maintien des apparences, tout en installant sa nouvelle maîtresse dans une maison où il peut lui rendre visite en secret.
De plus, ces thèmes se déclinent également à l'intérieur de la dynamique, forcément particulière, d'une famille toute entière consacrée aux ambitions du père. Les rôles y sont déjà distribués. Cesare, en dépit d'un intérêt bien plus porté sur le temporel que le spirituel, se doit d'embrasser une carrière ecclésiastique sur les pas de Rodrigo, tandis que son frère sera celui qui s'investira dans le versant militaire pour consolider leur emprise sur la péninsule. Quant à Lucrezia, le jeu des alliances par mariage lui est ouvert. Il faut noter que c'est jusqu'au sein même de cette famille que les signes de dérive des moeurs sont perceptibles. En effet, l'épisode met ouvertement l'accent sur l'ambivalence des rapports, ou plutôt des sentiments éprouvés par Cesare à l'égard d'une soeur qu'il chérit plus que tout et dont il a bien du mal à concevoir la seule idée du mariage.
Au-delà de ces thèmatiques où se mêlent pouvoir et sexe avec en toile de fond une reconstitution historique mettant en avant le luxe romain de cette fin de XVe siècle, la réussite de ce pilote va aussi être de ne jamais déshumaniser les jeux politiques qu'il dépeint. Si, par son sujet, The Borgias ne pouvait être manichéenne, elle va aussi proposer des personnages avec leurs failles et leurs propres ambiguïtés : ce ne sont pas des figures unidimensionnelles qui se réduiraient à leurs seules ambitions. Certes, la plupart des personnages sont moralement condamnables, mais ils sont surtout les dignes participants d'une tragédie du pouvoir shakespearienne, permettant à la série d'investir une dimension humaine qui retient également l'attention.
Ainsi, le pilote installe et et réserve une part d'ambivalence à tous ces protagonistes qui ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins. Sans doute pour bien introduire son cadre, il se concentre surtout sur Rodrigo (Alexandre VI) et Cesare. Pour le premier, ce sont ses positions teintées d'hypocrisie qui renforcent ses paradoxes, le vernis se craquellant rapidement derrière les déclarations d'intention initiales annonçant sa volonté de remplir dignement la fonction à laquelle il a été élu. Pour Cesare, les conflits internes sont plus personnels. Instrument frustré de son père, prêt à tout pour protéger sa famille, il ne rêve que de se voir délier de ses voeux ecclésiastiques pesant qu'il n'a prêté qu'avec réticence, mais il va finalement se retrouver nommé cardinal par le biais d'une énième manoeuvre politique de son père pour s'assurer d'une assise majoritaire auprès de ces dignitaires.
Au-delà de son efficacité sur le fond, c'est aussi sur la forme que The Borgias a su mettre tous les atouts de son côté. La série séduit par l'esthétique proposé dans ce pilote qui exploite pleinement le faste et le luxe de son décor romain. Il se dégage de ces superbes images comme un parfum de fin de XVe siècle absolument saisissant. La réalisation est soignée. Une attention toute particulière a été portée aux costumes, comme aux lieux dans lesquels se déroulent les scènes. Les effets de caméra, comme les teintes choisies, sont un vrai plaisir pour les yeux du téléspectateur.
Pour accompagner cette forme très convaincante, la série dispose également d'une bande-son en parfaite adéquation avec son ambiance, reprise réagencée de musique aux faux accents religieux. Elle n'est pas trop envahissante, mais contribue à donner son atmosphère de cette fiction, rythmant les intrigues et pointant la solennité de certains passages. D'ailleurs, c'est dès le départ, avec son long et magnifique générique, que The Borgias impose son style et ses ambitions sur la forme (cf. la première vidéo en bas de ce billet).
Enfin, pour donner vie aux protagonistes dans cette fresque, The Borgias bénéficie d'un casting international solide qui s'avère être à la hauteur des attentes. Jeremy Irons s'impose d'emblée comme la figure centrale ambitieuse, non dénuée d'ambiguïté dans sa façon d'alterner autoritarisme et ruse pour parvenir à ses fins. Pour le seconder dans ses basses oeuvres au sein de l'Eglise, son fils Cesare est interprété efficacement par François Arnaud (Yamaska). David Oakes (Les Piliers de la Terre), qui s'épanouit dans le domaine militaire, Holliday Grainger (Demons, Above suspicion, Any human heart) en troublante Lucrezia et Aidan Alexander, jouent ses autres enfants, tandis que Joanne Whalley incarne leur mère.
