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26/09/2011

(Pilote US) Revenge : pourquoi la série aurait pu être écrite pour la télévision sud-coréenne (et la raison qui la fait échouer)


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[Ceci est un exercice de review un peu particulier, mais Revenge s'y prêtait. A noter que l'article a été conçu de manière à pouvoir être lu par tous les lecteurs, familiers ou non des petits écrans auxquels il est fait référence.]


On a souvent l'habitude d'écrire des critiques de séries à travers un prisme de références américaines... Et si on changeait l'angle d'approche ?


Ce billet est né à la suite d'échanges sur twitter après le visionnage du pilote de Revenge. En cours d'épisode, j'avais parlé des grandes similitudes de recettes avec une série sud-coréenne "type" de vengeance. Par curiosité, je suis allée ensuite vérifier ce qu'en avaient pensé d'autres blogueurs disposant de bases similaires sur ces deux cultures télévisuelles. Vérification faite chez Lady, où c'est la thématique même de la vengeance qui est associée au petit écran sud-coréen. Tandis que chez Eclair, s'il concentre sa critique sur l'épisode en lui-même, il ne peut cependant pas s'empêcher de le comparer aux références du genre et finit donc par citer... un k-drama. Le réflexe est naturel.

En effet, si le téléspectateur pense instinctivement "série sud-coréenne" devant le pilote de Revenge, c'est tout d'abord en raison du thème. Certes, il existe des séries occidentales sur la notion de vengeance, mais c'est une thématique qui ne s'est pas systématisée dans le petit écran américain, à l'exception peut-être des soap. Or le paysage est très différent en Corée du Sud, pour diverses raisons aussi bien culturelles qu'historiques (Lecture complémentaire : The Korean Quest for revenge). Dans son cinéma, la vengeance est ainsi un sujet particulièrement exploré - le dernier film sud-coréen sorti en France cet été, J'ai rencontré le diable, l'illustre bien, au-delà de tous les classiques que l'on pourrait citer (la trilogie de Park Chan Wook en étant sans doute l'exemple le connu). A la télévision, le thème de la vengeance est moins influent dans un petit écran qui demeure le terrain privilégié des mélodramas et autres RomComs où l'amour apparaît comme la dynamique centrale. Pour autant, la vengeance reste là-aussi une constante récurrente, bien plus qu'ailleurs. Chaque année, on retrouve en Corée du Sud des dramas qui explorent et déclinent à leur manière le revenge thriller, suivant des approches très différentes. Parmi les plus récents, on peut citer de manière non exhaustive, des séries comme : Sorry I love you (2004), A love to kill (2005), Time between Dog and Wolf (2007), Story of a man / The Slingshot (2009), Bad Guy (2010), et en 2011, City Hunter sur les grandes chaînes, Little Girl K pour le câble. Et ce, sans mentionner les (nombreuses) séries où le sujet est plus incident, mais néanmoins bien présent (aussi bien dans les séries contemporaines que dans les sageuk - séries historiques).

Par conséquent, c'est sans surprise que l'idée à la base de Revenge peut être associée naturellement dans l'esprit du téléspectateur à des références sud-coréennes. Cependant, ce qui m'a interpellé sur le moment, c'est que le pilote va plus loin qu'un simple partage du thème principal : on y retrouve aussi une construction narrative et une présentation qui pourraient avoir été écrites pour la télévision sud-coréenne. Mais, et c'est sans doute sur ce point que la comparaison trouve son intérêt, Revenge a aussi des spécificités qui la distingue fondamentalement d'un k-drama. De manière assez révélatrice, c'est précisément l'aspect par lequel elle se démarque qui va sceller l'échec de cette introduction.

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I. Pourquoi Revenge aurait pu être écrite par un scénariste sud-coréen (et respecte tous les codes du cahier des charges classiques des k-dramas) :

Commençons par le premier parallèle proposé par ce pilote, qui constitue un emprunt culturel évident : le choix d'ouvrir l'épisode sur une phrase, pleine de sagesse, posant d'emblée la tonalité de la série. La citation qui s'affiche est de Confucius. Si les écrits du philosophe chinois et tous les courants de pensée qui s'en sont réclamés par la suite sont deux choses différentes, l'influence des valeurs (néo)confucéennes est historiquement importante dans la société sud-coréenne, et demeure une réalité.

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Poursuivons plus avant dans ce pilote, en étudiant la construction-même du récit. L'épisode débute par un flashforward, évoquant une situation irréversible : la mort d'un des personnages principaux, sans que ces quelques minutes ne lèvent le mystère sur ce qui a abouti à cette situation. Puis, c'est le retour dans le présent, quelques mois plus tôt au début de l'été. L'héroïne retrouve la maison de son passé et va faire ses première rencontres avec les différents protagonistes. Pour nous expliquer la situation, le pilote a recours à de multiples flashbacks qui viennent idéaliser les souvenirs de l'enfance perdue de la jeune femme, avant que sa vie familiale ne soit brisée. Utiliser toute la palette des fils temporels à leur disposition pour introduire les enjeux de l'histoire - les emmêlant parfois excessivement - demeure un mécanisme scénaristique qui vient naturellement au scénariste sud-coréen. Parmi les séries citées plus haut, Bad Guy par exemple adopte la même approche.

