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14/10/2012

(Pilote CAN) Unité 9 : une immersion convaincante dans un milieu carcéral féminin

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En cette mi-octobre où l'heure des premiers bilans de rentrée peuvent déjà s'esquisser, il faut bien avouer que les nouveautés ne m'ont guère emballé en Amérique du Nord. Quelques concepts s'affirmeront peut-être lorsque la série en aura pris la mesure, mais l'introduction en elle-même, le fameux pilote, ne m'a que trop rarement (disons plutôt jamais) conquise. Cependant, si on élargit au-delà du cercle anglophone à l'Amérique francophone, il existe une série qui a retenu mon attention ces derniers jours : Unité 9, testée après plusieurs semaines d'échos positifs dans ma time-line de twitter qui avaient aiguisé ma curiosité (à commencer par LadyTeruki au prosélytisme souvent bien ordonné).

Le week-end dernier, je me suis donc lancée dans la télévision québécoise. Cela faisait longtemps que je tournais autour, j'ai sauté le pas avec les nouveautés de cette rentrée, et ai donc testé des fictions aussi différentes que Les Bobos, Tu m'aimes-tu et donc Unité 9. Une fois passé l'ajustement à l'accent (et reconnaître que certaines phrases m'échapperont toujours par-ci, par-là), c'est cette dernière qui m'a vraiment happé dès son premier épisode (et depuis le rattrapage s'opère avec un enthousiasme qui ne se dément pas). Écrite par Danielle Trottier, avec Geneviève Baril et Louise Danis, Unité 9 est une fiction dramatique qui a débuté sur Radio-Canada le 11 septembre 2012. Prévue pour une durée de 25 épisodes, de 42 minutes chacun, elle est diffusée tous les mardi soirs, où elle a trouvé son public.

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Unité 9 s'ouvre sur le jugement du personnage principal de la série, Marie Lamontagne, une mère de deux enfants désormais jeunes adultes, veuve et jusqu'alors sans antécédents judiciaires. Ayant avoué les faits, elle est reconnue coupable et condamnée, pour tentative de meurtre sur la personne de son père, à sept ans d'emprisonnement. En attendant son transfert, elle fait la connaissance d'une première co-détenue, Shandy, jeune femme exubérante qui connaît parfaitement les arcanes du système judiciaire, en parfait contraste avec le saut dans l'inconnu que tout cela représente pour celle qui était il y a peu une simple mère de famille sans histoires.

Marie va purger sa peine dans l'établissement carcéral pour femmes de Lietteville, où elle sera assignée à l'unité 9. On découvre, dès le premier épisode, les femmes, très différentes les unes des autres, qui vivent dans ce baraquement conçu pour six personnes. Face à des co-détenues pour certaines accueillantes, pour d'autres indifférentes, voire carrément hostiles, Marie va devoir trouver sa place et apprendre les codes de cette prison dont un nouveau responsable vient de prendre la direction. La gestion par ce dernier d'un vol anecdotique pose d'ailleurs d'emblée la rigueur qui semble devoir être sa ligne de conduite.

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L'univers carcéral est un milieu au potentiel narratif certain (sans revenir sur Oz, il faudra que je vous parle prochainement de Capadocia dont la saison 1 m'attend depuis plusieurs semaines). La vie en collectivité forcée, placée sous la surveillance constante de gardiens, sert de révélateur. Les dynamiques qui s'installent entre les personnages, qu'il s'agisse de rapports de soutien comme de pouvoir, sont capables de faire ressortir les meilleurs (telle la solidarité) comme les pires aspects de la nature humaine. L'enjeu même de la prison constitue une problématique fascinante à traiter, puisque la sentence a une dualité qui lui est inhérente, bien difficile à concilier : il s'agit de solder les comptes avec les actes commis dans le passé en punissant l'individu, mais aussi de se tourner vers le futur en ouvrant la voie à un après, à une réhabilitation, avec une vie à reconstruire une fois la peine purgée.

Pour mettre en scène son cadre particulier, Unité 9 choisit une approche dramatique, très humaine, qui privilégie avant tout ses personnages. La série n'a pas les explosions de violence à l'intensité difficilement soutenable que d'autres fictions relatant un tel sujet ont déjà mis en avant, cherchant à marquer en montrant le pire versant de l'être humain. Ces baraquements (sans barreaux) donnent même parfois la brève illusion d'oublier la prison. La série ne s'en approprie pas moins avec force les grands thèmes carcéraux. Les conditions de détention ne semblent certes en apparence pas insupportables, mais cela n'en reste pas moins une prison, aussi cliniquement régulée qu'elle puisse paraître. La privation de liberté pèse. Les quelques éclats provoqués, les expressions de mal-être ou encore les brusques rappels des limites à toute action, témoignent du poids constant, tellement pesant, que représente toutes ces exigences quotidiennes auxquelles les détenues doivent se soumettre.

