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20/11/2010

[TV Meme] Day 14. Favorite male character.

Choix excessivement cornélien en ce 14e jour du TV Meme. Comment espérer choisir parmi toute cette galerie si riche et si dense qu'offre le petit écran, une seule figure masculine emblématique qui s'imposerait comme ma favorite ? On combine ici une part de rationnel, mais aussi un profond affectif, fluctuant au fil du temps. Mon parcours téléphagique a été marqué par plusieurs rencontres qui sont restées gravées dans ma mémoire. Cependant, à la différence de la figure féminine, aucune ne s'impose rétrospectivement comme une évidence en ce jour, tant ils n'ont rien en commun, si ce n'est d'avoir correspondu à une époque de ma passion.


D'un point de vue chronologique tout d'abord, en y réfléchissant bien, aussi loin que remonte ma mémoire téléphagique, je pense que le premier personnage à avoir su me fasciner était une figure relativement secondaire qui n'est pas apparue dans tant d'épisodes que cela de la série en question (mais, grâce aux multiples rediffusions dont elle fit l'objet, je m'étais enregistrée sur VHS une sélection intégrale de tous les épisodes où il apparaissait - et uniquement ceux-là). Par l'ambiguïté inhérente à son comportement toujours très versatile, tranchant avec la tonalité globalement manichéenne de la série (cf. Les cavaliers de l'Apocalypse), par sa complexité que nous n'étions pas toujours en mesure d'appréhender et l'aura mythique qu'il savait si bien exploiter, le premier personnage de série à m'avoir proprement fasciné fut Methos, dans Highlander. C'est d'autant plus vrai que c'est par ce fandom que j'ai découvert, durant mon adolescence, le phénomène chronophage, mais ouvrant tant de perspectives, des fanfictions. Paradoxalement, j'ai sans doute passé plus de temps à lire ces histoires anglophones qu'à regarder la série en elle-même. Mais la qualité d'écriture de certaines avait cette caractéristique propre à une poigne de séries dans lesquelles certains fans sont capables de dépasser les limites de la fiction d'origine, pour proposer des explorations dans la mythologie globale créée absolument fascinantes. Au-delà des épisodes de Highlander dans lesquels il est apparu, c'est peut-être aussi le personnage de ces fanfictions si réussies que j'ai gardé en mémoire, dont certains auteurs se sont pleinement réappropriés tous les mystères pour construire véritablement cette légende autour de Methos.

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Puis les années 2000 sont arrivées. J'ai grandi devant le petit écran, en confirmant peut-être cet attrait naturel pour des personnages qui n'étaient pas principaux. Etait-ce un moyen inconscient de laisser à cette figure fictive une part de mystère, des non-dits qui laissaient place à la libre imagination du téléphage, à la différence des protagonistes principaux dont la série va s'attacher à nous dresser un portrait plus détaillé, qui versera moins dans le suggestif et pourra donc peut-être plus décevoir les attentes à terme ?

Dans cette optique, il est un personnage qui a fait plus que me fasciner, un incontournable du petit écran : il s'agit d'Omar dans The Wire (Sur Ecoute). Acteur atypique des rues de Baltimore, défiant bien des conventions et à l'indépendance chèrement défendue, il traversera la série en figure solitaire, attaché à son propre code de l'honneur et à ses valeurs. Un outsider, faux héritier de cette tradition des justiciers hors-la-loi du Far West dans ce violent décor citadin, qui gardera jusqu'au bout cette aura atypique et dont la mort, chargée de ce goût amer de l'anecdotique, sera à l'image finalement du parcours du personnage.

