29/04/2013
(Pilote FR) Odysseus : une relecture de l'Odyssée
Vendredi soir avait lieu au Festival Séries Mania la projection en avant-première des premiers épisodes de la prochaine série d’Arte, prévue pour juin prochain et très attendue après Ainsi soient-ils : Odysseus. Le sujet auquel la série s’attaque s’annonçait ambitieux : oser se réapproprier l’univers de l’Illiade et l’Odyssée d’Homère est en soi un premier défi de taille ; parvenir à reconstituer cette période historique particulière et porter à l’écran le cadre de l’Antiquité (grecque) l’est tout autant. Ce sont ces challenges que le créateur, Frédéric Azémar, s’est efforcé de relever, pour un résultat intéressant mais avec ses limites.
[La version originale de ce billet a été rédigée et pré-publiée pour le blog du Festival SeriesMania. Cette critique porte sur les 3 premiers épisodes de la série.]
Odysseus n’entend pas relater les exploits de celui qui fut un héros de la guerre de Troie, ni même évoquer les épreuves qui parsemèrent son lent retour à Ithaque après la guerre. La série adopte un autre point de vue, celui de cette île qui, justement, se languissait de son roi et l’attendait impatiemment, sombrant peu à peu dans l’anarchie en raison de son absence. Lorsque la série débute, cela fait déjà 20 ans qu’Ulysse a quitté les siens pour Troie. La situation devient chaque jour plus difficile pour sa famille. Pénéloppe, son épouse fidèle, inébranlable, a conservé la certitude que son mari est toujours en vie et rentrera, mais elle est cernée de prétendants qui la poussent à choisir parmi eux un nouvel époux que ce mariage couronnerait roi. Télémaque, son fils, ne connaît ce père absent que par les exploits et autres légendes narrés par d’autres. Sur-protégé par sa mère, le jeune homme a encore tout à prouver pour s’affirmer digne du nom et de l’héritage si lourd à porter d’Ulysse.
Au terme des trois premiers épisodes (c'était un marathon de six épisodes qui était proposé sur grand écran ; mais mon lever le vendredi matin à 5h a eu raison de ma curiosité), la richesse des thématiques qu’un tel sujet permet d’aborder est évidente. En effet, la série recelle de figures de tragédie, de personnages forts et marquants dont les vies, faites d’épreuves, se prêtent si bien à un récit de fiction. Un tel synopsis a le potentiel pour facilement acquérir une dimension romanesque, voire épique : de Pénéloppe, reine inaccessible, ne tenant que grâce à cette conviction profonde – déraisonnable ? – qu’elle s’est forgée qu’Ulysse n’est pas mort, à Télémaque, écrasé par l’ombre de son père et qui doit trouver sa voie. De plus, Ithaque est aussi le siège d’aspirations moins nobles, plus pragmatiques : tous ces guerriers ambitieux rassemblés ne rêvent que de la main de la reine et donc du trône. Les premiers épisodes nous intoduisent dans le fragile statu quo de l’équilibre du pouvoir à Ithaque que chaque jour passé rend plus précaire. Par conséquent, Odysseus ne manque pas de thèmes intéressants, et entreprend de les explorer en recourrant à des ressorts narratifs qui ont fait leur preuve : l’amour, l’initiatique…
Cependant, à partir de ce potentiel indéniable, les premiers épisodes ne remplissent pas toutes les attentes suscitées, se heurtant à un certain nombre de limites qui empêchent Odysseus d’être la fiction de référence à laquelle son ambition de départ – qu’il faut bien saluer – aurait pu conduire. La série met du temps à prendre son envol, démarrant sur un faux rythme. Si son pilote permet de nous présenter les différents protagonistes et de nous introduire sur cette île d’Ithaque, nous laissant prendre la mesure de tous les enjeux de cette histoire, il lui manque quelque chose pour vraiment captiver. Le premier épisode cède à des dynamiques assez stéréotypées, tout en confirmant malgré tout le potentiel de départ. En fait, la série semble d’abord chercher son ton : on retrouve dans les dialogues beaucoup d’échanges aux consonnances modernes, mais l’ensemble manque de naturel. Pareillement, tous les acteurs ne trouvent pas non plus immédiatement leurs marques et certains choix du casting n’ont toujours pas emporté mon adhésion au terme des trois premiers épisodes. Ce problème d’homogénéité est source d’inégalités : si certains passages sont bien négociés, d’autres bonnes idées laissent des regrets, n’étant pas exploitées comme elles auraient pu.
