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03/04/2013

(J-Drama) Made in Japan : le déclin du modèle industriel japonais

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"TV Show Mirrors a Japanese Battery Maker’s Bind" (The New York Times), "TV drama captures public angst at "Made in Japan" decline" (Reuters). Il est plutôt rare que des dramas japonais en cours de diffusion trouvent un écho jusque dans les médias anglo-saxons. Les articles qui ont été consacrés à Made in Japan démontrent combien les problématiques soulevées par cette récente mini-série de la NHK ont une résonnance particulière, qui interpelle dans la situation économique actuelle. Ce thème du déclin ou de la fin d'un modèle industriel revient d'ailleurs régulièrement jusque dans nos médias. C'est par une mini-série que la NHK a décidé de l'évoquer cet hiver.

Diffusé les samedi soirs sur NHK BS Premium du 26 janvier au 9 février 2013, Made in Japan est un drama qui compte 3 épisodes d'1h15 environ chacun. Sur le papier, les thèmes industriels et financiers peuvent paraître un peu arides pour servir de base à une fiction. Mais la télévision japonaise a démontré par le passé sa capacité à aborder, avec une qualité et une justesse à saluer, de tels sujets. On se souvient du magistral Hagetaka, ou encore de la perspective historique apportée par Fumou Chitai. Si Made in Japan s'inscrit dans une continuité thématique, autant vous prévenir : il n'atteint cependant pas la qualité de ses aînés. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il ne soit pas digne d'intérêt.

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Made in Japan met en scène les difficultés rencontrées par un des géants industriels nippons, Takumi Electronics (groupe fictif derrière lequel on peut deviner des groupes comme Sony). Confronté à un yen qui reste fort, à la crise économique, mais aussi à la montée d'autres puissances en Asie comme la Chine ou la Corée du Sud, le groupe est au bord de la faillite. Les banques songent à retirer leurs soutiens financiers, ce qui serait le début de la fin. Face à cette situation, le chairman de la société sollicite un de ses managers, Yagahi Atsushi, pour mettre en place une équipe de la dernière chance : il s'agit de concevoir un plan de restructuration d'urgence. La tâche a tout d'une mission impossible : ils ont en effet seulement trois mois pour proposer un projet viable.

Le futur de Takumi est notamment lié à la conclusion de contrats avec d'autres sociétés portant sur une batterie à lithium dernier cri, développée depuis des années au sein de son département de recherche. Mais une société chinoise, Laisheng, lance également la commercialisation d'une batterie similaire, qu'elle propose à un prix bien inférieur au constructeur japonais. Or Takumi découvre que les caractéristiques techniques du produit de Laisheng sont extrêmement proches du leur. Trop proches pour qu'il s'agisse d'un produit indépendant. En se rendant à Shangai pour y rencontrer le dirigeant chinois, Yahagi et ses collègues apprennent que l'ingénieur en charge du développement de la batterie chez Laisheng est un ancien responsable de la même mission chez Takumi...

Les tensions entre les deux compagnies s'exacerbent. Ce sont sa survie, le sort de dizaines de milliers d'employés, mais aussi une certaine conception de l'industrie japonaise, que Takumi joue sur ce dossier.

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L'intérêt de Made in Japan tient au thème traité : il est un miroir tendu vers une industrie japonaise, oscillant entre un certain volontarisme afin de continuer à aller de l'avant en quête d'un nouveau souffle, et une amertume diffuse qui se matérialise par le rappel, répétitif mais tellement vain, des années glorieuses où le modèle Takumi était à son zénith. A travers le portrait dressé, c'est le constat de conceptions industrielles désormais dépassées et prises de vitesse qui transparaît, avec des responsables qui s'illusionnent et se raccrochent à leurs anciens repères. Le drama fait le choix d'évoquer la concurrence chinoise, soulignant les oppositions de style et de culture des hommes qui font ces entreprises. Si la série s'adresse à un public avant tout japonais, elle ne sur-joue pas la fibre nationaliste. Le modèle auquel se réfère toujours Yagahi a, certes, fait sa fierté, mais tout dans le drama indique aussi qu'il appartient au passé, durement rattrapé par la réalité. Soulignant les impasses dans lesquelles s'enferme l'équipe de restructuration, mettant en exergue les décalages et incompréhensions entre les vieux réflexes et la situation concrète existante au niveau mondial, le drama décrit des réactions face à ce déclin acté. Cette mini-série dresse donc un portrait très intéressant du Japon actuel et de son milieu industriel.