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Mais aujourd'hui, mon personnage masculin favori... Celui qui est en mesure de me faire passer par tous les états, du rire aux larmes, du plus léger des passages comiques à l'émotionnel intense d'une scène bouleversante... Cette figure dont la part d'idéalisme profondément humaniste, toujours chevillée au corps, se complexifie et se nuance par son passé et sa nature de Time Lord, c'est bien sûr le Docteur (Doctor Who). Capable de faire preuve d'une compassion et d'une tolérance inaltérables, mais aussi d'être parfois impitoyable, c'est un personnage au potentiel presque sans limite qui s'offre aux scénaristes. Si je ne l'ai rencontré qu'à partir de Nine, ce dernier, puis Ten, et enfin Eleven, ont tous su me conquérir. Chacun incarnant l'esprit de ce Seigneur du Temps tout en introduisant des spécificités personnelles propres à chacun. Et si je "trichais" en choisissant de faire d'eux ce qu'ils sont par la continuité de cette fiction, c'est-à-dire une même figure ? Car c'est, à chaque régénération, une nouvelle facette de ce personnage fascinant, immuable par certains aspects, toujours marqué ses mêmes blessures passées, tout en étant en constante évolution, se construisant et se reconstruisant au fil de ses rencontres, qui nous est proposée. Et si la source de cette fascination venait aussi de là : de ces possibilités infinies ainsi ouvertes, au-delà même de ces lignes temporelles troublées qui l'entourent ? La magie du concept de Doctor Who n'est-elle pas aussi de savoir justement défier le temps ?

Cette scène où Eleven (Matt Smith) clame en quelque sorte son héritage pour s'imposer comme le nouveau Docteur, lors du premier épisode de la saison 5, résume, à mon sens, à merveille toutes ces dimensions qui font de ce personnage mon favori actuel :

Doctor Who, S5 E01, Eleventh Hour
"Is this world protected ?"

31/12/2009

(Ma DVDthèque idéale) Dix dramas du câble US des années 2000


La sélection la plus brise-coeur, je dois l'avouer. Car si j'ai bien du mal à trouver dix dramas des grands networks US qui me tiennent particulièrement à coeur, la problématique est inversée en ce qui concerne le câble US... Où un top 20 serait sans doute plus approprié, et plus respectueux de mes affinités. Avec beaucoup de difficultés, et des prises de décisions arbitraires, j'ai donc dégagé une sélection de dix dramas câblés, très insatisfaisante, mais le plus fidèle à mes goûts.

(Liste par ordre alphabétique)

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Battlestar Galactica (Sci-Fi/SyFy, 2004-2009)

La série de science-fiction de ces dernières années. Si sa résolution n'a pas tenu toutes ses promesses, elle reste un récit ambitieux, d'une portée mythologique et symbolique difficilement égalée. Mêlant thématiques politiques, philosophiques et religieuses, dans le cadre post-apocalyptique d'un génocide de la race humaine, cette série utilise le cadre de la science-fiction pour poser des problématiques très actuelles, à la portée particulièrement aiguë à travers le prisme de l'actualité de ces années 2000. Battlestar Galactica a aussi renouvelé et modernisé les codes scénaristiques de la science-fiction sur le petit écran. Une série qui a marqué son époque.

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Brotherhood (Showtime, 2006-2008)

Un essai très intéressant de Showtime, malheureusement trop méconnu, qui s'intéresse aux rouages du pouvoir, officiel et officieux à Rhode Island, à travers les intéractions de deux frères, l'un politicien, l'autre gangster. Une série sombre qui dévoile les ressorts des rapports de force constants qui agitent les dessous de cette ville, formant un vase-clos presque malsain. Brotherhood réussit le tour de force de mêler habilement les genres : mafia et politique, sur fond d'union ou désunion familiale. Dotée d'intrigues complexes, d'un rythme lent, tout en exposition, et d'une réalisation particulièrement travaillée, elle nous plonge dans des luttes d'influence de l'ombre, subtiles et nuancées, vraiment intrigantes. Avec notamment Jason Isaacs, Jason Clarke et Fionnula Flanagan.

