27/07/2010
(Pilote UK) Sherlock : Modernisation d'un classique. Jubilatoire.
Ce dimanche soir, BBC1 a entamé la diffusion de Sherlock, une série qui aura connu une bien lente maturation, avant de parvenir finalement sur les écrans britanniques sous un format de 3 épisodes de 90 minutes. Le challenge est stimulant, puisque la chaîne anglaise nous propose d'embarquer trois dimanches d'affilée aux côtés de Sherlock Holmes et de son inséparable acolyte, le Dr Watson, dans une ré-écriture modernisée du mythe du plus célèbre détective anglais, que Arthur Conan Doyle créa au XIXe siècle.
L'idée de transposer Sherlock Holmes dans le décor de notre XXIe siècle pouvait a priori décontenancer. Au-delà des images d'Epinal auxquelles renvoie son nom, il évoque aussi un style marqué par son époque. Sauf que le projet paraissait tout de suite plus réalisable lorsque l'on jetait un oeil sur les noms des personnes qui y étaient associés. Outre Mark Gatiss, à qui l'on doit quelques épisodes de Doctor Who, comme The Idiot's Lantern (saison 2), on retrouve un récidiviste des modernisations de romans de cette fin du XIXe siècle : Steven Moffat. Souvenez-vous, le showrunner actuel de Doctor Who avait, en 2007, réussi une entreprise des plus ambitieuses - et glissantes a priori - : proposer une version actuelle de L'étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde de Stevenson, par le biais d'une mini-série de six épisodes, intitulée Jekyll.
Par conséquent, je n'étais pas loin de penser que si quelqu'un pouvait recréer un Sherlock Holmes du XXIe siècle, crédible et respectant l'essence et l'esprit de cette figure enquêtrice incontournable des enquêtes policières, c'était bien Steven Moffat. Et le résultat n'a pas infirmé cet optimisme.
Ce premier épisode commence par le début, à savoir la première rencontre entre Sherlock Holmes et John Watson. Ce dernier est un vétéran, médecin militaire récemment rentré blessé d'Afghanistan. Il tente de reprendre peu à peu pied dans le morne quotidien de la vie civile. Si sa psychiatre pense qu'il souffre de stress post-traumatique, Watson cherche surtout à remettre sa vie en ordre. Pour cela, il n'envisage pas de quitter Londres, mais ne peut financièrement assumer un loyer seul. Une rencontre fortuite l'amène à renouer avec une vieille connaissance qui l'introduit à un autre de ses amis, cherchant lui aussi un colocataire dans la capitale anglaise, Sherlock Holmes.
La première rencontre est à la hauteur des personnalités brillantes que sont les deux hommes, dans les couloirs d'une morgue où Sherlock conduit d'étranges expérimentations sur les cadavres. Sans s'en rendre compte, Watson, las de désoeuvrement, se retrouve entraîné dans le quotidien mouvementé de son potentiel futur colocataire du 221B Baker Street. Le parfum de l'aventure, l'adrénaline d'une enquête et la tension suscité par l'imprévu, sont sans doute les meilleurs médicaments dont peut rêver le docteur : évoluer aux côtés de Sherlock Holmes n'est pas de tout repos, mais cela reste tellement stimulant.
D'autant que ce dernier enquête sur une affaire aussi complexe qu'intrigante : une sorte de "serial-suicides" frappe Londres, au cours desquels, des individus semblent avaler volontairement un poison mortel. Comment sont-elles acculées à de telles extrêmités, alors qu'elles ne semblaient pas avoir de tendances suicidaires ? Faut-il y voir une main humaine derrière ces actes ? Le commissaire Lestrade, singulièrement dépassé, en appelle aux services du célèbre détective à partir du quatrième mort.
Bien plus que l'enquête, prenante à souhait sans être si étonnante ou originale, la grande réussite de l'épisode réside dans le fait d'avoir réussi à capturer l'essence et l'esprit de cette figure littéraire incontournable, tant dans la façon dont la mini-série se réapproprie les personnages, que dans leurs échange qui nous réservent des petits bijoux de dialogues.
