28/07/2013
(US) Orange is the New Black, saison 1 : une dramédie humaine, attachante et touchante en milieu carcéral
Quand on mentionne à un sériephile le thème des fictions carcérales, comme un réflexe, ce dernier pense d'abord et avant tout à Oz, série de HBO débuté en 1997 et ayant durablement marqué. Depuis, d'autres séries se sont réappropriées ce cadre particulier, de la mexicaine Capadocia à Prison Break. Mais ces derniers mois, il semble y avoir comme une résurgence de cette thématique. L'anglaise Prisoners Wives, qui en est à sa deuxième saison, se place du point de vue des femmes dont un proche est en prison. Rectify traite quant à elle de la libération d'un ancien condamné, et évoque par flashbacks son quotidien dans le couloir de la mort. Cependant, le thème dominant de ces derniers mois est celui de la prison pour femmes : à l'automne dernier, c'est la canadienne Unité 9 qui se démarquait au Québec ; ce printemps, c'est Wentworth qui s'emparait du sujet en Australie. Enfin, en ce mois de juillet, aux Etats-Unis, était proposée Orange is the New Black.
Mise en ligne le 11 juillet 2013, il s'agit de la dernière création originale de ce nouvel acteur dans le monde des séries qu'est Netflix, après, depuis le début de l'année, le remake de House of Cards ou encore Hemlock Grove. Plus notable encore, Orange is the New Black est surtout la dernière création de Jenji Kohan, à qui l'on doit Weeds - une série dont j'ai beaucoup apprécié les premières saisons. Il s'agit de l'adaptation des mémoires de Piper Kerman qui relate un an de sa vie dans une prison pour femmes. Initialement, j'avais quelques réticences à me lancer dans Orange is the New Black : les histoires en milieu carcéral peuvent être assez dures, et l'été n'est pas toujours la meilleure période pour les apprécier. Pourtant, balayant toutes mes craintes, cette série s'est révélée être une jolie surprise, avant tout humaine et attachante. L'occasion de profiter de l'invitation au binge-watching que constitue la méthode Netflix, et de la dévorer en un temps assez indécent... avant de vous en parler aujourd'hui.
Orange is the New Black suit l'incarcération de Piper Chapman. Cette trentenaire du Connecticut, issue d'un milieu aisé, a en effet été rattrapée par son passé et les expériences de sa jeunesse. Tombée sous le charme d'une trafiquante de drogue du nom d'Alex Vause, elle avait fini par accepter de l'aider dans ses affaires : elle transporta pour elle de l'argent issu de ses trafics. Presqu'une décennie plus tard, alors que Piper a refait sa vie et s'apprête à épouser Larry Bloom, le cartel qu'elle avait indirectement fréquenté tombe, et son nom est mentionné aux autorités. Reconnaissant les faits pour éviter de risquer un procès, elle est condamnée à 15 mois de prison dans un établissement carcéral fédéral. Piper va devoir s'adapter à ce nouveau cadre inconnu.
La vie en prison suit en effet des codes sociaux qu'il faut rapidement intégrer pour survivre. Or Piper fait rarement profil bas et a tendance à attirer l'attention. Les conflits ne manquent pas, mais elle découvre aussi peu à peu les histoires des autres prisonnières. Dans le même temps, elle s'inquiète de la vie à l'extérieur qui se poursuit pour ses proches : sa relation avec Larry survivra-t-elle à ces 15 mois de prison ? Les choses se compliquent encore lorsque Piper retrouve Alex Vause, son ancienne flamme, également incarcérée dans la même prison qu'elle. Tout en étant centrée sur Piper, la série nous introduit dans l'ensemble du quotidien de l'établissement, des détenues jusqu'au personnel encadrant.
