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05/07/2012

(UK) The Hollow Crown - Richard II : une belle adaptation de Shakespeare pour la télévision

"Let us sit upon the ground
And tell sad stories of the death of kings.
How some have been deposed; some slain in war;
Some haunted by the ghosts they have deposed;
Some poisoned by their wives; some sleeping killed.
All murdered. For within the hollow crown."

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Un été shakespearien, ça vous dit ? Après tout, la période estivale est l'occasion parfaite pour prendre le temps de (re)découvrir certains grands classiques ! Dans le cadre des manifestations autour de la culture britannique accompagnant les Jeux Olympiques de Londres, BBC2 se propose ainsi de transposer du Shakespeare à l'écran, trente ans après le dernier grand cycle d'adaptations télévisées du célèbre auteur sur la chaîne publique anglaise. Sous le titre de The Hollow Crown (extrait d'un dialogue de Richard II), vont se succéder quatre oeuvres : Richard II, Henry IV parts. 1 & 2 et Henry V.

Cette tétralogie a débuté samedi dernier (le 30 juin 2012) sur BBC2 avec Richard II. Réalisée par Rupert Goold, ce fut une belle soirée de 2h20 au cours de laquelle le passage du théâtre au petit écran a été dans l'ensemble très bien négocié, en dépit de la difficulté inhérente à cette pièce particulière. Pour réussir ces mises en scène, The Hollow Crown pourra s'appuyer tout au long de ses quatre parties sur un casting principal et secondaire de luxe qui mérite bien cinq étoiles. Dans les rôles-titres, on retrouvera respectivement Ben Whishaw en Richard II, Jeremy Irons en Henry IV et Tom Hiddleston en Prince Hal/Henry V. 

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L'histoire relatée dans cette pièce débute lorsque deux seigneurs, Henry Bolingbroke, cousin de Richard II, et Thomas Mowbray sollicitent l'intervention du roi dans le conflit qui les opposent. Les accusations sont lancées sans que nul ne puisse calmer les deux adversaires afin de trouver une conciliation. Richard II accepte d'abord l'idée de voir trancher le litige par un duel... qu'il interrompt brusquement au dernier moment. Il prend alors la décision d'ordonner le bannissement du royaume des deux hommes, à vie pour Mowbray, durant six ans pour Bolingbroke. C'est le début d'une série de choix qui vont fragiliser sa position.

Alors que Bolingbroke est en exil, son père, John of Gaunt, décède. Richard II fait saisir ses terres et sa fortune, avec pour objectif d'entreprendre une expédition en Irlande qu'il faut financer. En secret, des comploteurs insatisfaits s'agitent. Alors que le roi est loin d'Angleterre, Bolingbroke revient dans le royaume bien décider à réclamer ses droits légitimes.

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Richard II, c'est le récit de la chute d'un roi et de l'ascension sur le trône d'un pragmatique qui va exploiter le mécontentement suscité par certaines décisions royales pour s'emparer de la couronne. N'ayant jamais lu ou vu la pièce auparavant, cette version a donc été pour moi une découverte : l'expérience a été savoureuse, et le plaisir tout aussi présent. Car des vers shakespeariens aux dialogues mis en scène, le passage s'opère naturellement, permettant au récit de conserver toute sa force. La narration est bien huilée et se déroule sans temps mort, allant à l'essentiel pour rester fidèle à l'esprit de l'oeuvre de départ. C'est ainsi que l'introduction est rapide, le conflit porté devant Richard II puis le duel qui se termine par les sanctions, constitue une ouverture qui donne immédiatement le ton et surtout dessine les camps. Le téléspectateur est happé dans les jeux de pouvoir qui s'esquissent, d'autant que l'adaptation va toujours bien mettre en exergue les scènes clés qui sont autant de tournants dans le destin du roi. Le lent cheminement vers la déchéance s'opère par étapes, et se conclut une première fois dans une scène d'abdication dans la salle du trône d'une impressionnante et rare intensité ; puis par un dernier plan hautement symbolique où son cadavre transporté fait écho au crucifix qui surplombe l'immense pièce.

