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04/01/2014

(SE/DAN) Bron/Broen (The Bridge), saison 2 : une lutte intime vers un échec inéluctable

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Pour ouvrir de la meilleure des façons cette année 2014, je vous propose de prendre la direction de la Scandinavie, entre Danemark et Suède, pour revenir sur une des séries les plus marquantes que j'ai eu l'occasion de visionner ces derniers mois. En 2013, Bron/Broen a surtout fait parler d'elle par l'exportation de son format : un premier remake américain (The Bridge) a été proposé au cours de l'été sur la chaîne FX, déplaçant l'intrigue à la frontière des Etats-Unis et du Mexique. Puis un second, franco-anglais, cette fois, (The Tunnel) a été diffusé cet automne en transposant l'action dans le tunnel sous la Manche.

De quoi presque occulter le fait qu'arrivait cet automne, en Suède et au Danemark, deux ans après, la seconde saison de la série originale. Ce serait pourtant passer à côté de dix bien belles heures de télévision que de négliger cette version scandinave. En effet, cette saison 2 est une confirmation, une consécration même, par l'aboutissement narratif auquel la série parvient. Si une saison 3 est en cours d'écriture, Bron/Broen s'est offert une magnifique suite -pouvant également faire office de conclusion.

En ce qui concerne la diffusion internationale, notez que cette saison 2 débute justement ce soir (samedi 4 janvier 2014) sur BBC4 en Angleterre (avec une sortie DVD prévue pour février 2014). En France, c'est la saison 1 qui arrive sur Canal+Séries à partir du 6 janvier prochain. N'hésitez donc pas.

[La review qui suit contient des spoilers concernant les saisons 1 & 2 : ne pas lire si vous ne les avez pas visionnées.]

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Bron/Broen reprend le fil de son histoire plus d'un an après la fin de la première saison. Si elle a tout de la digne représentante du genre policier, cette seconde saison souligne combien il serait réducteur de la présenter sous ce seul versant. C'est, certes, un polar scandinave à la narration feuilletonnante éclatée qui orchestre différentes destinées autour d'un fil rouge criminel, au sein duquel se retrouve une dimension politique - environnementale - semblable au schéma suivi lors de la première saison. Cette trame est une nouvelle fois rondement menée, avec des changements de perspectives bien introduits : face à une maîtrise narrative rarement prise en défaut, on peut tout au plus discuter le point d'interrogation que laisse au téléspectateur l'ultime scène qui conclut l'épopée criminelle du dernier responsable connu des événements relatés. Mais par-delà l'efficacité dont elle fait preuve dans ce registre, Bron/Broen est bien plus qu'une fiction d'enquête.

En effet, la série est entièrement portée et dédiée à la dynamique qui lie son duo principal. La saison 1 avait fait le choix d'explorer, avec réussite, une recette très familière, celle de l'association professionnelle de deux personnages très différentes qui, peu à peu, trouvent un terrain d'entente et entre lesquelles une complémentarité et même une amitié naissent. Lorsque la nouvelle saison débute, Saga et Martin ne se sont pas revus depuis l'enterrement d'August. Saga a poursuivi sa vie, tandis que Martin tente comme il peut de retrouver la sienne et de se remettre de la mort de son fils. Malgré le drame passé, les deux policiers retrouvent quasi-instantanément les rapports construits entre eux l'année précédente. Leur caractérisation et la mise en scène subtile de leurs rapports restent une des grandes forces de la série. En marge de l'investigation, ils se conseillent, s'influencent, tentent de se protéger, capables d'échanger et de se parler sans tabou : Martin doit faire face au deuil, à sa vie de famille qu'il peut peut-être encore sauver ; Saga expérimente la vie de couple et sa faculté à construire plus avant une relation amoureuse. C'est l'occasion pour la série d'explorer différentes facettes de ces personnages, laissant entrevoir toute la vulnérabilité qui sommeille derrière la surface policière endurcie.