Mais Made in Japan n'est pas juste un écho aux préoccupations japonaises, c'est aussi un drama. Or, dans ce registre de la fiction, tout en suivant une construction plutôt efficace, il révèle certaines limites. Le premier problème tient à l'approche choisie par les scénaristes : par crainte que les thèmes industriels et financiers ne soient trop abrasifs, ils n'ont pas hésité à verser dans le mélodrame. Cela s'est traduit par certains twists ou rebondissements personnels qui sonnent soit forcés, soit excessifs. Ne bénéficiant que de 3 épisodes, il y a peu de place pour installer de façon satisfaisante des personnages souvent juste esquissés. Il aurait mieux fallu que la fiction opte pour la sobriété et ne joue que sur le seul tableau industriel. L'autre limite tient au message trop apparent que Made in Japan entend faire passer : en filigrane, il s'agit de remobiliser, de redonner un espoir, pour retrouver, si ce n'est l'éclat d'antan, du moins une place de choix. Cela se ressent tout particulièrement dans la conclusion, où se concrétisent de nouveaux partenariats, de nouvelles ouvertures, notamment avec la Chine. Le passé est révolu, et cette redistribution des cartes s'accompagne de discours teintés d'un idéalisme presque moralisateur pour ce se tourner vers l'avenir. Il y a donc un certain manque de subtilité dans la thèse promue ici qui amoindrit la fiction.

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Sur la forme, Made in Japan s'appuie sur une réalisation sobre et très classique. Entre filtres de couleur et quelques plans en extérieur symboliques, le drama reprend les recettes les plus traditionnelles du petit écran japonais. Il se montre un peu plus entreprenant concernant sa bande-son, sans pour autant que ces choix soient toujours bien dosés ou convaincants. Un effort est cependant fait : comme un écho à l'histoire relatée et surtout à la diffuse amertume qui s'en dégage, on y croise des thèmes musicaux assez grinçants, et d'autres, plus solennels, comme en quête d'un nouveau souffle et d'un dynamisme perdu.

Les limites formelles de Made in Japan sont contrebalancées par la présence d'un très solide casting sur lequel le drama peut compter. Le personnage central, Yagahi Atsushi, est interprété par Karasawa Toshiaki (Fumou Chitai, Guilty Akuma to Keiyakushita Onna) qui a cette faculté - déjà soulignée dans Fumou Chitai - à interpréter des personnages à la fois très rigides et très expressifs (sans sur-jeu), source d'une ambivalence qui sied parfaitement au rôle qu'il tient ici. Il est entouré par quelques valeurs sûres du petit écran japonais, tels que Takahashi Katsumi (Koshonin, Ryomaden, Don Quixote) (qui incarne l'ancien employé de Takumi), Yoshioka Hidetaka (Dr. Koto Shinryojo) (le spécialiste financier) et Kunimura Jun (Soratobu Taiya, Saka no Ue no Kumo, Suitei Yuuzai) (l'ingénieur en chef). Plus en arrière-plan, on retrouve également Otsuka Nene, Sakai Miki, Kanai Yuta, Oikawa Mitsuhiro ou encore Kishibe Ittoku.

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Bilan : Traitant, avec beaucoup d'acuité, d'un sujet - le déclin du modèle industriel japonais - qui trouve un écho particulier dans l'actualité, Made in Japan est un drama très intéressant par ce qu'il révèle du Japon (et de la façon dont les Japonais conçoivent cette crise). Il oscille en permanence entre l'amertume d'un éclat passé définitivement révolu et la volonté d'aller de l'avant pour retrouver un dynamisme. Mais si son thème retient l'attention, le récit souffre de plusieurs limites qui amoindrissent cette mini-série : d'une part, un penchant au mélodrame pas toujours bien géré, d'autre part, un message en arrière-plan guère subtile pour re-mobiliser autour du "Made in Japan" et qui aboutit à une fin de compromis et d'espoir sonnant trop forcée et idéalisée.

En résumé, Made in Japan est un drama qui mérite d'être vu pour le portrait qu'il propose du Japon, mais qui est loin de la qualité et de la force dramatique d'un Hagetaka (si vous ne l'avez pas encore vu, permettez-moi de jouer les prosélytes : foncez !). Made in Japan reste cependant à conseiller à tous ceux qui s'intéressent au pays du Soleil Levant.

NOTE : 6,5/10