Autour de la famille Borgia gravite des alliés d'un jour et des ennemis encore plus déterminés. On retrouve dans la galerie d'acteurs qui les interprètent : Derek Jacobi (Mist : Sheepdog Tales), Colm Feore (24, The Listener), Ruta Gedmintas (Lip Service), Lotte Verbeek, Elyes Gabel, Sean Harris (Meadowlands), Simon McBurney (Rev.), Vernon Dobtcheff, Peter Sullivan (The Bill, The Passion) ou encore Bosco Hogan (The Tudors).
Un aperçu des décors...
Bilan : Superbe sur la forme, solide sur le fond, The Borgias démarre sur un pilote convaincant et abouti qui correspond à l'image romanesque préconcue que l'on pouvait avoir d'une fiction centrée sur cette famille marquante des XVe et XVIe siècles italiens. Grandeur et décadence, sexe et politique, religion et corruption, seront au rendez-vous de cette série historique qui nous plonge dans les coulisses du Saint-Siège. Au vu de cette introduction, elle dispose a priori de tous les ingrédients pour s'imposer comme un rendez-vous hebdomadaire plaisant. A suivre !
NOTE : 8/10
Le générique :
La bande-annonce de la série :
17:02 Publié dans (Pilotes US) | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : showtime, the borgias, jeremy irons, françois arnaud, david oakes, holliday grainger, aidan alexander, joanne whalley, derek jacobi, colm feore, ruta gedmintas, lotte verbeek, elyes gabel, sean harris, simon mcburney, montserrat lombard, vernon dobtcheff, peter sullivan, bosco hogan | Facebook |
26/07/2010
(Pilote / Mini-série US) The Pillars of the Earth : la construction d'une cathédrale, au coeur d'une vaste fresque médiévale
La première fois que j'ai entendu parler du projet d'adapter à l'écran le roman de Ken Follett, cela m'avait paru comme un doux rêve. Attrayant certes. Cependant, réussir la transposition de cette dense fresque historique au format télévisuel me semblait aussi ambitieux que difficilement réalisable. Les écueils sont nombreux, en partie inhérents à toute adaptation littéraire : ne pas trop condenser, rester fidèle à l'histoire, tout en se ré-appropriant ce matériel de base de façon à ce qu'il devienne le fondement d'un scénario vivant, destiné à une série. Reste que ces craintes ne pouvaient obscurcir le caractère absolument passionnant du sujet, suffisant seul à intéresser la téléphage amoureuse d'Histoire que je suis.
De plus, outre son thème, The Pillars of the Earth (Les Piliers de la Terre) présente d'autres atouts aussi attrayants. Car il faut bien que je vous avoue qu'une raison supplémentaire, très différente mais toute aussi justifiée, expliquait mon attente impatiente de cette mini-série : son casting. En effet si une série me propose de réunir, autour d'un même projet, des acteurs comme Matthew MacFadyen, Ian McShane, Rufus Sewel, etc., elle s'assure d'office ma présence de téléspectatrice dès ses débuts.
The Pillars of the Earth, co-production internationale, est une mini-série qui sera composée de huit épisodes et dont la diffusion a débuté, aux Etats-Unis, vendredi dernier, sur la chaîne câblée Starz.
The Pillars of the Earth se déroule au XIIe siècle. Cette importante fresque qui couvre, dans sa version littéraire, un demi-siècle, nous plonge dans une Angleterre déchirée par une guerre civile de succession, au cours d'une période que certains nommeront plus tard "l'Anarchie". La mini-série reprend les principaux évènements historiques de cette époque, de façon à établir précisément le contexte global. Elle s'ouvre en 1120 par le naufrage de la "Blanche-Nef", où périt le seul fils légitime du roi Henri Ier. A la mort de ce dernier, ne lui reste comme descendante légitime que sa seule fille, Mathilde. Profitant des réticences des barons à porter une femme au pouvoir, Etienne de Blois, le neveu du roi, un petit-fils de Guillaume le Conquérant, s'approprie finalement le trône d'Angleterre, avec le soutien de l'Eglise, dont il s'engage à promouvoir les intérêts. Il précipite ainsi Mathilde dans une résistance qui va conduire les deux camps à la lutte armée.
Ces différents évènements, qui se déroulent en arrière-plan de la trame principale, mais sur lesquels le pilote prend le soin de s'arrêter de façon à poser un cadre clair au téléspectateur, constituent une toile de fond violente qui accentue le chaos régnant dans le royaume, tout en influant plus ou moins fortement sur la vie des différents protagonistes, qui seront parfois entraînés dans ce tourbillon de trahisons. Si la lutte pour le trône n'est pas le sujet principal, le coeur de The Pillars of the Earth se situe bien dans des conflits d'intérêts et de pouvoirs, entre idéalistes et ambitieux, nobles, hommes d'église et gens du commun, se concentrant sur un enjeu hautement symbolique, qui mêle toutes ces thématiques : la construction d'une cathédrale.