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Deadwood (HBO, 2004-2006)

Le récit dense des premières années de cette ville symbole de la conquête de l'Ouest au XIXe siècle a toujours exercé sur moi une profonde fascination. Cela vient-il d'une éducation télévisuelle construite à partir des westerns de la vidéothèque paternelle ? Probablement en partie. Théâtrale et lente, dotée d'une réalisation soignée, servie par une reconstitution d'époque minutieuse et réaliste, cette série est d'une richesse rare, abordant les thématiques les plus diverses. Métaphore de création d'une société, elle nous relate la vie d'une collectivité humaine qui, à l'origine sans loi, ni organisation, va peu à peu devoir se régenter pour survivre. Remontant finalement à son origine, elle propose une véritable réflexion sur le pouvoir et son exercice, mais aussi sur les ressorts qui motivent la nature humaine, optant pour une vision noire et pessimiste, à la fois glaçante et captivante. Avec notamment un magistral Ian McShane. Une indispensable qui conduit le téléspectateur dans une analyse anthropologique qui va bien au-delà de la simple image du western.

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Dexter (Showtime, 2006-..)

On ne présente plus cette intrigante série de Showtime qui a choisi de mettre en scène, en tant que personnage principal, un serial killer. Dérangeante, voire malsaine, tout autant que fascinante, Dexter est finalement une série d'introspection. Nous suivons les enquêtes policières, et plus globalement la vie des membres de la brigade criminelle, par le prisme des réflexions et des évolutions de Dexter. Par bien des côtés, elle est, pour son personnage principal, une forme de récit initiatique. Il ne remet jamais en cause le fait de tuer, mais c'est sur sa nature profonde qu'il est amené à s'interroger. Adoptant la thèse d'un déterminisme glaçant, la série ne se cantonne pas à une simple réflexion sur l'humanité, mais réfléchit également sur la vaste thématique de la justice, proposant plusieurs niveaux d'analyse : les pensées de Dexter sur lui-même, mais aussi sur ses rapports à la société, sont les ressorts de chacune des saisons, qui voient ce degré d'introspection progresser et acquérir une dimension supplémentaire. Une série qui offre une perspective originale, menée par Mickaël C. Hall (Six Feet Under).

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Les Sopranos (HBO, 1999-2007)

On ne présente plus cette série, figure de proue des années fastes de HBO et qui s'est imposée comme un des symboles -si ce n'est le symbole- de ces dix dernières années. Les Sopranos est une série bien plus dense que ne le laisserait sous-entendre la simple étiquette de "parrain des temps modernes" que l'on pourrait a priori lui associer. Saga familiale au sens large du terme, héritière distante du cinéma de gangsters des années 70-80, reflet et symbole désenchantés d'une société moderne en perte de repères, la richesse de cette fiction permet en réalité de multiplier les degrés de lecture et les angles d'analyse. Si bien qu'en seulement quelques lignes, il n'est possible que de tracer une vague esquisse, effleurant seulement l'essence de cette très grande série qui figure sans conteste au panthéon du petit écran.

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Mad Men (AMC, 2007-..)

Reconstitution soignée et méticuleuse des années 60, Mad Men a ouvert la voie aux essais de séries de la chaîne AMC. Pensée et calibrée avec minutie, elle plonge le téléspectateur au sein d'une agence de publicité à New York. Mais Mad Men va rapidement prendre une dimension bien plus ambitieuse que cette simple base de départ, profitant pleinement de son cadre temporel : la période charnière d'une décennie qui se situe à la croisée de deux époques, un moment où la société mue en profondeur. Mad Men relate et consacre ces changements, en proposant une véritable analyse sociologique de ce temps-là, grâce à une galerie de personnages particulièrement riches, dont la série nourrit à dessein les ambiguïtés et la complexité. Car derrière son apparence impersonnelle et glacée, se cache, dans cette fiction, une intensité des passions, insoupçonnée a priori et qui offre un contraste humain fascinant pour le téléspectateur. Une des séries incontournables du moment.

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Rome (HBO, co-production BBC/Rai Uno, 2005-2007)

Exemple le plus symbolique de la fiction historique de cette décennie, Rome constitue pour moi un véritable coup de coeur. Dotée d'importants moyens qui permettent à la série de s'offrir un cadre et des décors somptueux, lui confèrant une crédibilité visuelle importante, elle nous plonge, avec un souffle épique d'une rare force, dans les tumultueuses dernières années de la République romaine, qui vont conduire au changement de régime et à l'avènement impérial. Fondée sur une riche galerie de personnages dotés de fortes individualités, Rome se présente sous la forme d'une ambitieuse fresque historique, en bien des aspects, impitoyable. Elle happe le téléspectateur dans un tourbillon passionnel  de luttes de pouvoirs, qui, si les moyens ont changé, jouent sur des thématiques universelles. Dépaysante et captivante.

