11/02/2010
(Mini-série UK) Affaires d'Etats (The State Within) : jeux de guerre diplomatiques
Classiquement, une immersion dans les coulisses du pouvoir offre toujours une matière première intéressante pour les fictions du petit écran. A partir de cette base de départ attrayante, les essais sont évidemment transformés avec plus ou moins de succès. Parmi les productions proposées au cours de ces dernières années, il en est une que j'avoue revisionner avec toujours beaucoup de plaisir : The State Within (Affaires d'Etat). Il s'agit d'une mini-série, comportant 6 épisodes d'1 heure, qui fut diffusée en 2006 sur BBC1.
Pour une mini-série britannique, elle a la particularité de se dérouler aux Etats-Unis, s'invitant ainsi dans les coulisses du pouvoir américain. Nous allons traverser aux côtés de l'ambassadeur britannique en poste outre-atlantique, Sir Mark Brydon (Jason Isaacs), une crise majeure entre les deux pays, à la suite d'un attentat perpétré sur le sol américain par d'apparents terroristes bénéficiant de la nationalité anglaise. Disposant d'un scénario à tiroirs, où diverses intrigues s'entrechoquent, pour se révéler, à terme, constituer les pièces d'un même vaste puzzle létal, The State Within offre un contenu vraiment très riche. Quels rapports peuvent être établis entre l'explosion du vol en direction de Londres, la prochaine exécution en Floride d'un vétéran britannique ou encore le décès d'un mercenaire au cours d'un étrange exercice d'entraînement en Virginie ? Une vaste partie d'échecs très dangereuse s'engage, dont Brydon ignore initialement les réels enjeux. Gérant habilement ces différentes storylines a priori déconnectées, tout en alternant les tons, la complexité croissante de l'histoire s'impose rapidement comme très addictive.
Adoptant, au fur et à mesure que l'intrigue progresse, une ambiance de plus en plus paranoïaque, que les maîtres des fictions d'espionnage n'auraient pas renié, cette mini-série nous plonge dans des jeux de pouvoirs et de guerre au plus haut sommet de l'Etat, dans le cadre duquel les motivations de chacun apparaissent très ambivalentes. Peu à peu se dégage la menace très concrète d'une vaste conspiration à l'oeuvre, dont les ramifications réelles ne nous sont dévoilées que progressivement. Dotée d'un suspense électrisant, mêlant efficacement drame, action, mais aussi mise en place de stratégies plus feutrées, cette production a tous les attributs d'un fascinant thriller de haut vol. Elle peut finalement être perçue comme le pendant international d'une mini-série comme State of Play (Jeux de pouvoir), avec une atmosphère s'inscrivant parfaitement dans la tradition de la référence de la BBC en la matière, Spooks (MI-5). De manière générale, ce récit, sur l'emballement d'un système que certains tentent d'enrayer, m'a aussi évoqué les romans de Tom Clancy.
Traitant de thématiques classiques, sur fond de conspiration ayant des ramifications dans les plus hautes sphères du pouvoir, The State Within va très loin dans le brassage des genres qu'elle exploite, n'hésitant pas à mettre en scène des faits trouvant un écho certain avec la réalité. Si les parallèles sont "fortuits", ils n'en demeurent pas moins évidents. De la figure du dictateur, gênant ou promouvant certains intérêts occidentaux, jusqu'à la préparation d'une guerre derrière laquelle se cachent des enjeux industriels, en passant par l'évocation de la dangerosité de ces armées privées composées de mercenaires, ou encore en introduisant des personnages atypiques comme l'ex-diplomate James Sinclair (inspiré d'un ancien ambassadeur britannique Ouzbékistan, Craig Murray), tous ces éléments ont une résonnance particulière, d'autant plus captivante.
