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05/07/2012

(UK) The Hollow Crown - Richard II : une belle adaptation de Shakespeare pour la télévision

"Let us sit upon the ground
And tell sad stories of the death of kings.
How some have been deposed; some slain in war;
Some haunted by the ghosts they have deposed;
Some poisoned by their wives; some sleeping killed.
All murdered. For within the hollow crown."

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Un été shakespearien, ça vous dit ? Après tout, la période estivale est l'occasion parfaite pour prendre le temps de (re)découvrir certains grands classiques ! Dans le cadre des manifestations autour de la culture britannique accompagnant les Jeux Olympiques de Londres, BBC2 se propose ainsi de transposer du Shakespeare à l'écran, trente ans après le dernier grand cycle d'adaptations télévisées du célèbre auteur sur la chaîne publique anglaise. Sous le titre de The Hollow Crown (extrait d'un dialogue de Richard II), vont se succéder quatre oeuvres : Richard II, Henry IV parts. 1 & 2 et Henry V.

Cette tétralogie a débuté samedi dernier (le 30 juin 2012) sur BBC2 avec Richard II. Réalisée par Rupert Goold, ce fut une belle soirée de 2h20 au cours de laquelle le passage du théâtre au petit écran a été dans l'ensemble très bien négocié, en dépit de la difficulté inhérente à cette pièce particulière. Pour réussir ces mises en scène, The Hollow Crown pourra s'appuyer tout au long de ses quatre parties sur un casting principal et secondaire de luxe qui mérite bien cinq étoiles. Dans les rôles-titres, on retrouvera respectivement Ben Whishaw en Richard II, Jeremy Irons en Henry IV et Tom Hiddleston en Prince Hal/Henry V. 

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L'histoire relatée dans cette pièce débute lorsque deux seigneurs, Henry Bolingbroke, cousin de Richard II, et Thomas Mowbray sollicitent l'intervention du roi dans le conflit qui les opposent. Les accusations sont lancées sans que nul ne puisse calmer les deux adversaires afin de trouver une conciliation. Richard II accepte d'abord l'idée de voir trancher le litige par un duel... qu'il interrompt brusquement au dernier moment. Il prend alors la décision d'ordonner le bannissement du royaume des deux hommes, à vie pour Mowbray, durant six ans pour Bolingbroke. C'est le début d'une série de choix qui vont fragiliser sa position.

Alors que Bolingbroke est en exil, son père, John of Gaunt, décède. Richard II fait saisir ses terres et sa fortune, avec pour objectif d'entreprendre une expédition en Irlande qu'il faut financer. En secret, des comploteurs insatisfaits s'agitent. Alors que le roi est loin d'Angleterre, Bolingbroke revient dans le royaume bien décider à réclamer ses droits légitimes.

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Richard II, c'est le récit de la chute d'un roi et de l'ascension sur le trône d'un pragmatique qui va exploiter le mécontentement suscité par certaines décisions royales pour s'emparer de la couronne. N'ayant jamais lu ou vu la pièce auparavant, cette version a donc été pour moi une découverte : l'expérience a été savoureuse, et le plaisir tout aussi présent. Car des vers shakespeariens aux dialogues mis en scène, le passage s'opère naturellement, permettant au récit de conserver toute sa force. La narration est bien huilée et se déroule sans temps mort, allant à l'essentiel pour rester fidèle à l'esprit de l'oeuvre de départ. C'est ainsi que l'introduction est rapide, le conflit porté devant Richard II puis le duel qui se termine par les sanctions, constitue une ouverture qui donne immédiatement le ton et surtout dessine les camps. Le téléspectateur est happé dans les jeux de pouvoir qui s'esquissent, d'autant que l'adaptation va toujours bien mettre en exergue les scènes clés qui sont autant de tournants dans le destin du roi. Le lent cheminement vers la déchéance s'opère par étapes, et se conclut une première fois dans une scène d'abdication dans la salle du trône d'une impressionnante et rare intensité ; puis par un dernier plan hautement symbolique où son cadavre transporté fait écho au crucifix qui surplombe l'immense pièce.