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Six Feet Under (HBO, 2001-2005)

Une série au coeur de laquelle se situe la mort, mais qui atteint un degré rarement égalé pour chroniquer l'essence et le sens de la vie. On ne présente plus cette fiction qui se déroule dans le cadre d'une entreprise familiale de pompes funèbres. Jamais une série n'aura traité aussi justement, sans aucun voyeurisme et avec une sobriété si travaillée, parfois teintée d'un humour noir cynique ou sarcastique, parfois profondément émouvante, du thème de la mort. Au-delà de ce décor qui n'impose pas, comme on aurait pu le craindre, une ambiance pesante, c'est la vie de la famille Fisher qui nous contée, à travers ses membres, personnages riches et complexes dont la diversité et l'humanité sont toujours mises en avant et auxquels on s'attache. Une série qui constitue une expérience unique, qui se vit plus qu'elle ne se décrit. A découvrir absolument.

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Sur Ecoute (The Wire) (HBO, 2002-2008)

The Wire est plus qu'une série. C'est une fiction qui a repoussé et distordu les limites de ce format pour atteindre une autre dimension dans la mise en forme et en scène de son récit, offrant ainsi une perspective unique. C'est une immersion dans cette autre Amérique, dans l'envers du rêve américain, au sein d'une ville en crise. Démarrant sur les bases d'une série policière, elle va rapidement les dépasser pour s'intéresser aux diverses composantes de cette cité. Au fil des saisons, le téléspectateur est ainsi entraîné toujours plus au coeur de Baltimore, décryptant chacun des rouages qui la font se mouvoir et vivre : le port, la drogue, l'éducation, la presse... un ensemble de vastes thématiques traitées avec la rigueur du quasi-documentaire. The Wire est une chronique sociale et humaine, au sens noble du terme. La série de la décennie si je ne devais en choisir qu'une, révolutionnant le genre sur le fond comme sur la forme.

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The Shield (FX, 2002-2008)

Chronique policière urbaine qui nous plonge dans la vie d'un commissariat des quartiers chauds de Los Angeles, The Shield a renouvelé les codes des séries policières. C'est une série dont le thème pourrait être le flirt constant avec les limites : limites pour ses personnages, dont la "Strike Team" est la meilleure représentante, qui franchissent les lignes jaunes de la légalité, en s'efforçant de maintenir un équilibre précaire entre leur mission professionnelle et leurs intérêts particuliers ; limites également dans le réalisme de la mise en scène, violente et explosive. Au fil des saisons, The Shield va acquérir une portée supplémentaire, se démarquant de la simple série policière, grâce à des affrontements entre des individualités hors du commun, et va devenir ainsi un champ d'affrontement où le recours aux manipulations et intimidations constitue le ressort des rapports de force.



Méritent une mention spéciale :

Big Love (HBO, 2006-..)
Par sa seule saison 3, Big Love méritait sans doute de figurer dans la liste ci-dessus ; mais j'ai préféré privilégier les séries complètes, ou bien celles qui n'ont pas eu besoin d'une saison pour prendre toute leur dimension. Cependant, au cours de sa dernière saison à ce jour diffusée, Big Love est devenue, sous les yeux de ses fidèles, un très grand drama. Il ne faut pas se laisser décontenancer par son concept, évoquant polygamie, sectes mormones, le tout dans l'Utah profond. J'attends la saison 4 avec beaucoup d'impatience.

La Caravane de l'étrange (Carnivàle) (HBO, 2003-2005)
Dans l'Amérique en pleine dépression des années 30, une série hautement symbolique, d'une esthétique soignée et raffinée, qui ne ressemble à aucune autre. Malheureusement inachevée.