A travers cette plongée conduite de main de maître dans les coulisses du pouvoir, The State Within dresse aussi un portrait sans concession des démocraties modernes, pointant les dérives d'un système tout en s'interrogeant sur la place et le pouvoir détenus par certaines grandes entreprises multinationales, et plus précisément, en l'espèce, celles de l'industrie de l'armement. L'accent est surtout mis sur les rapports consanguins, équivoques, que peuvent entretenir les milieux d'affaires et les politiques auxquels les prises de décision sont sensées revenir. Pour autant, nous sommes loin d'une présentation manichéenne, les personnages bénéficiant d'une psychologie fouillée qui leur confère une réelle épaisseur, nourrissant leur ambivalence. Dans cette perspective, la figure de la Secrétaire d'Etat à la Défense offre sans doute l'exemple le plus concret : si elle est passée d'un monde à l'autre, avec la bénédiction de son précédent employeur, elle est aussi marquée par un drame familial qui l'influence tout autant. Si les conflits d'intérêts potentiels sont évidents a priori, dans cette mini-série, on assiste plutôt à une harmonisation artificielle de ces mêmes intérêts. Le sous-traitant, servant le puissant, n'étant pas forcément celui que l'on croit, dans cette relation entre le privé (la société) et le public (l'Etat). Accentuant la complexité de l'ensemble, la mise en scène des rapports de force à l'intérîeur même des différents camps se révèle très convaincante.
De manière générale, The State Within joue parfaitement sur une ambiguïté qu'elle entretient avec beaucoup de subtilité. L'implication et les motivations de nombreux personnages demeurent floues. De plus, les scénaristes n'hésitent pas à laisser certains éléments à la libre interprétation du téléspectateur, telle la fin relativement ouverte sur laquelle se conclut la série, illustration de la dualité régnant dans cette fiction.
Intrigante sur le fond, la mini-série bénéficie également d'un casting cinq étoiles particulièrement solide, mené par un acteur que j'apprécie beaucoup, Jason Isaacs (qui reste, dans mon esprit téléphagique, associé à son rôle de frère malfrat dans l'excellente série de Showtime, Brotherhood), incarnant un diplomate plein de ressources. On retrouve globalement beaucoup de têtes connues à l'affiche, à commencer par l'incontournable, et toujours si impeccable, Sharon Gless (qui évoquera, suivant la génération de téléphages à laquelle vous appartenez, Cagney & Lacey, Queer as Folk ou bien encore Burn Notice) : elle excelle dans son rôle de secrétaire d'Etat américaine, figure autoritaire et ambiguë, gardant toujours un sang-froid admirable.
A leurs côtés, c'est le casting dans son ensemble qui se révèle très convainquant. A commencer par Ben Daniels, en agent du MI-6 rompu aux rouages du métier, mais dont on s'interroge sur les loyautés réelles, qui est devenu désormais le procureur de Law & Order UK. Cette mini-série est également l'occasion de croiser : Genevieve O'Reilly, qui jouait Sarah Caulfield dans la dernière saison de Spooks (MI-5) cet automne, Alex Jennings, le révérend de Cranford, Eva Birthistle, vue depuis dans la mini-série The Last Enemy, Lennie James de Jericho, dernièrement croisé dans la version moderne du Prisonnier, ou enore Noam Jenkins, aperçu dans de nombreux rôles de guest-stars de ReGenesis à Being Erica...
Bilan : Thriller conspirationniste de haut vol, brassant de vastes enjeux géopolitiques, The State Within est une mini-série captivante qui nous plonge dans les coulisses de la diplomatie et des jeux de pouvoirs internationaux, aux côtés d'un ambassadeur quelque peu atypique. Mettant en lumière la prédominance prise par certaines grandes entreprises, et l'impuissance des appareils étatiques classiques, l'histoire prenante est bien servie par un excellent casting.
Une délocalisation britannique réussie !
NOTE : 9/10
08:26 Publié dans (Mini-séries UK) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bbc, the state within, affaires d'états, jason isaacs, sharon gless, ben daniels, genevieve o'reilly, alex jennings, lennie james, noam jenkins, espionnage | Facebook |
Commentaires
On dirait que les séries politiques deviennent l'apanage de la Grande Bretagne, avec l'exception de l'incontournable The West Wing. C'est un genre qui m'interpelle vraiment (quand j'entends jeux de pouvoir ou paranoïa, l'écume sort de ma bouche), évidemment je suis passé à côté de cette diffusion en 2006 mais à la lecture de cette notule, cela donne envie de rattraper son retard. Tu la compares d'ailleurs (entre autres, que de referencess Livia !) à State of Play, ce qui me réconforte dans mon envie. Je pense aussi à Party Animals, peut-être moins sérieux et plus fun (mais tout aussi diplomatique sur le fond, malgré sa visée interne), j'ignore si tu l'as vue, j'avais été conquis à l'époque.