Outre la construction de l'histoire, il y a les thèmes qui conduisent à faire des parallèles. L'objectif est le suivant : Emily veut se venger de la destruction de la vie et de la réputation de son père, et donc par ricochet avoir brisé sa propre vie. Contre qui agit-elle ? Il y a différents responsables, mais plus particulièrement une famille riche et influente (dans une série sud-coréenne, ce serait une famille de chaebol) qu'elle entend donc faire payer. Cela permet de nous immerger dans le milieu de ces gens aisés, si clinquant et brillant en apparence, mais tellement grangréné en réalité, les manipulations et les trahisons y étant un quotidien normal. Le tout se déroule dans les Hamptons, offrant donc un décor luxueux toujours prisé dans les k-dramas.

De quels moyens dispose Emily pour parvenir à ses fins ? Se glisse ici une dimension sentimentale. Au cours du pilote, l'héroïne croise en effet deux prétendants potentiels manifestes. D'une part, il y a l'héritier de la famille à détruire, lequel a tous les attributs du jeune riche (lourd passif d'arrogance, abus). D'autre part, il y a un jeune homme de milieu plus modeste qui, cerise sur le gâteau, l'a connue enfant. Les deux étaient proches (à ce moment-là, le voyant *premier amour d'enfance, flamme éternelle* clignoterait dans tout drama sud-coréen normalement constitué, puisque c'est ici un ressort narratif qui transcende tous les genres de séries), la vie les a séparées, il ne la reconnaît pas mais n'y est pas insensible, elle le reconnaît et préfère l'éviter... S'esquisse donc un triangle amoureux possible (fondation nécessaire de nombre de séries sud-coréennes), avec les sentiments et l'amour comme arme de vengeance au long cours pour réussir à atteindre l'objectif suprême. Le flashforward du début ne faisant qu'insister sur l'importance de ces trois-là.

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Si tous ces éléments expliquent ma réaction devant le pilote, pour autant Revenge est aussi très éloignée d'une série sud-coréenne.

 

II. Pourquoi Revenge se différencie irrémédiablement d'une production sud-coréenne (et rate son introduction) :

Au cours de ce premier épisode, alors même que tous les ingrédients sont bien là, la recette universelle et calibrée du revenge thriller dérape. Le pilote échoue dans sa mission de proposer une introduction intrigante, car Revenge reste en effet une enveloppe vide, un papier glacé dénué d'émotions. Une partie du problème vient sans doute d'un casting qui reste en retrait, Emily VanCamp n'ayant peut-être pas la carrure du personnage qui lui est confiée, mais une grosse part de responsabilité pèse sur l'écriture. Car s'il est souvent possible de reprocher un certain manque de rigueur narrative dans la gestion des k-dramas, en revanche, le point fort de ces productions réside dans l'empathie que vont savoir susciter les personnages. La recette miracle qui fidélise le téléspectateur, l'implique dans le sort des protagonistes et l'amène à s'investir dans la série, c'est un ressenti particulier qui va recouper une dimension émotionnelle, difficilement quantifiable. Or, dans le pilote de Revenge, on ne ressent rien. Nulle compassion face au récit de l'enfance d'Emily. Aucun lien ne se crée avec elle.

On touche ici à la limite du sur-calibrage de ces recettes scénaristiques millimétrées : on ne reprochera pas à une série d'employer des ingrédients éprouvés, simplement parce qu'ils sont excessivement classiques. En revanche, on le lui reprochera si elle devient un ensemble mécanisé et déshumanisé, d'où rien n'émane si ce n'est l'impression de visualiser des rouages savamment huilés, sans parvenir à s'intéresser à l'ensemble en tant que création. Si les k-dramas se permettent une sur-exploitation de certaines ficelles narratives, c'est parce que, jusqu'à présent, ils ont globalement su généralement conserver leur lien avec le public, en se rappelant leur force : savoir toucher une fibre émotionnelle. Mais le jour où la réutilisation des mêmes pots et le poids du cahier des charges feront oublier l'âme que doit avoir toute création, le système s'effondrera. C'est pourquoi le pilote de Revenge est un échec : il a des recettes qui pourraient indéniablement marcher, peu importe qu'elles paraissent surannées, mais le cahier des charges prend le pas sur l'histoire, et ce pilote reste une enveloppe policée, mais creuse et sans identité propre.