Oz (HBO, 1997-2003)
C'est une série que je classe plutôt dans les années 90 car s'y déroulent ses plus belles années. Mais il est impossible d'évoquer la production câblée de la décennie, sans rappeler cette magistrale série qui se déroule au coeur d'un quartier expérimental d'une prison de haute sécurité. Âmes sensibles s'abstenir ; mais une expérience dessensibilisatrice incontournable.

Sons of Anarchy (FX, 2008-..)
Un bilan décennal qui intervient trop tôt pour Sons of Anarchy. La deuxième saison, impressionnante de maîtrise, vient tout juste de s'achever, sur une très bonne impression d'ensemble. Mais il faut encore lui laisser du temps pour mûrir, afin que la série acquière sa pleine stature et se hisse à la hauteur du potentiel entre-aperçu.

19/12/2009

(Mini-série US) The Corner : plongée dans l'envers du rêve américain


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Une immersion dans l'enfer de la drogue au sein d'un quartier paumé de Baltimore ? Instinctivement, vous répondez The Wire (Sur Ecoute). Mais nous nous situons ici en amont. Avant de signer ce chef d'oeuvre qui sera diffusé confidentiellement durant 5 saisons sur HBO (et se verra affubler de la désignation creuse de "la meilleure série du moment que personne ne regarde"), David Simon et Ed Burns avaient déjà posé l'ambiance et les bases futures de leur somptueuse chronique urbaine sur l'envers du rêve américain, à travers une première mini-série fondatrice, The Corner. D'une durée globale de six heures (pour autant d'épisodes), elle avait finalement ouvert la voie à la décennie puisqu'elle fut diffusée sur HBO au cours du printemps 2000.

Le coffret DVD étant arrivé dans ma boîte aux lettres il y a quelques semaines, il ne m'aura pas fallu longtemps pour (enfin) découvrir une fiction que je souhaitais voir depuis plusieurs années. A noter que, s'il y a parmi vous, chers lecteurs, des allergiques à la langue de Shakespeare (réaction d'autant plus compréhensible quand ladite langue est mêlée à l'argot des rues de Baltimore), le coffret DVD disponible en Angleterre (la mini-série n'est pas sortie en France) comporte non seulement une piste de sous-titres anglais, mais également une piste de sous-titres français. Par conséquent, aucune excuse linguistique pour se priver de cette mini-série fondatrice qui mérite le détour !

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D'un point de vue narratif, The Corner s'inscrit dans la même optique que The Wire (Sur Ecoute). On retrouve ce style inimitable que ses créateurs continuent de perfectionner (cf. Generation Kill). Il y a tout d'abord l'utilisation du journaliste, figure de l'observateur extérieur, qui est le prétexte et l'élément déclenchant permettant d'introduire le téléspectateur dans le récit qu'il se propose de suivre : une tranche de vie de quartier, à un croisement de plusieurs rues (d'où le titre de la mini-série). Cette approche renforce le ton de documentaire de la fiction. La caméra s'efface devant les faits : elle accompagne des scènes de vie brutes. Le fil narratif se réduit ainsi au minimum, comme si on craignait de bousculer le quotidien dans lequel on est convié. Les personnages dominent un récit d'où les scénaristes paraissent -de manière seulement apparente- s'effacer. C'est la caractéristique de ces séries citées plus haut, ce qui fait leur originalité, ainsi que leur force. Dans The Corner, ce style est déjà bien en place et renforce la portée d'une chronique qui ne saurait laisser insensible.

Si The Corner délivre une fiction dure et réaliste, elle marque surtout le téléspectateur par son pessimisme. Car c'est une descente progressive dans la drogue qui nous est contée, à travers le destin, finalement tragique, d'une famille qui va s'enfoncer dans cet enfer. Au-delà de ce récit, la mini-série ne semble offrir aucune touche d'espoir, seulement une réalité sombre et tentaculaire, où les étincelles sont si vite étouffées et à laquelle il paraît impossible d'échapper. En effet, c'est tout un quartier qui sombre autour, et avec, la famille McCullough. A l'aide de flash-backs savamment distillés, la mini-série expose les changements de Lafayette Street : de l'atmosphère résidentielle et bien tenue des années 70 jusqu'à la crise et l'arrivée de la drogue. Ce processus-là connaît également une gradation, des quelques joints dealés négligemment au raz-de-marée de la cocaïne et de toutes ces drogues dures qui vont transformer ces personnes en figures dépendantes et maladives, épaves humaines dont le seul but quotidien semble être de trouver les quelques dollars qui permettront de s'acheter une dose.