D'ailleurs, dans ce travail d'adaptation, il faut souligner l'incorporation sans alourdir le récit d'une symbolique (chrétienne) très présente. On touche là à un autre enjeu d'importance pour réussir la transposition d'une pièce de théâtre au format télévisé : celui de la réalisation. Le défi était d'autant plus difficile à relever que Richard II est une histoire comprenant peu d'action, qui repose surtout sur les tirades de ses personnages et ce recours aux symboles. La mise en scène est pourtant fluide, tout en restant relativement figée. Elle sait parfaitement tirer avantage du fait d'être filmé dans un décor réel, qu'il s'agisse d'exploiter la grandeur de certains lieux comme la salle du trône, ou bien d'utiliser le paysage pour sublimer des passages. Parmi les scènes très réussies, il y a par exemple celle du retour de Richard après la rebellion, lorsqu'il met pied à terre, sur la plage avec la mer derrière lui, et qu'il apprend comment les rapports de force ont tourné en sa défaveur. D'autres fois, Rupert Goold opte au contraire pour des plans serrés qui retranscrivent de la manière la plus brute possible les émotions de chacun. C'est souvent judicieux, notamment parce que les acteurs sont au rendez-vous.

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Car évidemment, le plus déterminant lorsque l'on met en scène de tels classiques reste les performances du casting qui doit s'approprier ces lignes et reprendre des rôles avec lesquels le public est déjà familier. Et sur ce plan, Richard II est assurément à la hauteur des ambitions affichées : son casting sera une de ses grandes forces, tout le monde se révélant plus qu'à la hauteur de l'évènement, à commencer par un mémorable Ben Whishaw (The Hour). Ce dernier trouve dans ce rôle de roi, glissant vers la déchéance, une occasion en or pour faire étalage d'un talent qu'il n'a plus à démontrer. D'un charisme constant, il fascine, captive et capture parfaitement l'ambivalence de ce roi complexe, avec une intensité troublante. Certaines de ses scènes hanteront quelques temps la mémoire du téléspectateur.

Face à lui, Rory Kinnear (The Mystery of Edwin Drood, Black Mirror) incarne ce rival qui gagne en stature et va prendre une autre dimension en s'emparant de la couronne : il est tout aussi impeccable (et, après avoir pu l'apprécier dans des registres très différents, je dois dire que j'aime décidément beaucoup cet acteur). Quant à Patrick Stewart (Star Trek : the next generation), il marque durablement grâce une dernière scène de défiance contre le roi qui m'a donné des frissons. David Suchet (Hercule Poirot, Great Expectations) et David Morrissey (State of Play, Blackpool) proposent également de très solides performances, offrant bien la réplique aux personnages centraux. Et puis, dans ce casting qui ravira tout téléspectateur familier des écrans britanniques, on retrouve également Tom Hughes (Silk), James Purefoy (Rome), Lindsay Duncan (Shooting the past, Rome), Samuel Roukin (Appropriate Adult), mais aussi Clémence Poésy, Ferdinand Kingsley, Harry Hadden-Paton ou encore Finbar Lynch (Proof). Pour résumer en une phrase : Richard II rassemble un casting de rêve qui impressionne et contribue grandement à sa réussite.

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Bilan : C'est avec une adaptation convaincante de Richard II que BBC2 a ouvert son été. Cette transposition est bien servie par une mise en scène maîtrisée qui sait exploiter le format télévisé jusque dans sa bande-son, certes parfois un peu intrusive, mais souvent juste pour donner la tonalité et conférer une dimension supplémentaire au récit se jouant sous nos yeux. Elle s'appuie aussi sur un casting de choix aux interprétations marquantes. Si les parties suivantes sont du même acabit, cet été 2012 aura un parfum Shakespearien très prononcée !

Une oeuvre conseillée pour tous les amoureux de culture britannique, les amateurs de théâtre, de Shakespeare... et pour tous les curieux qui veulent profiter d'une bien belle transposition à l'écran.