Parce que The Pillars of the Earth est une fresque particulièrement dense, dotée d'une galerie très riche en personnages, le premier épisode va opportunément prendre le temps de soigner l'introduction du téléspectateur dans cet univers. Il présente progressivement chacun des protagonistes, tout en posant les fondations de la grande, comme des petites, histoires. Il s'agit avant tout de bien se familiariser avec le cadre de cette société moyen-âgeuse, avec ses moeurs, mais aussi avec les motivations, altruistes ou très égoïstes, des différents personnages.
C'est ainsi que le premier épisode va offrir une combinaison intéressante d'éléments de contextualisation, tout en permettant au téléspectateur de trouver ses points de repère afin d'embarquer dans cette fresque l'esprit clair. Outre les évènements historiques, ce pilote est l'occasion de suivre plusieurs protagonistes clés. Il y a Tom, un bâtisseur, qui mène sa famille de chantier en chantier, survivant par des emplois plus ou moins précaires, en attendant de décrocher ce dont il rêve tant : le projet de construction d'une cathédrale. Sa femme, Agnès, meurt en couches au cours de l'épisode ; le bébé, abandonné sur la tombe de sa mère, sera finalement recueilli par un futur moine. Toujours accompagné de ses enfants, Martha et Alfred, Tom rencontre Ellen et son fils, Jack, un jeune homme doué en art, qu'un traumatisme dans l'enfance a rendu quasiment muet. Leur histoire est chargée de secrets, mais Tom accepte de les voir se joindre à eux.
Parallèlement, l'épisode s'intéresse aux jeux de pouvoirs - tout aussi létaux que la lutte pour le trône - au sein de l'Eglise. Tandis que le père Waleran intrigue pour devenir évêque, l'abbaye de Kingsbridge perd son prieur. Les soutiens réciproques entre un moine idéaliste, Philip, et le machiavélique Waleran, leur permettront, par le truchement d'élections orientées, d'accéder à la qualité convointée par chacun. Le pilote ne néglige pas non plus les storylines laïques, tout aussi chargées en politique, mais à connotation plus locale que celles de la lutte pour le trône, à travers les enjeux d'un titre de noblesse et des terres qui lui sont associées. Les parvenus Hamleigh nourrissent en effet des ambitions sur un comté, envisageant notamment un mariage entre leur fils et la fille aînée, héritière, Aliena. Le rejet par cette dernière va les amener à recourir à des solutions plus drastiques.
A la lecture de ce résumé, déjà fortement condensé, il est aisé de deviner où se situait le premier écueil auquel ce pilote devait faire face : il s'agissait de ne pas se laisser submerger par la richesse de l'univers à mettre en place. Il fallait réussir à introduire tous ces enjeux si diversifiés et ces personnages très différents. D'autant que les intéractions entre ces derniers conduisent souvent à d'éphémères alliances de circonstances, qui troublent un peu plus la lisibiité des motivations de chaque protagoniste. Un juste équilibre devait, de plus, être trouvé entre des scènes de pure exposition, contextualisant l'histoire, et le récit véritable qui s'amorce, en s'attachant au destin de plusieurs individualités, dans ce tourbillon chaotique ambiant.
A la fin de ce premier épisode, l'objectif de départ est, pour ainsi dire, rempli : le téléspectateur situe chaque personnage et tous les enjeux apparaissent désormais clairs, ce qui permet ainsi de partir sur de solides fondations, en attendant les développements futurs. Les scénaristes ont, à dessein, pris leur temps pour bien introduire cette vaste fresque. C'est pourquoi le pilote monte progressivement en puissance et gagne en épaisseur, à mesure qu'il appréhende l'ambitieuse dimension du récit envisagé. C'est aussi pourquoi, en dépit des si nombreux personnages et de toutes leurs histoires personnelles, cette immersion ne paraît pas trop abrupte.
S'il faut une première demi-heure d'ajustement, en acceptant de ne pas percevoir immédiatement le tableau d'ensemble, la patience du téléspectateur est récompensée. Au final, si la tâche était rude, ce pilote s'offre une introduction fluide et maîtrisée qu'on peut qualifier de réussie. J'apporterai cependant un bémol, sous forme de précision, à mon jugement : cette introduction m'a semblée, personnellement, menée de façon efficace, mais j'étais déjà familière avec cet univers pour avoir lu le livre d'origine. Par conséquent, une personne qui plongerait dans l'inconnu avec ce premier épisode n'aurait peut-être pas la même perception.