Sherlock Holmes est un génie, surdoué de la déduction, trop intelligent pour le quotidien morne et amorphe du monde qui l'entoure. Sa crainte première est de sombrer dans un ennui létal. Avec ses prédispositions naturelles aux addictions, il recherche dans ses enquêtes un challenge à la hauteur de son intelligence, repoussant ses limites. La série capte admirablement la versatilité et les différentes facettes d'un personnage semblable à un tourbillon, aussi fascinant qu'intoxiquant. Elle ne néglige pas non plus cette part d'ombre inhérente à un détective pour qui les crimes à résoudre demeurent ce qui rythme et donne un sens à sa vie. Ce n'est pas pour rien que les policiers le qualifient de "psychopathe", persuadés qu'un jour, ils auront à enquêter sur un mort qui sera de son fait ; ce à quoi il répond calmement, en les corrigeant, qu'il est un "high-functioning sociopath". C'est sans doute Lestrade qui retranscrit peut-être le plus justement Sherlock : "He is a great man... and I think one day, if we're very, very lucky, he might even be a good one".
A ses côtés, le personnage de Watson offre, évidemment, le contre-poids parfait. Stimulant parfois, canalisant toujours, la présence de ce vétéran se révèle déterminante. Les deux personnages se complètent et s'apportent beaucoup mutuellement. Marqué par la guerre, Watson retrouve avec Sherlock cette bouffée d'adrénaline, dont l'absence le laissait vide et chargé d'amertume. S'il n'accorde pas facilement sa confiance en temps normal, c'est presque instinctivement qu'il trouve ses marques auprès du détective. Sa modération se complétant d'une loyauté sans faille, rapidement testée.
Tout cet univers fonctionne d'autant plus que même les personnages secondaires (Lestrade et Mrs Hudson en tête), plaisants, s'insèrent parfaitement dans la tonalité particulière de cette série.
Au-delà de ces personnalités qui constituent l'âme de la série, l'un des aspects les plus aboutis de Sherlock réside dans l'ambiance et la tonalité qu'elle parvient à instaurer. Si l'atmosphère reste relativement sombre par son sujet, la série n'hésite pas à introduire des passages plus décalés, voire prenant parfois des accents franchement humouristiques, alternant admirablement les tons au cours de 90 minutes d'enquête.
En fait, c'est toute la dynamique qui s'installe entre Sherlock et John Watson qui se révèle absolument jubilatoire, petit joyau d'écriture enlevée et brillante. Les échanges entre les deux personnages principaux, derrière lesquels se forme progressivement une indéfinissable complicité, sont particulièrement inspirés et toujours rythmés. Les monologues de Sherlock, tout comme certains dialogues plus classiques, sont piquants à souhait et conservent quelque chose d'atypique, prenant plaisir à surprendre et à nous mettre en porte-à-faux. C'est ainsi que les répliques, potentiellement "cultes", délicieusement cinglantes et merveilleusement ciselées, s'enchaînent et marquent un téléspectateur, intrigué, définitivement skotché devant son petit écran.
Pour porter cette base des plus intéressantes à l'écran, le casting s'avère être une surprenante réussite. J'avoue que je n'avais pas gardé jusqu'à présent de souvenir impérissable de Benedict Cumberbatch (The Last Enemy) ; il m'a bluffé et agréablement surprise dans ce premier épisode, où il campe de façon très convaincante, avec un charisme et une présence à l'écran qui en impose, le personnage de Sherlock Holmes. Martin Freeman (Charles II, The Office UK) est, lui, à la hauteur de l'enjeu, toujours très solide, pour camper tout en nuances le Docteur Watson. Les deux acteurs fonctionnent particulièrement bien ensemble. Du côté des figures plus secondaires, Una Stubbs incarne Mrs Hudson, la logeuse de nos compères, tandis que Rupert Graves (Midnight Man) joue un Lestrade, un peu dépassé, mais toujours plein de bonne volonté, qui reconnaît Sherlock à sa juste valeur.