NOTE : 8/10


La bande-annonce de The Hollow Crown :

01/01/2012

(Mini-série UK) Great Expectations : l'histoire d'une leçon de vie

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La période des fêtes de fin d'année est toujours riche outre-Manche. Au-delà des épisodes spéciaux de leurs séries habituelles (Doctor Who, Downton Abbey...), les chaînes ont aussi l'habitude de programmer quelques fictions de prestige s'inscrivant dans la tradition des adaptations littéraires qu'affectionnent les Anglais. A ce sujet, si vous en avez l'occasion (et comme je ne suis pas certaine d'avoir le temps de vous en parler), n'hésitez pas à jeter un oeil sur ce beau téléfilm, diffusé lundi dernier, qu'est The Borrowers (avec un casting de choix, Christopher Eccleston, Stephen Fry, Robert Sheehan...).

Puis, toujours la semaine dernière, de mardi à jeudi soir, BBC1 s'est attachée à revisiter un classique, en proposant une nouvelle version de Great Expectations, d'après un roman de Charles Dickens. Mini-série comportant trois épisodes d'une heure chacun, elle rassemble un solide casting, avec notamment une Gillian Anderson fort troublante en Miss Havisham. Si Great Expectations pèche sans doute par un certain excès d'académisme l'empêchant de prendre toute la mesure de l'histoire qu'elle relate, elle n'en demeure pas moins une adaptation plaisante à suivre, à l'esthétique fort soigné.

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Great Expectations se déroule au XIXe siècle. C'est l'histoire d'un jeune orphelin, Pip, recueilli par sa soeur et son mari, un forgeron. Un jour, il croise dans la campagne un prisonnier, Magwitch, qui s'est évadé et tente d'échapper aux soldats qui le poursuivent dans ces marés brumeux. Le fugitif effraie le garçon pour qu'il lui ramène un outil afin qu'il puisse se débarasser de ses fers. Si Pip s'exécute, faisant même du zèle en ramenant à l'affamé une part de tarte, le prisonnier sera malgré tout re-capturé peu après, ramené de force sur le bâteau qui le déporte vers l'Océanie.

Cette même journée est riche en émotions. En effet, leur oncle annonce peu de temps après que la mystérieuse et recluse Miss Havisham, une dame très fortunée, requiert la présence d'un garçon, sans en préciser la raison. La soeur de Pip, espérant une récompense, l'envoie rencontrer cette étrange dame, dont l'apparence tout de blanc vêtue, pieds nus, est presque semblable à un fantôme. L'orphelin fait à cette occasion connaissance avec l'entourage de Miss Havisham, et notamment sa fille, jeune adolescente adoptée par la richissime dame. Pip découvre aussi dans cette maison luxueuse, mais laissée à l'abandon, un autre milieu social et surtout... une certaine ambition : cela pourrait-il être la porte ouverte à une ascension sociale loin de la forge et de son quotidien actuel ? 

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Great Expectations relate la rencontre entre différentes classes sociales qui n'auraient pas dû normalement se croiser. C'est l'histoire d'un orphelin que rien ne prédisposait à s'imaginer au-delà de son coin de campagne, mais auquel les évènements vont offrir des opportunités aux apparences souvent trompeuses. En entrouvrant, pour la première fois sur l'invitation de Miss Havisham, la porte de ce milieu bourgeois favorisé, Pip va soudain se mettre à espérer dépasser sa condition sociale pour gagner un rang de véritable gentleman. D'abord longtemps rêve inaccessible, lorsque cette voie s'ouvre finalement devant lui, cette chance se révèle à double tranchant. Balloté au gré de bienfaiteurs qui taisent leurs motifs, mais aussi pour certains leur identité, Pip s'égare, perdant son sens des priorités. Great Expectations apparaît ainsi comme l'histoire d'une leçon de vie, avec sa part de désillusion et de cruauté face à un destin qui semble toujours finir par reprendre ce qu'il a offert.