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Pour illustrer cette réalité, la mini-série nous propose de suivre l'évolution d'une famille sur les pentes de cette déchéance amère. Initialement issu de famille modeste, mais travailleuse, Gary McCullough avait des projets plein la tête et se donnait les moyens de ses ambitions. Il mena d'ailleurs pendant quelques temps une vie plutôt confortable, avec une belle réussite professionnelle. Mais la machine se grippa, comme le bonheur familial. En six épisodes, la fiction va dresser des parallèles entre passé et présent, amenant en quelque sorte à répéter ce schéma, avec un nouveau cycle au sein de cette famille. Car si les deux parents, Gary et Fran, ont plongé dans la dépendance, leur fils, DeAndre, a jusqu'à présent éviter la consommation de drogue. Cependant, du fait du quartier dans lequel il vit, rythmé entre arrivée de nouvelles doses et descentes de police, il la vend à un de ces fameux "corner", intersections entre deux rues, familières aux téléspectateurs de The Wire. Aucun des personnages n'est figé dans un rôle précis. Chacun tente de mener sa vie et de se reprendre. Pourtant, la morale de l'histoire s'abat de façon cruelle : telle une fatalité, il paraît impossible d'échapper à cet environnement, à cette misère qui broie ceux qui la côtoient, aussi volontaires qu'ils soient.

Inspirée d'une histoire vraie, The Corner est une fiction choc. Le téléspectateur ne peut rester indifférent émotionnellement au sort de ces personnages, si riches en contradictions, mais aussi en humanité, auxquels il s'attache sans s'en rendre compte. Magistral récit, à la fois fascinant, incitant à la réflexion et bouleversant, c'est un témoignage sans concession sur une Amérique oubliée, dont l'existence est le plus souvent passée sous silence. Les amateurs de The Wire (Sur Ecoute) retrouveront, loin de toute ambiance de série policière, cette dimension sociale et sociologique unique, inégalée dans le petit écran. Le tout est servi par un casting parfait, chacun des acteurs ne jouant pas seulement un rôle, mais incarnant bel et bien ces individus égarés qui tentent de survivre. On recroisera d'ailleurs un certain nombre d'acteurs ensuite dans The Wire (Sur Ecoute).

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Bilan : The Corner est une chronique sociale où règne un pessimisme d'où ne perce durablement aucune éclaircie. C'est l'envers du rêve américain, à travers le portrait sombre et méticuleux des ravages de la drogue et du chômage, dans les quartiers déshérités de certaines grandes villes américaines, Baltimore étant un des exemples les plus frappants.
Filmée à la manière d'un documentaire, avec cette impression caractéristique d'être à peine scénarisée, cette mini-série nous raconte simplement la descente aux enfers, et la survie, d'une famille vivant sur Lafayette Street. Avec un style si particulier, la caméra paraît capter les scènes, non les provoquer. Cette mise en retrait d'une narration romancée accroît la portée, tout autant que le froid réalisme, de ce récit sur la misère, qui ne tombe jamais dans un voyeurisme creux ou moralisateur. C'est un simple témoignage brut qui appelle à une prise de conscience.

Le style pourra sans doute sembler abrupte à des téléspectateurs qui n'en ont jamais fait l'expérience, mais cela ne doit pas vous faire hésiter : non seulement on s'y ajuste très rapidement, mais, en plus, c'est une expérience télévisuelle incontournable et indispensable.

En cette époque de bilan de fin de "décennie", The Corner, diffusée en 2000, a ouvert la voie à un style narratif qui, il faut l'admettre, justifiait pleinement à l'époque le fameux slogan publicitaire : "It's not TV, it's HBO." Si on ne ressort pas indemne d'un tel visionnage, c'est une production dont on ne peut faire l'économie de la découverte.


NOTE : 9,5/10


La bande-annonce :