Bilan : L'idée d'une version moderne de Sherlock pouvait laisser perplexe, ce premier épisode balaie toutes nos craintes antérieures. Captant parfaitement l'essence de cette figure mythique du détective anglais et son acolyte médecin, l'épisode regorge de passages jubilatoires, de répliques cultes qui font mouche, le tout alternant de façon fluide entre scènes plus sombres et moments décalés où perce une pointe d'humour. Le téléspectateur se laisse entraîner sans résistance dans cette aventure stimulante et fascinante, nullement gêné de voir Sherlock Holmes déambuler dans un décor moderne. Si bien que notre seul regret, à la fin de l'épisode, c'est la pensée qu'il ne reste que deux épisodes à savourer.
NOTE : 9/10
La bande-annonce de la série :
07:03 Publié dans (Pilotes UK) | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : bbc, sherlock, steven moffat, benedict cumberbatch, martin freeman, una stubbs, rupert graves | Facebook |
Commentaires
"Outre Mark Gatiss, à qui l'on doit quelques épisodes de Doctor Who, comme The Idiot's Lantern (saison 2), on retrouve un récidiviste des modernisations de romans de cette fin du XIXe siècle : Steven Moffat."
Il est assez normal que l'accent soit mis sur la présence au générique de Steven Moffat, mais ceci dit, Mark Gatiss est tout de même un peu plus que simplement le responsable de quelques épisodes du Docteur.
Mark Gatiss, c'est aussi et surtout un des allumés de la bande des League of gentlemen.
Oh, et puis oui, cette modernisation de Sherlock est effectivement jubilatoire... :)
Écrit par : Fred | 27/07/2010
coucou ! je suis ravie de découvrir ton blog du coup... je pense qu'on va s'entendre rien qu'à voir ta bannière ! ;o))
Je ne redis pas tout ce que j'ai mis son mon blog sur ce premier épisode... je suis entièrement d'accord avec toi. J'ai adoré !
Écrit par : Eirian | 27/07/2010
"Outre Mark Gatiss, à qui l'on doit quelques épisodes de Doctor Who, comme The Idiot's Lantern (saison 2)"
--> ou comment donner envie de fuir ! Non, c'est quand même l'un des plus mauvais épisodes de Doctor Who que j'ai vu jusqu'à maintenant (je me suis même endormi devant la première fois à vrai dire...).
Heureusement qu'il y a Steven Moffat ! :D Sinon, je ne suis pas un grand fan de Sherlock (j'ai vu la version animée japonaise et j'aime son descendant actuel, le Sherlock des années 90, alias le Détective Conan, mais c'est vrai que je n'ai jamais dû regarder réellement d'autres adaptations plus ou moins fidèles), mais je pense que je pourrais apprécier. Je le note dans un coin des "à voir un jour"... (L'enthousiasme étant communicant en fin de compte).
Écrit par : Nakayomi | 27/07/2010
@ Fred : Je confesse toute l'étendue de mon inculture britannique en révélant que je ne connais que de nom la League of Gentlemen. A corriger un jour ! :)
@ Eirian : Bienvenue par ici ! :D Pour te lire depuis quelques temps, je te confirme qu'on partage un certain nombre de goûts, notamment british, très similaires ;) Au plaisir de te lire et de te croiser ça et là !
@ Nakayomi : Entre toi et Fred, j'ai bien compris que mon exposé des références de Mark Gatiss n'était pas des plus convaincants. O:-) Passons l'éponge et donnons-lui une autre chance ! ;)
Plus sérieusement, j'ai un peu l'impression que Sherlock vient boucler une boucle dans le paysage téléphagique actuel. Il a été la source d'inspiration de la dynamique de tant de séries modernes, dont House MD est la figure de proue et le porte drapeau le plus symbolique, que ce n'est peut-être que justice qu'il revienne à son tour dans notre petit écran !