Si la mini-série maîtrise globalement bien le thème du choc des milieux sociaux, elle reste inaboutie sur un second plan pourtant tout aussi déterminant à l'histoire : celui lié aux sentiments. En effet, l'ambition de Pip puise sa source dans son amour pour cette beauté glacée qu'est Estella. Great Expectations éclaire en effet à quel point les sentiments peuvent transporter, mais aussi égarer chacun. C'est la passion qui a détruit Miss Havisham, cette dernière hantant désormais sa propre maison, ayant cessé de vivre. En réaction, c'est dans l'absence de tout sentiment qu'a été élevée Estella, instrument d'une obsessionnelle vengeance entre les mains de Miss Havisham : faire souffrir, détruire les hommes sans se blesser soi-même, telle est la tâche pour laquelle sa mère adoptive l'a élevée. Et c'est donc aussi l'amour qui consumme Pip, obscurcit son jugement et, plus que l'attrait pour l'argent, le fait mûrir par les déceptions qu'il occasionne. C'est sans doute ici que Great Expectations fait preuve de ses plus grandes limites : elle reste trop rigide et en retrait, ne parvenant pas à susciter d'empathie, ni à capturer à l'écran les sentiments et contradictions que l'on devine pourtant dans ces personnages.

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Manquant de nuances et d'épaisseur sur le fond, Great Expectations est en revanche à la hauteur des attentes du téléspectateur sur un plan formel. La mini-série s'offre une reconstitution d'époque soignée, avec des décors souvent froids, comme glacés, bien mis en valeur par une esthétique travaillée. En parfait écho au contenu de l'histoire, la teinte dominante est le gris. Et si certains passages, notamment en intérieur, paraissent presque trop sombres, cette photographie contribue à donner une identité de la fiction. Les pièces de la maison de Miss Havisham, représentant un instantané suspendu dans le temps, représentent sans aucun doute une des mises en scène les plus marquantes de la mini-série.

Enfin, Great Expectations bénéficie d'un casting globalement solide. Les acteurs qui entourent Oscar Kennedy, puis Douglas Booth (Les Piliers de la Terre) dans leur rôle de Pip (enfant, puis jeune homme) parviennent vraiment à imposer leur présence à l'écran. Gillian Anderson (X-Files, Bleak House, The Crimson Petal and the White) notamment délivre une performance vraiment fascinante et troublante pour incarner cette femme brisée qui a développé une rancoeur obsessionnelle envers les hommes. Ray Winstone (Vincent) est également impressionnant en Abel Magwitch, figure ambivalente, à la fois inquiétant et bienfaiteur. A leurs côtés, on retrouve également David Suchet (Agatha Christie's Poirot), Mark Addy (Game of Thrones), Frances Barber, Tom Burke, Vanessa Kirby ou encore Shaun Dooley.

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Bilan : Adaptation presque trop académique d'un classique de la littérature anglaise, Great Expectations est fidèle, sur la forme, au savoir-faire de la BBC, offrant une reconstitution méticuleuse d'une époque et disposant d'une identité visuelle et d'une ambiance intrigantes. Cependant, la mini-série peine à introduire du relief dans son histoire et à impliquer le téléspectateur, ayant trop tendance à aller à l'essentiel sans prendre le temps de retranscrire émotions et nuances. Cette limite tient peut-être à son format trop condensé. En résumé, si elle se suit sans déplaisir, on ne peut s'empêcher de penser que le résultat laisse un arrière-goût d'inachevé et reste perfectible.


NOTE : 6,5/10


La bande-annonce de la mini-série :

25/11/2011

(Mini-série UK) Hidden : un thriller conspirationniste inachevé

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L'année 2011 aura permis de vérifier combien le thriller conspirationniste demeure un genre particulièrement prisé par la BBC. Après la si fascinante The Shadow Line diffusée sur BBC2 au printemps, cet automne, durant le mois d'octobre, c'était au tour de BBC1 de proposer sa propre incursion dans ce registre, avec une mini-série en quatre parties, Hidden. On retrouve au scénario l'écrivain nord-irlandais Ronan Bennett, dont le nom doit commencer à vous être familier puisqu'il est également à l'origine de Top Boy, dont j'ai reviewé la première saison la semaine dernière.

Si Hidden reste loin de ses glorieuses aînées, de la culte The Edge of Darkness à la plus récente, ayant remis au goût du jour ce genre, State of Play, elle se révèle néanmoins très prenante, tout en nous laissant malgré tout sur une impression d'inachevé un brin frustrante lors de sa conclusion. En résumé, Hidden avait beaucoup de bonnes idées, mais elle n'aura pas su pleinement en prendre la mesure. Elle reste cependant très intéressante.