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S'inscrivant dans la directe continuité des événements passés, cette saison 2 est en fait une histoire d'échecs apparaissant inéluctables. En dix épisodes, c'est une tragédie à laquelle on assiste, dont la dimension poignante et déchirante n'est que plus mise en valeur par l'extrême sobriété dont fait preuve l'écriture de Bron/Broen. Il y a un réalisme brut, une authenticité dans les réactions de chacun, qui n'en marque que plus le téléspectateur. Tout au long de la saison, en parallèle du fil rouge criminel à résoudre, une lutte autrement plus intime prend place : Saga et Martin se débattent, tentent d'évoluer... Sans succès. Ainsi, Saga assimile-t-elle des livres sur la gestion d'une cohabitation, sans parvenir à comprendre ces codes de socialisation qui lui échappent ; elle ne peut modifier qui elle est, n'y échapper au besoin de se préserver un espace. Cela anéantira son couple. De son côté, pour dépasser sa douleur, Martin fait le choix de la confrontation avec celui qui a brisé sa vie ; mais l'illusion de l'avoir touché sera balayée par la réalisation que le cocon familial qu'il espérait retrouver n'est plus.

Le dernier épisode de la saison, le plus éprouvant -une nouvelle fois-, n'est pas seulement la conclusion d'une saison, il vient refermer un arc qui couvre les deux saisons. Il entérine un retour au point de départ de la série, venant constater que ni Saga, ni Martin n'ont réussi à progresser. Leurs tentatives ont été vaines. Martin cède à la vengeance qu'il n'avait pas commise à la fin de la saison dernière : il tue le meurtrier de son fils. Or Saga comprend, seule, comment il s'y est pris. Elle aurait pu ne rien dire, personne ne se préoccupant vraiment du sort de cet homme. Seulement la jeune femme est fidèle à elle-même, retrouvant cette intransigeance qui reste une de ses caractéristiques. Elle collecte les preuves et fait son rapport, comme elle l'avait fait lors du pilote de la série pour un incident autrement plus anecdotique. C'est ainsi qu'elle dénonce aux autorités celui qu'elle reconnaît être son seul ami, détruisant par là-même l'unique relation humaine -si précieuse donc!- qu'elle avait réussi à nouer. Sans ciller, les scénaristes sont allés au bout de leur exploration de ce duo, en optant pour l'issue la plus implacable et la moins artificielle : celle qui semblait finalement inéluctable...

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La noirceur des développements de cette saison 2 -fidèle à la tonalité posée dans la première- se retrouve dans la photographie de la série, laquelle paraît comme décliner à l'infini des tons de gris aux nuances insoupçonnées. La réalisation est impeccable, sachant parfaitement user de plans larges et mettre en valeur un paysage frontalier, entre Suède et Danemark, qui fait partie intégrante de l'atmosphère du récit. Bron/Broen confirme être une oeuvre esthétiquement très aboutie dont le visionnage constitue une véritable expérience visuelle. Cet aspect se combine avec une bande-son où la sobriété prédomine, superbement incarné par un générique toujours aussi marquant, avec une chanson qui hante durablement le téléspectateur et représente si bien l'identité de la série (cf. la première vidéo ci-dessous).

Si la justesse de Bron/Broen trouve sa source dans les qualités de son écriture, ce sont aussi les performances d'acteurs qui parachèvent cet équilibre de ton. Dans des registres très différents, Sofia Helin et Kim Bodnia sont tous deux impressionnants. Magnifiques même. Tout en suscitant l'investissement émotionnel du téléspectateur, ils vont, chacun à leur manière, avec une retenue remarquable et sans jamais céder à la tentation d'en faire trop, nous faire partager leurs épreuves personnelles. Bouleverser le téléspectateur ne sera d'ailleurs pas leur monopole, notamment dans l'ultime épisode où Vickie Bak Laursen délivrera quelques scènes extrêmement poignantes avec son personnage de Pernille, une policière. A leurs côtés, on peut citer les retours de Sarah Boberg, Lars Simonsen, Puk Scharbau et Rafael Petterson, mais aussi les arrivées de Henrik Lundström, Tova Magnusson, Sven Ahlström ou encore Camilla Bendix.

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Bilan : Si Bron/Broen confirme être une solide série policière, polar scandinave à l'intrigue éclatée réunie en un toutélié maîtrisé, le coeur et la grandeur de la série reposent sur son exploration d'un duo principal, dont les rapports et les destins croisés confèrent une dimension supplémentaire au récit. Derrière la collaboration professionnelle difficile devenue une amitié, c'est une histoire de luttes intimes, de changements personnels impossibles. La dimension tragique de la saison ressort particulièrement par la construction narrative suivie : malgré les tergiversations et les efforts de Saga et de Martin, tout semble inéluctablement les conduire aux ultimes prises de décision dont nous serons témoins, retour à un point de départ aussi déchirant qu'inexorable. En lien direct avec les événements de la première saison, on assiste donc à une vraie conclusion d'ensemble de l'arc narratif ouvert vingt épisodes plus tôt.