Écrit par : adam | 12/02/2010
C'est vrai que la GB a, à mon sens, une réelle tradition et un savoir-faire pour les fictions politiques, bien plus avancé que les Etats-Unis.
En fait, comme je m'intéresse particulièrement à l'Angleterre (et comme les fictions sur le pouvoir sont parmi mes préférées), j'essaye de découvrir progressivement celles que je n'ai pas encore vues, en n'hésitant pas à remonter le temps (même si pour State Within, à l'époque, j'avais déjà attrapé le virus et l'avait découverte "en direct").
Dans mes explorations, je constate qu'on retrouve des fictions de ce genre depuis les années 80, fin des 70s', qui traitent ce thème avec beaucoup d'habileté.
Party Animals, j'avais apprécié, même si c'était plus dans un registre plus light. J'y avais consacré une note au début du blog (cf. la catégorie "Séries britanniques")
Pour State of Play, le billet se trouve dans la catégorie "Mini-série UK". ;-)
De manière générale, les Anglais ont fait des petits bijoux dans le domaine politique, au cours de la dernière décennie. Je pense notamment aux séries de Peter Kominsky, avec en tête d'affiche la somptueuse et si critique The Project (Les Années Tony Blair) (cf. critique dans "Mini-séries UK")
Sur un plan plus comique, assez cynique et sarcastique, il y a deux séries magistrales, de deux époques très différentes, sur les coulisses d'un ministère qui méritent vraiment le détour :
_ Une série fondatrice des années 80 : Yes Minister (cf. "Comédies britanniques")
_ Actuellement, il y a un Mockumentary magistral qui en est à sa 3ème saison : The Thick of it (cf. "Comédies britanniques")
Sinon, en ce moment, je découvre un monument qui date du début des années 90, avec Ian Richardson : The House of Cards. C'est considéré comme un des chef-d'oeuvres british de ce genre, et je comprends la réputation dont elle jouit !
Je pense peut-être que la décennie de Thatcherisme n'est pas étrangère à ce développement ; et à cette prise de distance à travers les fictions.
Dans un registre se rapprochant un peu de The State Within, avec les mots clés "jeux de pouvoir"/"paranoïa" qui semble t'intéresser ( ;-) ), il y a aussi toutes les déclinaisons d'espionnage qui méritent également une exploration.
Tout le cycle des adaptations des romans de John Le Carré offre un vivier fantastique pour qui s'intéresse à ces thématiques. La plupart ont d'ailleurs marqué l'histoire de la télévision britannique. La première fut La Taupe (Tinker, Tailor, Soldier, Spy, cf "Mini-séries UK"). Ensuite, il y eut Smiley's People. Evidemment, cela peut rebuter un peu a priori, car cela date de la fin des années 70. Mais, pour peu qu'on s'intéresse un peu à l'Angleterre et à leurs productions, c'est passionnant, et bon, une adaptation de romans de John Le Carré, c'est toujours du très solide pour le scénario ! (Dans les années 90, l'adaptation phare de ce type fut The Perfect Spy -je pense la regarder, quand j'aurais fini House of Cards).
En plus récente, il y a aussi les Cambridge Spies (cf. "Mini-séries UK") (Que l'on peut peut-être rapprocher de la mini-série américaine, The Company).
Enfin, je crois qu'il ne faut pas me lancer dans les séries britanniques ! Mais je te rejoins totalement sur l'idée qu'il y a un vrai savoir-faire outre-Manche pour traiter de ce thème-là, une approche qui leur est propre ! ^_^
Heureusement, il me reste encore un certain nombre de séries de ce type à découvrir. J'achète les coffrets DVD au fur et à mesure !
Écrit par : Livia | 12/02/2010
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