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Harry Venn est un solicitor (la transposition du système juridique anglais en français étant impossible, disons qu'il s'agit d'une sorte d'avocat qui ne plaide pas). Il traite de petites affaires, avec un unique assistant, tout en ayant une vie familiale très chaotique. Non seulement ses relations sont délétères avec son adolescent de fils, mais il est également fâché avec son père depuis la mort de son frère aîné dans des circonstances troubles, deux décennies auparavant. Cependant sa vie va vraiment basculer lorsqu'il est contacté par une consoeur, Gina Hawkes.

Cette dernière cherche apparemment à vérifier l'alibi d'un de ses clients, mais ce sont surtout de nouvelles questions sur les évènements tragiques s'étant déroulés il y a 20 ans qu'elle fait ressurgir. Les investigations de Harry l'entraînent alors sur une piste bien dangereuse au terme de laquelle se trouve peut-être les réponses tant espérées sur la mort de son frère, mais aussi une conspiration prenant racine au coeur du système politique anglais et qui pourrait bien sceller la fin de la démocratie.

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Représentante d'une tradition éprouvée de polars conspirationnistes qui savent tenir le téléspectateur en haleine jusqu'à l'ultime scène, Hidden s'approprie une recette bien connue, sans manquer d'ambitions propres. Exploitant une toile de fond constituées par des tragédies passées, demeurées inexpliquées, et qui pèsent toujours sur ses protagonistes principaux, elle entraîne ces derniers dans une quête de vérité particulièrement dangereuse. Derrière ces drames personnels, se dessine peu à peu une conspiration médiatico-politico-militaire autrement plus déstabilisante qui vient exploiter le thème de la défiance envers les institutions, mettant en scène un pays plongé dans un chaos volontairement entretenu par certains intéressés. 

Préférant suggérer des possibilités plutôt que d'énoncer clairement des faits, soulever de nouvelles questions plutôt que d'apporter des réponses, Hidden intrigue vite le téléspectateur. La mini-série prend un malin plaisir à dévoiler pièce par pièce son puzzle, laissant dévoilant peu à peu ses véritables enjeux. Si elle sait captiver, la fiction le doit non seulement à cette ambiance de thriller paranoïaque qu'elle va mettre place, mais aussi au personnage central de Harry Venn, lequel s'impose comme le digne héritier de ces anti-héros fatigués, entraînés dans des histoires qui les dépassent mais dont il faut bien voir le bout. Ce n'est donc pas un hasard si les passages les plus réussis resteront ces scènes de tension palpable où tueurs et personnages principaux ou secondaires s'entrecroisent, parfois fatalement.  

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Cependant Hidden n'ira pas jusqu'au bout des ambitions affichées. La mini-série laisse en effet une impression assez paradoxale. Passé un premier épisode, un peu incertain mais qui réussit à aiguiser la curiosité du téléspectateur, les épisodes suivants vont suivre une tension allant crescendo : toujours prenants, ils se regardent avec plaisir et ne souffrent d'aucune baisse de rythme. Même les scènes politico-médiatiques, quelque peu parachutées dans le pilote, trouvent ensuite leur place, parenthèses permettant de comprendre ce qui est à l'oeuvre. Seulement Hidden ne va pas réussir à prendre pleinement la mesure d'un potentiel qu'elle laissera juste entre-apercevoir.

La mini-série échoue en effet à trouver le liant qui lui aurait permis de former un tout cohérent et solide qui aurait offert un véritable climax final et une résolution totalement satisfaisante. C'est par sa construction narrative que la fiction pèche. Non seulement elle fait parfois preuve d'une maladresse dommageable, par exemple en rendant trop prévisible le développement autour du frère de Harry et des mystères qui l'accompagnent, mais surtout, la fiction n'évite pas certains travers du genre conspirationniste. Elle se complaît trop dans un flou volontaire, aimant soulever les questions, créer des connexions, mais étant moins habile quand il s'agit ensuite de relier l'ensemble et de proposer un puzzle pleinement assemblé à la fin. Cependant si Hidden ne parvient pas pleinement à se donner les moyens de ses ambitions, elle n'en demeure pas moins un essai prenant et efficace qui devrait grandement satisfaire les amateurs de ce type de récit.