L'éventualité d'une saison 3 soulève par conséquent bien des questions, dans la mesure où la dynamique qui fondait la série jusqu'à présent n'est plus. Cependant les scénaristes ont pour le moment si bien su maîtriser leur sujet, qu'il est impossible de ne pas leur faire confiance pour envisager une suite. Surtout, il est bien difficile d'envisager de refermer définitivement ce magnifique chapitre sériephile qu'est Bron/Broen. A suivre donc...


NOTE : 8,75/10


Le générique de cette saison 2 :


Une bande-annonce de la série :


17/03/2012

(SE/DAN) Bron/Broen (The Bridge), saison 1 : un polar sombre et prenant aux multiples facettes

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Mes affinités avec les séries scandinaves se confirment ! Après s'être habituée au danois l'an dernier, mon oreille se familiarise depuis le début d'année avec le suédois. Forte de mes visionnages en cours de Äkta Människor ou encore de Anno 1790, je suis passée en ce mois de mars à l'étape suivante : m'offrir un mélange de suédois et de danois, devant une série co-produite par les deux pays, Bron/Broen (The Bridge en version internationale). C'est le moment de souligner que, jusqu'à présent, tous mes achats de coffret DVD étranger "à l'aveugle" (comprendre : sans avoir vu un seul épisode) auront tenu leurs promesses en provenance d'Europe du Nord (de Borgen à Næturvaktin), et cette dernière découverte ne m'aura pas déçue.

Bron/Broen a été diffusée au cours de l'automne 2011 en Suède (sur SVT1, à partir du 21 septembre) et au Danemark (sur DR, à partir du 28 septembre). Sa première saison compte 10 épisodes, d'une durée de 55 minutes environ. Une seconde saison a été commandée. A l'international, la série devrait être diffusée prochainement en Angleterre sur BBC4. Pas de nouvelle pour le moment en France, mais, ma foi, elle serait parfaite pour la politique de diffusion séries actuellement suivie par Arte (laquelle débute justement jeudi prochain la diffusion d'une série policière... suédoise, Les enquêtes du commissaire Winter, dont l'acteur joue aussi dans Bron/Broen) ! C'est donc de ce polar à la fois prenant et intense dont je vais vous parler aujourd'hui.

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Une nuit, sur l'immense pont qui relie le Danemark à la Suède, un incident interrompt le trafic : un corps a été abandonné sur la route, déposé exactement sur la ligne de frontière séparant les deux pays. Les polices sudéoise et danoise sont a priori toutes deux compétentes pour enquêter sur cette mort. Pour éviter tout conflit de juridiction, c'est une collaboration qui se met en place entre les deux officiers de garde dépêchés sur place ce soir-là : la suédoise Saga Noren et le danois Martin Rohde. 

D'abord trop vite catalogué comme le simple meurtre d'une personnalité suédoise connue, ce premier crime se révèle rapidement bien plus complexe qu'il n'y paraissait a priori. Il n'est que la première étape, publique, dans un engrenage qui se transforme en traque d'un tueur semblant toujours avoir un temps d'avance sur les enquêteurs. Si Saga et Martin ont des approches et des méthodes très dissemblables, ils vont devoir apprendre à coopérer et à travailler efficacement ensemble dans cette investigation qui contient bien des fausses pistes.

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Bron/Broen est une série policière feuilletonnante extrêmement prenante. Si elle construit son intrigue sur des bases très classiques, elle va savoir pleinement exploiter tous les ingrédients à sa disposition pour se trouver une identité propre dans ce registre de fiction pourtant familier. A ce titre, c'est tout d'abord par sa très grande noirceur que la fiction se démarque. Elle s'impose en effet comme un de ces polars très sombres, dans la droite lignée d'une tradition scandinave dont la réputation n'est plus à faire et à laquelle elle contribue avec les honneurs.

