06/10/2010
(J-Drama / Pilote) Gold : objectif Londres 2012
Comme toujours, je cultive obstinément cette habitude de suivre la télévision japonaise à distance, maintenant un décalage entre les diffusions du pays du Soleil Levant et mes propres découvertes. Si bien que, généralement, c'est lorsque la nouvelle saison pointe le bout de ses programmes que je commence à me plonger sérieusement dans le trimestre téléphagique précédent. Cela a ses avantages, puisque j'ai tendance à suivre les conseils des uns et des autres, plus qu'à me fier à la seule lecture de synopsis souvent insuffisants.
C'est ainsi que la semaine passée, je vous avais présenté mon bilan de Atami no Sousakan, qui restera sans nul doute ma série japonaise préférée de cet été 2010. Poursuivant ma route, je me suis, ce week-end, penchée sur Gold, dont les sous-titres anglais sont moins avancés, mais qui était également chaudement recommandée (par ici). J'avoue avoir eu quelques réticences avant de tenter ce drama, comportant 11 épisodes et qui fut diffusé du 7 juillet au 16 septembre 2010 sur Fuji TV. La thématique sportive sous-tendant l'ensemble me semblait excessivement familière. Cependant, au-delà de cette seule thématique sur le sport, entrelacée avec celle de la famille, c'est face à une série, avec beaucoup de personnalité et une dimension humaine plus large que ce seul concept initial, que je me suis retrouvée. Les deux premiers épisodes visionnés m'ont intriguée ; en espérant poursuivre cette découverte.
Le coeur de Gold réside dans la force, mais aussi l'attractivité, de sa figure centrale, dont le charisme supporte une bonne part des thématiques abordées dans ce drama. En effet, Saotome Yuri est une femme d'affaires à succés, surfant sur un empire mêlant sport, diététique et beauté. Héritière des ambitions sportives familiales, elle s'est construite toute une image médiatique façonnée autour de l'éducation de ses enfants, toute entière tournée vers des rêves de médaille d'or. Car Yuri est aussi restée la seule dépositaire des espoirs olympiques paternels, après la mort accidentelle de son frère aîné, qui était celui qui avait été programmé pour réaliser cette ambition.
Ayant épousé un ancien sportif, lui-même médaillé d'or, Yuri a eu quatre enfants. Si elle vit désormais séparée de fait de ce dernier - mais maintenant les apparences aux yeux du public -, c'est elle qui est restée en charge d'élever leurs enfants. Elle a suivi l'idéal rigoriste qu'elle prône jusque dans les livres qu'elle publie sur le sujet. Mère intransigeante, fidèle à ses principes, elle a fait des trois premiers des athlètes à la carrière en devenir, tous trois s'entraînant dur en vue des Jeux Olympiques de Londres. Le plus jeune, de santé plus fragile, bénéficie en revanche d'un traitement particullier, qui le protège tout en l'excluant implicitement de cette émulation collective. Habile psychologue et manipulatrice hors paire, Yuri ne laisse rien au hasard. Même quand elle engage comme secrétaire la si jeune et innocente Nikura Rika.
Mais quel est le prix à payer pour atteindre ces rêves olympiques de grandeur ? Tous les sacrifices se justifient-ils au nom de l'or ?
Initialement, je craignais un peu de me retrouver face à l'archétype de la série sportive, avec tous les poncifs que cela impliquait entre dépassement de soi et course à la réussite par l'effort. Or, Gold va dévoiler bien plus que cette seule dimension. Si en toile de fond, l'aspect sportif demeure une constante qui conditionne la vie de tous les personnages, c'est en amont, dans les dynamiques relationnelles qui s'initient entre les personnages, mais aussi dans les questions qu'elles soulèvent, que se situe la richesse de la série. Le drama bénéficie en plus de sa tonalité extrêmement directe, n'hésitant pas à aborder frontalement des thématiques compliquées. Ces dernières se révèlent d'ailleurs plus complexes et ambivalentes que les apparences premières avaient pu le laisser penser, ce qui permet aussi de prendre une certaine distance avec les théories prêchées par le personnage principal.
Le pilote, ou du moins sa première demi-heure, s'apparente à un pamphlet sans concession contre les méthodes d'éducation modernes. Jetez votre vieil exemplaire de Françoise Dolto aux oubliettes, voici la vision des choses telle que prônée par Yuri. Inflexible et exigeantes elle a élevé ses enfants "à la spartiate", comme le qualifie métaphoriquement le présentateur tv dans la séquence d'ouverture. Rejetant tout compassionnel, le discours parfaitement rodé de Yuri sert d'entrée en matière musclée dans la série. Il est loin de faire l'unanimité, mais cette quête vers l'excellence, ancrée dès le plus jeune âge, séduit également par l'élitisme ainsi affiché, par ce relatif déterminisme qui semble entériné et écarter tout hasard. La thématique est potentiellement glissante ; inconsciemment au moins, lorsque l'on découvre que Yuri s'est mariée avec un sportif lui-même médaillé, le terme "eugénisme" pointe en arrière-plan.