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A défaut d'être pleinement aboutie sur le fond, Hidden bénéficie d'une forme particulièrement soignée. Privilégiant les plans serrés qui permettent de jouer sur et de faire ressortir une tension palpable grâce à la nervosité de la caméra, la réalisation s'avère parfaitement maîtrisée. Les teintes utilisées pour la photographie, qui donnent aux images des couleurs un peu ôcres, renforce l'ambiance de polar. Quant à la bande-son, la musique est également bien utilisée, servant notamment à accentuer les passages à suspense.

Enfin, un des atouts de Hidden réside indéniablement dans la solidité de son casting. Philip Glenister (Life on Mars, Ashes to Ashes, Mad Dogs), égal à lui-même, impose sa présence charismatique et abrasive ; il est parfait pour incarner ce solicitor pragmatique dont le passé trouble refait soudain surface. La dynamique qui s'installe avec Thekla Reuten (Sleeper Cell) fonctionne également très bien ; tout en gardant chacun une indépendance farouche, les deux se retrouvent forcés de faire front commun face à cette menace dont ils ne cernent pas encore les tenants et les aboutissants. Par ailleurs, on croise également des seconds rôles très convaincants, à commencer par Anna Chancellor (Spooks, The Hour), excellente comme toujours, mais également Michael Winder, Thomas Craig ou encore David Suchet.

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Bilan : Thriller soigné sur la forme, indéniablement prenant sur le fond, reprenant des ingrédients classiques qui fonctionnent, Hidden est une oeuvre intrigante dans laquelle le téléspectateur se laisse facilement prendre au jeu de ce suspense. Cependant, si les épisodes savent retenir l'attention de plus en plus sûrement, la mini-série n'évite pas l'écueil classique des fictions conspirationnistes, celui de la surenchère. Entretenant trop longtemps un flou, avec des réponses qui soulèvent invariablement plus de questions qu'elles ne satisfont notre curiosité, c'est sur une note d'inachevé que se conclut presque trop hâtivement l'histoire. Si Hidden laisse donc quelques regrets et l'impression d'une idée pas complètement exploitée, l'ambiance qu'elle aura su cultiver justifie cependant amplement une découverte avertie. 


NOTE : 6,75/10


Quelques images de la série :

04/06/2010

(Mini-série UK) Terry Pratchett's Going Postal : les Annales du Disque-Monde


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En début de semaine (les 30 et 31 mai), Sky One portait à l'écran une nouvelle adaptation issue des célèbres Annales du Disque-Monde, ensemble de romans hilarants, qui offrent un plongeon grisant dans une fantasy burlesque et animée, écrites par l'écrivain britannique Terry Pratchett. Going Postal (Timbré en version française) est la troisième incursion télévisée dans les méandres agitées du Disque-Monde. Construite sur le même format que les précédentes, Hogfather (2006) et The Colour of Magic (2007), il s'agit d'une mini-série composée de deux parties de 90 minutes chacune, monopolisant donc deux soirs à la suite la chaîne câblée.

La grande amatrice de fantasy que je suis - doublée d'une téléphage compulsive - attendais avec beaucoup d'impatience Going Postal, même si les précédentes transpositions à l'écran de l'univers de Terry Pratchett avaient pu me laisser des impressions mitigées. La réserve initiale laissée par Hogfather avait cependant été effacée par The Colour of Magic qui avait su retranscrire avec une certaine réussite cette magie teintée d'émerveillement qui émane des romans d'origine.

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Le héros dont Going Postal nous conte les aventures porte le nom - improbable - de Moist von Lipwig. Habile manipulateur doté d'un esprit très vif , ce dernier s'est construit une vie d'arnaques et de fraudes diverses et variées. De la vente maquillée d'un vieux cheval boîteux jusqu'à forger des faux bonds du trésor qui précipiteront les instituts monétaires dans la crise financière, ce cher Moist a rapidement excellé dans une carrière dont il maîtrise à présent tous les rouages. Ou du moins, pensait les maîtriser. Car, un jour, l'escroquerie de trop entraîne son arrestation. Avec un tel passif, il est condamné à mort par pendaison. La sentence est aussitôt exécutée, en public... mais il se réveille devant le seigneur des lieux. Lord Vetinari lui propose alors un curieux marché : la mort ou bien remettre sur pied le service postal d'Ankh-Morpork. Ce service, moribond, s'est mué en archives des lettres initialement en transit ; son existence-même a été oubliée par les habitants d'une ville où le système des "clacks" exerce désormais un monopole sur l'ensemble des communications.