D'ailleurs, dans ce travail d'adaptation, il faut souligner l'incorporation sans alourdir le récit d'une symbolique (chrétienne) très présente. On touche là à un autre enjeu d'importance pour réussir la transposition d'une pièce de théâtre au format télévisé : celui de la réalisation. Le défi était d'autant plus difficile à relever que Richard II est une histoire comprenant peu d'action, qui repose surtout sur les tirades de ses personnages et ce recours aux symboles. La mise en scène est pourtant fluide, tout en restant relativement figée. Elle sait parfaitement tirer avantage du fait d'être filmé dans un décor réel, qu'il s'agisse d'exploiter la grandeur de certains lieux comme la salle du trône, ou bien d'utiliser le paysage pour sublimer des passages. Parmi les scènes très réussies, il y a par exemple celle du retour de Richard après la rebellion, lorsqu'il met pied à terre, sur la plage avec la mer derrière lui, et qu'il apprend comment les rapports de force ont tourné en sa défaveur. D'autres fois, Rupert Goold opte au contraire pour des plans serrés qui retranscrivent de la manière la plus brute possible les émotions de chacun. C'est souvent judicieux, notamment parce que les acteurs sont au rendez-vous.

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Car évidemment, le plus déterminant lorsque l'on met en scène de tels classiques reste les performances du casting qui doit s'approprier ces lignes et reprendre des rôles avec lesquels le public est déjà familier. Et sur ce plan, Richard II est assurément à la hauteur des ambitions affichées : son casting sera une de ses grandes forces, tout le monde se révélant plus qu'à la hauteur de l'évènement, à commencer par un mémorable Ben Whishaw (The Hour). Ce dernier trouve dans ce rôle de roi, glissant vers la déchéance, une occasion en or pour faire étalage d'un talent qu'il n'a plus à démontrer. D'un charisme constant, il fascine, captive et capture parfaitement l'ambivalence de ce roi complexe, avec une intensité troublante. Certaines de ses scènes hanteront quelques temps la mémoire du téléspectateur.

Face à lui, Rory Kinnear (The Mystery of Edwin Drood, Black Mirror) incarne ce rival qui gagne en stature et va prendre une autre dimension en s'emparant de la couronne : il est tout aussi impeccable (et, après avoir pu l'apprécier dans des registres très différents, je dois dire que j'aime décidément beaucoup cet acteur). Quant à Patrick Stewart (Star Trek : the next generation), il marque durablement grâce une dernière scène de défiance contre le roi qui m'a donné des frissons. David Suchet (Hercule Poirot, Great Expectations) et David Morrissey (State of Play, Blackpool) proposent également de très solides performances, offrant bien la réplique aux personnages centraux. Et puis, dans ce casting qui ravira tout téléspectateur familier des écrans britanniques, on retrouve également Tom Hughes (Silk), James Purefoy (Rome), Lindsay Duncan (Shooting the past, Rome), Samuel Roukin (Appropriate Adult), mais aussi Clémence Poésy, Ferdinand Kingsley, Harry Hadden-Paton ou encore Finbar Lynch (Proof). Pour résumer en une phrase : Richard II rassemble un casting de rêve qui impressionne et contribue grandement à sa réussite.

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Bilan : C'est avec une adaptation convaincante de Richard II que BBC2 a ouvert son été. Cette transposition est bien servie par une mise en scène maîtrisée qui sait exploiter le format télévisé jusque dans sa bande-son, certes parfois un peu intrusive, mais souvent juste pour donner la tonalité et conférer une dimension supplémentaire au récit se jouant sous nos yeux. Elle s'appuie aussi sur un casting de choix aux interprétations marquantes. Si les parties suivantes sont du même acabit, cet été 2012 aura un parfum Shakespearien très prononcée !

Une oeuvre conseillée pour tous les amoureux de culture britannique, les amateurs de théâtre, de Shakespeare... et pour tous les curieux qui veulent profiter d'une bien belle transposition à l'écran.


NOTE : 8/10


La bande-annonce de The Hollow Crown :

15/09/2011

(Mini-série UK) Appropriate Adult : une plongée dans l'horreur humaine

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En attendant le retour de Downton Abbey avec une saison 2 pour laquelle je compte les jours (le 18 septembre prochain), ITV1 diffusait ces deux premiers dimanches de septembre une mini-série d'un genre bien différent : Appropriate Adult. Composée de deux épisodes d'un peu plus d'1 heure chacun, cette oeuvre particulièrement glaçante, inspiré d'une histoire vraie, a le mérite d'adopter un point de vue original par rapport aux classiques fictions policières.