Et l'ambiance, les dialogues, tout est tellement emballant, que je pense qu'il ne faut pas s'arrêter au seul nom de Sherlock Holmes. Pour évoquer quelque chose qui te parlera peut-être plus, il y a un peu de l'esprit de Dr Who dans cette fiction (celui des bons épisodes :-P ).
Écrit par : Livia | 27/07/2010
"Je confesse toute l'étendue de mon inculture britannique en révélant que je ne connais que de nom la League of Gentlemen. A corriger un jour ! :) "
Je te conseillerais volontiers un jour pas trop éloigné alors :), parce que The League of gentlemen, c'est assez génial dans son genre (même si je sais que la comédie n'est pas ton genre favori).
Il y a un chouette coffret dispo avec les trois saisons et les épisodes spéciaux.
Écrit par : Fred | 28/07/2010
"Entre toi et Fred, j'ai bien compris que mon exposé des références de Mark Gatiss n'était pas des plus convaincants. O:-) Passons l'éponge et donnons-lui une autre chance ! ;)"
Ben, déjà, je crois que l'on sera tous d'accord pour souligner sa délicieuse interprétation du personnage de Mycroft Holmes dans cet épisode...
Écrit par : Fred | 29/07/2010
j'ai été complètement bluffée par ce pilote...j'ai trouvé le personnage de Sherlock magnifiquement interprété et son duo avec Watson d'un naturel incroyable. Ça me désole aussi d'avance de savoir qu'il n'y a que 3 épisodes...mais ça va m'obliger à le savourer avec d'autant plus de plaisir!!!
Écrit par : cybellah | 06/08/2010
Ce n'est qu'à la fin du premier épisode que je me suis rendu compte que je n'avais pas passé 50 minutes devant, mais 90 minutes ! J'en ai vraiment adoré chaque instant ! (Très bien faite, l'utilisation des nouvelles technologies par Sherlock !)
Dommage, le 2e épisode n'était pas à la hauteur du premier...
Écrit par : Saru | 09/08/2010
@ Saru : La magie revient pour le 3e épisode. ^_^
Je pense que la résolution de ce problème de saut qualitatif est à regarder du côté des scénaristes. 3 différents pour les 3 épisodes, le 1er est signé Moffat (pas de miracle), le 3e Gatiss (l'autre créateur). Eux maîtrisent non seulement le côté clinique et la dynamique de l'histoire, mais surtout parviennent à insuffler cette petite étincelle supplémentaire.
Il faudra y faire attention si suite il y a (comme cela a l'air bien parti pour).
Écrit par : Livia | 10/08/2010
Hier, j'ai vu cet épisode! Mais je ne savais pas que la série passait sur F4! J'allume ma télé comme ça (ça m'arrive pratiquement jamais...) et je tombe sur cet épisode.
J'ai vite été captivée et je l'ai vu en entier, c'est surtout l'humour que j'ai aimé (Mrs Hudson avec son taxi et Sherlock qui lui d'aller prendre sa tisane, en vf en tout cas). J'ai ris à plusieurs reprises, j'adore parce que j'avais pas le moral :-)
Par contre, je l'ai vu en vf malheureusement, les séries britanniques ont tellement de charmes lorsqu'elles sont vues en VO...dommage. J'espère en voir plus, je surveille le programme de la chaîne maintenant^^
J'ai découvert cette série sur ton blog mais je l'avais oubliée jusqu'à hier.
Écrit par : Ageha | 26/02/2012
@ Ageha : Merci pour ton commentaire. Très heureuse que ça t'ait plu ! :D Le dynamisme d'ensemble, la vitesse d'exécution et des dialogues, ont tendance à retenir l'attention au point de ne pas voir l'heure et demie s'écouler ^^ La série déborde de petites piques, références humoristiques et autres qui sont un délice à suivre.
Je n'ai jamais vu la VF de Sherlock, mais c'est vrai que les séries UK sont rarement bien loties. J'ai lu que France 4 allait bientôt proposer la série en VM, peut-être à partir de la saison 2 qui sera diffusée dans quelques semaines !
Écrit par : Livia | 03/03/2012
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