Le défi à relever est de taille, mais Moist estime pragmatiquement que cela reste préférable à la mort. Flanqué d'un Golem, Mr Pump, qui fait office de surveillant imperturbable - et, surtout, incorruptible -, il découvre cependant rapidement que le challenge pourrait se révéler plus dangereux qu'il ne l'avait imaginé. Les différents postiers qui l'ont précédé ont tous connu une fin tragique prématurée, dans des circonstances bien mystérieuses. Mesurant avec effarement l'étendue des ruines du service, Moist va devoir faire appel à toutes ses ressources pour redresser la situation et espérer sortir vivant du bureau de Poste.

Pour l'aider dans sa tâche, il est assisté des deux derniers employés du service : Tolliver Groat, un vieil homme fidèle rêvant de promotion, et le jeune Stanley Howler, un collectionneur compulsif de cette dangereuse addiction (!) que constituent les épingles. Face à lui, la compagnie des "clacks" est gérée avec autoritarisme par l'amoral Reacher Grit, inquiétant entrepreneur borgne. Ce dernier entend bien conserver le monopole qu'il détient  et voit d'un très mauvais oeil l'arrivée d'une concurrence. Devant la confrontation qui s'annonce, c'est la troublante Adora Belle Dearheart, la régisseuse du Gollem Trust qui rêve de se venger de Reacher Grit, qui va sans doute s'ériger en arbitre.

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Going Postal, c'est donc tout d'abord l'histoire d'une rédemption. Tout escroc qu'il soit, Moist n'a pas mauvais fond ; et si sa morale élastique ne l'a pas toujours conduit à faire les bons choix, il n'a jamais voulu consciemment causé du tort et n'a jamais vraiment réfléchi aux conséquences humaines de ses arnaques. A travers la réhabilitation du service public postal, c'est à sa propre réhabilitation à laquelle le téléspectateur assiste. Si on ne doute pas un instant de la résolution finale, tout l'attrait de la mini-série va résider dans les péripéties à surmonter pour y parvenir. Dans cette optique, Moist se révèle être un héros attachant, avec sa part de complexité et d'ambivalences. On suit avec un intérêt jamais démenti les lieux où le conduit son sens de l'initiative jamais pris au dépourvu (de l'ingénieuse invention des timbres, à la compétition avec les "clacks"). La résurrection du service postal ne pouvait d'ailleurs pas être confiée à des mains plus expertes que les siennes, tant cette mission semble nécessiter une réactivité constante, une bonne dose de flexibilité et un ingénieux pragmatisme, trois des qualités premières de notre héros-escroc.

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Au-delà de l'affection que l'on éprouve rapidement pour les personnages, le charme opère sans difficulté sur la mini-série toute entière. Adoptant un rythme de croisière plaisant à suivre, elle transpose à l'écran la richesse de l'univers des Annales du Disque-monde, tout en en respectant l'esprit. On y retrouve donc une bonne dose d'humour ; le style de Terry Pratchett excelle en effet dans cet art du décalage et de l'inattendu, flirt constant avec un savoureux surréalisme. Going Postal est ainsi rythmée par des dialogues décalés, ponctués de réparties cinglantes. Elle s'anime au fil des situations incongrues mises en scène, recélant des petits détails les plus improbables (comme l'univers des collectionneurs d'aiguilles) qui forgent son identité.

J'ai vraiment apprécié l'effort fait pour recréer cette ambiance atypique qui règne dans les Annales du Disque-Monde. De ce point de vue, cette mini-série se révèle plutôt bien inspirée et les différents ingrédients se mélangent finalement de façon assez homogène. En adoptant un ton léger, elle propose un confortable récit d'aventures, dans lequel le téléspectateur trouvera aussi une bonne dose de rebondissements et un soupçon de faux suspense appréciable.

