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15/09/2011

(Mini-série UK) Appropriate Adult : une plongée dans l'horreur humaine

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En attendant le retour de Downton Abbey avec une saison 2 pour laquelle je compte les jours (le 18 septembre prochain), ITV1 diffusait ces deux premiers dimanches de septembre une mini-série d'un genre bien différent : Appropriate Adult. Composée de deux épisodes d'un peu plus d'1 heure chacun, cette oeuvre particulièrement glaçante, inspiré d'une histoire vraie, a le mérite d'adopter un point de vue original par rapport aux classiques fictions policières.

Portant à l'écran une affaire criminelle qui a secoué l'Angleterre dans le milieu des années 90, en dressant le portrait d'un serial killer de Gloucester, Fred West, arrêté en 1994 et qui a été lié à plus d'une dizaine de meurtres, Appropriate Adult n'a d'ailleurs pas été sans susciter une certaine controverse. Ecrite par Neil McKay et réalisée par Julian Jarrold, cette mini-série s'inscrit dans un cycle de téléfilms d'ITV sur les plus célèbres affaires criminelles anglaises du XXe siècle. Elle intervient ainsi à la suite de This is personal : The Hunt for the Yorkshire Ripper (2000), et See no devil : The Moors Murders (2006).

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Prenant le parti de ne pas s'intéresser à la longue enquête préalable qui a pu conduire les policiers sur la piste des époux West, Appropriate Adult se concentre sur les quelques mois se déroulant de l'arrestation de Fred et Rosemary West, en 1994, jusqu'au suicide de Fred, en prison, début 1995. La mini-série se place d'une perspective originale, celle de Janet Leach, désignée "appropriate adult" pour Fred West, et qui va donc l'accompagner durant toutes ses auditions par la police. Les enquêteurs souhaitaient en effet couvrir leurs arrières, et s'assurer qu'aucun avocat ne puisse soulever comme moyen le fait que Fred n'ait peut-être pas tout compris de la procédure criminelle à l'oeuvre.

C'est sur le contraste entre ces deux protagonistes principaux que la mini-série se construit. Janet Leach est en effet une mère de famille sans histoire, qui achève tout juste sa formation pour devenir appropriate adult. Lorsqu'elle avait envisagé cette fonction, elle était loin de se douter qu'elle pourrait un jour être confrontée à une affaire aussi sordide. Et Fred West va être la première personne qu'elle va assister. Immédiatement, le serial killer semble l'accueillir en confidente, nouant rapidement avec elle une relation de confiance qui va permettre à Janet d'influer sur l'enquête, en le convaincant de confesser des meurtres auxquels la police ne l'a pas encore lié. Mais en cherchant à obtenir la coopération de Fred West, Janet ne risque-t-elle pas de se perdre elle-même dans ce récit d'horreurs qu'elle obtient ?

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Le premier aspect marquant dans Appropriate Adult, c'est la manière dont la mini-série va mettre en lumière l'horreur humaine à l'état le plus brut qui soit. Sans afficher aucune scène de violence, ni le moindre cadavre sanguinolent, elle réussit le tour de force de glacer le téléspectateur par la seule force d'un récit indirect, constitué par les aveux de Fred West. La caractérisation du serial killer y contribue beaucoup : sa désinvolture trouble, tout comme la facilité avec laquelle il décrit les crimes qu'il a commis, ne lésinant sur aucun détail. L'écriture habile de la mini-série parvient, toute en nuances, à dévoiler sous nos yeux le profil psychologique très déstabilisant d'un meurtrier à l'égard duquel le qualificatif de monstre vient naturellement à l'esprit. Derrière une apparence très humaine, étonnamment tranquille, qui renvoie une image faussement avenante, se révèle une personne extrêmement versatile, manipulatrice et menteuse, dont les obsessions conduisent à des conversations en escalier quasiment sans fins, qui entraînent ses interlocuteurs toujours plus loin dans son univers des horreurs.

Si Appropriate Adult est aussi éprouvante, c'est aussi parce qu'elle nous fait vivre cette plongée effroyable du point de vue de Janet Leach. Dès le départ, le ton est donné : non avertie au préalable par la police, elle découvre au fil du premier interrogatoire de Fred West quelle est la nature des charges, et comprend que, derrière ce masque humain, se cache un être capable des pires actes. Le meurtre qu'il raconte alors à la police pose l'ambiance dont la mini-série ne va ensuite plus se départir. Faisant preuve d'un détachement émotionnel proprement effrayant, il décrit avec minutie le contexte et la mise à mort de sa fille Heather, puis la manière dont il a disposé du corps. Le téléspectateur n'a besoin d'aucune image graphique, d'aucune musique inquiétante, pour visualiser la scène, pour ressentir un véritable effroi. L'intensité du récit est semblable à une gifle qui nous laisse glacé et choqué, aussi sonné que Janet Leach.