Avec une sobriété voulue, souvent assez glaçante, il faut préciser que la série se contentera le plus souvent de suggérer la violence plutôt que de nous la montrer, mais l'impact restera tout aussi fort. Et quelques scènes explicites particulièrement dures seront également proposées. En filigrane, c'est la fragilité de la vie qui semble constamment rappelée. Ce parti pris confère à l'oeuvre une résonnance très réaliste, et renforce la tension ambiante tant il apparaît vite clair que le téléspectateur n'a aucune assurance sur l'issue de cette enquête au long cours, ni sur la manière dont va s'orienter cette recherche du tueur qui tourne à la confrontation.

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Au-delà d'une atmosphère à la froideur soignée, Bron/Broen se démarque par sa maîtrise de sa construction narrative. La série glisse admirablement entre les différents genres policiers au fil de la saison, passant du fait divers isolé à la perspective d'un serial killer, des dénonciations provoquantes de dérives de la société moderne à des griefs autrement plus personnels. Les diverses tournures que prend une enquête très mouvante lui permettent de constamment aller de l'avant, sans aucun temps mort, ni jamais donner l'impression d'essayer de gagner du temps. Doté d'une tension constante exemplaire, le format de 10 épisodes est sans doute parfait pour ce genre d'exercice feuilletonnant, comme avait pu le prouver la saison 2 de Forbrydelsen. Le seul bémol éventuel à formuler viendrait peut-être de la façon dont la série a tendance à greffer de manière déconnectée des micro-intrigues et des protagonistes secondaires, donnant parfois l'impression qu'elle se disperse trop.

Il faut cependant reconnaître (et saluer le fait) que, dans l'ensemble, les scénaristes ne laissent en réalité jamais rien au hasard : le moindre détail, la moindre insistance (ou au contraire, non-dit) de la caméra, renvoie à quelque chose qui se révèlera important. L'impression de maîtrise du tableau d'ensemble l'emporte donc aisément sur quelques flottements qui resteront purement anecdotiques à la fin. Et si le téléspectateur se laisse vraiment captiver par l'agencement progressif de toutes les pièces de ce vaste et dangereux puzzle, c'est aussi parce qu'il semble vite évident que c'est le tueur, et non la police, qui le contrôle. La saison forme un seul grand arc, qui nous conduit jusqu'à un apogée à couper le souffle avec un dernier épisode particulièrement réussi. Sans rien en dévoiler, j'insiste dessus car il est d'une force et d'une intensité marquantes. Non seulement le téléspectateur n'en ressort pas indemme, mais cette conclusion justifie vraiment la construction feuilletonnante en amont. Il amène le téléspectateur à porter un nouveau regard sur l'engrenage auquel il vient d'assister, et confère une autre dimension à toute l'histoire. 

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Cependant Bron/Broen n'est pas seulement un solide polar, c'est aussi une histoire qui va permettre d'explorer des personnages principaux à la caractérisation très réussie. La dynamique qui s'installe au sein du duo principal est excellente, permettant d'offrir des passages plus légers, de semi-détente, au cours desquels le téléspectateur esquisse un sourire. La série exploite ici un filon classique, en associant une paire improbable de policiers qui n'ont rien de commun, et qui vont donc devoir essayer de s'entendre. Reste que Bron/Broen apporte sa propre valeur ajoutée, avec notamment le personnage de Saga qui s'est imposé comme un grand coup de coeur personnel. Ses raisonnements binaires tranchés, sa perception très détachée des relations sociales et de son environnement, créent en effet une héroïne atypique vraiment intéressante, tout en constituant un pendant parfait à Martin, plus terre à terre et prêt à assouplir ses principes.

De plus, les relations entre Saga et Martin ne se figeront jamais. A mesure que l'enquête progresse, non seulement ils parviennent à une meilleure compréhension réciproque, mais surtout, chacun influe sur l'autre. Ou plutôt, Saga s'ouvre peu à peu aux personnes qui l'entourent, son respect sincère pour Martin la conduisant à essayer d'assimiler les conseils qui lui donnent sur la vie sociale de tous les jours. Au fil des confrontations de vues parfois proches de la dispute qui ont lieu entre les deux policiers, le téléspectateur assiste à une lente transformation de Saga. C'est ici aussi que se révèle la maîtrise narrative de Bron/Broen, avec ce fameux discours de Martin sur le fait de ménager les susceptibilités et de devoir parfois mentir pour le bien de son interlocuteur. Une conception du mensonge légitimé qui prend toute son importance à la fin. Personnalités complexes, intégrées dans une galerie de personnages secondaires homogène et nuancée, ces deux policiers sont les piliers d'une série qui n'aura jamais négligé sa dimension humaine, et aura réussi le policier comme l'intime.