Pour autant, une progression encourageante se perçoit au cours ces débuts : au fil des épisodes, on retrouve une meilleure maîtrise de l’intensité et de l’univers en général. C’est d’autant plus intéressant pour la suite de la série qu’Odysseus sait bel et bien retenir l’attention du téléspectateur, notamment avec des fins d’épisodes particulièrement soignées, se terminant invariablement par une accélération de l’histoire et un tournant en forme de cliffhanger auquel il est difficile de résister. Durant la présentation qui a précédé la projection, il a été insisté sur le fait que Odysseus constituait une oeuvre construite pour s’apprécier comme un ensemble. La manière dont elle débute, avec ses limites mais aussi la progression perceptible, encourage donc à penser qu’il s’agit d’une fiction qui va gagner en ampleur à mesure qu’elle avance dans sa saison.
Bilan : Les débuts d’Odysseus laissent au final une impression mitigée. La série est une oeuvre riche, au potentiel indéniable. Et pour exploiter cet univers, elle assume et revisite des ressorts narratifs classiques qui ont fait leurs preuves. Cependant, elle a aussi des limites qui l’empêchent d’acquérir la dimension à laquelle elle pourrait prétendre. Pour vraiment s’affirmer, il lui est notamment impératif qu’elle capture ce souffle dramatique qu’elle laisse entrevoir et qui est assurément à sa portée.
Elle n’en reste pas moins efficace en tant que série : elle sait entretenir la curiosité du téléspectateur, et après trois épisodes, j’ai envie de voir la suite (ce qui est le principal). C’est donc une fiction qui mérite qu’on lui laisse sa chance.
NOTE : 6,75/10
La bande-annonce de la série :
16:16 Publié dans (Séries françaises) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : odysseus, arte, frédéric azémar, caterina murino, alessio boni, niels schneider, karina testa, bruno todeschini, joseph malerba, vittoria scognamiglio, carlo brandt, salim kechiouche, augustin legrand, frédéric quiring, ugo venel, amr waked | Facebook |
22/12/2012
(Pilote SUI) L'heure du secret : une "saga de l'été" au parfum suisse
Quoi de neuf en Suisse ? Manifestement des séries au titre, "L'heure du secret" -mélangeant horlogerie et secret- qu'il aurait été difficile de choisir plus typique pour résonner dans l'imaginaire collectif. Pays voisin, partiellement francophone, on l'a déjà évoqué sur ce blog : la Suisse a une télévision (romande, car ne parlons même pas des deux autres versants linguistiques inaccessibles) qui ne nous parvient qu'au compte-goutte. Concrètement, la principale source pour visionner ses séries en France se confirme être la chaîne TV5 Monde, en grande partie parce qu'elle a l'avantage de proposer un service de catch-up TV qui permet de rattraper ses programmes.
Télévision méconnue côté français certes, mais dans laquelle on croise des projets intéressants. Souvenez-vous du prenant thriller autour d'une partie de poker qu'a été 10, découvert au printemps (déjà grâce à une diffusion sur TV5Monde). Une vraie bonne surprise téléphagique qui aurait mérité une exposition bien meilleure (j'avoue que ce billet existe en partie pour vous rappeler ce chouette souvenir) ! Forte de cette première expérience concluante, je n'oublie donc pas la Suisse. Quitte à tester des fictions qui nous rappellent que la RTS reste globalement dans une situation très proche de la télévision française. Avec ses fulgurances, mais aussi ses recettes plus (trop ?) traditionnelles et des limites familières. En témoigne la série proposée par TV5 Monde depuis le 19 décembre dernier.
L'heure du secret a été diffusée au cours de l'été 2012 sur RTS Un (à partir du 16 juin). Comptant 7 épisodes de 42 minutes, elle est produite par CAB Productions, à qui l'on doit notamment CROM. Réalisée par Elena Hazanov, et écrite par Alain Monney et Gérard Mermet, cette série ressuscite un genre bien connu du téléspectateur français : la saga de l'été, avec ses héroïnes prodigues remontant un passé méconnu, ses morts suspectes et sa dimension pseudo-mystique à la croisée des genres. Lancer L'heure du secret donne un peu l'impression de s'installer devant la télévision française d'il y a une décennie, avant que certaines ficelles trop grosses et des excès indigestes n'emportent (pour un temps ?) le genre dans sa tombe télévisuelle.