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L'angle d'approche choisi par Appropriate Adult permet à la mini-série de ne pas être une simple déclinaison du genre policier. En suivant une mère de famille, la plus ordinaire qui soit, dans un rôle d'appropriate adult rarement porté à l'écran, et qui va etre confrontée aux révélations de Fred West, l'impact émotionnel est bien plus important que si elle s'était centrée sur des enquêteurs professionnels. Le téléspectateur va être le témoin privilégié de la relation particulière qui se noue entre les deux protagonistes principaux, que tout oppose a priori. De confidente presque maternelle, Janet s'enhardit peu à peu. La distance qu'elle impose avec cet homme, guidé par ses ressentis et ses pulsions, se réduit à mesure qu'elle se persuade de profiter au maximum de son influence pour amener Fred West à coopérer avec la police.

La nature de leur relation prend un côté de plus en plus troublant au fil des semaines. Il faut dire que Janet évoque dans l'esprit malade de Fred West un ancien amour perdu. La concurrence malsaine qui se développe avec Rosemary West, figure omniprésente dans les préoccupations d'un époux qui lui est entièrement assujetti, ne fait que renforcer ce malaise, accentuant l'ambivalence du lien qui unit Janet à Fred. En choisissant de poursuivre ses visites à la prison, alors même que le procès s'ouvre et que son rôle est depuis longtemps terminé, Janet dérive sur une pente dangereuse ; se laisse-t-elle aveugler par la mission d'obtenir des aveux qu'elle s'est fixée, par l'illusion d'importance que lui donnent ces entrevues ou par sa seule compagnie ? Elle parviendra à lui faire admettre bien des crimes, impliquant également sa femme... Mais elle le fera presque au sacrifice de sa santé, et de son équilibre mental. S'intéressant aux contradictions et aux dilemmes moraux de Janet, Appropriate Adult suit une ligne des plus troublantes.

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Sur la forme, Appropriate Adult reste fidèle à sa volonté de sobriété. Sa réalisation est soignée, très posée. La photographie est travaillée, souvent portée sur des teintes plutôt froides. Quelques plans en extérieurs alimentent l'ambiance de polar noir que la série se construit. Dans l'ensemble, elle reste minimaliste dans ses effets, privilégiant les dialogues pour distiller cette horreur glaçante de manière très efficace. De même, la bande-son demeure en retrait, effacée pour ne pas troubler et détourner l'attention de ce qui compte vraiment.

Enfin, il faut aussi préciser que Appropriate Adult n'atteindrait pas ce niveau d'intensité sans l'impressionant travail de son casting. C'est Dominic West (Sur Ecoute, The Hour) qui marque durablement, proposant une interprétation vraiment magistrale de Fred West. De l'accent jusqu'à la façon d'être et de s'exprimer du serial killer, il se métamorphose sous nos yeux. Pour lui donner la réplique, Emily Watson incarne une Janet Leach, toujours très posée. Elle fait un très bon travail pour jouer cette mère de famille ordinaire prise dans un engrenage d'horreurs qui est, lui, hors du commun. A leurs côtés, on retrouve Monica Dolan, en Rosemary West autoritaire et inquiétante, Samuel Roukin, Robert Glenister, ainsi que Anthony Flanagan.

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Bilan : Si Appropriate Adult ne contient aucune violence imagée, elle n'est pas à mettre entre toutes les mains. Loin d'une mise en scène sanguinolante, c'est à un niveau psychologique que cette mini-série joue, exploitant pleinement l'angle narratif original choisi grâce au personnage de Janet Leach. S'appliquant à dévoiler l'horreur humaine de la plus brute et sobre des façons, elle glace et perturbe, presque malsaine dans cette plongée dans l'inhumanité. Bénéficiant d'une écriture habile, la caractérisation de ses protagonistes et de leurs ambiguïtés est admirable, Fred West restant le plus marquant, bien servi par la performance de Dominic West.

Appropriate Adult est une mini-série au visionnage très éprouvant, mais qui mérite d'être vue.


NOTE : 8/10


Les premières minutes de la mini-série :

Commentaires

A la lecture de ton article, plusieurs questions de choix de société me sont apparues. Notamment la question de la pertinence de faire apparaître des non-professionnels ou peu expérimentés dans le processus judiciaire (ou policier). A-t-on besoin du jugement, de la volonté, des capacités d'une "mère de famille" ? A l'heure où on parle des jurés populaires, la question est intéressante.
Si j'avais le temps, je tenterai bien cette mini-série. Merci !

Écrit par : Eclair | 15/09/2011

Je ne connaissais absolument pas l'existence de cette mini-série. Ta présentation me donne vraiment envie de tenter l'expérience.

Écrit par : toxicangel | 15/09/2011

Ta critique de cette minisérie me donne envie de la regarder. C'est beaucoup de mérite de réussir à glacer le spectateur juste avec l'ambiance et des mots ! Et puis, ça change ;)

Est-ce que la 2ème partie a été diffusée ?

Écrit par : Clare | 17/09/2011

Merci pour cette superbe découverte!!