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Les débuts de Unité 9 ont le grand mérite d'esquisser ses enjeux sans se précipiter. Son écriture a une sobriété naturelle qui permet de poser instantanément une proximité avec les personnages. Il y a aussi une densité émotionnelle bien présente qui frappe et suscite l'empathie. Par l'intermédiaire de Marie, qui est le repère du téléspectateur, il s'agit de suivre comment une femme ordinaire, étrangère à un milieu carcéral dans lequel elle n'avait jamais envisagé de pouvoir se retrouver, va s'adapter à ce qu'elle découvre. L'assimilation du choc de la sentence dans le pilote sonne extrêmement juste. Puis, dans le deuxième épisode, les premiers pas en prison s'inscrivent dans cette même lignée, capturant avec force le maelström d'émotions qui se forme en elle, oscillant entre la détresse d'une vie soudain privée de sens, comme suspendue, et le besoin de rationaliser ce qui lui arrive et de comprendre le fonctionnement de l'établissement. Une scène comme celle de la fouille à nue, pour le choc et l'atteinte à la dignité que cela représente pour Marie, résume bien l'intensité marquante de la série. Oui, Unité 9 saura traiter des problématiques carcérales avec authenticité et sans besoin de surenchère.

De manière générale, la grande réussite du pilote tient à sa capacité à créer des personnages auprès desquels on s'investit naturellement, sans nécessiter que l'on sache instantanément tout d'eux. De Marie, on apprend qu'elle a tenté de tuer son père, mais on ignore ses motifs. De même, ses futures co-détenues nous sont présentées par petites touches, à travers leurs relations au quotidien. Il n'y a pas d'exposition inutile, ni de surdose d'informations pour classer immédiatement chaque protagoniste dans des ses cases prédéfinies. Les quelques flashbacks de Marie, dans le pilote, servent au présent, puisqu'ils permettent de mesurer le brusque vertige qui la saisit quant la perspective de l'univers carcéral devient concret. Au final, l'écriture a cette assurance communicative qui met en confiance les téléspectateurs : il s'agit de nous donner juste ce dont nous avons besoin pour mesurer les enjeux. Cela n'empêchera pas d'accorder à la série le temps de pleinement se développer. Ce parti pris fonctionne d'autant plus que la sobriété d'ensemble pose une proximité immédiate.

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Sur la forme, Unité 9 est une série dont la réalisation est globalement de bonne facture. Visuellement, ce sont des couleurs froides, carcérales pourrait-on dire, qui dominent une photographie un peu épurée, mais résolument claire. Elle bénéficie également d'une bande-son richement pourvue en accompagnement musicaux qui pourtant ne sonnent jamais intrusifs, rythmant efficacement la narration pour ne faire qu'un avec le récit. Le générique est sobre, presque minimaliste, tout en ayant le mérite de poser immédiatement la tonalité.

Enfin si Unité 9 peut sonner si juste, elle le doit aussi aux interprétations solides et inspirées, proposées par un casting homogène. Guylaine Tremblay est le pivôt central de cette introduction : elle incarne Marie Lamontagne, capturant avec force toutes les émotions par lesquelles passe la mère de famille réalisant progressivement ce qui lui arrive et où elle va passer les prochaines années de sa vie. Pour l'accompagner dans le pilote, elle trouve un soutien dans l'énergique Suzanne Clément, qui interprète une Shandy qui a souvent tendance à faire le show plus que de raison. Les actrices sont tout aussi bien choisies à l'intérieur de la prison, avec une mention particulière à l'intense Eve Landry notamment, mais Céline Bonnier, Micheline Lanctôt, Sarah-Jeanne Labrosse et Catherine Proulx-Lemay trouvent toutes immédiatement le ton juste pour capturer leur personnage respectif. Dans le personnel, le nouveau directeur est interprété par François Papineau, tandis que Salomé Corbo et Mariloup Wolfe sont les deux gardiennes que l'on suit au grès du quotidien carcéral.

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Bilan : Unité 9 signe des débuts efficaces, posant les bases solides d'une fiction dramatique en milieu carcéral. Elle s'assure de la fidélité du téléspectateur grâce à une écriture dense, souvent juste, et plutôt habile dans sa manière d'introduire les différents personnages. L'approche est sobre, presque clinique dans la mise en scène de la prison, mais avec une intensité émotionnelle qui n'en est pas moins perceptible dans les scènes clés. Tout en entreprenant de traiter les grandes problématiques légitimement attendues du fait de son cadre, ce sont avant tout des destins de femmes que la série va nous relater. L'entrée en matière est réussie, le potentiel est là ; je serai donc au rendez-vous pour la suite de la série.

Mine de rien, Unité 9 est le premier pilote Nord-Américain de ces dernières semaines à m'avoir donné envie, sans réserves, d'enchaîner immédiatement avec l'épisode qui suit. C'est un soulagement de l'avoir trouvé. Tant mieux s'il permet de s'ouvrir à un autre petit écran, francophone cette fois.


NOTE : 7,75/10