Portant à l'écran une affaire criminelle qui a secoué l'Angleterre dans le milieu des années 90, en dressant le portrait d'un serial killer de Gloucester, Fred West, arrêté en 1994 et qui a été lié à plus d'une dizaine de meurtres, Appropriate Adult n'a d'ailleurs pas été sans susciter une certaine controverse. Ecrite par Neil McKay et réalisée par Julian Jarrold, cette mini-série s'inscrit dans un cycle de téléfilms d'ITV sur les plus célèbres affaires criminelles anglaises du XXe siècle. Elle intervient ainsi à la suite de This is personal : The Hunt for the Yorkshire Ripper (2000), et See no devil : The Moors Murders (2006).

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Prenant le parti de ne pas s'intéresser à la longue enquête préalable qui a pu conduire les policiers sur la piste des époux West, Appropriate Adult se concentre sur les quelques mois se déroulant de l'arrestation de Fred et Rosemary West, en 1994, jusqu'au suicide de Fred, en prison, début 1995. La mini-série se place d'une perspective originale, celle de Janet Leach, désignée "appropriate adult" pour Fred West, et qui va donc l'accompagner durant toutes ses auditions par la police. Les enquêteurs souhaitaient en effet couvrir leurs arrières, et s'assurer qu'aucun avocat ne puisse soulever comme moyen le fait que Fred n'ait peut-être pas tout compris de la procédure criminelle à l'oeuvre.

C'est sur le contraste entre ces deux protagonistes principaux que la mini-série se construit. Janet Leach est en effet une mère de famille sans histoire, qui achève tout juste sa formation pour devenir appropriate adult. Lorsqu'elle avait envisagé cette fonction, elle était loin de se douter qu'elle pourrait un jour être confrontée à une affaire aussi sordide. Et Fred West va être la première personne qu'elle va assister. Immédiatement, le serial killer semble l'accueillir en confidente, nouant rapidement avec elle une relation de confiance qui va permettre à Janet d'influer sur l'enquête, en le convaincant de confesser des meurtres auxquels la police ne l'a pas encore lié. Mais en cherchant à obtenir la coopération de Fred West, Janet ne risque-t-elle pas de se perdre elle-même dans ce récit d'horreurs qu'elle obtient ?

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Le premier aspect marquant dans Appropriate Adult, c'est la manière dont la mini-série va mettre en lumière l'horreur humaine à l'état le plus brut qui soit. Sans afficher aucune scène de violence, ni le moindre cadavre sanguinolent, elle réussit le tour de force de glacer le téléspectateur par la seule force d'un récit indirect, constitué par les aveux de Fred West. La caractérisation du serial killer y contribue beaucoup : sa désinvolture trouble, tout comme la facilité avec laquelle il décrit les crimes qu'il a commis, ne lésinant sur aucun détail. L'écriture habile de la mini-série parvient, toute en nuances, à dévoiler sous nos yeux le profil psychologique très déstabilisant d'un meurtrier à l'égard duquel le qualificatif de monstre vient naturellement à l'esprit. Derrière une apparence très humaine, étonnamment tranquille, qui renvoie une image faussement avenante, se révèle une personne extrêmement versatile, manipulatrice et menteuse, dont les obsessions conduisent à des conversations en escalier quasiment sans fins, qui entraînent ses interlocuteurs toujours plus loin dans son univers des horreurs.

Si Appropriate Adult est aussi éprouvante, c'est aussi parce qu'elle nous fait vivre cette plongée effroyable du point de vue de Janet Leach. Dès le départ, le ton est donné : non avertie au préalable par la police, elle découvre au fil du premier interrogatoire de Fred West quelle est la nature des charges, et comprend que, derrière ce masque humain, se cache un être capable des pires actes. Le meurtre qu'il raconte alors à la police pose l'ambiance dont la mini-série ne va ensuite plus se départir. Faisant preuve d'un détachement émotionnel proprement effrayant, il décrit avec minutie le contexte et la mise à mort de sa fille Heather, puis la manière dont il a disposé du corps. Le téléspectateur n'a besoin d'aucune image graphique, d'aucune musique inquiétante, pour visualiser la scène, pour ressentir un véritable effroi. L'intensité du récit est semblable à une gifle qui nous laisse glacé et choqué, aussi sonné que Janet Leach.