Le coeur du récit de Orange is the New Black, c'est d'abord le portrait d'une femme et de son évolution. L'expérience de la prison ne laisse pas Piper inchangée, la conduisant à réfléchir sur elle-même mais aussi sur ses choix de vie. Initialement, ce milieu carcéral semblait pour elle un autre monde, lointain, auquel elle n'appartenait pas, se considérant différente de toutes celles qui peuplent l'établissement. Différente, elle l'est certainement sur nombre de points, son milieu d'origine, ses antécédents ou encore son éducation. Mais la série choisit intelligemment de ne pas verser dans la caricature qui aurait consisté à faire d'elle la simple voix de la raison contre le reste de la prison. Cette première saison est pour Piper celle d'une intégration, laquelle va aussi en dire beaucoup sur elle. Comme les autres détenues, elle apprend les règles et les codes propres à ce microcosme. Si les décalages et les maladresses potentiellement fatales qu'elle multiplie ont souvent l'apparence d'un ressort narratif comique, ils ont une portée bien plus significative sur la jeune femme. Devant ajuster son comportement, Piper est forcée de se remettre en cause. Peu à peu, elle dépasse ses préconceptions et autres préjugés. Sa vision sur sa situation change dans le même temps, comprenant ce qui fait d'elle une co-détenue comme une autre : chacune a commis des erreurs, a laissé échapper une partie de sa vie et en paie le prix.
En fait, au fil des épisodes, le personnage de Piper laisse entrevoir une complexité intriguante, exposant des ambivalences qu'elle n'assume pas toujours et qu'elle ne réalise souvent qu'en étant placée devant ses propres contradictions. Elle est parfois agaçante, mais elle a le mérite de toujours rester entière. Elle peut être extrêmement naïve et maladroite, tout comme elle est capable d'un pragmatisme et d'une débrouillardise bien réels, a fortiori à mesure qu'elle intègre les exigences du milieu carcéral. La saison relate donc l'incidence que la prison a sur elle. L'enfermement agit de manière insidieuse, la laissant seule face à elle-même et lui tendant un miroir dont elle n'est pas sûre de vouloir voir le reflet renvoyé. Bousculée, elle perd repères et certitudes, ouvrant la voie à des questionnemets existentiels : qui est-elle vraiment, à quoi aspire-t-elle ? En prison, nulle fuite en avant n'est possible. Or certains pans de sa personnalité sont trop antagonistes, à l'image de sa vie amoureuse, écartelée entre le rêve de carte postale de la famille idéale représenté par Larry et le frisson de l'incertitude dangereuse et de la passion incarné par Alex. Pour ne pas tout perdre, Piper va devoir faire des choix et prendre des décisions, et vivre avec ces dernières.
Si Orange is the new Black utilise Piper comme notre clé d'entrée dans l'univers carcéral, la série ne se réduit absolument pas à cette seule figure. Au contraire : c'est en tant que fiction chorale qu'elle s'impose et acquiert toute sa dimension. Sa force est de s'appuyer sur une vaste galerie, d'une richesse rare, de personnages qui ont tous beaucoup de potentiel. Pour évoquer ce microcosme particulier qu'est la prison, la série se réapproprie les stéréotypes de la fiction carcérale, tout en conservant une distance de ton bienvenue qui lui permet à l'occasion de les détourner et de s'en jouer. Les portraits de cette suite de protagonistes féminins hauts en couleurs s'affinent donc au fur et à mesure que l'on apprend à les connaître, notamment par l'intermédiaire de flashbacks car Piper n'est pas la seule à en bénéficier. Que ces femmes paraissent attachantes, vulnérables, excessives, détestables voire inquiétantes, toujours est-il qu'elles sont rarement unidimensionnelles, dévoilant peu à peu des facettes cachées à première vue, qu'il s'agisse de blessures passées non cicatrisées ou de rêves inaccessibles. Soignant ses personnages, la série est un véritable kaléidoscope d'émotions brutes, capturant leurs doutes et leurs illusions, leurs déceptions mais aussi leurs joies ; le caractère éphémère de ces dernières ne les rendant que plus intenses.