Quelle est donc l'histoire ? Lyne Tremblay, une jeune femme Québécoise, vient d'hériter des ateliers d'horlogerie "Univers", situés dans la petite localité du Locle en Suisse. Elle quitte le Canada pour quelques jours en espérant rapidement régler les formalités de la succession, comptant vendre l'entreprise au plus vite. Mais dès son arrivée, les évènements troubles s'enchaînent. Après une première frayeur dans le taxi, où elle fait un étrange cauchemar, elle apprend le lendemain que le chauffeur a été assassiné. Dernière personne à lui avoir parlé, elle est logiquement interrogée par la police. Déroutée et inquiète, en pays étranger, elle fait la connaissance d'un artisan-horloger, Vincent Girot, qui entreprend de lui faire visiter la région et surtout comprendre l'art qu'est l'horlogerie suisse. Mais un deuxième meurtre a lieu à son hôtel...
L'heure du secret réunit quelques-uns des ingrédients les plus typiques des sagas de l'été. Son héroïne est assez attachante, avec du caractère. Etrangère dans une petite ville qui a son histoire, elle est la clé d'entrée du téléspectateur dans ce cadre particulier : à travers elle, on s'interroge sur ces lieux et les secrets qu'ils renferment, tout en découvrant aussi l'industrie horlogère. Le pilote ne perd pas de temps : très vite, les mystères se multiplient, et les morts aussi. On en compte déjà deux à la fin des premières 42 minutes. L'intrigue policière s'épaissit rapidement, les questions sans réponse s'assurant d'éveiller la curiosité du téléspectateur. Le principal reproche à adresser à L'heure du secret n'est pas de réactualiser des ressorts narratifs que, pour ma part, je considèrerais plutôt appartenir au passé, mais il vient surtout du relatif manque de naturel qui transparaît de certains dialogues et les quelques passages forcés qui en découlent. Trop policé, trop calibré (notamment au niveau de la caractérisation des personnages), c'est tout le cadre d'ensemble qui peine à être crédible, ignorant sa dimension sociale (Locle, l'horlogerie). Cette difficulté est accentuée par le registre fantastique introduit prudemment, qui laisse sur la réserve.
Le côté prévisible et un brin figé qui caractérise le récit de L'heure du secret se retrouve dans une réalisation à la mise en scène un peu plate. Sur la forme, le principal attrait de l'ensemble réside dans l'utilisation d'un thème musical entêtant qui retentit régulièrement, un morceau classique au piano qui contribue à construire l'ambiance intéressante envisagée, conçue comme à la fois feutrée et sourdement inquiétante. Ce style est aussi exploité pour le générique, minimaliste dans son esthétique, mais plutôt efficace (cf. la vidéo ci-dessous). Côté casting, la série repose en partie sur la fraîcheur d'une Catherine Renaud dont le style direct et l'accent québécois lui permettent de camper de manière convaincante cette jeune héroïne auprès de laquelle on a a envie de s'investir malgré les limites de la fiction. A ses côtés, on retrouve notamment Frédéric Recrosio, Agnès Soral, Carlo Brandt, Valentin Rossier, Laetitia Bocquet, Marie Druc ou encore Pierre Mifsud.
Bilan : Saga de l'été au sens premier du terme, avec tous les ingrédients les plus classiques du genre, L'heure du secret est une fiction calibrée, sans tomber dans les excès de certains de ses prédécesseurs. Il flotte sur elle une impression passéiste quelque peu figée, notamment du fait de dialogues pas toujours percutants. Si elle sait mener sa barque honnêtement et éveille une certaine curiosité pour la suite (ce qui est son principal objet), elle manque d'audace et d'innovation. Malgré tout, le nostalgique des vraies sagas de l'été devrait y trouver son compte. D'autant que le dépaysement opère, aussi bien grâce à l'immersion dans l'industrie de l'horlogerie suisse, que par le charmant accent Québécois de l'héroïne.
Au final, cette série est surtout un rappel que la télévision suisse romande doit encore mûrir et grandir dans le registre de la fiction originale. Elle n'a pas le relatif éclectisme d'une Radio-Canada par exemple. Si je ne vous conseillerais pas L'heure du secret (mais c'était une des rares occasions de voir un peu ce qui se passe chez nos voisins suisses, d'où cette critique qui n'était pas initialement programmée dans le planning du blog), je renouvelle ma recommandation faite au printemps dernier : 10 reste indéniablement une référence dont la RTS devrait s'inspirer.
NOTE : 5/10
Lien vers le catch-up de TV5 Monde : Episode 1 (en ligne jusqu'au 26 décembre).
Le générique de la série :
PS : Avec le sens du timing qui me caractérise, j'ai donc rédigé le premier billet de l'hiver du blog sur... une saga de l'été. Rassurez-vous le prochain article devrait être un bilan de saison de mon coup de coeur du mois.
17:57 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : suisse, l'heure du secret, rts, catherine renaud, frédéric recrosio, agnès soral, carlo brandt, valentin rossier, laetitia bocquet, marie druc, pierre mifsud | Facebook |