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Se déroulant au sein d'une civilisation d'apparence post-moyen-âgeuse, on perçoit pourtant derrière ce décor classique de fantasy le reflet de notre société moderne et de ses préoccupations. Alors qu'Ankh-Morpork porte les premiers stigmates d'une entrée dans l'ère de l'industrialisation, à travers le mécanisme des "clacks" et de ses tours télégraphiques, Going Postal aborde, par la métaphore, des thématiques aux accents très actuels. La modernité, et plus précisément tout l'enjeu des télécommunications, symbolisé par la lutte entre les deux entreprises, sont bien entendu au coeur du récit. On peut voir dans le réseau de "clacks", qui abolit les distances - mais qui s'enraye aussi fréquemment (sympathique clin d'oeil) -, une version d'internet façon Disque-Monde. La mini-série lui emprunte même une partie de son champ lexical, lorsqu'il est question de "pirater" le signal émis par ses tours. Les remarques, voire les critiques, émises à l'encontre du système trouvent d'ailleurs un écho particulier dans notre réalité moderne. Si le format trop court de Going Postal l'empêche d'approfondir ces thèmes comme le roman d'origine avait pu prendre le temps de le faire, les parallèles demeurent, rappel appréciable de l'universalité de certains enjeux. Le cadre global de fantasy et le merveilleux qui en émane n'interdisent pas à la fiction de proposer aussi ses propres réflexions sur notre société actuelle. La métaphore demeure un outil prisé.

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La richesse de Going Postal se retrouve également dans la forme ; Sky One s'était financièrement donné les moyens de ses ambitions, l'objectif est réussi car l'investissement se voit à l'écran. Il y a un même souci de transposition du merveilleux de l'univers du Disque-Monde. Les reconstitutions en costumes sont assez soignées ; et Ankh-Morpork s'anime sous nos yeux. Certes, l'histoire ne prête pas vraiment à une débauche d'effets spéciaux - The Colour of Magic était dans cette perspective logiquement beaucoup plus spectaculaire -, le style reste donc assez sobre. Mais la fluidité de la narration n'est jamais remise en cause ; on finit même par s'habituer aux figés Golems, transposition des robots au Disque-Monde.

La réalisation est de très bon standing, avec un certain nombre de jolis plans d'ensemble et une belle image, donnant parfois un peu l'impression de feuilleter les pages d'un conte ou autre récit fantastique. La bande-son accompagne parfaitement l'histoire. Et, cherry on the cake, il y a même un petit rythme musical récurrent qui se révèle des plus entraînants !

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Enfin, pour porter l'ensemble, le casting est à la hauteur des attentes. Richard Coyle (Coupling, The Whistleblowers) s'investit pleinement dans son personnage pour incarner, avec énergie et un certain charisme, Moist von Lipwig ; Claire Floy (Little Dorrit) met en scène avec classe la froide rage d'Adore Belle Dearheart. Charles Dance (Bleak House) joue un imperturbable Lord Vetinari, et David Suchet (aka Hercule Poirot), un machiavélique Reacher Gilt. A leurs côtés, on retrouve Marnix Van Den Broeke, Steve Pemberton, Andrew Sachs, Ian Bonar ou encore Tamsin Greig. Et, petit bonus à classer dans les anecdotes sympathiques : Terry Pratchett effectue même un passage éclair sous les traits d'un postier, une brève apparition qui constitue un bel hommage.

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Bilan : Going Postal est au final une mini-série très plaisante à suivre. Le téléspectateur est rapidement charmé par l'ambiance unique transposée des Annales du Disque-monde. C'est un délicieux mélange indéfinissable de merveilleux, d'aventures, de surréalisme, saupoudré d'un soupçon d'innocence qui emprunte à la sphère des contes. A la croisée des genres, reprenant des codes scénaristiques du fantastique comme du western, Going Postal propose une fable sur la modernité et les moyens de communication, qui se suit avec plaisir. En dépit de quelques longueurs, il est impossible de bouder son plaisir : on se laisse emporter de bonne grâce par le souffle de merveilleux qui traverse cette fiction, pour passer un bon moment devant son petit écran.


NOTE : 8,5/10


La bande-annonce de la mini-série :