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Conclusion :

Sur bien des aspects, le pilote de Revenge, à partir du genre particulier que sont les séries de vengeance, semble surtout être le parachèvement et le produit d'une forme de standardisation et de mondialisation culturelles plus globale, dont le processus tend à s'accentuer en raison des nouvelles technologies, de l'abolition des frontières de la création. C'est un phénomène qui joue sur les créateurs, mais aussi sur le public - le simple téléspectateur lambda - qui a désormais un accès beaucoup plus large à tous ces contenus. Au-delà des origines et influences de Revenge (de la littérature classique aux soap américains), il reste le constat amusant et indéniable d'un parallèle évident, d'une promiscuité certaine, entre cette série et des recettes qu'on pourrait qualifier de "canoniques" au sein la production télévisuelle sud-coréenne. Une belle illustration de cette fameuse culture mainstream mondialisée.

Dommage que l'essai soit ici un échec.


Pour conclure sur une note de prosélytisme bien ordonné : si une série de vengeance vous tente vraiment, jetez un oeil à celle qui reste un modèle du genre et une des plus abouties de ces dernières années : Story of a man / The Slingshot.

Commentaires

J'ai tout de suite pensé à Story Of A Man quand j'ai lu le pitch de ce pilot... mais tu as raison, ca ne touche pas autant, on a du mal à s'attacher au personnage principal...
C'est bien dommage !
Ca m'a donné envie de revoir Story Of A Man ^^ !

Écrit par : Nephthys | 26/09/2011

Analyse très intéressante. En revanche, même si influence des k-drama il y a, il est important de se souvenir que Revenge est la transposition du roman d'Alexandre Dumas (un Français donc), paru en 1844. A l'époque, le thème de la vengeance était fréquent en littérature. Même si ce sentiment est visiblement ancré dans la culture asiatique, il a été exploité ailleurs depuis longtemps.

Il serait donc intéressant de vérifier via des interviews des producteurs ou scénaristes si ils ont été effectivement influencés par des œuvres coréennes...

Écrit par : UglyFrenchBoy | 26/09/2011

Bravo pour cette analyse pertinente.Je n'ai pas grand chose à rajouter, tu as tout dit.
Plus je regarde de séries coréennes, plus je déplore le manque d'émotion des séries américaines, qui n'arrivent pas donner de la profondeur à leurs personnages. Or la profondeur, ce n'est pas qu'une simple ambivalence bien/mal. Ce n'est pas non plus quelque chose qui se mesure avec les actions de nos personnages. C'est la façon dont on donne une âme, un cœur, des tripes.
J'en profite pour encourager tes lecteurs à suivre tes recommandations : Allez voir Story of a man !

Écrit par : Eclair | 26/09/2011

Merci pour cette analyse, bienvenue pour ceux qui comme moi s’interrogent sur ce pilot et les critiques de la presse américaine et des forumeurs, mais ne souhaitent pas visionner la série.

+1 avec Eclair, par contre je précise: je ne rencontre ce problème qu'avec les séries américaines (hors HBO), les britanniques eux s'en tirent très bien.

Question recommandations, je rajouterai Résurrection qui date de 2005 avec Uhm Tae Woong dans le rôle titre.
La qualité exceptionnelle de l'écriture compte tenu d'un scénario complexe, d'une multitude de personnages, le charisme et la subtilité des acteurs qui donnent vie à des personnages très nuancés, la réalisation soignée, la musique prenante en font une série de référence, très sous estimée, que pour ma part je trouve supérieure à Story of a man, qui est pourtant en soi un drama exceptionnel.

Écrit par : Titania | 26/09/2011

@ Nephthys : En revenge drama, peut-être essayer dans le genre celui que recommande Titania : Resurrection. (Mais il n'y a rien de mal à vouloir revoir Story of Man, je conseille ^_^)


@ UglyFrenchBoy : Je ne pense pas qu'il y ait autre chose qu'une convergence d'ingrédients adaptés au téléspectateur moderne (en tout cas je n'ai rien lu qui permette d'en douter), mais en un sens, je trouve que le constat par lui-même était intéressant (j'avoue que tout ce qui est thématiques sur une télévision trans/internationales m'intéressent beaucoup).
J'ai une semaine de vacances à la fin du mois, j'essaierai de voir quelques épisodes suivants pour comparer l'évolution.


@ Eclair / Titania : On a une analyse assez proche tous les trois, je pense. Et pour Titania, on a quasiment la même vue (je n'ai pas de souci devant les séries UK non plus). Il y a quand même des figures "types" de téléspectateur qui se dessinent, avec des liens entre les genres et les pays qui ne sont pas forcément ceux auxquels on aurait pensé a priori. (Mais pour la double affinité uk/k-drama, je connais un certain nombre de personnes qui y sont sensibles.. A creuser ^^)

Sinon, pour Resurrection, le drama a été récupéré sur ces précieux conseils. J'espère peut-être avoir le temps en décembre. En tout cas merci beaucoup de la recommandation, car c'est un genre que j'apprécie ! ;)
(Il ne détrônera sans doute pas Story of a man dans mon coeur pour d'autres raisons, mais Uhm Tae Woong est aussi un acteur que j'aime bien !)

Écrit par : Livia | 09/10/2011

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