C'est dans ce cadre que, précisément, la série va faire preuve d'une maîtrise narrative admirable, ne tombant dans aucun des pièges potentiels. Prenons pour exemple l'excellente scène d'ouverture du drama, qui donne parfaitement le ton immédiatement. Sa vraie réussite, c'est d'avoir offert un contradicteur - qu'elle ridiculise - à Yuri. Les indignations désordonnées et instinctives de ce dernier sont semblables à celles qui viennent naturellement au téléspectateur, face à une femme qui vous expose, avec un réel aplomb, ses certitudes concernant la division des enfants en plusieurs catégories, les gagnants contre les loosers, les "b-child" contre les "poor child", produits de l'éducation laxiste de leurs parents. Or le contradicteur fait ici office d'exutoire pour le téléspectateur : cette opposition, aussi peu inspirée qu'elle soit, permet de crever l'abcès avant qu'il ne s'infecte. L'entrée en matière de la série ainsi dédramatisée, le téléspectateur peut se concentrer non sur son déni réflexe des théories avancées (le rôle ayant déjà occupé), mais sur la figure qui formule de telles idées.
C'est à partir de là que la magie de Gold opère. Car, sous la surface si policée, les choses se révèlent plus complexes et ambivalentes que l'idéal prôné par Yuri. Cette dernière symbolise d'ailleurs à elle-seule toute la part de lumière, mais aussi d'ombre, qui sous-tend la série. Une brève rencontre avec son père nous révèle combien elle s'inscrit dans un schéma de reproduction sociale stricte ; elle transfère sur ses enfants sa propre éducation. De même qu'elle leur a transmis l'héritage laissé par son frère décédé, celui de remporter cette fameuse médaille d'or, une véritable course à l'excellence familiale. Au-delà de cette rigoureuse reproduction, Yuri est elle-même consciente des coûts et des ambiguïtés inhérentes à cette voie. Quand elle éclate en sanglots dans la voiture, après avoir été placée devant les contradictions de sa vie amoureuse, n'est-ce pas le poids de son impuissance à s'épanouir en tant que femme, dans le schéma de vie forcée qu'elle suit, qui est soudain trop lourd à porter ? Au fil des scènes, c'est un fascinant portrait féminin qui est peu à peu dressé.
Si Yuri est incontestablement la figure centrale de ce drama, les autres personnages n'en sont pas pour autant oubliés. Il y a une réelle homogénéité d'ensemble, une complémentarité de tous, qui permet à la série de développer toute une dimension très humaine - peut-être un peu inattendue au vu du seul synopsis - et qui est très intéressante à suivre, sans doute parce que la qualité de l'écriture permet de trouver rapidement le juste équilibre entre chacun. Les enfants de Yuri, dont les plus âgés entrent bientôt dans l'âge adulte, avec leurs personnalités propres, plus ou moins affirmées, sont le produit d'une éducation, mas c'est aussi leur propre identité qui achève de se construire (et donc de s'affirmer). Témoins privilégiés de leurs motivations secrètes, de la façon dont ils appréhendent finalement le statut que leur mère a choisi pour eux, la très grande diversité que proposent les trois adolescents permet une prise de distance. Leurs failles paraissent ainsi comme rassurantes, face au déterminisme excessif de certaines certitudes de Yuri. C'est avec un intérêt jamais démenti que l'on assiste à ces conflits constants, entre impulsions premières, éducation et sentiments.
Enfin, dernière preuve de la maîtrise narrative dont font preuve ces deux premiers épisodes de Gold, le téléspectateur dispose d'un repère pour s'inviter peu à peu dans le quotidien de Yuri et de son entourage, avec l'introduction d'une nouvelle secrétaire, innocente à l'excès, Rika. C'est à ses côtés que l'on va découvrir les craquelures sous la surface et la réalité nuancée de la vie de cette famille. C'est aussi grâce à Rika que la série se permet de jouer quelque fois sur une fibre plus légère et comique, détendant l'atmosphère globale et occasionnant quelques ruptures narratives salvatrices. Ce personnage se révèle d'autant plus intéressant qu'elle trouve rapidement ses marques aux côtés de Yuri ; les deux femmes forment un duo très complémentaire, parfaitement détonnant, qui occasionne vraiment d'excellents échanges, avec des réparties bien dosées.
Enfin, Gold bénéficie d'un excellent casting, où resplendit surtout une Amami Yuki (Last Present, BOSS) impressionnante de charisme, qui parvient avec beaucoup de talent à retranscrire à l'écran les différentes facettes de son personnage. Elle est parfaitement au diapason de cette figure centrale qu'elle incarne. C'est par rapport à elle que les autres se positionnent et trouvent finalement leur pendant logique, justifiant la façon dont ils abordent leurs personnages. On retrouve notamment Nagasawa Masami (Last Friends), dans le rôle de la secrétaire, et Sorimachi Takashi (HOTMAN), dans celui de l'entraîneur. Je suis un peu moins convaincue, pour le moment, par les acteurs incarnant les enfants de Yuri (Mikami Kensei, Matsuzaka Tori, Takei Emi), mais ils s'insèrent dans le cadre général du drama.
Bilan : Bien plus qu'une énième déclinaison de fiction dite "sportive", Gold s'impose comme une série dotée d'une profonde dimension humaine, à la fois troublante et fascinante. Toutes les théories sur l'éducation de Yuri soulèvent de lourdes questions, frôlant déterminisme, voire eugénisme, mais pour le moment, la série évite admirablement bien tous les pièges potentiels en éclairant et développant toute l'ambivalence qui les entoure. Ce positionnement entre ombre et lumière fait prendre au drama toute son ampleur. Car ce sont des tensions constantes que met à jour cette série, par le biais d'une écriture étonnamment mâture, maîtrisant admirablement toute sa narration.
NOTE : 7,5/10
La bande-annonce de la série :
Le générique de clôture :
20:45 Publié dans (Séries asiatiques) | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : j-drama, fuji tv, gold, amami yuki, nagasawa masami, sorimachi takashi, mikami kensei, matsuzaka tori, takei emi | Facebook |