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Par ailleurs, Bron/Broen est également une belle réussite sur le plan formel. La réalisation est impeccablement maîtrisée, avec des images aux teintes froides dominantes qui correspondent parfaitement à l'ambiance générale. Surtout, la série exploite pleinement son double cadre danois et suédois, en utilisant des images de paysages pour opérer la transition entre certaines scènes. Comme l'illustre son générique à l'esthétique superbe (des time-lapses magnifiques ; cf. la vidéo en-dessous du billet), cela contribue à un certain dépaysement du téléspectateur qui alterne entre les deux pays, avec ce pont qui demeure toujours central. La bande-son reste très sobre, mais la musique qui retentit lors de l'ouverture, particulièrement bien choisie, retentira longtemps dans nos oreilles.

Enfin, la série bénéficie d'un casting bi-national très solide. Entremêlant danois et suédois, Bron/Broen est un exemple de co-production utilisée à bon escient ; pour l'apprécier à sa juste valeur, il est donc impératif de la regarder en version originale (cet aspect peut justement être un frein à son arrivée chez nous : une version française le ferait disparaître). J'ai été particulièrement marquée par Sofia Helin : passée la rigidité de la première rencontre, l'actrice se révèle vraiment dans les nuances qu'elle apporte peu à peu au personnage de Saga, avec quelques scènes magistrales (notamment dans le dernier épisode). Face à elle, Kim Bodnia est convaincant dans le rôle d'un officier certes efficace, mais aussi très humain avec ses failles, et qui n'a pas forcément beaucoup d'illusions sur lui-même. A leurs côtés, on retrouve également Dag Malmberg, Rafael Pettersson, Anette Lindbäck, Said Leque, Kristina Bränden, Puk Sharbau, Emil Birk Hartmann, Sarah Boberg, Christian Hillborg ou encore Magnus Krepper.

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Bilan : Polar très sombre à la fois classique, mais également capable de se forger une identité propre dans ce genre policier, Bron/Broen est une série feuilletonnante extrêmement prenante et efficace. Si sa narration donne parfois l'impression d'une tendance à la dispersion, la construction de l'arc formé par cette saison 1 ne laisse pourtant rien au hasard, témoignant d'une belle vision et maîtrise d'ensemble. A mesure que l'enquête progresse, changeant aussi de nature, la série dévoile tout son potentiel, pour se terminer sur un final vraiment réussi qui me hantera sans doute longtemps. Une saison 2 a été commandée, mais cette première saison se suffit à elle-même.

Amateurs de séries policières feuilletonnantes, de polars très sombres, mais aussi de fictions scandinaves, cette première saison de Bron/Broen devrait trouver grâce à vos yeux ! N'hésitez pas.


NOTE : 8,25/10


Le générique :

11/03/2010

(Pilote CAN) The Bridge : luttes d'influences et de pouvoirs au sein de la police

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Comme souvent, le calendrier téléphagique n'est pas dépourvu d'ironie. Tenez, je passe des mois à me lamenter de l'absence de tout véritable "cop-show chroniqué du quotidien" à l'antenne ; et voilà que, la même semaine, le petit écran voyait affluer plusieurs séries de ce genre. En effet, en ce début du mois de mars, si les inédits de Southland revenaient sur TNT aux Etats-Unis, parallèlement, au Canada, débutait une nouvelle fiction, co-production entre CTV et l'américaine CBS : The Bridge.