En résumé, Orange is the new Black marque par l'humanité profonde qui la traverse. C'est cette approche qui rend la série extrêmement attachante, mais aussi très touchante. Elle suscite une implication du téléspectateur qui ne peut rester insensible au sort de chacune. Adoptant le style d'une dramédie, il ne s'agit pas d'une fiction pesante, ni excessivement éprouvante, même si elle a ses moments poignants et déchirants, tout particulièrement en se rapprochant de la fin de la saison. L'écriture utilise une tonalité versatile habilement dosée, qui lui permet de proposer un mélange homogène de comédie et de drame : les passages légers se savourent, sans que le caractère difficile du cadre carcéral ne soit jamais complètement oublié et ne se rappelle parfois durement aux protagonistes. C'est une fiction chargée d'une vitalité communicative, au dynamisme constamment renouvelé. Elle fait vibrer le téléspectateur au rythme de ses amitiés, de ses amours, de ses confrontations, de ses trahisons, mais aussi de la solidarité qui se découvre dans l'adversité. Elle plonge le public dans un tourbillon d'humanité, avec tous les excès qui lui sont inhérents, mais aussi une force indéfectible qui permet à ses personnages de continuer à aller de l'avant.
Sur la forme, Orange is the New Black est aussi très solide. La réalisation est soignée et maîtrisée, la photographie épousant les teintes du cadre carcéral. L'immersion dans la prison fonctionne donc, sans que le téléspectateur ne trouve rien à redire. Mieux encore, la série dispose d'un long générique - ce qui est toujours un bonus très appréciable pour la sériephile que je suis -, dont le parti pris de se concentrer sur un défilé de visages, et notamment de regards, capture l'essence de l'histoire : c'est une ouverture vers l'âme de ces femmes qui sont ainsi mises en scène. De plus, il est accompagné d'une chanson entraînante interprétée par Regina Spektor, intitulée You've got time, qui nous met instantanément dans l'ensemble.
Enfin, la série dispose d'un casting convaincant, dont les performances n'y sont pas pour rien dans l'attachement que Orange is the New Black va susciter auprès du téléspectateur. Les performances d'ensemble sont homogènes. Piper Chapman est interprétée par une Taylor Schilling (Mercy) qui va admirablement capturer toutes les contradictions, mais aussi la force inébranlable de son personnage qui baisse rarement les bras. C'est à Laura Prepon (That 70s' show, October Road, Are you there Chelsea ?) qu'a été confié le soin de jouer Alex Vause, celle qui la trouble tant et qui l'a entraîné en prison. Interprétant deux personnages aux personnalités très différentes, les deux actrices n'en ont pas moins une vraie alchimie à l'écran, surtout durant la brève période d'apaisement qu'elles trouveront. Quant au fiancé de Piper, il est joué par Jason Biggs, et, toujours à l'extérieur, Maria Dizzia interpète la meilleure amie. Côté co-détenues, on retrouve notamment Michelle Hurst, Kate Mulgrew (Star Trek : Voyager, The Black Donnellys), Laverne Cox, Natasha Lyonne, Uzo Aduba, Taryn Manning (Drive), Elizabeth Rodriguez, Dascha Polanco ou encore Yael Stone (Spirited).
Bilan : Orange is the New Black est une dramédie carcérale, à l'écriture habile, qui va parvenir à très bien gérer et doser une tonalité versatile, tout en croquant des personnages hauts en couleurs qui la rendent attachante et touchante. C'est une série avec ses moments de tendresse, mais aussi ses passages poignants. C'est une oeuvre profondément, et avant tout, humaine qui ne laisse pas le téléspectateur indifférent. Qu'il s'agisse d'assister à l'évolution de Piper au contact de la prison, ou bien de s'investir dans toutes les figures qui composent sa riche galerie de personnages, la série fait preuve d'une vitalité communicative, s'appuyant sur des dynamiques relationnelles jamais figées. Chargée d'émotions, elle suscite l'implication de son public et se regarde sans modération. A découvrir.
NOTE : 8/10
Le générique de la série :
Une bande-annonce de la série (en VOSTF) :
17:44 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : netflix, orange is the new black, jenji kohan, taylor schilling, laura prepon, michael j harney, michelle hurst, kate mulgrew, jason biggs, laverne cox, natasha lyonne, uzo aduba, taryn manning, elizabeth rodriguez, dascha polanco, yael stone | Facebook |