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L'angle d'approche choisi par Appropriate Adult permet à la mini-série de ne pas être une simple déclinaison du genre policier. En suivant une mère de famille, la plus ordinaire qui soit, dans un rôle d'appropriate adult rarement porté à l'écran, et qui va etre confrontée aux révélations de Fred West, l'impact émotionnel est bien plus important que si elle s'était centrée sur des enquêteurs professionnels. Le téléspectateur va être le témoin privilégié de la relation particulière qui se noue entre les deux protagonistes principaux, que tout oppose a priori. De confidente presque maternelle, Janet s'enhardit peu à peu. La distance qu'elle impose avec cet homme, guidé par ses ressentis et ses pulsions, se réduit à mesure qu'elle se persuade de profiter au maximum de son influence pour amener Fred West à coopérer avec la police.

La nature de leur relation prend un côté de plus en plus troublant au fil des semaines. Il faut dire que Janet évoque dans l'esprit malade de Fred West un ancien amour perdu. La concurrence malsaine qui se développe avec Rosemary West, figure omniprésente dans les préoccupations d'un époux qui lui est entièrement assujetti, ne fait que renforcer ce malaise, accentuant l'ambivalence du lien qui unit Janet à Fred. En choisissant de poursuivre ses visites à la prison, alors même que le procès s'ouvre et que son rôle est depuis longtemps terminé, Janet dérive sur une pente dangereuse ; se laisse-t-elle aveugler par la mission d'obtenir des aveux qu'elle s'est fixée, par l'illusion d'importance que lui donnent ces entrevues ou par sa seule compagnie ? Elle parviendra à lui faire admettre bien des crimes, impliquant également sa femme... Mais elle le fera presque au sacrifice de sa santé, et de son équilibre mental. S'intéressant aux contradictions et aux dilemmes moraux de Janet, Appropriate Adult suit une ligne des plus troublantes.

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Sur la forme, Appropriate Adult reste fidèle à sa volonté de sobriété. Sa réalisation est soignée, très posée. La photographie est travaillée, souvent portée sur des teintes plutôt froides. Quelques plans en extérieurs alimentent l'ambiance de polar noir que la série se construit. Dans l'ensemble, elle reste minimaliste dans ses effets, privilégiant les dialogues pour distiller cette horreur glaçante de manière très efficace. De même, la bande-son demeure en retrait, effacée pour ne pas troubler et détourner l'attention de ce qui compte vraiment.

Enfin, il faut aussi préciser que Appropriate Adult n'atteindrait pas ce niveau d'intensité sans l'impressionant travail de son casting. C'est Dominic West (Sur Ecoute, The Hour) qui marque durablement, proposant une interprétation vraiment magistrale de Fred West. De l'accent jusqu'à la façon d'être et de s'exprimer du serial killer, il se métamorphose sous nos yeux. Pour lui donner la réplique, Emily Watson incarne une Janet Leach, toujours très posée. Elle fait un très bon travail pour jouer cette mère de famille ordinaire prise dans un engrenage d'horreurs qui est, lui, hors du commun. A leurs côtés, on retrouve Monica Dolan, en Rosemary West autoritaire et inquiétante, Samuel Roukin, Robert Glenister, ainsi que Anthony Flanagan.

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Bilan : Si Appropriate Adult ne contient aucune violence imagée, elle n'est pas à mettre entre toutes les mains. Loin d'une mise en scène sanguinolante, c'est à un niveau psychologique que cette mini-série joue, exploitant pleinement l'angle narratif original choisi grâce au personnage de Janet Leach. S'appliquant à dévoiler l'horreur humaine de la plus brute et sobre des façons, elle glace et perturbe, presque malsaine dans cette plongée dans l'inhumanité. Bénéficiant d'une écriture habile, la caractérisation de ses protagonistes et de leurs ambiguïtés est admirable, Fred West restant le plus marquant, bien servi par la performance de Dominic West.

Appropriate Adult est une mini-série au visionnage très éprouvant, mais qui mérite d'être vue.


NOTE : 8/10


Les premières minutes de la mini-série :