L'occasion d'ouvrir une nouvelle rubrique sur ce blog (j'avoue que le Canada et moi avons eu une agréable lune de miel il y a quelques saisons, mais dernièrement, nous ne nous entendons plus trop sur un plan téléphagique - l'époque semble révolue, où je pouvais vénérer Slings & Arrows, tout en étant intriguée par Intelligence, et en gardant une place dans mon coeur pour ReGenesis), également de saluer le retour d'Aaron Douglas (certes, la fin de Battlestar Galactica, c'était il y a moins d'un an, même si cela me paraît une éternité - et je ne l'ai jamais trop aimé dedans, en plus), et de s'offrir toute une soirée-test devant ce long pilote d'1 heure 30 par lequel nous est introduite la série.
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The Bridge nous plonge dans le quotidien désanchanté d'une force de police gangrénée par les ambitions personnelles de chacun, mais aussi par la corruption, à tous les niveaux de la hiérarchie. Chacun sert un statu quo précaire, jouant avec les médias et manipulant les apparences afin de parvenir à ses fins. Pour accentuer les contrastes, face à cette hiérarchie brouillée où les oppositions internes sont exacerbées, le titre de la série fait référence à l'image de ce pont, centrale, qui est tout aussi symbolique que très concrète : elle renvoie également au rapport que cet ouvrage fait ainsi exister entre deux extrêmes de la ville, reliant le quartier d'un ghetto populaire à des ensembles pavillonnaires aux superbes villas.

Au coeur de ce milieu trouble, la série suit le parcours de Frank Leo (Aaron Douglas), officier patrouilleur profondément intègre, avec un fort caractère et suffisamment de présence pour être en mesure de rallier ses collègues aux causes pour lesquelles il choisirait de se battre. Ce pilote pose le cadre et les enjeux de son action, l'amenant à être élu représentant syndical, suite à un ensemble d'évènements au cours desquels son tempérament de leader se sera affirmé par la force des choses et où il se sera imposé comme véritablement capable de défendre les intérêts des policiers, même ceux au grade peu élevé. L'histoire s'inspire d'un fait réel : le parcours d'un syndicaliste, Craig Bromell, et l'action qu'il mena au sein de la police de Toronto, dans les années 90 jusqu'au début des années 2000.

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Construire un cop-show sur la croisade d'un syndicaliste qui souhaite nettoyer la police de sa ville de toutes les compromissions et dérives qu'elle connaît, s'érigeant dans le même temps en solide rempart pour protéger ses collègues contre les excès médiatiques dirigés contre eux, mais aussi contre les dérapages que ce dur métier peut déclencher, c'est choisir une approche en somme assez originale. Cela permet à The Bridge de ne pas se présenter comme un énième formula-show policier, mais, au contraire, d'essayer d'apporter quelque chose à l'édifice des séries de ce genre. De ce point de vue, cette fiction part donc d'une bonne idée et le téléspectateur perçoit rapidement son potentiel, à mesure que Frank Leo s'affirme et adopte des prises des positions pour lesquelles il lui faut aller à contre-courant d'une hiérarchie arc-boutée sur ses privilèges et ses ambitions.

En s'ouvrant sur un pilote surchargé en drames humains et en problèmes très divers à régler, les scénaristes laissent entre-apercevoir l'ampleur de la tâche qui attend le policier. Figure centrale de l'épisode, au cours duquel son personnage acquiert peu à peu toute sa dimension, Frank renvoie à l'image classique de ces héros droits et responsables, capable de galvaniser ceux qui les entourent, mais également de faire preuve d'un pragmatisme froid et détaché. Un leader manifeste qui, derrière ses accents de simplicité et d'honnêteté, va aisément être apprécié par le téléspectateur, pour qui il va constituer le point de repère à suivre dans ce tourbillon de luttes d'influence intestines et complexes.

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S'il est bien un reproche que l'on ne peut pas adresser à ce pilote, c'est de ne pas essayer de nous plonger dans un décor ambigü. La série se place d'office dans un cadre plutôt désillusionné, où les accords sous le manteau et les arrangements en coulisses sont monnaie courante ; où la gestion de la sécurité et le maintien de l'ordre public donnent lieu à des arbitrages parfois un peu douteux, où l'intérêt général apparaît bien lointain. Très rapidement, The Bridge essaye de mettre en lumière des rapports de force tortueux et les manipulations qui ont cours au sein même de l'institution policière, actions qui feraient presque paraître la délinquance quotidienne extérieure comme un détail d'ajustementr en toile de fond. L'instrumentalisation des affaires, le recours aux écoutes, l'infiltration - ou la débauchage - d'informateurs au sein des services, théoriquement sensés travailler à un but commun, tous les moyens sont légitimes et les protagonistes ne reculent devant rien. Schématiquement, s'affrontent ainsi les partisans du statu quo et ceux qui aspirent à un vrai nettoyage et à une remise à plat de l'institution.