Au-delà de la question de l'accessibilité immédiate de l'histoire, ce pilote expose déjà très clairement quelles seront les grandes thématiques de The Pillars of the Earth. Alternant petites histoires et grande Histoire, destinées personnelles et sort de tout un royame, la minisérie mêle habilement ces différents enjeux, pour s'offrir un cadre d'une complexité aussi fascinante qu'intrigante. Au coeur de ces jeux de pouvoirs, où l'intrigue est maître et où les ambitions se révèlent, la politique, comme la religion, sont des moyens d'atteindre ses objectifs, tandis que les sentiments viennent troubler certaines positions. Du plus machiavélique au plus idéaliste des personnages, tous maîtrisent - et n'hésitent pas à s'en servir - les clés des rouages des grandes institutions qui régentent cette société féodale.
Si tout cet effort fait dans le pilote afin de donner sa tonalité à la mini-série s'avère efficace, l'épisode n'oublie pas d'essayer d'humaniser ses personnages, de façon à retenir l'attention du téléspectateur sur les destins individuels, pas seulement sur ce vaste tableau médiéval d'arrière-plan. C'est sans doute le personnage de Tom, qui s'en sort le mieux. Le pilote prend le temps de nous introduire dans son quotidien, peut-être le plus simple et directement accessible au téléspectateur : celui d'un bâtisseur, déménageant de chantiers en chantiers. Ses rêves de cathédrale et sa tragédie familiale, avec la mort de son épouse, sont des éléments concrets qui touchent instantanément.
Ambitieuse dans son contenu, en conservant la densité de l'histoire originale, The Pillars of the Earth est également très aboutie sur un plan formel. Elle bénéficie d'une belle réalisation, largement au-dessus de la moyenne, utilisant notamment des plans larges assez inspirés. Mais c'est surtout par la photo que la mini-série se démarque. L'esthétique est très travaillé, choisissant de faire ressortir les couleurs, avec une forme de sobriété qui les rend faussement chatoyantes. Si on est loin des superbes images un peu glacées des period dramas britanniques, cette mini-série impose, avec une certaine réussite, un style qui lui est propre, et qui n'est pas déplaisant à découvrir à l'écran.
Outre son visuel, The Pillars of the Earth dispose également d'une bande-son en adéquation à ses thématiques, qui renforce la tonalité médiévale. Tout en en faisant une utilisation sobre, les quelques pistes musicales mélangent des sonorités associées dans l'imaginaire collectif à cette époque, entre chants grégoriens et musiques sacrées.
Enfin, même si je l'ai déjà brièvement évoqué, je me dois de m'arrêter à nouveau sur le casting proposé par cette mini-série. Composé de valeurs sûres (principalement britanniques pour les têtes d'affiche) du petit écran, il se révèle à la hauteur des ambitions de la vaste reconstitution envisagée, point de répère immédiat d'un téléspectateur découvrant la riche galerie des différents personnages.
On y retrouve non seulement, Rufus Sewel (Charles II, Eleventh Hour), en bâtisseur rêvant de cathédrale, Ian McShane (Deadwood), en prêtre intrigant, accédant à la dignité d'évêque, Matthew MacFadyen (Spooks, Little Dorrit), en prieur idéaliste souhaitant reformer l'abbaye de Kingsbridge, mais également Eddie Redmayne (Tess of the D'Ubervilles), en jeune homme, surdoué dans les arts, dont les circonstances de sa naissance interrogent, Hayley Atwell (The Prisoner) en femme noble passionée, Donald Sutherland (Dirty Sexy Money), David Oakes, Natalia Wörner, Anatole Taubman, Alison Pill (In Treatment) ou encore Sam Claflin.
Bilan : The Pillars of the Earth se présente comme une vaste fresque historique ambitieuse, dont la complexité et la richesse de son histoire vont constituer ses atouts principaux, solidement soutenus par un casting cinq étoiles. Ce pilote, péchant parfois en raison de son excès de contenu, prend son temps dans l'exposition de la situation. L'écriture est dense, cependant, le téléspectateur ne s'y perd jamais et sa patience initiale est récompensée par la mise en place progressive des intrigues et des enjeux qui se précisent. Au final, sont introduits de nombreux éléments très intéressants, tant du côté de la grande Histoire que des petites histoires sur lesquels le récit futur va se concentrer. Ainsi, il est difficile de ne pas être se trouver captivé par ce que cette première immersion laisse entrevoir : le premier contact est convaincant, reste à The Pillars of the Earth à confirmer !
NOTE : 8/10
La bande-annonce de la mini-série :
09:05 Publié dans (Mini-séries US), (Pilotes US) | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : starz, les piliers de la terre, the pillars of the earth, ken follett, matthew macfadyen, rufus sewel, ian mcshane, eddie redmayne, hayley atwell, donald sutherland, david oakes, natalia worner, anatole taubman | Facebook |