Écrit par : Kurama | 17/09/2011

@ Eclair : On peut en effet s'interroger sur le fait de faire intervenir de telles personnes extérieures. Après un appropriate adult est un soutien pour celui qui est accusé, on est ici plus proche des services sociaux (s'assurer qu'il a un discernement, etc). Dans la mini-série, j'ai plus l'impression qu'elle se retrouve convoquée un peu par hasard : elle vient de finir sa formation, et surtout la police veut juste qu'elle fasse acte de présence de manière à ce que rien ne puisse leur être reproché dans les aveux qu'ils obtiendront de Fred West.
Après, en effet, l'empathie qu'éprouve Janet, ses réactions, comme je l'ai dit ne sont pas les mêmes que des professionnels. C'est flagrant. En partie parce qu'elle n'est pas "l'adversaire" de Fred, en partie parce qu'elle n'a pas l'endurcissement de professionnel.

Sinon, entre regarder tous les pilotes US ou garder un peu de télévision UK sous le coude, il faut choisir ^_^ Peut-être dans les périodes de hiatus !


@ toxicangel : Si tu as le temps, n'hésite pas y jeter un oeil ! Ce n'est pas trop long, et l'angle d'approche mérite le détour.


@ Clare : Oui, les deux épisodes ont bien été diffusés (les 4 et 11 septembre). ;)
C'est en effet une mini-série d'une intensité rare. C'est vraiment surprenant l'horreur qu'ils arrivent à capter avec une approche minimaliste (des dialogues seulement) !


@ Kurama : Très très heureuse d'avoir pu aiguiser ta curiosité et que cette mini-série t'ait plu ! :D

Écrit par : Livia | 18/09/2011

"Janet Leach est en effet une mère de famille sans histoire"

Euh... avoir un conjoint qui souffre de troubles bipolaires, je n'appellerais pas ça vraiment sans histoire. :)
C'est d'ailleurs à mon avis grâce aux failles d'une personnalité fragile et sans doute peu sûre d'elle-même que Fred West va parvenir à la manipuler.

Au-delà du compte-rendu malaisant d'une affaire de faits divers particulièrement sordide, ce qui m'a le plus interpellé dans Appropriate adult, c'est comment, même après son arrestation, Fred West continue à manipuler les gens, à salir ce qui l'entoure et à user de son pouvoir de nuisance.
La relation qui s'installe peu à peu entre lui et Janet Leach est vraiment perturbante. A cet égard, je trouve que placer la formidable interprétation de Dominic West devant celle d'Emily Watson, c'est un peu dommage, tant sa prestation à elle est tout aussi formidable.

PS : sinon, 8/10 pour Appropriate adult et 9/10 pour The vampires of Venice...
Hum... Tu prends des trucs pas clairs? :)

Écrit par : Fred | 02/10/2011

@ Fred : C'est une histoire qui ne laisse pas indifférent. Tu as raison sur le fait de bien souligner la performance d'Emily Watson. West est tellement glaçant et perturbant qu'il obnubile l'attention de manière disproportionnée.
Certains dialogues m'ont vraiment glacé dans cette mini-série pourtant sans violence autre que psychologique. J'ai été déstabilisée comme rarement devant une oeuvre !


PS : Mon échelle de notation est toute déréglée par le Tardis, Doctor Who a logiquement son propre barème tout en timey wimey, ce qui crée des perturbations surprenantes. O:P

Écrit par : Livia | 09/10/2011

Première série découverte grâce à votre blog et une sacré claque !
Emily Watson est extraordinaire, plus encore que Dominic West mais c'est mon avis personnel ;-)
Série à découvrir mais attendez-vous à ce qu'elle vous poursuive longtemps !

Écrit par : Carson | 02/09/2012

@ Carson : Heureuse d'avoir permis cette découverte ! ;) Et merci du commentaire. C'est une oeuvre qui hante pendant un bout de temps le téléspectateur, et qui, je crois, fait qu'on respecte énormément les acteurs au sortir de ces performances.

Écrit par : Livia | 05/09/2012

Je viens tout juste de terminer la série (qui trainait depuis un moment sur mon disque dur) grâce à toi –oui, il m'arrive de lire tes critiques la nuit– et je t'en remercie. J'ai vraiment été scotché de bout en bout, c'était passionnant, dérangeant, et bouleversant en toute fin (quand toutes les photos défilent..).

Sinon, d'accord avec Carson, me concernant je ne comprends pas pourquoi c'est toujours West qu'on mentionne pour la série, Emily Watson est juste géniale, et a autant de mérites (si ce n'est plus) que West. D'ailleurs, à mes yeux West est moins bon. Mais ils n'en restent pas pour autant tous deux de très bons acteurs. :)

Écrit par : Florian | 10/09/2012

@ Florian : Heureuse que cette découverte t'ait plu ;) Je crois qu'on est tous ressortis un peu marqués de cette mini-série. Une oeuvre courte, mais forte (et un sacré casting ^^).

Écrit par : Livia | 20/09/2012

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