Pour autant, aussi louables soient-ils, ces efforts ne sont pas pleinement couronnés de succès. Mon regret majeur reste le caractère très propret, un brin aseptisé, dont souffre l'ensemble. Certes, The Bridge est destiné à un public large, de grand network. Mais, avec ce fascinant, et très prenant, jeu de surveillance et de paranoïa qui s'installe peu à peu, c'est presque un réflexe de dresser des parallèles avec la maîtresse canadienne du genre, Intelligence. Or, cette dernière, diffusée sur CBC, n'était pas non plus câblée. Cependant, cela ne l'a pas empêché d'afficher de réelles ambitions et de toujours essayer, avec ses moyens et à son niveau, d'instaurer une atmosphère très sombre, tendue, se nourrissant de l'ambiguïté de ses personnages comme de celle des situations créées. A mes yeux, cette ambiance plus noire aurait parfaitement collé au sujet de The Bridge, qui pêche par excès de classicisme et de prudence. Elle aurait conféré aux drames, qui s'enchaînent  à un tel rythme dans ce pilote, qu'ils laissent le téléspectateur un brin essouflé, un caractère vraiment marquant, et peut-être permis que la série fasse plus que juste essayer d'esquisser une ambivalence dans les rapports de force qu'elle installe.

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L'autre élément sur lequel The Bridge est très perfectible, mais que le temps corrigera éventuellement, renvoie à l'aspect humain du show. En effet, pour une série centrée sur les relations, elle demeure très impersonnelle : le téléspectateur éprouve, tout au long de l'épisode, beaucoup de difficulté à éprouover la moindre empathie et à s'impliquer émotionnellement. Si le héros se complexifie au fil du pilote, sa présence s'imposant d'elle-même alors qu'il acquiert un véritable statut de leader d'hommes, en revanche, les autres personnages, utiles faire-valoirs assez vains, paraissent cantonnés dans des stéréotypes unidimensionnels déjà ennuyeux. Aucun n'attire l'attention, ni ne sort du lot : chacun renvoie à une figure préconstruite assez clichée, introduite sans subtilité. Trop tournée vers un protagoniste central, il faudra que The Bridge travaille plus cet arrière-plan manifestement laissé en friches, et essaye de conférer une certaine épaisseur psychologiques à des individus, pour le moment trop facilement catégorisables.

L'évolution est sans doute faisable, d'autant que le casting est globalement très correct. Outre Aaron Douglas (Battlestar Galactica), qui prend progressivement ses marques et se retrouve parfaitement imprégné du personnage dès la fin du pilote, le téléspectateur croise un certain nombre de têtes connues du petit écran nord-américain : Frank Cassini (qu'on a pu entre-voir dans Da Vinci's City Hall ou Intelligence), Inga Cadranel (The Eleventh Hour, Rent-a-Goalie), Michael Murphy (The Eleventh Hour), Ona Grauer (Intelligence) ou encore Paul Popowich (Angela's Eyes).

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Bilan : The Bridge bénéfice d'un angle d'attaque intéressant, choisissant de nous dévoiler les rouages et mécaniques internes à la police. Ce ne sont pas tant les faits divers et les enquêtes, mais plutôt les luttes d'influence, stigmatisant les dérives et excès ayant cours au sein de l'institution, qui vont attirer notre attention. Pourtant, tout en laissant entrevoir un potentiel prometteur, ce pilote, paradoxalement peut-être trop timoré, souffre de défauts importants. Désireux d'accrocher le téléspectateur, les scénaristes n'ont pas hésité à verser dans la surenchère presque gratuite ; les mille et une péripéties qui déciment l'unité de Frank, comme autant d'épreuves et de drames qui se suivent, paraissent un peu trop forcées, en un si court laps de temps, donnant un effet très artificiel. Outre la difficulté à s'impliquer humainement auprès d'autres personnages que le héros, le côté extrêmement classique et calibré de la série se ressent aussi dans l'ambiance. Encore une fois, on perçoit les possibilités offertes, mais, pour le moment, la série ne parvient pas encore à imposer une identité propre, avec son décor passe-partout, sa réalisation conventionnelle et ses choix de bande-son quelque peu hasardeux.

En somme, si ce pilote dévoile des éléments intéressants, il souligne aussi de sérieuses limites conceptuelles, qu'il faudra que The Bridge puisse dépasser.


NOTE : 6/10


La bande-annonce de la série :